En raison de leur foi, les chrétiens sont prédisposés à s’engager en politique

Seuls ceux qui ont une foi profonde et qui sont habités par l’espérance peuvent se permettre de regarder la réalité en face. Les autres n’ont le choix qu’entre désespérer de la réalité ou refuser la réalité avec l’énergie du désespoir en détournant le regard.

C’est ce que font tous ceux qui se perdent dans les divertissements mondains ou les paradis artificiels. C’est aussi la tentation de tous ceux qui fuient la réalité en s’inventant un monde parallèle.

Un monde parallèle peuplé exclusivement de bisounours – comme dans le cas du monde politiquement correct des bobos – ou bien un monde manichéen, un monde en noir et blanc où les méchants auraient le monopole du mal et où la solution passerait par leur élimination (les bons musulmans face aux méchants mécréants).

Seuls ceux qui ont une foi profonde et qui sont habités par l’espérance peuvent se permettre d’être sceptique sur la nature humaine, l’état du monde et les limites de l’action politique sans s’y résigner pour autant.

Seuls eux qui vivent dans l’espérance peuvent agir sans avoir besoin de chercher à se convaincre qu’à force de prendre leurs désirs pour des réalités la réalité finira par se conformer à leurs désirs.

Seuls ceux qui ont hérité une tradition longue et profonde peuvent disposer de points de comparaisons pour réfléchir sans tourner en rond et sans se prendre pour la mesure de toute chose.

Seuls ceux qui sont en mesure de tirer les leçons du passé ont une chance de bien poser les problèmes du présent et de proposer un diagnostic pertinent.

Seuls ceux qui connaissent les invariants de la condition humaine ont les moyens de viser un bien commun en échappant au prisme déformant de catégories intellectuelles arbitraires et atrabilaires.

Seuls ceux qui ont une mémoire spirituelle et une culture historique ont les moyens d’échapper aux débats hystériques et passer du stade du réflexe à celui de la réflexion.

Seuls ceux qui savent qu’ils sont dans le monde mais qu’ils ne sont pas du monde peuvent admettre sereinement que tout ce qu’ils entreprennent est provisoire sans en déduire pour autant que tout est dérisoire.

Seuls ceux qui ont Jésus Christ pour espérance peuvent envisager d’être injustement marginalisés, persécutés ou tués par fidélité à une vérité qui les sauvera parce qu’elle les dépasse.

Soyons ceux-là.

Renoncer au bien commun sous prétexte de pragmatisme

Qui accepterait que son médecin lui prescrive des anesthésiants plutôt que des médicaments ? Quel patient souffrant de maux de tête violents et récurrents accepterait que son médecin traitant lui propose une décapitation (sous anesthésie bien sûr !) à la place d’un traitement ? Vraisemblablement aucun.

Pourtant à bien y réfléchir les deux solutions proposées pour inacceptables qu’elles soient sont les plus pragmatiques. Elles vont directement au but : à la différence des traitements, toujours aléatoires, elles offrent la garantie que les douleurs cesseront : immédiatement dans le premier cas et définitivement dans le second !

Evidemment elles le font en renonçant à s’attaquer aux maux dont la douleur n’est que le symptôme et en aggravant la situation : en renonçant à soigner le patient dans le premier cas, en lui ôtant la vie dans le second. Ce qui les rend inacceptables c’est qu’elles vont contre la bonne santé et la vie du patient c’est-à-dire contre le bien du patient.

Le pragmatisme d’un tel médecin est incontestable mais hors sujet puisqu’il propose ce que la sagesse populaire un remède qui est pire que le mal. C’est évident.

Mais ce qui nous apparaît évident dans le cas du médecin passe le plus souvent inaperçu dans le domaine politique. Combien de responsables politiques se vantent-ils d’agir en responsables pragmatiques voire d’être pragmatiques de tempérament ?

1/ Le pragmatisme politique ordonné au bien commun

Entendons-nous bien : le pragmatisme est une souhaitable quand il constitue l’antidote au fatalisme, au défaitisme, à l’esprit de système ou à l’idéologie. Quand il est synonyme de réalisme et qu’il est ordonné au bien commun il s’identifie aux vertus cardinales de sagesse (qu’on appelle aussi discernement), de force et de justice.

Pensons au général De Gaulle organisant le gouvernement de la France libre à Londres en 1940. L’appel du 18 juin 1940 qu’il lance au micro de la BBC est de ce point de vue éclairant.

Il commence par effectuer ce que l’on a appelé depuis un retour d’expérience (RETEX) c’est-à-dire une analyse sans complaisance des causes de la défaite : « Ce sont les chars, les avions, la tactique des Allemands qui ont surpris nos chefs au point de les amener là où ils en sont aujourd’hui ».

Cette analyse prend à contrepied l’explication que fournit Philippe Pétain deux jours plus tard dans un discours radiodiffusé. Il y affirme que « Depuis la victoire [de 1918], l’esprit de jouissance l’a emporté sur l’esprit de sacrifice. On a revendiqué plus qu’on n’a servi. On a voulu épargner l’effort ; on rencontre aujourd’hui le malheur ». En d’autre terme c’est la faute des Français, pas celle des chefs militaires !

C’est sur la base de ce refus de la complaisance des responsables politiques et militaires – donc de la lâcheté qui en est à l’origine et de la malhonnêteté qui en découle – qu’il refuse d’entrer dans le système de justification impossible que le gouvernement de Pétain tentera d’échafauder pendant ses quelques années d’existence : « Ce gouvernement, alléguant la défaite de nos armées, s’est mis en rapport avec l’ennemi pour cesser le combat ».

C’est ensuite une analyse des rapports de force militaires et politiques qu’il propose. Il part du constat que la France traverse une période que l’on appelle au rugby un moment faible, un moment qu’il faut savoir traverser sans s’effondrer en attendant que le rapport de forces change : « Croyez-moi, moi qui vous parle en connaissance de cause et vous dis que rien n’est perdu pour la France. Les mêmes moyens qui nous ont vaincus peuvent faire venir un jour la victoire ».

Cette analyse ne relève pas de l’autosuggestion mais de l’exercice du discernement et pour cette raison repose sur des arguments : « Car la France n’est pas seule ! Elle n’est pas seule ! Elle n’est pas seule ! Elle a un vaste Empire derrière elle. Elle peut faire bloc avec l’Empire britannique qui tient la mer et continue la lutte. Elle peut, comme l’Angleterre, utiliser sans limites l’immense industrie des Etats-Unis »

Si l’histoire lui donna raison c’est parce que son analyse des rapports de forces était la plus réaliste, la plus conforme à la réalité donc la plus juste : « Cette guerre n’est pas limitée au territoire malheureux de notre pays. Cette guerre n’est pas tranchée par la bataille de France. Cette guerre est une guerre mondiale ».

C’est pour cela que sa décision de poursuivre la lutte était fondée : « Toutes les fautes, tous les retards, toutes les souffrances, n’empêchent pas qu’il y a, dans l’univers, tous les moyens nécessaires pour écraser un jour nos ennemis. Foudroyés aujourd’hui par la force mécanique, nous pourrons vaincre dans l’avenir par une force mécanique supérieure. Le destin du monde est là… »

Le discours du 18 juin est l’illustration de ce que peut signifier le pragmatisme en politique quand il est synonyme de réalisme politique. Dans ce cas il s’agit de lucidité politique et de courage politique puisqu’il s’agit de ne pas céder aux sirènes qui vous invitent à ne pas céder au renoncement et aux mensonges que l’on invoque ensuite pour justifier de renoncer au bien commun.

Mais qu’en est-il quand le pragmatisme politique lui-même devient une idéologie ?

2/ L’idéologie du pragmatisme ou l’alibi du nihilisme

Les idéologies totalitaires du XXème siècle qui promettaient à ceux qui voulaient bien les croire un Reich de mille ans ou des lendemains qui chantent ont engendré les pires oppressions et les plus grands massacres que l’humanité ait connus. On comprend que les dirigeants politiques du XXIème siècle soient aujourd’hui vaccinés contre toute doctrine prétendant livrer le secret du bonheur ici bas. Une telle méfiance est plutôt saine.

Le problème c’est que désormais la méfiance vis-à-vis des idéologies s’est étendue à l’idée même qu’il puisse exister un bien commun à atteindre politiquement.

On peut toujours discuter pour savoir si le rôle de la politique est de viser un bien commun – que l’on peut soupçonner d’être hors d’atteinte – ou de se rabattre sur un objectif plus modeste que l’on appelle un moindre mal. Mais pour pouvoir ne serait-ce que pour pouvoir poser cette question il faut bien disposer au préalable d’une échelle du bien et du mal. Au moins implicitement.

Mais aujourd’hui le pragmatisme invoqué par nos dirigeants est la forme contemporaine du renoncement au bien commun et la formule magique qui permet d’échapper à tout argument critique. C’est devenu l’alibi de l’abandon du bien commun au profit d’intérêts catégoriels ou d’intérêts particuliers.

C’est ce que l’on constate avec à peu près n’importe quel responsable politique ou décideur économique prenant des décisions entraînant des conséquences d’ordre politique : investissement, retrait de capitaux, délocalisation, optimisation fiscale dans des paradis du même nom. Dans les deux cas ils brandissent l’étendard du pragmatisme pour ne pas avoir à rendre de compte sur la conformité de leurs décisions à la réalité et à la justice c’est-à-dire au bien commun.

Le pragmatisme est brandi comme un talisman magique qui désarme non seulement les objections mais surtout les questions relatives au bien commun. C’est devenu l’alibi de toutes les démissions. Qui n’a jamais entendu un(e) responsable politique esquiver les questions de fonds en se retranchant derrière l’alibi du pragmatisme et de la conviction intime ? « Vous savez, Patrick Poivre d’Arvor/Claire Chazal/Laurence Ferrari, (rayez la mention inutile) moi je suis un pragmatique et je ne veux pas entrer dans ces débats qui ne sont pas ceux qui intéressent les Français. Moi ce que j’ai plutôt envie de vous dire ce soir c’est… ».

Le pragmatisme en politique est devenu l’art de ne pas s’attaquer aux problèmes majeurs pour se concentrer sur des problèmes mineurs dans le cadre d’un mandat électoral. On se souvient de Jacques Chirac qui, au lendemain de sa réélection comme président de la république en 2002, annonça que ses trois principaux chantiers politiques seraient la sécurité routière, la lutte contre le cancer et l’insertion des handicapés.

Exit les questions de fonds relevant du bien commun de l’ensemble de la société : chômage, insécurité, immigration, délocalisation, Schengen, monnaie unique, ouverture des frontières, terrorisme, islamisation, délinquance, éducation, retraites, traité transatlantique, problèmes démographiques etc. Et encore n’était-ce pas le cas le plus grave : au moins il s’agissait encore de prendre des décisions politiques.

Aujourd’hui les leurres utilisés pour détourner l’attention des électeurs ne sont plus des décisions politiques mineures. Ce ne sont même plus des décisions d’ordres politiques : querelles politiciennes au sommet du gouvernement montées en épingle ou montées de toute pièce, petites phrases à destination des chaînes d’information continue, médiatisation de la vie privée ou manœuvres de diversion en forme de ballons d’essai.

Mais la démission politique qui se cache derrière l’idéologie du pragmatisme n’a pas simplement pour conséquence de cacher hypocritement la poussière sous le tapis pour la laisser à son successeur. En esquivant les problèmes plutôt qu’en les affrontant le pragmatisme les laisse pourrir et aboutit nécessairement à rendre insolubles des problèmes qui, pris à temps, auraient pu être réglés ou du moins gérés.

L’idéologie du pragmatisme politique c’est le choix de ne pas regarder la réalité en face et de la transformer en farce. Dans la Rome antique on disait « Du pain et des jeux ». Aujourd’hui on dirait société de consommation et croissance infinie.

C’est à la fois une démission et un mensonge : l’art de la fuite et l’art de la flûte (même pas enchantée).

L’idéologie du pragmatisme politique c’est le renoncement au bien commun.

C’est le choix implicite de considérer que le bien et le mal son équivalents donc qu’il n’existe pas de bien et de mal.

C’est l’alibi du nihilisme.

L’amour rend intelligent

Ce que la Bible appelle la connaissance de Dieu n’est pas une connaissance sur Dieu mais une intimité avec Dieu. De même quand la Bible dit qu’un homme a connu une femme cela signifie qu’ils ont vécu ensemble une intimité sexuelle.

Contrairement à la connaissance des choses ou des idées la connaissance véritable des êtres ne peut s’acquérir que dans une relation d’intimité avec eux. Cela n’a rien d’anodin car une telle relation nous engage pleinement. Elle suppose que nous consentions à nous dévoiler, à tomber le masque et l’armure, à exposer nos faiblesses et donc à nous rendre vulnérables. C’est une prise de risque de même nature que celle de Dieu se faisant homme parmi les hommes et finissant sur le bois de la croix. Cette prise de risque est le prix à payer pour accéder à l’intimité d’autrui.

D’où le paradoxe de nos gouvernants : ils sont censés comprendre et connaître le peuple qu’ils dirigent mais, chaque élection en France le confirme, ils n’y comprennent rien. Ils ne comprennent rien au peuple comme on dit de certains hommes qu’ils ne comprennent rien aux femmes.

Ils ne comprennent rien au peuple parce qu’ils ne le connaissent pas et ils ne le connaissent pas parce qu’ils ne veulent surtout pas vivre avec lui. Ils n’ont quand même pas fait HEC et l’ENA pour ça ! S’ils ont sué sang et eau, passé des nuits blanches, des concours, vécu des nuits d’angoisse c’est justement pour pouvoir, en contrepartie, ne plus vivre dans le même monde que leurs concitoyens. S’ils ont tout fait et ils ont parfois tout sacrifié – y compris leur entourage – pour accéder aux manettes du pouvoir ce n’est certainement pas pour renoncer au train de vie et aux privilèges qui vont avec.

L’aboutissement de la stratégie d’orientation scolaire et de sélection sociale fébrilement élaborée par leurs parents, le fruit de leurs efforts et de leurs sacrifices c’est justement l’assurance que jamais ils ne vivront comme tout le monde. C’est précisément une assurance contre ce « risque ». Ils ne veulent pour rien au monde connaître le peuple qu’ils dirigent en vivant avec lui.

Mais ce que nos gouvernants ne veulent/peuvent pas faire les saints, eux, le font très bien. Au point que, second paradoxe, certains gouvernants viennent les consulter quand ils se rendent compte que, contrairement à eux, ces chrétiens accomplis connaissent le pays réel.

Au XVIIème siècle saint Vincent de Paul a été le conseiller d’Anne d’Autriche pendant la régence de son fils Louis XIV. Au point que le très ambitieux Mazarin en a pris ombrage et a intrigué pour le faire renvoyer. Fort de sa connaissance du peuple et de ses misères d’une part et de la confiance de la régente d’autre part il obtint la création de ce qu’on appellerait aujourd’hui l’assistance publique et plus généralement d’une prise en charge de la misère par les pouvoirs publics : réfugiés victimes de guerres, orphelins, mendiants, prostituées, mères célibataires, personnes âgées etc. Soucieux de l’âme et du corps des malheureux il était conscient des causes et des conséquences sociales et politiques dramatiques de la misère du petit peuple.

A la fin du XIXème siècle Don Bosco était consulté à la fois par le pape et les cardinaux que par les gouvernants anticléricaux italiens car il était celui qui était le mieux placé pour comprendre les ravages de la société industrielle sur des populations rurales déracinées et pour les expliquer aux classes dirigeantes. Vivant avec et pour les orphelins et les vagabonds des faubourgs de Turin il en connaissait les misères. Prêtre il se fit aussi se fit éducateur et pédagogue. Il fonda l’ordre des Salésiens qui essaima jusqu’en Patagonie pour vivre, par amour avec ceux qui étaient abandonnés à leur triste sort parce qu’ils étaient d’abord ignorés.

Au début du XXème siècle le meilleur connaisseur français du Maroc et du Sahara était le père Charles de Foucauld. Vivant au milieu des musulmans auxquels il voulait témoigner de l’amour de Dieu en prenant soin de leurs corps et de leurs âmes il parlait le touareg, l’arabe et même l’hébreu car il n’ignorait pas le sort difficile de l’importante communauté juive du Maroc. Les militaires français chargés d’y maintenir ou d’y rétablir la paix civile et la sécurité le consultaient pour décrypter les événements et les affrontements qui affectaient les populations locales.

A la fin du XXème siècle la communauté Sant’ Egidio n’avait pour seul objet que de prendre soin des pauvres et leur annoncer l’amour de Dieu. Ils se sont peu à peu développés hors d’Italie et se sont implantés dans d’autres pays. Ils sont devenus sans le rechercher les seuls interlocuteurs respectés unanimement au Mozambique et ont ainsi servi de médiateur pour négocier la fin de la guerre civile qui ensanglantait le pays depuis 15 ans. Ils étaient les mieux placés parce qu’ils étaient les plus respectés : ils connaissaient le pays réel parce qu’ils vivaient au milieu du peuple mozambicain.

Au XXIème siècle les missionnaires, les religieux et les religieuses, les prêtres et les évêques, les ordres spécialisés et les laïcs engagés constituent un réseau planétaire voué à témoigner localement de l’amour de Dieu pour les hommes et qui, nécessairement, fait remonter à Rome des informations éclairées et de première main sur la situation et la vie des personnes. Immergés dans la vie et les tragédies des peuples auxquels ils se sont donnés ces témoins connaissent les réalités humaines et leurs contextes. Ils les connaissent bien mieux que n’importe quel service de renseignement extérieur précisément parce qu’ils les connaissent de l’intérieur. C’est pour cela que jamais la CIA, le FSB, le Mossad ou la DGSE ne disposeront d’un réseau de renseignement comparable à celui du Vatican. Il faudrait pour cela que leur priorité soit d’aimer au lieu d’espionner et aimer en vérité c’est-à-dire gratuitement, sans-arrière pensée, dans la durée et jusqu’au bout.

Car c’est seulement en aimant les gens qu’on finit par les comprendre vraiment.

C’est en les aimant qu’ils nous deviennent intelligibles.

C’est en aimant qu’on devient intelligent.

Parce que l’amour vient de Dieu.

Parce que Dieu est amour.