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Comment et pourquoi avoir une gueule de ressuscité ?

Nietzsche reprochait aux chrétiens qu’il voyait de ne pas être vrais et disait qu’il pourrait peut-être croire en Dieu si au moins ils avaient « des gueules de ressuscités ».

Cette remarque est pleine de bon sens : quand on est heureux, quand on est habité par une flamme, une espérance ça se se voit et, à l’inverse, quand on vit dans l’ennui, l’inquiétude, la frustration, l’angoisse ou le malheur ça se voit aussi.

Pourtant quand on fait remarquer cela certains chrétiens ont tendance à répondre «Quoi ma gueule ? Qu’est-ce qu’elle a ma gueule ?» comme dans la chanson éponyme de Johnny Halliday.

1/ «Quoi ma gueule ? Qu’est-ce qu’elle a ma gueule ?»

C’est la tentation de l’identitarisme chrétien. Chez nos frères orthodoxes c’est la tentation de se claquemurer à l’intérieur d’Eglises autocéphales. Chez nos frères réformés c’est la tentation de se scinder en petites sectes protestantes toujours plus exclusives. Chez les catholiques de France, aujourd’hui, c’est la tentation du repli identitaire avec la perspective – espérée ou redoutée – de l’affrontement communautaire : «Quoi, ma gueule ? Qu’est-ce qu’elle a ma gueule ? Si tu veux te la payer, viens je rends la monnaie. T’as rien dit tu l’as déjà dit, On n’va pas y passer la nuit»

Confrontés à l’hostilité, bien réelle, de la société médiatique et des institutions publiques qui ne perdent pas une occasion de nier l’existence et la légitimité de la communauté catholique en France, la tentation est grande pour certains de réagir comme une forteresse assiégée et de défendre une logique de l’honneur : «Quoi ma gueule ? Qu’est-ce qu’elle a ma gueule ? Quelque chose qui ne va pas ? Elle ne te revient pas ?».

Cette logique de l’honneur est héritée de l’aristocratie et du monde féodal, pas de l’évangile. C’est parce que saint Vincent de Paul a fini par en convaincre son bienfaiteur, monsieur de Gondi, que celui-ci a renoncé à se se battre en duel pour laver son honneur. Mais cette mentalité est également celle qui prévaut encore très largement parmi nos frères musulmans et la tentation identitaire, pour les chrétiens, c’est d’adopter une mentalité de musulmans plutôt qu’une mentalité de chrétiens. D’où la surenchère victimaire à laquelle se livrent certains chrétiens en traquant sytématiquement les manifestations de cathophobie, néologisme mimétique de celui d’islamophobie.

Plus profondément encore – et plus gravement – c’est donner tort au Christ quand il dit à saint Pierre qui voulait prendre sa défense : «Remets ton épée à sa place, car tous ceux qui prendront l’épée mourront par l’épée» (Matthieu 26, 52).

C’est la tentation d’oublier que les disciples ne sont pas plus grands que leur maître et que si le Fils de Dieu en personne, l’Amour fait homme n’a pas été aimé et reconnu par les hommes, ses disciples ne doivent pas s’attendre à être mieux traités.

Les persécutions sont le lot des disciples du Christ depuis le début du christianisme et elles ont été annoncées par le Christ lui-même : «Heureux serez-vous lorsqu’on vous insultera, qu’on vous persécutera et qu’on dira faussement de vous toute sorte de mal à cause de moi. Réjouissez-vous et soyez dans l’allégresse, parce que votre récompense sera grande au ciel. En effet, c’est ainsi qu’on a persécuté les prophètes qui vous ont précédés» (Matthieu 5, 11-12).

C’est aussi vouloir substituer la logique des hommes à la logique de Dieu : Dieu se manifeste de manière paradoxale en choisissant ce qu’il y a de plus petit et de plus faible et c’est pour cela que les périodes au cours desquelles les chrétiens sont persécutés sont suivies de périodes de conversions. Comme le disait Tertullien dans sa célèbre formule : « Le sang des martyrs est semence de chrétiens ».

La tentation identitaire c’est la tentation de détourner notre attention de la vie éternelle et de ce qu’il nous faut faire ici bas pour accéder au paradis : « Recherchez d’abord le royaume et la justice de Dieu, et tout cela vous sera donné en plus » (Matthieu 6, 33).

La tentation identitaire, c’est aussi donner tort à saint Paul quand il déclare : « J’estime que les souffrances du moment présent ne sont pas dignes d’être comparées à la gloire qui va être révélée pour nous » (Romains 8, 18). C’est vivre en athée tout en se proclamant catholique.

C’est la tentation de Charles Maurras, positiviste et disciple d’Auguste Comte : transformer la Bonne nouvelle de l’amour de Dieu pour tout homme en une unité de combat : « Quoi, ma gueule? Qu’est-ce qu’elle a ma gueule? De galères en galères, elle a fait toutes mes guerres».

Non seulement on passe de l’espérance de la résurrection et de la vie éternelle au triste et traumatisant spectacle de la méchanceté humaine mais surtout on oublie que la méchanceté humaine passe aussi par nous, individuellement et collectivement.

Individuellement parce que la frontière entre le bien et le mal traverse notre propre cœur et c’est pour cela que nous avons besoin de nous confesser régulièrement et de nous convertir en permanence.

Collectivement, parce que les péchés peuvent aussi être décuplés au sein d’une communauté, même religieuse et c’est pour cette raison que saint Jean-Paul II a officiellement fait acte de repentance en l’an 2000 pour toutes les fautes et les crimes commis et/ou couverts par l’Eglise catholique.

La tentation identitaire consiste, à l’inverse, à refuser tout examen de conscience en faisant primer la solidarité partisane sur la vérité et la justice : «Quoi, ma gueule ? Qu’est-ce qu’elle a ma gueule ? Je m’en fous qu’elle soit belle, au moins elle est fidèle».

Cette tentation apparaît comme une position de repli et une consolation pour les nombreux catholiques qui ont été légitimement traumatisés par l’apostasie d’une grande partie de l’épiscopat et du clergé au cours des années 1970. Des catholiques sincères qui ont parfois été abandonnés et vilipendés par leurs propres pasteurs parce qu’ils voulaient rester fidèles au dépôt de la foi et à la tradition apostolique !

C’est donc souvent d’un amour déçu avec l’Eglise – du moins avec ses dirigeants – que naît cette rancœur. C’est le souvenir jamais effacé d’une injustice commise par ceux là même qui leur demandaient de confesser leurs péchés ! C’est la conscience d’une injustice commise à leur égard et pour laquelle aucune demande de pardon n’a été formulée. Cette la douleur indicible d’un amoureux trompé et bafoué par sa bien-aimée : «C’est pas comme une que je connais, une qui me laisse crever tout seul, mais je n’veux même pas en parler, une qui se fout bien de ma gueule».

2/ Convertir son regard pour convertir son cœur

« A celui qui n’a rien, la Patrie est son seul bien » disait Jean Jaurès.

La colère des identitaires a pour source un profond pessimisme dans lequel ils essaient de ne pas se noyer en se raccrochant à leur identité (réelle ou imaginaire peu importe) . Mais leur désespérance est d’autant plus tragique qu’elle reste clandestine.

Ils ne peuvent pas l’exprimer (trop) ouvertement puisque, officiellement, ils revendiquent la foi et l’espérance, ces deux vertus théologales qui sont le marchepied de la troisième et la plus haute : la charité !

A l’inverse celui qui a eu la chance de recevoir le don de la foi n’a aucune raison de désespérer, au contraire ! Il sait que sa mission ne consiste pas à défendre un contenant (la culture chrétienne) mais son contenu (le Christ) et il sait que Jésus-Christ ne requiert pas des défenseurs mais des témoins.

Il lui incombe donc de manifester son espérance et sa charité : il n’a pas le droit, par paresse, de laisser les soucis du monde ou le poids du jour les submerger.

Il a d’abord le devoir d’être toujours prêt à rendre compte de l’espérance qui est en lui – « Soyez toujours prêts à rendre compte de l’espérance qui est en vous » (1 Pierre 3, 15) – ne serait-ce parce que parce que c’est le minimum syndical ! Mais ensuite il a le devoir d’en rayonner car ce que l’on vit est plus éloquent que ce que l’on dit.

Oui mais concrètement, on fait comment pour avoir une gueule de ressuscité ?

On commence par se réjouir de vivre ici et maintenant car c’est en changeant le regard que nous portons sur la réalité extérieure que nous pouvons commencer à changer nos dispositions intérieures et convertir notre cœur. Et ça, ça se voit !

Mais ce n’est pas un choix léger ou anodin. Habituer notre regard à découvrir et à admirer les merveilles nichées dans les plis de la réalité, discerner ce qui est poétique dans ce qui est prosaïque c’est un exercice spirituel permanent.

C’est une hygiène de vie intérieure qui nourrit l’âme et réjouit le cœur de l’homme. C’est une ascèse qui, comme toute ascèse, est la source d’une joie intime et profonde. Une joie qui dépend moins des circonstances extérieures que des nos dispositions intérieures et qui, à ce titre, est beaucoup moins aléatoire. Bien sûr ce n’est pas un bonheur permanent, c’est encore un bonheur à éclipses mais c’est déjà l’avant-goût du bonheur éternel.

C’est une sorte de discipline sportive comparable aux programmes de préparation physique que suivent les athlètes qui veulent se donner les moyens de gagner les grandes compétitions. C’est un entraînement permanent dont l’objectif est de muscler notre capacité à repérer, voir, contempler, admirer accueillir et goûter ce que ce monde, par ailleurs abîmé par le péché, a conservé d’aimable

Plus nous serons en mesure de nous émerveiller et d’aimer la création et plus nous serons en mesure de bénir et d’aimer son créateur quand nous Le rencontrerons. A l’inverse, moins nous serons capables d’aimer et d’accueillir son amour et plus sa présence nous sera insupportable e traumatisante. Ce que d’autres vivront comme un paradis nous le vivrons – au sens propre du terme – comme un enfer.

Sans compter que c’est en développant dès maintenant notre capacité d’émerveillement et de gratitude que nous rendrons déjà témoignage et justice à Celui qui «a fait toute chose belle en son temps» (Ecclésiaste 3, 11).

La fin d’un mariage ou la possibilité d’une révélation

La multiplication des échecs conjugaux dans le milieu catholique l’atteste : de plus en plus de mariages présumés sacramentellement valides se révèlent invalides parce que non-viables pour des raisons qui, bien souvent, dépassent la bonne volonté et la sincérité des intéressés. Le bilan pastoral de nombreux prêtres est sans appel : la plupart des mariages sacramentels célébrés dans les formes ne sont pas valables faute de discernement de la part d’au moins l’un des conjoints.De nombreux prêtres le confient en privé. C’en est même un secret de Polichinelle…

Mais dans une société de la consommation où le consumérisme imbibe les personnalités jusque dans les moindres replis de leur psychologie, de leur affectivité et de leur inconscient n’est-ce pas le contraire qui serait surprenant ? Combien de futurs mariés font une claire distinction entre “être amoureux” et “aimer” ?

A cela s’ajoute l’absence trop fréquente de cette maturité psychologique et spirituelle qui grandit normalement au fil des années et qui est l’objet même de l’éducation. De nos jours en effet, et surtout dans certains milieux sociologiquement catholiques, l’éducation se confond purement et simplement avec la réussite scolaire.

Une réussite scolaire qui suppose notamment de délaisser l’étude de ce que l’on appelait “les humanités” et qui avaient pour objet de mieux comprendre la nature humaine et donc de mieux se comprendre soi-même. Une réussite scolaire qui monopolise l’essentiel de l’emploi du temps, accapare toute l’attention et jette le discrédit sur tout ce qui est gratuit : vie intérieure et vie relationnelle. Corollaire : plus de temps pour la vie de prière et surtout plus de raison d’y consacrer du temps. Plus de temps à consacrer à autrui, plus de temps pour lâcher prise et plus de temps pour “prêter l’oreille de son cœur à la voix du Seigneur”.

La maturité spirituelle que l’on pourrait espérer trouver dans les milieux catholiques et qui s’acquiert par la prière, la lecture patiente et la méditation régulière de textes littéraires, bibliques et théologiques a pratiquement disparu. Les conséquences de cette atrophie de la liberté intérieure sont d’autant plus tragiques chez ces catholiques que, contrairement à la plupart de leurs contemporains, ils voient dans le mariage un engagement indissoluble.

1/ Oui au divorce, mais avant le mariage !

Comment être libre quand on n’est encore que l’ébauche de soi-même ? Trop souvent en effet la personnalité de ceux qui aspirent à se marier pour l’éternité n’est ni assez affermie, ni assez affirmée. Heureux ceux qui ont pu découvrir progressivement leurs propres contradictions et prendre conscience d’eux-mêmes à mesure qu’ils accumulaient les déboires sentimentaux ! Heureux ceux qui se sont découverts eux-mêmes avant de se marier et non après !

A force de reproduire les mêmes schémas d’échec on finit parfois par comprendre à quel point la peur de ne pas être aimé peut parasiter le discernement et écourter, voire escamoter, la phase indécise mais indispensable de la libre introspection. La peur de rester seul(e) explique que l’on puisse instinctivement s’interdire de laisser se refermer une fenêtre d’opportunité.

Ce mode de fonctionnement, inconscient, ne présume en rien de la sincérité des intéressés. Mais combien ne se connaissent pas encore suffisamment pour comprendre les ressorts de leur comportement ? Combien ne sont encore que l’ébauche d’eux-mêmes et n’en sont pas conscients ?

A l’inverse un séminariste dispose d’au moins sept ans de réflexion pour se mettre au clair sur lui-même c’est-à-dire sur celui qu’il est et sur ce qu’est sa vocation…

Heureux ceux qui ont connu le divorce avant le mariage en découvrant qui ils étaient en vérité et ce qu’ils voulaient. Mais combien n’ont fait la lumière sur eux-même qu’après coup ?

2/ L’échec conjugal : une apocalypse ?

L’échec d’un mariage ne peut pas être vécu autrement que comme une tragédie, car c’en est une. Et encore plus quand il y a des enfants. On peut essayer de la vivre du mieux qu’on peut, c’est-à-dire en fait le moins mal possible, mais il n’y a pas de divorce réussi. Les conséquences et les séquelles ne disparaîtront pas par enchantement. Malheureusement. Parfois le désespoir est tel qu’on vit cette rupture comme la fin du monde et qu’on se dit que c’est l’apocalypse.

Mais c’est aussi l’occasion d’une apocalypse au sens premier et profond du terme : au sens d’une révélation de choses qui étaient cachées jusque là. Comme toute crise, l’échec d’un mariage peut aussi être la révélation d’un certain nombre de vérités qu’on avait plus ou moins occultées ou que l’on ignorait en toute sincérité.

Ce peut être l’éventualité de découvrir que l’on avait pris nos désirs pour des réalités. Que la réalité ne correspond pas à l’image que nous nous en faisions. Que l’autre est autre que ce que nous imaginions et que nous mêmes ne sommes pas celui ou celle que nous pensions.

Cette plaie ouverte, source de tant de souffrances, peut aussi être une brèche par laquelle passe la lumière. Celui qui croyait savoir ce qu’il voulait et ce qu’il lui fallait pour être heureux découvre parfois que ce qu’il voulait n’était pas vraiment ce qu’il lui fallait. C’est la possibilité de comprendre que l’adage selon lequel « on n’est jamais mieux servi que par soi-même » n’est pas toujours vrai. Quand nos désirs sont des illusions c’est le contraire. Dans ce cas là on n’est jamais mieux asservi que par soi-même.

La souffrance elle-même est à la mesure de l’espoir placé dans le mariage. Elle donne la mesure de l’aspiration à aimer et à être aimé qui se trouve dans le cœur humain. L’échec souligne cruellement la disproportion qui existe entre ce besoin d’être aimé parfaitement et l’imperfection de tout amour humain. Il témoigne que le désir d’être aimé est un désir infini que personne ici-bas ne sera jamais en mesure de combler totalement : “Qui donc pourra combler les désirs de mon cœur, répondre à ma demande d’un amour parfait ? Qui sinon toi Seigneur, Dieu de toute bonté ? Toi l’amour absolu de toute éternité ?” s’interrogeait saint Augustin.

L’échec d’un mariage, malgré et avec toutes les tragédies qui l’accompagnent, peut être la « chance » paradoxale de lever le voile sur ce qui était caché et de se découvrir soi-même en vérité. Cette tragédie peut se révéler une apocalypse, au double sens du terme, si elle permet de faire le deuil de ses illusions et de mieux comprendre que notre vocation fondamentale ne pourra se réaliser pleinement et définitivement qu’auprès de Dieu et que c’est le but unique de notre existence. Comme le disait, une fois encore, saint Augustin : “Plus près de toi, mon Dieu, j’aimerais reposer, c’est toi qui m’as créé et tu m’as fait pour toi, mon cœur est sans repos tant qu’il ne demeure en toi”.

On ne peut pas être à la fois signe de contradiction aux yeux des hommes et garant de l’ordre social

Pourquoi la résurgence de l’esclavage dans les pays de chrétienté n’a-t-elle pas provoqué de la part de l’Eglise instituée une réaction aussi impitoyable que l’apparition du protestantisme ? Le commerce triangulaire n’a jamais été un motif de croisade ou de guerre sainte pour une raison très simple : elle ne menaçait ni directement, ni indirectement les intérêts du clergé qui était à la fois, rappelons le, l’un des trois ordres soutenant l’ancien régime et sa caution morale.

A l’inverse, à mesure qu’il se développait et que les grands féodaux se ralliaient à lui, le protestantisme devenait le fer de lance de la contestation de le l’autorité du roi dont le clergé était à la fois l’obligé, l’otage, le complice et la caution morale. On ne peut même pas parler de collusion du clergé avec le pouvoir en place puisque le clergé était lui-même un des piliers du pouvoir en place.

De là découle sans doute aussi la tendance qu’a eu longtemps le clergé à s’accrocher au latin non seulement en tant que langue liturgique mais également en tant que langue d’enseignement. Enseignement de la théologie d’enseignement tout court.

Enseignement de la théologie : saint Jean-marie Vianney faillit ne jamais être ordonné faute de pouvoir répondre en latin aux questions théologiques de ses examinateurs. Il fallut lui permettre exceptionnellement de répondre en français pour qu’il puisse démontrer qu’il avait une intelligence de la foi suffisante pour pouvoir être prêtre.

Enseignement tout court : le savoir c’est le pouvoir. Il suffit de se rappeler le roman de Stendhal intitulé Le Rouge et le Noir, initialement sous-titré Chronique du XIXème siècle puis Chronique de 1830. C’est l’histoire, tragique en l’occurrence, d’un jeune fils de paysan ambitieux qui endosse le « triste habit noir » de séminariste pour effectuer l’ascension social qu’il ne peut plus espérer faire en s’engageant dans l’armée napoléonienne (le rouge). Et son ascension commence quand, enfant, il obtient la protection du curé de son village qui repère ce petit paysan capable de réciter par cœur le Nouveau Testament en latin.

Cela paraît absurde a posteriori mais c’est parfaitement cohérent du point de vue d’un corps constitué qui souhaite tenir les laïcs à distance afin de garder intact son monopole intellectuel et son autorité morale. N’importe quelle corporation entoure de barbelés ses prérogatives et ses avantages comparatifs. De ce point de vue la restriction de l’accès au savoir était un enjeu fondamental.

Elargir la possibilité d’accéder au patrimoine intellectuel et spirituel qui constitue la tradition de l’Eglise pour aider les laïcs à grandir en maturité spirituelle et en discernement aurait eu pour corollaire de les rendre moins dépendants de ce que leur disait le clergé . Pour ce dernier cela revenait à scier la branche sur laquelle ils étaient assis.

De même la méfiance et la suspicion dont ils ont entouré la Bible et qui a été intégrée très largement par les fidèles catholiques eux-mêmes. Elle a été très longue à disparaître, à supposer même qu’elle ait disparu aujourd’hui : je me rappelle qu’une de mes grands-mères, pourtant femme et chrétienne remarquable, m’avait fait part de sa réticence à l’idée que les catholiques lisent par eux-mêmes la Bible qu’elle jugeait trop subversive. Le père Stan Rougier rapporte de ses années de séminaire un témoignage similaire.

De manière générale le manque de formation des laïcs et des parents qui ne parviennent pas à transmettre la foi à leurs enfants parce qu’ils ne parviennent pas à répondre de manière intelligible et convaincante à leurs questions et à leurs objections vient de là.

La trahison des clercs devient inévitable et systématique quand le clergé se compromet avec les pouvoirs mondains. D’accords pragmatiques en compromis raisonnables il aboutit toujours à des compromissions qui trahissent l’évangile et défigurent le visage du Christ aux yeux des hommes dans mais surtout à l’extérieur de l’Eglise. “Ne craignez pas ceux qui tuent le corps et qui ne peuvent tuer l’âme; craignez plutôt celui qui peut faire périr l’âme et le corps dans la géhenne” (Matthieu 10, 28).

Voilà pourquoi il est paradoxalement souhaitable que le clergé soit en butte aux pouvoirs et aux intérêts du monde : ce n’est pas une garantie mais c’est au moins une forte présomption de fidélité au Christ. Les persécutions, sanglantes ou sournoises, en sont la contrepartie. “Heureux serez-vous, lorsqu’on vous outragera, qu’on vous persécutera et qu’on dira faussement de vous toute sorte de mal, à cause de moi” (Matthieu 5, 11).

De ce point de vue le déchaînement de haines souvent hystériques que déclenche le pape François dans certains milieux conservateurs et cercles économiques est une très bonne nouvelle. Paradoxalement elles constituent plutôt un encouragement.

Pourquoi le pape François accorde la priorité à la vérité de l’amour et non à l’amour de la vérité

Que nous le voulions ou non à chaque fois que nous nous exprimons, poussés par le zèle de la vérité, nous parlons toujours – au moins un peu – de nous-mêmes. L’amour de la vérité que nous proclamons ne nous permet que de parler de nous croyons être la vérité, de ce que , dans le meilleur des cas, nous en comprenons.

Avec toute la marge d’erreur inhérente à la conscience humaine – errare humanum est – et dans les limites propres à notre condition d’être humaine qui est celle d’un être limité. Comme le disait Blaise Pascal : « Notre intelligence tient dans l’ordre des choses intelligibles le même rang que notre corps dans l’étendue de la nature ».

Tout homme est en effet exposé en permanence au risque de réduire la vérité à ce qu’il en comprend, à ce qu’il croit en comprendre et surtout à ce qu’il veut en comprendre. Entre l’autosuggestion et le mensonge délibéré la frontière est souvent floue et c’est là que cela devient dangereux : errare humanum est, perseverare diabolicum. C’est vrai dans le domaine profane mais c’est encore plus vrai dans le domaine spirituel. Comme disait le prophète Jérémie : « Le cœur de l’homme est compliqué et malade ! (Jérémie 17,9) ».

C’est pour cela que le prosélytisme en général suscite la méfiance instinctive de nos contemporains et même de beaucoup de chrétiens. Au fond de chacun d’entre nous sommeille la même objection : « Je veux bien croire à leur sincérité mais dans le fond que savent-ils de la vérité ? ». C’est la limite de tous les argumentaires : ils sont cohérents, ce qui est quand même la moindre des choses, mais rarement convaincants.

Sans compter qu’on peut emporter l’adhésion pour de très mauvaises raisons et aliéner autrui avec n’importe quelle religion. Certains missionnaires, catholiques hier, et pentecôtistes aujourd’hui ne sont pas très différents des prêcheurs salafistes. Le bourrage de crâne insistant au début puis aliénant se fait toujours au nom de l’amour de la vérité. Toute religion dominante est une religion aliénante, non pas d’abord en raison de son contenu mais en raison de son statut.

Même le christianisme peut être vécu comme une prison au lieu d’être vécu comme une libération. Et s’il est en si mauvais état en Europe actuellement c’est parce qu’il a été vécu comme tel pendant des siècles et que la réaction de rejet est à la mesure de la pression sociale et du poids moral endurés. La rupture de la transmission de la foi et l’apostasie généralisée d’une grande partie du clergé dans le sillage de mai 68 ne s’explique pas autrement.

C’est ce que dit explicitement le pape François dans La joie de l’amour : « Nous devons être humbles et réalistes, pour reconnaître que, parfois, notre manière de présenter les convictions chrétiennes et la manière de traiter les personnes ont contribué à provoquer ce dont nous nous plaignons aujourd’hui. C’est pourquoi il nous faut une salutaire réaction d’autocritique (Amoris Laetitia, § 36) ».

C’est pour cela que le pape François insiste d’abord sur la miséricorde qui est un des noms de l’amour. Après tout nous serons jugés sur l’amour, pas d’abord sur la théologie !

1/ La vérité de l’amour : c’est quoi ?

Qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie que l’amour est contagieux et porte des fruits que nous ne soupçonnons même pas.

Quand la fille de pharaon s’est laissée toucher par le bébé hébreu qui dérivait dans son panier d’osier sur le Nil elle a posé un geste d’amour dont les conséquences lui étaient inimaginables : l’émergence de Moïse, prophète de l’Eternel et libérateur d’Israël.

D’ailleurs nous le savons d’expérience : nul ne mesure jamais la portée de ce qu’il fait, en bien comme en mal. En termes profanes on appelle ça l’effet papillon.

Une professeur de français à la retraite m’a raconté, émue, cette anecdote. Elle avait été abordée par un jeune jésuite français plein d’allant qui s’occupait d’enfants dans les bidonvilles de Manille.Elle ne se souvenait absolument pas de lui mais lui se souvenait parfaitement d’elle. Il était venu la remercier de tout ce qu’elle avait fait pour lui. Intriguée la professeur lui demanda de quoi il s’agissait.

L’ancien élève lui répondit alors qu’il avait été son élève en classes de 6ème et de 5ème et qu’à cette occasion elle avait fait découvrir à ses élèves quelques extraits de la Bible et d’Homère. Elle avait même lu et commenté quelques passages de la Genèse. Elle ne s’en souvenait même pas mais pour lui ce fut une expérience extraordinaire qui, de son propre aveu, a joué un rôle déterminant dans sa vie et dans son parcours ultérieur. Très émue, cette professeur a pris le temps de discuter avec lui et découvert l’influence insoupçonnée qu’elle avait exercé dans sa vie.

C’est aussi la trame du film de Franck Capra intitulé La vie est belle (It’s a wonderful life 1946), à  ne pas confondre avec le film homonyme de Roberto Benigni, La vita è bella, réalisé en 1997.

Convaincu que sa vie n’a servi et persuadé, le héros se persuade que la seule chose utile qu’il puisse encore faire pour sa femme et ses enfants est de suicider afin qu’ils bénéficient au moins de son assurance-vie. Il est repêché in extremis par un ange qui lui fait voir ce qu’aurait été la vie de tous ses proches s’il n’avait pas été là pour les aider et les aimer. Il découvre l’horreur qu’aurait été leur vie sans lui. La fécondité des actes d’amour anodins et insignifiants qu’il avait posés lui apparaissent alors.

Le primat accordé à la miséricorde n’est pas une concession à l’air du temps. La priorité du pape François n’est pas de manifester d’abord notre amour de la vérité mais la vérité de l’amour de Dieu.

2/ La vérité de l’amour ou l’effet papillon de Dieu

L’effet papillon est une expérience quel’on peut faire sans être chrétien mais pour le chrétien c’est une vérité de foi parce que c’est le coeur même de sa foi : si l’amour est contagieux et s’il porte du fruit c’est parce que l’amour vient de Dieu. Ou plutôt parce que l’amour c’est Dieu puisque Dieu est amour. « Celui qui n’aime pas n’a pas connu Dieu, car Dieu est amour »(1, Jean 4,8).

La volonté de Dieu se réalise à chaque fois que nous aimons et que nous posons un acte d’amour alors même que nous ne savons pas ce à quoi cela servir. Nous faisons sa volonté qui, on le sait est mystérieuse et souvent très déconcertante : il n’y a qu’à voir comment Dieu le Père a traité son Fils lorsque ce dernier lui demandait de lui épargner la croix….

Mais si nous croyons réellement à ce que nous disons quand, lorsque nous prions le Notre Père, nous lui disons «que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel» alors nous savons qu’à chaque fois que nous aimons nous contribuons à ce que sa volonté soit faite.

A la différence de la foi d’un musulman ou d’un juif pour lesquels la fidélité à Dieu passe d’abord par l’observation d’une loi, la foi du chrétien lui impose de consentir à se transformer en un corps conducteur de l’amour de Dieu pour les hommes, un peu comme on dit d’un objet que c’est un corps conducteur d’électricité. C’est en effet la seule façon de manifester la nature même de Dieu sans s’interposer entre lui et les hommes sous prétexte de témoigner de notre amour de la vérité.

Mais comme le chrétien sait qu’il n’est pas naturellement un corps conducteur et qu’il aurait plutôt tendance à être un corps isolant il faut préalablement et en permanence qu’il se transforme de l’intérieur ou plutôt qu’il se laisse transformer en profondeur, qu’il change de nature. C’est ce qu’annonce Dieu par la bouche du prophète Ezéchiel quand il dit : « Je vous donnerai un cœur nouveau, et je mettrai en vous un esprit nouveau; j’ôterai de votre corps le cœur de pierre, et je vous donnerai un cœur de chair » (Ezéchiel 36,26) .

La conversion du coeur et l’amour du prochain priment sur l’annonce de l’évangile car la priorité d’un homme en train de mourir de soif c’est de s’abreuver à l’eau du torrent. Ce n’est qu’une fois déshydraté qu’il est en mesure d’écouter ceux qui lui indiquent où se trouvent la source et l’oasis qu’elle a créée pour rendre la vie possible.

L’évangélisation n’est pas devenue superflue avec le pape François contrairement à l’image d’un pape fossoyeur de la foi que ses ennemis au sein de l’Eglise propagent. L’annonce de l’évangile est bien sûr absolument nécessaire mais elle est secondaire dans l’ordre chronologique. Secondaire ne signifie pas accessoire ou optionnelle. L’évangélisation est indissociable de la vérité de l’amour parce qu’elle en est le prolongement naturel et organique.

Mais l’amour de la vérité sera toujours moins convaincant que la vérité de l’amour parce que l’amour de la vérité rend d’abord témoignage à l’amour de la vérité que nous proclamons c’est-à-dire à nous-mêmes. La vérité de l’amour, elle, rend d’abord témoignage à Dieu qui est l’amour.

La vérité de l’amour c’est en effet que l’amour possède une logique intrinsèque et des caractéristiques qui lui sont propres.

“L’amour est patient, il est plein de bonté, l’amour. Il n’est pas envieux, il ne cherche pas à se faire valoir, il ne s’enfle pas d’orgueil”(1, Corinthiens 13,4). Ce n’est pas lui qui inspire à l’Eglise la tentation du triomphalisme, du carriérisme, du cléricalisme et de la mondanité que le pape François dénonce à tours de bras.

“Il ne fait rien d’inconvenant. Il ne cherche pas son propre intérêt” (1, Corinthiens 13,5). Il vient en aide aux victimes des prêtres pédophiles et les aide à obtenir justice plutôt que de chercher à étouffer ou à minimiser le scandale au motif de protéger l’institution.

“Il ne s’aigrit pas contre les autres”. Il ne hurle pas au complot anti-catho quand les médias exhument des scandales que le clergé et l’épiscopat avaient consciencieusement enterrés.

“Il ne trame pas le mal” (1, Corinthiens 13,6) contrairement aux campagnes de dénigrement, de désinformation et de calomnie du pape François qu’orchestrent certains réseaux d’athées pieux dans les milieux catholiques français. Au nom de la fidélité à la Tradition et à la Vérité, bien sûr…..

“L’injustice l’attriste, la vérité le réjouit” (1, Corinthiens 13,6). Ce n’est pas la logique de l’amour qui jette pas l’opprobre de manière indistincte sur tous les réfugiés et tous les migrants en agitant le chiffon rouge des invasions barbares et de la subversion islamiste.

3/ La pédagogie unit la vérité de l’amour et l’amour de la vérité

L’amour de la vérité se manifeste, entre autres choses, par la recherche philosophique et théologique et par l’enseignement. La garantie que l’enseignant n’enseigne pas lui-même mais la bonne nouvelle de Jésus Christ se situe dans la cohérence entre ce qu’il dit et ce que l’Eglise dit depuis 2000 ans. Mais pour que l’enseignement soit vrai il faut aussi qu’il soit authentiquement inspiré par l’amour.
Concrètement cela signifie que celui qui transmet ce qu’il sait et qui fait sa supériorité sur celui qui ne sait pas consent en même temps à renoncer progressivement à ce qui faisait sa supériorité. L’amour vrai est « patient, il est plein de bonté, l’amour. Il n’est pas envieux, il ne cherche pas à se faire valoir, il ne s’enfle pas d’orgueil ».

C’est la différence entre un sourcier et un sorcier : le sorcier fait jaillir une source puis s’en va, laissant les autres libres de s’en abreuver gratuitement et autant qu’ils le veulent. Le sorcier distribue au compte-gouttes son savoir pour garder son auditoire captif et dépendant afin d’asseoir son propre pouvoir. Pour lui le savoir, c’est le pouvoir.

A l’inverse celui qui enseigne par amour accepte de devenir de moins en moins indispensable à mesure qu’il rend autonome son élève, comme un père qui s’efface derrière l’enseignement qu’il transmet à son fils pour l’aider à devenir à son tour un homme libre et autonome. Quand la vérité d’un tel amour se manifeste par la transmission, il passe nécessairement par la pédagogie.

La pédagogie est concrète parce c’est du sur-mesure. C’est la manifestation concrète de l’effort d’imagination, d’observation et d’obstination que nous avons fait pour nous adapter à la tournure d’esprit, au contexte culturel mais aussi au parcours personnel, de cet autrui singulier auquel on s’adresse. C’est quand nous faisons l’effort d’aller vers autrui de manière désintéressée que nous avons la certitude que nous réalisons volonté de Dieu et non la nôtre sous couvert de la sienne.

Il ne s’agit pas tant de se mettre à son niveau – expression la plupart du temps condescendante signifiant « descendre » à son niveau que d’entrer en connexion avec lui en tenant compte de ses insuffisances, ses lacunes, ses besoins, ses atouts et ses attentes, ses blocages psychologiques, ses blessures affectives et ses difficultés spirituelles. On ne peut faire du sur-mesure qu’en le comprenant préalablement.

On ne peut le comprendre qu’en le comprenant de l’intérieur. On ne peut le comprendre de l’intérieur qu’à force de l’aimer car contrairement à la connaissance des choses ou des idées la connaissance véritable des êtres ne peut s’acquérir que dans une relation d’intimité avec eux. Cela n’a rien d’anodin car une telle relation nous engage pleinement. Elle suppose que nous consentions à nous dévoiler, à tomber le masque et l’armure, à exposer nos faiblesses et donc à nous rendre vulnérables.

Tous ceux que je connais qui ont eu la chance de rencontrer et de fréquenter régulièrement le cardinal Joseph Ratzinger, avant et après sa désignation comme pape, disaient tous que quand on le rencontrait et qu’on discutait avec lui on ressortait en ayant l’impression d’être plus intelligents…

Il écoutait avec beaucoup d’attention, de patience et de bienveillance les propos de son interlocuteur puis, quand il prenait la parole, commençait par reprendre ce qu’il estimait juste et vrai dans ce qu’il avait écouté. Puis il le complétait, attirait l’attention de son interlocuteur sur certains de ses présupposés faux ou incomplets et lui proposait une reformulation plus complète et enrichie de liens et de connexions auxquels ce dernier n’avait pas songé. C’est particulièrement évident dans les livres interviews qu’il a accordés au journaliste allemand Peter Seewald Le sel de la Terre (1996) et Lumière du monde  (2010).

La vérité de l’amour transparaît dans l’amour d’une vérité qui nous dépasse et qui se manifeste de manière objective parfois même malgré nous et contre nous : l’amour de Dieu est plus fort et plus fécond que l’image que nous nous en faisons et que les péchés que nous commettons.

C’est pour cela que la vérité de l’amour doit primer sur l’amour de la vérité.

Eloge d’un art martial profondément chrétien

Aimer ses ennemis ? Plus facile à dire qu’à faire ! Surtout quand l’ennemi en question est occupé à vous rouer consciencieusement de coups.

Dans ces cas là, concrètement, on fait quoi ? Souvent la réponse à cette question est évanescente car comme on ne sait pas quoi faire on ne sait pas quoi dire. Dans ce genre de situations la plupart du temps on fait ce que l’on peut. Il existe pourtant une réponse concrète.

« Ah, oui . Et on fait quoi dans ces cas là ?

du systema.

du quoi ? ! »

1/ Qu’est-ce que le Systema ?

Le systema (ou système en russe) est un art martial inventé par des militaires russes – donc a priori pas des poètes ! – mais qui repose pourtant sur l’économie des mouvements et la décontraction au coeur même de l’affrontement. A ce titre il présente des similitudes surprenante avec des arts martiaux peu prisés – voire méprisés – par les spécialistes des métiers de la sécurité comme l’aïkido, le tai chi chuan et, plus largement, la famille des arts martiaux dits « internes ».

Tout repose en fait sur l’apprentissage et le contrôle de la respiration. C’est elle qui doit permettre de dissiper la douleur, de porter les coups, d’échapper à « l’effet tunnel » pour rester pleinement conscient de son environnement et demeurer dans de bonnes dispositions psychologique et physiologique pour ne pas subir. Le systema ne cherche pas à contrôler le déroulement chaotique du combat mais plutôt à surfer sur les énergies qui s’y déploient de manière anarchique, à la l’image d’un planeur ou d’un dirigeable qui accroche les courants ascendants et joue avec eux pour aller où il veut. La bonne utilisation de la respiration et la préférence accordée à l’esquive plutôt qu’au choc frontal ne constituent pas en elles-mêmes des nouveautés. Rien de nouveau sous le soleil des arts martiaux. Rien qui distingue le systema des autres arts orientaux. De fait l’originalité du systema n’est pas là.

La vraie différence c’est que, contrairement aux autres arts martiaux, on n’yapprend à peu près aucune technique : c’est ça qui en fait l’intérêt ! On n’y apprend aucune technique spécifique mais on y apprend des principes liés au combat qui développent notre capacité d’improvisation en toutes circonstances. Les coups portés y sont relativement libres et il n’existe pas de postures, ni d’enchaînements prédéfinis. Seule la vitesse de l’exercice varie en fonction du niveau des combattants, ce qui permet de décomposer des attaques réelles et, petit à petit, d’augmenter la vitesse d’exécution.

2/ Faire la vérité sur soi-même pour se (re)connecter à la réalité

Dans la plupart des arts martiaux, on cherche à éviter les coups en les esquivant et en les bloquant. Partant du principe qu’il y a plus de joie à donner qu’à recevoir, on cherche à donner des coups et non à en recevoir. En revanche on n’y enseigne rarement comment gérer les coups que l’on reçoit. Une des approches est de supporter la douleur, d’endurcir délibérément son corps et d’en renforcer certaines parties comme en boxe thaïlandaise ou en karaté kyokushinkaï. Mais outre que ces pratiques sont destructricess elles sont également et peut-être surtout illusoires : elles ne protègent que contre les coups que l’on a anticipés. Ce sont des cuirasses de chair et d’os martyrisés qui ne protègent qu’une partie du corps. C’est le mythe de l’élixir d’invincibilité. Or, la réalité c’est que nous sommes tous vulnérables et que l’élixir d’invincibilité n’existe pas.

C’est poutant sur ce mythe implicite que bien des écoles d’arts martiaux prospèrent. En un sens c’est assez compréhensible : tout être humain normalement constitué a peur des coups et ressent un mélange de colère et d’humiliation lorsqu’il en reçoit ! Pourtant prétendre pouvoir y échapper n’est une illusion qui vise à masquer notre propre peur, un mensonge que nous nous racontons pour nous rassurer. La réalité est beaucoup plus prosaïque. La triste réalité c’est que même le meilleur combattant au monde reçoit des coups lorsqu’il combat. Personne n’est capable d’éviter tous les coups, surtout lorsqu’il est attaqué par plusieurs agresseurs. Certes Bruce Lee était un génie des arts martiaux et les combats qu’il tournait dans ses films sont aujourd’hui encore inégalés mais il s’agissait de combats chorégraphiés et mis en scène, comme il se doit au cinéma, et non de combats réels ! Or, la plupart des arts martiaux font l’impasse sur cette réalité

Le propre du systema c’est de commencer, paradoxalement, par apprendre à recevoir des coups. L’idée est de partir de la réalité et la réalité c’est qu’apprivoiser la douleur et la peur de la douleur est la clef de tout. Il ne s’agit pas de rechercher à s’endurcir les membres, d’apprendre à encaisser passivement et stoïquement ou de repousser toujours plus loin les limites de la douleur. Il s’agit ni de la rechercher ni de la fuir mais d’apprendre à l’accueillir et à la racompagner gentillement vers la sortie.

Pour cela il faut commencer par consentir à regarder la réalité en face et donc à se regarder soi-même en face. Il faut prendre conscience de l’existence de ces blocages psychologiques car ce sont eux qui sont à l’origine des blocages physiques et des raideurs qui nous rendent encore plus vulnérables en situation d’agression.

3/ Apprivoiser la douleur et la peur de la douleur

La seule solution pour ne pas être tétanisé par la peur de recevoir des coups et pour en amortir la puissance c’est d’apprendre à respirer en permanence y compris et surtout au coeur de l’action. Dans le tourbillon infernal où la peur entraîne la tension qui, à son tour renforce la peur, c’est la respiration qui vient rompre le cercle vicieux. La respiration est en effet la ressource physique la plus utile et la plus facile à mobiliser.

C’est pour cela que le systema comporte énormément d’exercices de réception de coups par la respiration. Il ne s’agit pas de s’aguerrir c’est-à-dire de conditionner son corps et son esprit à affronter les horreurs de la guerre mais d’accueillir les coups en les absorbant dans un mouvement circulaire pour les faire ressortir en expirant. La respiration permet d’accueillir la violence du coup et l’expiration permet d’expulser la douleur. L’alternance des deux permet d’évacuer au sens littéral du terme les émotions comme la peur, la colère et l’auto-apitoiement.

J’en ai personnellement fait l’expérience. C’était à l’occasion d’un exercice de trois minutes consistant à respirer calmement tout en absorbant des coups. J’avais peur avant de commencer mais ce que j’ai expérimenté c’est qu’en me concentrant exclusivement sur la régularité de ma respiration la douleur ne restait pas : elle repartait. Cause ou corollaire, mon esprit était trop occupé pour que mon imagination puisse anticiper les coups ou conserver en mémoire la trace de la douleur une fois celle-ci éliminée. J’ai pu ainsi vérifier par moi-même que l’imagination crée la peur, que la peur engendre la raideur et que la raideur amplifie tellement la violence de l’impact qu’en un sens elle crée la douleur. La peur crée la douleur dans la mesure où elle transforme en douleur ce qui n’était au début qu’un flux d’énergie inattendu.

Cette prise de conscience n’est pourtant que celle d’un débutant. Je suis encore incapable de conserver cette attitude intérieure en toute cicrconstance, notamment en cas d’agression mais désormais je sais d’expérience que c’est possible. Mieux ! Au terme de ces trois minutes mon corps portait des marques mais j’éprouvais un état de bien-être incongru et inattendu comme si je sortais d’une séance de massage.

Or, c’est là une autre expérience fondamentale que l’on fait en systema : avec la bonne disposition intérieure, la frontière séparant la douleur du plaisir se brouille. On découvre ce paradoxe étonnant qu’il existe des coups « bienveillants » qui relaxent au lieu de créer des tensions . C’est le principe des massages russes que l’on pratique en systema. Certains coups sont donnés pour supprimer ou réduire ces tensions. Ces coups, très spécifiques, réchauffent la personne qui les reçoit, augmente sa circulation sanguine, lui procure une sensation de chaleur et fait disparaître ses tensions.

Le systema ne consiste pas seulement à opposer la souplesse à la force comme en judo ou en aïkido, mais à être libre dans son corps et dans sa tête pour pouvoir s’adapter en temps réel à une situation inattendue, imprévisible et mouvante. C’est pour cela que le systema ne prétend enseigner aucune technique car, comme toute boîte à outils, n’importe quel éventail de techniques répertoriées est nécessairement limité. Il ne contient qu’un nombre fini de solutions alors que la variété des problèmes potentiels est infinie. En se dotant d’un arsenal technique on s’impose un cadre technique c’est-à-dire qu’on s’enferme et qu’on s’enferre dans un cadre en-dehors duquel on se retrouvera très démuni en cas de situation non conforme surtout si l’on est pris par surprise et paralysé par le stress.

Or, la vie et les événements sont par nature non conformes à ce que l’on pouvait envisager. Comme le disait John Lennon “La vie c’est ce qui se passe quand on avait tout prévu”. Think out of the box est un excellent conseil mais la probabilité d’y parvenir est très faible quand la lucidité est troublée et la capacité d’initiative est entravée. Le systema cherche au contraire à nous mettre dans les meilleures dispositions possibles pour pouvoir improviser à partir de la réalité concrète qui s’impose à nous.

4/ Libéré de la peur

C’est en effet à condition d’être décontracté – et par définition on ne l’est pas quand on se fait agresser – que l’on peut réagir car, paradoxalement, c’est l’agresseur lui-même qui apporte la solution à son attaque. A l’inverse, toute projection, toute anticipation, toute prévision nous font quitter le moment présent. Le cerveau analytique reprend le contrôle mais, comme il est débordé, il nous prive de toute capacité d’improvisation. La pensée analytique se base sur des expériences déjà connues et en tire des conclusions standardisées qui bloquent la créativité.

La solution réside dans la réceptivité qui permet de percevoir le jeu des forces en présence : celles de notre corps mais surtout celles du corps de notre agresseur, ses zones de blocage et ses déséquilibres. Cette réciptivité ne se confond pas avec la passivité. On ne subit pas les événements, on prend au contraire l’initiative en se déplaçant préventivement – sans chercher à prendre le large pour autant – et toujours en respirant avec régularité afin de conserver les muscles et le cerveau ventilés. Ce n’est qu’à ces conditions et avec de l’entraînement – car pour faire preuve d’une telle réceptivité sur le moment, il faut l’avoir développée auparavant – que la solution à l’agression viendra naturellement..

C’est parce qu’une agression – au même titre que n’importe quelle catastrophe ou crise systémique – est imprévisible que le systema ne propose pas d’entraînement fixe ou de combinaisons de mouvements. Le systema n’enseigne pas de positions de combat mais apprend à se battre dans toutes les positions, vous autorise à frapper dans des angles étranges, à sourire au combat au lieu d’adopter un visage féroce et crispé.

La pédagogie des entraînements repose entièrement sur la respiration, la décontraction, sur le fait de ralentir les mouvements plutôt que de les accélérer car la lenteur est capitale pour progresser. C’est seulement en rentrant dans le flux du combat à vitesse lente que l’on peut éveiller la sensibilité et la conscience à ce qui se passe vraiment au moment de l’affrontement. C’est seulement la lenteur qui permet de percevoir le mouvement, la distance et les différentes options autrement que par les yeux. L’enjeu est de développer l’intelligence de situation – c’est-à-dire l’intuition – plutôt que rechercher la performance immédiate. Cela se manifeste par un entraînement, un travail effectué à vitesse réduite.

C’est une forme de lâcher prise qui ne prétend pas faire systématiquement l’économie la douleur mais qui en réduit considérablement les conséquences : l’intensité et la portée. C’est une manière d’accueillir la douleur pour mieux l’expulser. Apprendre à gérer la douleur et à ne plus avoir peur à de l’idée d’avoir mal permet de préserver son intégrité émotionnelle et son estime de soi, en cas de défaite comme en cas de victoire.

La progression en systema dépend directement celle de notre liberté intérieure. En systema on progresse à mesure que se développent la capacité à comprendre et à prendre des décisions rapidement. Pour cela il faut commencer par se débarrasser du stress et des tensions excessives et se sentir à l’aise et donc apprendre à respirer correctement. Pour y parvenir il faut préalablement s’être libéré de tous les obstacles qui nous empêchent de trouver le lien avec votre partenaire : nos peurs, nos doutes, nos tensions, nos certitudes, nos jugements, notre ego, nos comparaisons, notre désir de vouloir bien faire ou notre volonté de gagner.

Or, cette liberté intérieure passe au préalable par la conversion du coeur.

5/ De la conversion du coeur à la connexion avec l’agresseur

Pour acquérir cette liberté intérieure il faut cesser de considérer le coup comme une agression – ce qu’il est pourtant objectivement – et le regarder comme un transfert d’énergie qui nous est parvenu par erreur: à réceptionner et à rendre à l’envoyeur ! Cela signifie que l’attaquant doit repartir avec ce qu’il nous a donné, à l’image d’une balle de caoutchouc lancée à pleine force contre un mur solide et qui rebondit immédiatement vers le lanceur sans que celui-ci puisse l’éviter. De manière comparable notre corps peut renvoyer l’énergie à condition de la laisser circuler et revenir sur l’assaillant selon des modalités – des vecteurs de force ! – qu’il lui sera très difficile voire impossible à éviter.

Mais pour parvenir à cela il faut au préalable changer sa disposition intérieure, changer le regard que l’on porte sur soi-même et sur les autres c’est-à-dire convertir son coeur.

En effet la peur produit la rigidité, la confiance engendre la fluidité. Souvent, des personnes ivres sortent relativement indemnes de bagarres parce qu’ielles n’auront pas eu suffisamment peur pour s’endommager elles-mêmes en luttant contre l’énergie cinétique : des côtes flexibles absorberont l’impact des coups alors que si les muscles sont tendus, les côtes se briseront sous le choc avec une perforation potentielle du poumon.

La vérité, c’est que souvent nous nous blessons nous-mêmes en voulant tout maîtriser de manière volontariste et illusoire au lieu de tirer avantage des forces en présence. La même vague qui renverse le plaisancier et le noie, permet au surfeur d’avancer avec un minimum d’efforts et un maximum de détente et d’énergie.Un corps souple peut absorber un stress beaucoup plus important qu’un corps rendu rigide par la peur. Nous récoltons ce que nous semons et si nous semons la peur, nous récolterons la douleur.

Pour cela il faut commencer par renoncer à voir le monde en termes de victoires et de défaites mais comme une circulation de flux d’énergies, souvent mal orientées. Renoncer à voir le monde en termes de performance pour le voir en termes de relations.

Le but est de parvenir à considérer une agression physique exactement comme on considère un accident de la circulation. On va tout faire pour l’éviter, pour l’anticiper, pour donner un bon coup de volant au bon moment et pour freiner à temps. On ne subira pas, on prendra des initiatives parce qu’on aura développé l’intelligence de ce genre de situations – du moins le permis de conduire est censé l’attester – et on cherchera à jouer sur les différentes forces en présence comme on joue de son levier de vitesses mais jamais on ne prendra un accident comme un affront personnel, une remise en cause de sa valeur, une atteinte à sa dignité ou à son ego.

Si défaite il doit y avoir elle ne sera pas synonyme d’humiliation. La soumission et la fuite entraînant nécessairement une dégradation de l’estime de soi on y aura échappé parce que, quel que soit le résultat, on n’aura pas subi, on n’aura pas été paralysé par la peur ou la douleur. Même physiquement perdant on en ressortira émotionnellement gagnant car on aura échappé au piège de la rivalité mimétique, pour reprendre l’expression de René Girard.

On n’aura pas considéré l’affrontement comme une compétition, comme un match, comme une défaite et, pour cette raison même, on ne sombrera pas dans l’épuisement, l’auto-dénigrement ou les souvenirs traumatisants. Parce qu’on aura préalablement renoncé à la logique de l’honneur et de la performance. Et en cas de victoire on aura préservé son intégrité physique mais surtout émotionnelle parce qu’on n’aura pas cherché à puiser sa force et son énergie dans la peur et dans la colère.

6/ La logique du systema est une logique chrétienne

Pour faire du systema il n’est évidemment pas nécessaire de croire en Dieu ni même de croire que Dieu a envoyé son Fils pour le rachat de nos péchés, qu’il est mort et qu’il est ressuscité le troisième jour conformément aux écritures. Aucun certificat de baptême n’est demandé à l’inscription !

Néanmoins si l’on veut bien admettre que la foi chrétienne n’est pas d’abord une série de dogmes ou un jeu de l’oie des sacrements (“Moi je suis allé jusqu’à la confirmation”) mais un mouvement de conversion du coeur et un pélerinage terrestre au cours duquel nous nous transformons progressivement pour être en mesure de rencontre cet Autre qui nous attend au bout du chemin alors je crois que l’on peut tranquillement affirmer que la logique du systema est une logique profondément chrétienne.

Si son pays de naissance est la Russie, pays orthodoxe par excellence, et non un pays asiatique de culture bouddhiste ce n’est pas un hasard. Certes que le systema repose sur le souffle, le renoncement à la volonté de puissance, à l’illusion que l’on peut échapper à la souffrance et à l’orgueil. Il y a pas ni grade ni tenue spécifique ce qui permet de laisser l’ego au vestiaire. Néanmoins le propre du systema c’est le principe de connexion ou l’option de ne pas rompre la relation avec autrui sous prétexte qu’il nous agresse. Le principe de connexion c’est la charité en action.

C’est une sorte d’oscillement intérieur qui permet d’être en vibration avec son assaillant. Un oscillement qu’on obtient en s’étant préalablement affranchi de la peur, de la peur de la douleur et et de la peur de perdre la face (le déshonneur). Ce n’est qu’à ce prix et qu’on peut entrer en connexion avec autrui. Dès lors on devient son ombre et on coordonne ses mouvements avec les siens de sorte que l’on forme avec lui un duo au sein duquel chaque flux d’énergie est rendu à celui qui l’a envoyée par des mouvements fluides et harmonieux. Aucune situation ne met plus dans l’embarras. On n’est plus surpris, on est simplement au bon endroit, au bon moment. Les coups que l’on délivre sont lourds, profonds et détendus, les poings se posent naturellement sur les zones de tension de l’aversaire.

Entrer en connexion suppose néanmoins de lâcher prise, de laisser à l’autre l’initiative – au risque de se laisser surprendre par lui. Cela suppose de lui accorder son attention pour mieux comprendre son intention et s’affranchir des distances de sécurité pour être en sa présence. Un peu comme on dit qu’il faut être proche de ses alliés et encore plus proches de ses adversaires.

C’est une manière de regarder le monde avec bienveillance qui repose sur la confiance : on ne projette plus nos propres peurs sur le monde extérieur. Ce n’est pas de la naïveté pour autant. C’est même le contraire de la naïveté puisque c’est une manière d’être dans le monde, en l’acceptant tel qu’il est – et il est violent – sans approuver cette violence pour autant. C’est une manière de se réconcilier avec le monde et de l’aimer sans le cautionner ni le juger. Entrer en connexion c’est accepter de courir le risque de la relation même avec quelqu’un qui, a priori, ne vous veut pas du bien.

Mais au fond n’est-ce pas cela aimer même ses ennemis ?

Nota Bene : Tous ceux qui seraient curieux ou sceptiques – et plus vraisemblablement les deux à la fois – peuvent en savoir et surtout en voir plus sur le site : http://www.globalsystema.fr/articles-systema/systema/. Néanmoins les démonstrations de systema qu’on peut voir sur internet laissent souvent dubitatifs parce que ce qui s’y passe est largement invisible à l’oeil ce qui, au fond, n’a rien d’étonnant si l’on admet que l’essentiel est invisible pour les yeux. Il s’agit d’interactions qui passent par de nombreux signaux sensoriels qui échappent au regard extérieur. Comme pour la vie intérieure, il s’agit d’abord d’une expérience à faire. Je ne saurais trop recommander de faire un cours à l’essai, gratuit et sans engagement, pour se faire sa propre idée. Comme disait un célèbre un rabbin palestinien : “Venez et voyez”.

Comment je me suis réconcilié avec saint Paul

J’ai toujours eu beaucoup de mal à accepter les passages de saint Paul exhortant les femmes à être soumises à leurs maris.

Ça m’a toujours gêné parce que ça m’a toujours semblé extrêmement misogyne. Et toutes les contorsions exégétiques pour transformer cette soumission en son opposé, une décision libre de la part de la femme, me mettaient encore plus mal à l’aise car j’avais l’impression d’avoir affaire à une explication non seulement hypocrite mais surtout pitoyable.

La plupart des homélies sur le sujet étaient toutes structurées en deux parties : première partie la dénégation (« il ne s’agit évidemment pas de machisme »), deuxième partie le relativisme culturel (« il faut remettre les paroles de saint Paul dans le contexte de son époque »). D’où la question que je me posais inévitablement : « s’il ne s’agit pas de machisme alors pourquoi faut-il replacer les propos de saint Paul dans leur contexte ? S’il n’y avait pas de problème que fallait-il relativiser ? »

J’en concluais que si les prédicateurs que j’entendais n’utilisaient pas des arguments meilleurs et plus convaincantes c’est qu’ils n’en avaient vraisemblablement pas en magasin ce qui accroissait mon malaise et ma suspicion ainsi que ma méfiance envers ces prêtres..

Ce qui me choquait le plus c’est que j’avais l’impression qu’on demandait aux femmes davantage qu’aux hommes.

Aux hommes Paul demandait « seulement » d’aimer leurs femmes ce qui, après tout n’est que le minimum syndical quand on décide de se marier. N’est-ce pas l’objet même du mariage ? Cette recommandation m’avait toujours semblé ne pas en être une.  Elle me paraissait tellement implicite qu’elle ne pouvait pas être donnée comme une recommandation qui viendrait en plus.

Aux femmes, en revanche, il demandait non seulement d’aimer leurs maris – au moins implicitement puisqu’il parlait du mariage – mais en plus et surtout de leur être spontanément soumises. En d’autre terme de s’exposer à leurs décisions et à leurs comportements arbitraires sans garantie et sans contrepartie. Inacceptable à mes yeux.

Inacceptable jusqu’au jour, récent, où j’ai compris que Paul demandait à l’homme et à la femme de se convertir à l’amour en consentant chacun à faire l’effort qui lui coûtait le plus : rentrer en elle-même pour la femme, sortir de lui-même pour l’homme.

1/ Le plus difficile pour une femme : rentrer en elle-même

Depuis que je suis petit j’ai toujours vu les femmes mariées être surchargées et sur-occupées. Certes je comprenais qu’il n’était pas évident de concilier vie de famille et vie professionnelle mais cela ne changeait rien à ma perplexité.

En effet leurs maris aussi étaient contraints de concilier les deux et me semblaient s’en tirer mieux. Certes ils en faisaient moins et sans doute la répartition des tâches était-elle susceptible d’être rééquilibrée mais cela n’expliquait pas pourquoi c’était presque toujours les femmes qui en faisaient plus. Une fois c’est un hasard, deux fois un curieux hasard mais à partir de trois fois ce n’est plus un hasard.

J’avais l’impression d’être en permanence dans la publicité pour les piles Duracell où des petits lapins tapaient sur des tambours sans s’arrêter jusqu’à épuisement de leur réserve d’énergie, présentée comme particulièrement longue.

Sans compter que même les femmes qui ne vivaient pas en couple me semblaient fonctionner comme des lapins Duracell. C’est la tentation de Marthe, qui s’agite et qui récrimine, par opposition à Marie qui médite et qui accueille.

Devenu adulte j’ai commencé à comprendre que, dans le cadre des relations humaines en général, les femmes étaient plus disposées que les hommes à s’investir personnellement et émotionnellement pour que les choses marchent. J’ai compris qu’elles y étaient plus disposées parce qu’elles en attendaient beaucoup et souvent bien davantage que les hommes. Dans le cadre d’une relation de couple, de la gestion concrète d’un foyer et de l’éducation des enfants les femmes ont plus d’attentes et plus d’idées sur ce qu’il faudrait faire et surtout ne pas faire.

Mais l’expérience montre aussi que cette volonté de bien faire se confond souvent avec un désir viscéral de faire les choses à sa façon qui aboutit régulièrement à faire les choses à la place de l’autre pour s’assurer qu’elles soient bien faites (c’est-à-dire faites à sa façon) et donc d’imposer ses propres règles ou au moins d’être la seule à faire les choses (monopole).

Dans le couple l’homme choisit moins l’affrontement que la stratégie d’évitement pour préserver ce qu’il considère comme sa liberté inaliénable. Quitte à déserter définitivement le foyer dans les cas extrêmes, ce qui est le paroxysme de la stratégie d’évitement. La femme a un tel besoin de se donner qu’elle a parfois du mal à se retirer pour laisser l’autre exister.

C’est en faisant ce constat que j’ai mieux compris ce que recommandait saint Paul à la femme : en lui disant « sois soumise » il lui dit « lâche prise ».

La première formulation sent mauvais l’encaustique des siècles passées tandis que la deuxième fleure bon la psychologie de couple contemporaine. Mais les deux formules sont équivalentes.

Toutes les deux signifient « ne t’épuise pas et ne l’épuise pas à vouloir tout contrôler tout le temps. Cesse de le traiter comme un enfant et traite le comme ton mari. Rends-lui sa liberté d’initiative. Pour que toi tu puisses cesser de vivre à l’extérieur de toi-même et que lui puisse déployer sa liberté au service de votre couple et de votre foyer. Rentre en toi-même, tu y seras bien. Tu seras enfin chez toi. Tu seras vraiment toi et lui sera enfin libre de t’aimer à sa façon c’est-à-dire véritablement. »

Ce qui fait de cette « soumission » un lâcher prise et non une aliénation c’est qu’elle est ordonnée à l’amour et consentie par amour c’est-à-dire librement par la femme. Si l’homme en profite pour se comporter en despote, la manipuler ou l’humilier alors il n’y a plus aucune raison de jouer le jeu. Dans la vie de couple comme ailleurs l’adjectif intolérable a un sens. Cette « soumission » n’a de sens si elle sert à rendre l’homme capable d’aimer à son tour et à sa manière.

2/ Le plus difficile pour un homme : sortir de lui-même

Car pour l’homme le plus difficile est bien de sortir de son égoïsme pour se mettre au service du bien d’autrui. L’ égoïsme de l’homme est légendaire. Lui-même ne s’en défend pas vraiment. Ou alors tellement mollement que ça revient au même.

Son égoïsme se manifeste d’abord par la paresse. En termes relationnels cela se traduit souvent par le refus de s’engager. C’est bien connu : une fois qu’il a obtenu « ce qu’il veut », monsieur est souvent moins empressé et ne s’investit plus autant dans la relation. La première force de l’homme c’est sa force d’inertie.

Une autre manifestation de son égoïsme profond est sa capacité à donner libre cours à ses pulsions au détriment d’autrui (pulsions violentes, pulsions sexuelles). Les violences conjugales et les viols sont majoritairement l’œuvre d’hommes. L’industrie de la pornographie ne prospère que grâce aux hommes. Les guerres ne durent que parce que les hommes aiment se battre.

Ultime manifestation de l’égoïsme masculin : la volonté de dominer pour le seul plaisir de dominer et d’exercer le pouvoir simplement pour en jouir. Les conséquences pour autrui n’existent pas parce que le monde extérieur devient une variable d’ajustement.

Certes l’homme est capable de se donner pour réaliser de grandes choses mais sous certaines conditions. A condition d’y être poussé : derrière chaque grand homme, cherchez la femme. Ou bien à condition d’être attiré : certains hommes doivent leur carrière à leur première femme et leur deuxième femme à leur carrière.  Ou encore à condition d’être exalté. L’homme est capable de sacrifier sa vie en échange de la reconnaissance de ses pairs (carrière, héroïsme) ou de la postérité (la gloire).

Mais il lui est beaucoup plus difficile d’accepter librement et délibérément les mille et une petites morts, de consentir à des sacrifices non reconnus, de supporter sans broncher et sans regrets les frustrations inévitables qui accompagnent la lente maturation d’un amour authentique. Il lui est plus facile de mourir pour la femme qu’il aime que de vivre avec elle.

Le plus difficile pour l’homme c’est de s’oublier. C’est de sortir de lui-même pour aimer vraiment : sans espoir de retour sur investissement. Qui n’a pas entendu cette phrase d’un égoïsme tellement massif et naïf à la fois : « Moi les enfants ne commencent à m’intéresser qu’à partir du moment où ils peuvent parler » ?

Le plus difficile pour lui c’est de s’oublier pour aimer. Il est capable de s’investir et de donner sa vie pour quelque chose qui le dépasse mais à condition que ça l’exalte (l’armée, l’équipe, la guerre).

  A contrario on comprend pourquoi saint Joseph nous est donné en exemple. Par amour il renonce à toutes les aspirations masculines légitimes (une vie sexuelle normale, une descendance nombreuse et assurée, une réputation intacte, l’estime de ses pairs) pour accepter une vie ni exaltante ni exaltée dans une famille qui est l’exact opposé d’un modèle familial : un enfant unique conçu hors-mariage élevé par un père adoptif.  Et pourtant c’est le modèle du mari et du père de famille.

Non seulement ce que saint Paul demande à l’homme est ce qui lui est le plus difficile mais il lui donne en plus un modèle qui est hors d’atteinte : aimer sa femme comme le Christ aime son Eglise.

Pourquoi comme le Christ ? Parce qu’en se faisant homme Dieu a montré aux hommes comment aimer. Au lieu de faire usage de sa toute-puissance pour vaincre le mal et la souffrance, il a manifesté sa toute-puissance dans l’ordre de l’amour et du don au point de souffrir et de mourir pour nous sans attendre notre reconnaissance, sans retour sur investissement, gratuitement, de manière inconditionnelle et absolue.

C’est en prenant conscience de tout cela que je me suis réconcilié avec saint Paul :  en comprenant qu’il ne s’agissait pas d’une sentence rendue par un juge des affaires familiales mais d’une prescription médicale.

Et comme les prescriptions des médecins sont souvent illisibles il m’a fallu plusieurs décennies pour parvenir à déchiffrer  l’écriture du  docteur saint Paul et découvrir le contenu de son ordonnance pour le couple.

En fait il avait rédigé deux prescriptions distinctes et complémentaires : « lâcher prise » pour la femme et « oubli de soi » pour l’homme.

Depuis le jour où j’ai compris ça, ça va beaucoup mieux entre saint Paul et moi !

En raison de leur foi, les chrétiens sont prédisposés à s’engager en politique

Seuls ceux qui ont une foi profonde et qui sont habités par l’espérance peuvent se permettre de regarder la réalité en face. Les autres n’ont le choix qu’entre désespérer de la réalité ou refuser la réalité avec l’énergie du désespoir en détournant le regard.

C’est ce que font tous ceux qui se perdent dans les divertissements mondains ou les paradis artificiels. C’est aussi la tentation de tous ceux qui fuient la réalité en s’inventant un monde parallèle.

Un monde parallèle peuplé exclusivement de bisounours – comme dans le cas du monde politiquement correct des bobos – ou bien un monde manichéen, un monde en noir et blanc où les méchants auraient le monopole du mal et où la solution passerait par leur élimination (les bons musulmans face aux méchants mécréants).

Seuls ceux qui ont une foi profonde et qui sont habités par l’espérance peuvent se permettre d’être sceptique sur la nature humaine, l’état du monde et les limites de l’action politique sans s’y résigner pour autant.

Seuls eux qui vivent dans l’espérance peuvent agir sans avoir besoin de chercher à se convaincre qu’à force de prendre leurs désirs pour des réalités la réalité finira par se conformer à leurs désirs.

Seuls ceux qui ont hérité une tradition longue et profonde peuvent disposer de points de comparaisons pour réfléchir sans tourner en rond et sans se prendre pour la mesure de toute chose.

Seuls ceux qui sont en mesure de tirer les leçons du passé ont une chance de bien poser les problèmes du présent et de proposer un diagnostic pertinent.

Seuls ceux qui connaissent les invariants de la condition humaine ont les moyens de viser un bien commun en échappant au prisme déformant de catégories intellectuelles arbitraires et atrabilaires.

Seuls ceux qui ont une mémoire spirituelle et une culture historique ont les moyens d’échapper aux débats hystériques et passer du stade du réflexe à celui de la réflexion.

Seuls ceux qui savent qu’ils sont dans le monde mais qu’ils ne sont pas du monde peuvent admettre sereinement que tout ce qu’ils entreprennent est provisoire sans en déduire pour autant que tout est dérisoire.

Seuls ceux qui ont Jésus Christ pour espérance peuvent envisager d’être injustement marginalisés, persécutés ou tués par fidélité à une vérité qui les sauvera parce qu’elle les dépasse.

Soyons ceux-là.

Renoncer au bien commun sous prétexte de pragmatisme

Qui accepterait que son médecin lui prescrive des anesthésiants plutôt que des médicaments ? Quel patient souffrant de maux de tête violents et récurrents accepterait que son médecin traitant lui propose une décapitation (sous anesthésie bien sûr !) à la place d’un traitement ? Vraisemblablement aucun.

Pourtant à bien y réfléchir les deux solutions proposées pour inacceptables qu’elles soient sont les plus pragmatiques. Elles vont directement au but : à la différence des traitements, toujours aléatoires, elles offrent la garantie que les douleurs cesseront : immédiatement dans le premier cas et définitivement dans le second !

Evidemment elles le font en renonçant à s’attaquer aux maux dont la douleur n’est que le symptôme et en aggravant la situation : en renonçant à soigner le patient dans le premier cas, en lui ôtant la vie dans le second. Ce qui les rend inacceptables c’est qu’elles vont contre la bonne santé et la vie du patient c’est-à-dire contre le bien du patient.

Le pragmatisme d’un tel médecin est incontestable mais hors sujet puisqu’il propose ce que la sagesse populaire un remède qui est pire que le mal. C’est évident.

Mais ce qui nous apparaît évident dans le cas du médecin passe le plus souvent inaperçu dans le domaine politique. Combien de responsables politiques se vantent-ils d’agir en responsables pragmatiques voire d’être pragmatiques de tempérament ?

1/ Le pragmatisme politique ordonné au bien commun

Entendons-nous bien : le pragmatisme est une souhaitable quand il constitue l’antidote au fatalisme, au défaitisme, à l’esprit de système ou à l’idéologie. Quand il est synonyme de réalisme et qu’il est ordonné au bien commun il s’identifie aux vertus cardinales de sagesse (qu’on appelle aussi discernement), de force et de justice.

Pensons au général De Gaulle organisant le gouvernement de la France libre à Londres en 1940. L’appel du 18 juin 1940 qu’il lance au micro de la BBC est de ce point de vue éclairant.

Il commence par effectuer ce que l’on a appelé depuis un retour d’expérience (RETEX) c’est-à-dire une analyse sans complaisance des causes de la défaite : « Ce sont les chars, les avions, la tactique des Allemands qui ont surpris nos chefs au point de les amener là où ils en sont aujourd’hui ».

Cette analyse prend à contrepied l’explication que fournit Philippe Pétain deux jours plus tard dans un discours radiodiffusé. Il y affirme que « Depuis la victoire [de 1918], l’esprit de jouissance l’a emporté sur l’esprit de sacrifice. On a revendiqué plus qu’on n’a servi. On a voulu épargner l’effort ; on rencontre aujourd’hui le malheur ». En d’autre terme c’est la faute des Français, pas celle des chefs militaires !

C’est sur la base de ce refus de la complaisance des responsables politiques et militaires – donc de la lâcheté qui en est à l’origine et de la malhonnêteté qui en découle – qu’il refuse d’entrer dans le système de justification impossible que le gouvernement de Pétain tentera d’échafauder pendant ses quelques années d’existence : « Ce gouvernement, alléguant la défaite de nos armées, s’est mis en rapport avec l’ennemi pour cesser le combat ».

C’est ensuite une analyse des rapports de force militaires et politiques qu’il propose. Il part du constat que la France traverse une période que l’on appelle au rugby un moment faible, un moment qu’il faut savoir traverser sans s’effondrer en attendant que le rapport de forces change : « Croyez-moi, moi qui vous parle en connaissance de cause et vous dis que rien n’est perdu pour la France. Les mêmes moyens qui nous ont vaincus peuvent faire venir un jour la victoire ».

Cette analyse ne relève pas de l’autosuggestion mais de l’exercice du discernement et pour cette raison repose sur des arguments : « Car la France n’est pas seule ! Elle n’est pas seule ! Elle n’est pas seule ! Elle a un vaste Empire derrière elle. Elle peut faire bloc avec l’Empire britannique qui tient la mer et continue la lutte. Elle peut, comme l’Angleterre, utiliser sans limites l’immense industrie des Etats-Unis »

Si l’histoire lui donna raison c’est parce que son analyse des rapports de forces était la plus réaliste, la plus conforme à la réalité donc la plus juste : « Cette guerre n’est pas limitée au territoire malheureux de notre pays. Cette guerre n’est pas tranchée par la bataille de France. Cette guerre est une guerre mondiale ».

C’est pour cela que sa décision de poursuivre la lutte était fondée : « Toutes les fautes, tous les retards, toutes les souffrances, n’empêchent pas qu’il y a, dans l’univers, tous les moyens nécessaires pour écraser un jour nos ennemis. Foudroyés aujourd’hui par la force mécanique, nous pourrons vaincre dans l’avenir par une force mécanique supérieure. Le destin du monde est là… »

Le discours du 18 juin est l’illustration de ce que peut signifier le pragmatisme en politique quand il est synonyme de réalisme politique. Dans ce cas il s’agit de lucidité politique et de courage politique puisqu’il s’agit de ne pas céder aux sirènes qui vous invitent à ne pas céder au renoncement et aux mensonges que l’on invoque ensuite pour justifier de renoncer au bien commun.

Mais qu’en est-il quand le pragmatisme politique lui-même devient une idéologie ?

2/ L’idéologie du pragmatisme ou l’alibi du nihilisme

Les idéologies totalitaires du XXème siècle qui promettaient à ceux qui voulaient bien les croire un Reich de mille ans ou des lendemains qui chantent ont engendré les pires oppressions et les plus grands massacres que l’humanité ait connus. On comprend que les dirigeants politiques du XXIème siècle soient aujourd’hui vaccinés contre toute doctrine prétendant livrer le secret du bonheur ici bas. Une telle méfiance est plutôt saine.

Le problème c’est que désormais la méfiance vis-à-vis des idéologies s’est étendue à l’idée même qu’il puisse exister un bien commun à atteindre politiquement.

On peut toujours discuter pour savoir si le rôle de la politique est de viser un bien commun – que l’on peut soupçonner d’être hors d’atteinte – ou de se rabattre sur un objectif plus modeste que l’on appelle un moindre mal. Mais pour pouvoir ne serait-ce que pour pouvoir poser cette question il faut bien disposer au préalable d’une échelle du bien et du mal. Au moins implicitement.

Mais aujourd’hui le pragmatisme invoqué par nos dirigeants est la forme contemporaine du renoncement au bien commun et la formule magique qui permet d’échapper à tout argument critique. C’est devenu l’alibi de l’abandon du bien commun au profit d’intérêts catégoriels ou d’intérêts particuliers.

C’est ce que l’on constate avec à peu près n’importe quel responsable politique ou décideur économique prenant des décisions entraînant des conséquences d’ordre politique : investissement, retrait de capitaux, délocalisation, optimisation fiscale dans des paradis du même nom. Dans les deux cas ils brandissent l’étendard du pragmatisme pour ne pas avoir à rendre de compte sur la conformité de leurs décisions à la réalité et à la justice c’est-à-dire au bien commun.

Le pragmatisme est brandi comme un talisman magique qui désarme non seulement les objections mais surtout les questions relatives au bien commun. C’est devenu l’alibi de toutes les démissions. Qui n’a jamais entendu un(e) responsable politique esquiver les questions de fonds en se retranchant derrière l’alibi du pragmatisme et de la conviction intime ? « Vous savez, Patrick Poivre d’Arvor/Claire Chazal/Laurence Ferrari, (rayez la mention inutile) moi je suis un pragmatique et je ne veux pas entrer dans ces débats qui ne sont pas ceux qui intéressent les Français. Moi ce que j’ai plutôt envie de vous dire ce soir c’est… ».

Le pragmatisme en politique est devenu l’art de ne pas s’attaquer aux problèmes majeurs pour se concentrer sur des problèmes mineurs dans le cadre d’un mandat électoral. On se souvient de Jacques Chirac qui, au lendemain de sa réélection comme président de la république en 2002, annonça que ses trois principaux chantiers politiques seraient la sécurité routière, la lutte contre le cancer et l’insertion des handicapés.

Exit les questions de fonds relevant du bien commun de l’ensemble de la société : chômage, insécurité, immigration, délocalisation, Schengen, monnaie unique, ouverture des frontières, terrorisme, islamisation, délinquance, éducation, retraites, traité transatlantique, problèmes démographiques etc. Et encore n’était-ce pas le cas le plus grave : au moins il s’agissait encore de prendre des décisions politiques.

Aujourd’hui les leurres utilisés pour détourner l’attention des électeurs ne sont plus des décisions politiques mineures. Ce ne sont même plus des décisions d’ordres politiques : querelles politiciennes au sommet du gouvernement montées en épingle ou montées de toute pièce, petites phrases à destination des chaînes d’information continue, médiatisation de la vie privée ou manœuvres de diversion en forme de ballons d’essai.

Mais la démission politique qui se cache derrière l’idéologie du pragmatisme n’a pas simplement pour conséquence de cacher hypocritement la poussière sous le tapis pour la laisser à son successeur. En esquivant les problèmes plutôt qu’en les affrontant le pragmatisme les laisse pourrir et aboutit nécessairement à rendre insolubles des problèmes qui, pris à temps, auraient pu être réglés ou du moins gérés.

L’idéologie du pragmatisme politique c’est le choix de ne pas regarder la réalité en face et de la transformer en farce. Dans la Rome antique on disait « Du pain et des jeux ». Aujourd’hui on dirait société de consommation et croissance infinie.

C’est à la fois une démission et un mensonge : l’art de la fuite et l’art de la flûte (même pas enchantée).

L’idéologie du pragmatisme politique c’est le renoncement au bien commun.

C’est le choix implicite de considérer que le bien et le mal son équivalents donc qu’il n’existe pas de bien et de mal.

C’est l’alibi du nihilisme.

L’amour rend intelligent

Ce que la Bible appelle la connaissance de Dieu n’est pas une connaissance sur Dieu mais une intimité avec Dieu. De même quand la Bible dit qu’un homme a connu une femme cela signifie qu’ils ont vécu ensemble une intimité sexuelle.

Contrairement à la connaissance des choses ou des idées la connaissance véritable des êtres ne peut s’acquérir que dans une relation d’intimité avec eux. Cela n’a rien d’anodin car une telle relation nous engage pleinement. Elle suppose que nous consentions à nous dévoiler, à tomber le masque et l’armure, à exposer nos faiblesses et donc à nous rendre vulnérables. C’est une prise de risque de même nature que celle de Dieu se faisant homme parmi les hommes et finissant sur le bois de la croix. Cette prise de risque est le prix à payer pour accéder à l’intimité d’autrui.

D’où le paradoxe de nos gouvernants : ils sont censés comprendre et connaître le peuple qu’ils dirigent mais, chaque élection en France le confirme, ils n’y comprennent rien. Ils ne comprennent rien au peuple comme on dit de certains hommes qu’ils ne comprennent rien aux femmes.

Ils ne comprennent rien au peuple parce qu’ils ne le connaissent pas et ils ne le connaissent pas parce qu’ils ne veulent surtout pas vivre avec lui. Ils n’ont quand même pas fait HEC et l’ENA pour ça ! S’ils ont sué sang et eau, passé des nuits blanches, des concours, vécu des nuits d’angoisse c’est justement pour pouvoir, en contrepartie, ne plus vivre dans le même monde que leurs concitoyens. S’ils ont tout fait et ils ont parfois tout sacrifié – y compris leur entourage – pour accéder aux manettes du pouvoir ce n’est certainement pas pour renoncer au train de vie et aux privilèges qui vont avec.

L’aboutissement de la stratégie d’orientation scolaire et de sélection sociale fébrilement élaborée par leurs parents, le fruit de leurs efforts et de leurs sacrifices c’est justement l’assurance que jamais ils ne vivront comme tout le monde. C’est précisément une assurance contre ce « risque ». Ils ne veulent pour rien au monde connaître le peuple qu’ils dirigent en vivant avec lui.

Mais ce que nos gouvernants ne veulent/peuvent pas faire les saints, eux, le font très bien. Au point que, second paradoxe, certains gouvernants viennent les consulter quand ils se rendent compte que, contrairement à eux, ces chrétiens accomplis connaissent le pays réel.

Au XVIIème siècle saint Vincent de Paul a été le conseiller d’Anne d’Autriche pendant la régence de son fils Louis XIV. Au point que le très ambitieux Mazarin en a pris ombrage et a intrigué pour le faire renvoyer. Fort de sa connaissance du peuple et de ses misères d’une part et de la confiance de la régente d’autre part il obtint la création de ce qu’on appellerait aujourd’hui l’assistance publique et plus généralement d’une prise en charge de la misère par les pouvoirs publics : réfugiés victimes de guerres, orphelins, mendiants, prostituées, mères célibataires, personnes âgées etc. Soucieux de l’âme et du corps des malheureux il était conscient des causes et des conséquences sociales et politiques dramatiques de la misère du petit peuple.

A la fin du XIXème siècle Don Bosco était consulté à la fois par le pape et les cardinaux que par les gouvernants anticléricaux italiens car il était celui qui était le mieux placé pour comprendre les ravages de la société industrielle sur des populations rurales déracinées et pour les expliquer aux classes dirigeantes. Vivant avec et pour les orphelins et les vagabonds des faubourgs de Turin il en connaissait les misères. Prêtre il se fit aussi se fit éducateur et pédagogue. Il fonda l’ordre des Salésiens qui essaima jusqu’en Patagonie pour vivre, par amour avec ceux qui étaient abandonnés à leur triste sort parce qu’ils étaient d’abord ignorés.

Au début du XXème siècle le meilleur connaisseur français du Maroc et du Sahara était le père Charles de Foucauld. Vivant au milieu des musulmans auxquels il voulait témoigner de l’amour de Dieu en prenant soin de leurs corps et de leurs âmes il parlait le touareg, l’arabe et même l’hébreu car il n’ignorait pas le sort difficile de l’importante communauté juive du Maroc. Les militaires français chargés d’y maintenir ou d’y rétablir la paix civile et la sécurité le consultaient pour décrypter les événements et les affrontements qui affectaient les populations locales.

A la fin du XXème siècle la communauté Sant’ Egidio n’avait pour seul objet que de prendre soin des pauvres et leur annoncer l’amour de Dieu. Ils se sont peu à peu développés hors d’Italie et se sont implantés dans d’autres pays. Ils sont devenus sans le rechercher les seuls interlocuteurs respectés unanimement au Mozambique et ont ainsi servi de médiateur pour négocier la fin de la guerre civile qui ensanglantait le pays depuis 15 ans. Ils étaient les mieux placés parce qu’ils étaient les plus respectés : ils connaissaient le pays réel parce qu’ils vivaient au milieu du peuple mozambicain.

Au XXIème siècle les missionnaires, les religieux et les religieuses, les prêtres et les évêques, les ordres spécialisés et les laïcs engagés constituent un réseau planétaire voué à témoigner localement de l’amour de Dieu pour les hommes et qui, nécessairement, fait remonter à Rome des informations éclairées et de première main sur la situation et la vie des personnes. Immergés dans la vie et les tragédies des peuples auxquels ils se sont donnés ces témoins connaissent les réalités humaines et leurs contextes. Ils les connaissent bien mieux que n’importe quel service de renseignement extérieur précisément parce qu’ils les connaissent de l’intérieur. C’est pour cela que jamais la CIA, le FSB, le Mossad ou la DGSE ne disposeront d’un réseau de renseignement comparable à celui du Vatican. Il faudrait pour cela que leur priorité soit d’aimer au lieu d’espionner et aimer en vérité c’est-à-dire gratuitement, sans-arrière pensée, dans la durée et jusqu’au bout.

Car c’est seulement en aimant les gens qu’on finit par les comprendre vraiment.

C’est en les aimant qu’ils nous deviennent intelligibles.

C’est en aimant qu’on devient intelligent.

Parce que l’amour vient de Dieu.

Parce que Dieu est amour.

Qui est républicain ?

Un argument non vérifiable est un argument qui n’est pas convaincant. En faire usage est un aveu implicite de faiblesse : c’est l’aveu qu’on n’en a pas de meilleur à sa disposition. Mais invoquer un argument qui ne convainc que ceux qui sont déjà convaincus n’est pas seulement un symptôme de faiblesse c’est aussi une manière de se tirer une balle dans le pied en creusant son propre déficit de crédibilité.

Ce qui est vrai en général l’est particulièrement en politique. C’est caricatural dans le cas du Front national et c’est ce que ne comprennent pas ses adversaires. Plus ils s’obstinent à prédire l’apocalypse en cas de victoire frontiste plus ils se décrédibilisent auprès des électeurs et de l’opinion publique qui se disent que s’ils avaient des arguments plus convaincants ils les utiliseraient.

Les représentants de ce parti s’en amusent même. Ils répètent souvent : « On nous avait prédit qu’en cas de victoire de notre parti aux élections municipales les eaux du Nil allaient se transformer en sang, qu’il y aurait des invasions de sauterelles, des sécheresses et des épidémies et rien de tout cela n’est arrivé ». A leur place qui se priverait de ce trait d’humour que leur offre la faiblesse argumentative de leurs adversaires ?

Mais cette anecdote est le symptôme d’une malade plus profonde et plus généralisée qui touche à la fois le milieu médiatico-politique mais également les sphères dirigeantes, les catégories socio-professionnelles dites supérieures (CSP+) et l’épiscopat : le le déni de réalité. Ils sont paradoxalement incapables d’expliquer factuellement et calmement les raisons pour lesquelles ils sont opposés au Front national. A cours d’arguments convaincants ils se rabattent sur les procès d’intention et les procès en sorcellerie. Leur indignation est inversement proportionnelle à leur argumentation. Curieux, non ?

1/ Laisser en paix les incendiaires, poursuivre ceux qui sonnent le tocsin

Ils admettent volontiers que la hausse du chômage, de la délinquance, de l’immigration et de l’islamisation sont des sujets de préoccupation mais c’est contre les succès électoraux du Front national qu’ils s’indignent et qu’ils vont manifester.

On ne les a jamais vus défiler dans la rue contre les mesures de dérégulation destinées à rendre possible la prise de contrôle du capital de nos grandes entreprises par des fonds de pensions internationaux.

Pourtant ce sont ces mesures qui ont permis à un actionnariat international par nature indifférent aux conséquences sociales de ses décisions d’investissement sur l’échiquier mondial de procéder à des licenciements massifs dans des entreprises par ailleurs rentables.

Ce sont ces mêmes mesures qui ont rendu possible la délocalisation d’entreprises qui, auparavant, employaient des Français chez eux. Ce sont ces mesures qui rendent possible la domiciliation dans des paradis fiscaux d’entreprises qui, auparavant, rendaient possible le financement de l’action de l’Etat.

On ne les a jamais vus non plus manifester contre la politique pénale des gouvernements qui se sont succédé depuis trente ans, droite et gauche confondues.

Ou contre l’inertie complaisant de tous les gouvernements vis-à-vis des pays musulmans qui financent le développement de mosquées salafistes en France en échanges de contrats juteux pour le secteur de l’énergie et de l’armement.

Pour rien au monde ils ne supprimeraient la porte d’entre de leur appartement et jamais ils laisseraient leur foyer ouvert à tout vent et au tout venant mais ils traitent de xénophobes ceux qui, vivant dans des quartiers ouverts à tous les vents et au tout venant, voudraient qu’on se penche sur leur sort et ont l’audace de remettre en question le « vivre ensemble ».

A ceux qui voudraient restaurer la souveraineté de l’Etat sur son territoire en procédant à des contrôles aux frontières et en décidant après examen ceux qui peuvent entrer chez nous et ceux qui ne le peuvent pas ils adressent des remontrances outrées. Ce que font des pays accueillants et démocratiques comme le Canada ou l’Australie serait chez nous une atteinte à la démocratie. Là ils s’indignent avec vigueur. C’est le triomphe posthume de Stéphane Hessel.

Mais le plus frappant ce ne sont pas leurs propres contradictions mais leur déni de réalité organisé. Ils répètent en boucle que le Front national n’est pas un parti républicain alors même que ce dernier ne jure que par la laïcité, la souveraineté de l’Etat et l’idéal d’une France républicaine. Ils prétendent le dénoncer au nom même des principes qu’il est devenu le dernier à revendiquer intégralement. Et ils s’étonnent de ne pas être suivis par les électeurs !

Cette fuite en avant est organisée depuis plus de trente ans par les partis politiques traditionnels qui n’entendent ni renoncer à leurs positions acquises ni assumer leurs responsabilités. En trente ans d’erreurs et de démissions, les professionnels de la politique sont devenus une des principales causes de la situation actuelle. C’est pour cette raison qu’ils cherchent à être jugés non pas sur leur bilan mais sur leur adversaire.

2/ Les adulescents au pouvoir !

Néanmoins leur manœuvre n’aurait jamais pu réussis si longtemps si plusieurs générations d’électeurs ne leur avaient pas emboîté le pas. Là c’est l’immaturité politique de toute une génération marquée intellectuellement – parfois à son corps défendant – par mai-68 qui est en cause.

De gauche ou de droite ils ont en commun de partager une vision binaire et manichéenne du monde qui interdit toute nuance dont toue analyse politique des problèmes réels. Consciemment ou non ils préfèrent voir le monde en noir et blanc. Un peu comme un enfant qui, au beau milieu du film que vous regardez à ses côtés, vous demande à propos d’un personnage : « Lui c’est un gentil ou un méchant ? ».

Voir le monde avec la belle et bête intransigeance d’un adolescent de quatorze ans c’est plus satisfaisant et plus reposant que de regarder la réalité dans toute sa complexité comme un adulte responsable est tenu de le faire. Et puis ne jamais avoir affaire à des problèmes mais toujours à des salauds c’est tellement plus exaltant !
Pourtant la réalité finit toujours par s’imposer. Elle est complexe et souvent tragique et l’art de la politique c’est d’envisager non seulement ce qui est souhaitable, mais considérer également le possible et savoir peser ensuite sur les conséquences intentionnelles ou non des actes décidés. La crise insoluble des migrants est venue opportunément nous le rappeler.

Mais tant que Jean-Marie Le Pen était le président du Front national on pouvait encore fermer les yeux. C’est lui-même qui servait la soupe ; Il le faisait inlassablement et avec une telle volupté que finalement tout le monde était content. Tel un grand-père un peu cabotin qui accepte de revêtir son costume de croquemitaine pour faire peur à des enfants qui n’attendent que ça, il conservait à portée de main son déguisement de monstre pour pouvoir faire son numéro à chaque fois que l’occasion se présentait.

C’était le bon temps, celui où l’on pouvait fermer les yeux sur la réalité politique tout en se faisant une bonne conscience à peu de frais. On pouvait exprimer sa conviction que le fascisme ne passerait tout en cultivant secrètement l’espoir qu’il ne trépasserait pas non plus. On avait à la fois le prestige du rebelle et le bénéfice du consensus. On prenait le maquis mais sans avoir à dormir sous la tente pour autant.

3/ Déni de réalité et cécité volontaire

Toutes les bonnes choses ayant malheureusement une fin le carrosse a fini par redevenir citrouille : Marine a succédé à Jean-Marie.

Les provocations antisémites, les propos racistes et les outrages d’un autre âge ont disparu. L’éviction des vrais idéologues a été confiée au compagnon de Marine Le Pen, Louis Alliot, qui y a gagné le doux sobriquet de « Loulou la purge ». Aujourd’hui le moindre propos antisémite d’un militant ou d’un responsable est immédiatement dénoncé et sanctionné par la direction du Front national.

Les vrais antisémites ne sont plus au Front national mais chez Egalité et réconciliation d’Alain Soral et de Dieudonné et, plus généralement, dans la nébuleuse islamo-gauchiste dont les représentants se répartissent entre le Front de Gauche, à EELV, Ligue Ouvrière et le NPA d’Olivier Besancenot. Les racistes de la mouvance identitaire qui s’assument se retrouvent, eux, sur le site François de Souche. Ceux qui n’osent pas s’assumer pleinement trouvent asile se drapent dans les plis de la laïcité outragée et trouvent refuge sur les sites de Boulevard Voltaire ou de Riposte Laïque.

Désormais le numéro deux du Front national, Florian Philippot, affiche ouvertement son gaullisme et ne cache pas son homosexualité. Il reprend une vision colbertiste du rôle de l’Etat et contribue à façonner l’image d’un parti qui pour ne pas être militant de la cause homosexuelle n’en est pas moins gay-friendly : droit à l’indifférence plutôt que droit à la différence.

Le changement politique et culturel effectué par le Front national fait penser à la révolution culturelle de Tony Blair qui avait réussi à transformer le Labour socialiste à fort relent marxiste en un New labour reprenant à son compte l’héritage des années Thatcher et le saupoudrant de multiculturalisme. Dans les deux cas – et abstraction faite de leurs orientations politiques divergentes – il s’agit d’une révolution copernicienne dont on trouve peu exemples contemporains. Et c’est cela que le microcosme médiatico-politique et la frange supérieure des partis politiques traditionnels ne veulent ou ne peuvent pas voir.

4/ L’héritier paradoxal du gaullisme dans une société post-moderne

Quand on sait que ce parti a été fondé par des hommes dont le dénominateur commun était la haine de De Gaulle on ne peut que constater une évolution à 180°C.

Ses thèmes et son programme sont ceux du RPF du discours de Bayeux (1946) : dénonciation d’un régime où « les marchandages des partis passent avant les intérêts de la France », principe d’un exécutif fort procédant du peuple, défense de la souveraineté de l’Etat vis-à-vis de ceux qui voudraient créer un Etat dans l’Etat – les communistes hier, les islamistes aujourd’hui – recherche d’une troisième voie entre capitalisme et collectivisme, refus d’une politique étrangère atlantiste, défense de l’indépendance nationale, développement d’une Europe des nations.

Il n’y a objectivement rien d’antirépublicain dans tout cela. Le Front national a changé dans des proportions telles que les anciens militants ont raison de hurler à la trahison. Sa sociologie a changé, son programme a changé, son ADN a changé.

Il s’est banalisé parce qu’il reflète de plus en plus la société française, pour le meilleur et pour le pire. Le meilleur c’est la réaffirmation du rôle de l’Etat dans la défense des plus faibles (sécurité), de la nation (immigration), de son territoire (souveraineté) et de la cohésion du corps social (solidarité nationale), de l’identité culturelle de la France (islamisation). Le pire c’est le silence assourdissant sur les questions sociétales et sur les mœurs (mariage pour tous, gestation pour autrui, avortement, euthanasie etc). Le Front national s’est normalisé et c’est la clef de son succès.

5/ A quand un authentique débat politique avec le Front national ?

La critique du programme du Front national est parfaitement légitime et elle est même nécessaire car le débat contradictoire public et rationnel est le principe même de la démocratie. Mais cela ne peut se faire qu’en opposant des arguments à des arguments c’est-à-dire en se situant sur le terrain de la discussion politique et non sur celui des procès d’intention et du déni de réalité.

Qu’elle s’applique au Front national ou à n’importe quel autre parti autorisé, la politique du deux poids, deux mesures est injustifiable car c’est une manière de truquer les règles du jeu démocratique. C’est à la fois un manque de justesse intellectuelle et un manque de justice envers les membres et les électeurs de ce parti. C’est injustifiable à la fois au regard de la morale universelle et des principes démocratiques eux-mêmes.

Que les propositions politiques du Front national puissent être contestées et que des propositions du Front national soient contestables c’est l’évidence et c’est souhaitable pour le bon fonctionnement de notre démocratie. Or, c’est justement ce que refusent de faire leurs adversaires. Ce sont eux qui ne sont pas républicains.