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L’esprit de système est un péché contre l’Esprit

Il n’existe rien de plus dangereux que cette fascination malsaine pour l’intelligence abstraite que l’on retrouve si souvent en France dans les milieux dirigeants et dans les institutions. C’est en France et nulle part ailleurs qu’on peut proclamer sans se soucier des remontrances qu’il vaut mieux avoir tort avec Sartre que raison avec Aaron.

Cette fascination est dangereuse car elle engendre l’esprit de système, cette passion irrationnelle qui s’empare des esprits – en particulier les brillants esprits – pour les fourvoyer dans toutes les idéologies et dans tous les complotismes.

L’esprit de système orchestre méthodiquement et planifie consciencieusement le refus de la réalité et entraîne ainsi ceux qu’elle saisit au refus organisé et planifié de la vérité. Il s’emploie à les détourner systématiquement de Celui qui se présente comme la voie, la vérité et la vie.

Il est, au sens littéral du terme, un péché contre l’Esprit. Celui dont il nous est dit qu’il est le seul péché à ne pouvoir être pardonné. « Mais quiconque aura parlé contre l’Esprit saint, cela ne lui sera remis ni en ce monde, ni dans l’autre. » (Matthieu 12, 31–32).

1/ Une contrefaçon de la réalité

L’esprit de système consiste à substituer au monde réel et à sa complexité un monde parallèle épuré parce que simplifié et, pour cette raison même, plus satisfaisant pour notre besoin de cohérence.

Ce monde est artificiel – et donc mensonger – précisément parce qu’il est expurgé de toutes les zones d’ombre, les mystères et les ambiguïtés sur lesquels la réalité nous fait régulièrement trébucher.

L’esprit de système nous offre un monde parallèle mais à notre portée. Un monde imaginaire mais qui aurait l’élégance de ne pas outrepasser les limites de notre entendement. Un monde fait – ou plutôt contrefait – sur mesure.

Un monde chimérique mais à notre (petite) mesure. Un monde illusoire mais conforme à nos limites, à nos attentes et surtout à nos préférences. Bref un monde créé par nous plutôt que par Dieu.

2/ Un rejeton du péché originel

L’esprit de système n’est pas simplement un faux raisonnement ni même une accumulation de fautes de raisonnement. Si c’était simplement d’ordre intellectuel ce ne serait pas si grave. Un raisonnement peut être corrigé dès lors qu’on accepte de la soumettre au feu croisé de la critique et de le passer au crible de la discussion.

Mais l’esprit de système n’est pas d’abord un raisonnement faux, c’est d’abord et avant tout un raisonnement vicié parce que vicieux. C’est un péché spirituel qui se déploie sur le terrain intellectuel en enrôlant la logique derrière sa bannière.

C’est un péché qui engloutit ceux dont l’ambition est de posséder la vérité plutôt que de se laisser posséder par elle. « Tout homme qui appartient à la vérité écoute ma voix » (Jean 18, 37) disait le Christ.

L’esprit de système dissuade ainsi ceux qu’il séduit de suivre le Christ parce qu’il les détourne de rechercher la vérité et de s’y conformer.

C’est l’une des manifestations du péché originel, c’est au sens propre du terme une machine infernale.

3/ La matrice d’au moins deux hérésies

L’esprit de système est une tentation spirituelle à l’origine de deux hérésies graves : le manichéisme et le gnosticisme.

Le manichéisme ne voyait dans l’univers qu’un champ de bataille où s’affrontaient dans un combat à mort le camp des bons et celui des méchants : le monde spirituel pur contre le monde matériel, l’esprit contre la chair, les purs contre les impurs, l’homme contre la femme (car dans le manichéisme la femme est impure). Une grille de lecture fausse mais psychologiquement réconfortant et moralement très confortable.

Ce parti pris, dicté par l’orgueil de ceux qui décrètent eux-mêmes qu’ils appartiennent au camp des purs, a pour corollaire naturel le refus de suivre la logique du Christ qui ordonne à ses disciples de ne pas chercher à arracher l’ivraie enchevêtrée au bon grain : « Laissez pousser les deux ensemble jusqu’à la moisson. A ce moment-là, je dirai aux moissonneurs : « Enlevez d’abord la mauvaise herbe et liez-la en bottes pour la brûler : ensuite vous couperez le blé et vous le rentrerez dans mon grenier » (Matthieu 13, 30).

Le gnosticisme, lui, prétendait séparer l’humanité entre ceux qui savent et la masse des ignorants qui n’auront jamais accès à la lumière de la vérité. La vérité n’y était plus considérée comme un don gratuit et universel mais comme le privilège d’une élite intellectuelle et morale. Là encore il s’agit d’un parti pris dicté par l’orgueil. On fait désormais partie de l’élite. Une grille de lecture fausse mais psychologiquement réconfortant et moralement très confortable.

Mais là encore c’est un parti pris qui aboutit à prendre l’exact contre-pied du Christ, lui qui priait en disant : « Je te loue, ô Père, Seigneur du ciel et de la terre, parce que tu as caché ces vérités aux sages et aux intelligents, et que tu les as dévoilées à ceux qui sont tout petits. Oui, Père, car dans ta bonté, tu l’as voulu ainsi » (Luc 10, 21).

4/ Une tentation spirituelle toujours actuelle…

Si les doctrines manichéennes et gnostiques ont disparu du paysage, la tentation spirituelle que constitue l’esprit de système n’a pas disparu pour autant.

La doctrine du manichéisme a disparu, pas la tentation d’être manichéen. L’idée que le mal trace une frontière imperméable entre le camp de ceux qui acceptent la vérité et ceux qui la refusent est toujours tentante.

C’est beaucoup plus tentant que d’admettre que le péché traverse le cœur de chaque homme et de gémir avec saint Paul en reconnaissant humblement : « Je ne fais pas le bien que je veux, mais le mal que je ne veux pas, je le commets….. » (Romains 7, 19).

Etre manichéen cela consiste toujours à réduire à des protagonistes sans âme ceux que l’on range dans le «camp d’en face». C’est transformer les hommes, éventuellement égarés, en archétypes. C’est de refuser de leur reconnaître une âme et de reconnaître qu’ils sont des hommes. C’est une manière de les retrancher de l’humanité, de les diaboliser.

Quand on adopte une attitude manichéenne la bienveillance n’a plus de sens puisqu’on oublie ou on veut oublier que nos adversaires restent des personnes humaines. Il n’y a plus personne à aimer parce qu’il n’y a plus de personnes à aimer.

Tout transfuge étant devenu impossible, plus aucune conversion n’est possible. L’idée même de discussion s’identifie à celle de trahison. Aller à la rencontre de quelqu’un du camp d’en face c’est pactiser avec l’ennemi.

De même uand on adopte une attitude gnostique l’exercice de l’intelligence cesse d’être subordonné à la quête de la vérité. L’intelligence part en vrille, s’installe à son propre compte et reçoit ses instructions de notre volonté de puissance. La quête du savoir se transforme alors en passion de savoir (libido sciendi) qui nourrit à son tour la passion de dominer (libido dominandi). Comme le dit le proverbe : « Le savoir c’est le pouvoir ».

La tentation gnostique c’est le paradis de la dérégulation : plus rien ne justifie de poser des limites à nos désirs et à notre volonté. Non seulement elle nous épargne la frustration du renoncement mais elle prétend faire de nous l’arbitre de ce monde sachant que, comme on dit en rugby, « monsieur l’arbitre a toujours raison ».

5/ … pour les chrétiens aussi

Une telle tentation n’épargne malheureusement pas les chrétiens et peut aussi bien prendre le masque de l’orthodoxie que celui de l’orthopraxie.

En matière d’orthodoxie l’esprit de système se manifesta jusqu’au concile de Vatican II par le règne du néothomisme. Ce courant théologique avait été promu doctrine officielle de l’Eglise.

Ceux qui prônaient un retour aux sources du christianisme, notamment à travers les Pères de l’Église et une prise de distance avec l’hégémonie de la scolastique, furent condamnés par les néothomistes au nom de la vérité. La vérité, of course. What else ?

Les réprouvés s’appelaient alors Henri de Lubac, Hans Urs von Balthasar, Yves Congar, Karl Rahner, Marie-Dominique Chenu, Louis Bouyer, Jean Daniélou ou encore Joseph Ratzinger.

En France, les Jésuites de Fourvière et les Dominicains du Saulchoir, se virent interdits d’enseignement et Pie XII les critiqua dans son encyclique Humani Generis (1950).

Une dizaine d’années plus tard les victimes des purges de Fourvière et du Saulchoir furent réhabilités et la légitimité de leurs options théologiques reconnue par le concile Vatican II, auquel certains participèrent en tant qu’experts. Certains furent créés cardinaux (Balthasar, Daniélou, de Lubac, Congar, Ratzinger et l’un d’entre eux fut élu pape sous le nom de Benoît XVI.

Mais ce qui est vrai en matière doctrinale l’est également dans le domaine pastoral (orthopraxie). Quand des baptisés, laïcs ou clercs, condamnent un choix pastoral au nom d’un principe – et d’un seul – il faut se méfier. Car quiconque agit « par principe » agite un principe qu’il a préalablement sélectionné parmi d’autres principes envisageables. Il fait passer son choix, c’est-à-dire souvent sa préférence, pour la vérité et proclame à qui veut l’entendre que sa démarche est purement désintéressée quitte à rappeler « humblement » à l’ordre le souverain pontife lui-même…

Agir ou prendre position au nom d’un principe unique c’est congédier le discernement au moment d’agir. Refuser d’user librement de son discernement ce n’est pas seulement le refuser de cultiver l’une des quatre vertus cardinales c’est renoncer à rechercher la vérité et donc à vivre en vérité.

L’amour de la vérité est souvent le meilleur alibi pour refuser la vérité de l’amour qui est « patient et plein de bonté, qui ne cherche pas son propre intérêt, qui ne s’aigrit pas contre les autres, qui ne cherche pas à se faire valoir, qui ne s’enfle pas d’orgueil, qui ne s’aigrit pas contre les autres, que l’injustice attriste, que la vérité réjouit et qui, en toute occasion, pardonne, fait confiance, espère et persévère » (1 Corinthiens 13,  4-7).

L’esprit de système est très attirant parce qu’il nous épargne le travail douloureux et humiliant de conversion du cœur. Or, la conversion du cœur est le préalable indispensable pour rechercher la vérité, avoir une chance de la trouver et de pouvoir en vivre.

En nous détournant de nous mettre en marche et de faire de notre vie ici-bas un pèlerinage terrestre, l’esprit de système détruit notre dignité d’homme en substituant à notre discernement un mécanisme de pilotage automatique programmé pour nous faire dériver de la trajectoire de la vérité. C’est une machine infernale qui affole la boussole de notre liberté intérieure.

Il nous rend esclaves d’une logique qui ne vient pas de Dieu et qui ne mène pas à Dieu. L’idéologie – quintessence de l’esprit de système – étrangle la liberté que Dieu nous avait donnée pour que nous puissions Le rencontrer et Le faire connaître.

6/ L’humour et la littérature contre l’esprit de système

L’esprit de système est une absence d’humilité qui empêche de dire « je ne sais pas ». C’est un esprit critique, qui doute de tout sauf de lui-même et qui a la folie de sacrifier la réalité sur l’autel de la cohérence logique. C’est un rejeton du péché originel puisqu’il  s’enracine dans l’orgueil.

Les antidotes ne sont donc pas de nature intellectuelle mais de nature spirituelle. Les premiers sont les plus connus : la prière, le jeûne, la pratique de la charité, la demande de pardon et la confession de ses péchés. Mais il en existe deux autres qui viennent moins souvent à l’esprit mais qui sont deux adjuvants spirituels : l’humour et la littérature.

L’humour est un adjuvant spirituel car il dévoile les vérités que nous voudrions dissimuler. C’est l’enfant de l’humilité et de l’amour.

L’humilité nous permet de regarder en face nos limites et nos faiblesses. Sans humilité pas de capacité d’auto-dérision et donc pas d’humour possible. L’humilité nous rend capables d’accepter la vérité telle qu’elle est et quelle qu’elle soit. Quelle que contrariante qu’elle puisse être pour nous…

Enfin et surtout l’humilité nous prédispose à accepter et à aimer avec gratitude ce que la réalité a d’aimable : « Enfin, frères, nourrissez vos pensées de tout ce qui est vrai, noble, juste, pur, digne d’amour ou d’approbation, de tout ce qui mérite respect et louange » (Philippiens 4, 8).

La littérature c’est le nom que l’on donne aujourd’hui à ce qu’on appelait autrefois les humanités. C’est un antidote naturel contre l’esprit de système dans la mesure où c’est un constant rappel de la complexité du réel. La littérature fait tinter à nos oreilles une petite musique insistante et subversive qui nous rappelle que la vérité échappe toujours aux conceptions que nous nous en faisons parce que nos conceptions ne sont que le produit de notre esprit et qu’elles sont, par conséquent, toujours à notre mesure.

La littérature aide à penser plus justement et c’est ce qui en fait un adjuvant spirituel puisque, comme le disait si bien Blaise Pascal, le principe de la morale c’est de travailler à bien penser.

Elle ne suffit pas à nous prémunir contre les erreurs de jugement mais elle nous aide à ne pas nous fourvoyer systématiquement dans l’inhumanité d’un monde faussé. Elle nous aide à acquérir ce cœur intelligent que le roi Salomon avait demandé à Dieu pour bien gouverner et que Dieu lui a accordé (1 Rois 3, 9-12).

C’est déjà pas mal…

Pourquoi faire de la place à l’islam en France n’a pas de sens

Dans son livre Situation de la France le philosophe Pierre Manent fait observer à juste titre que si l’Etat est laïc la société française, c’est-à-dire la France, ne l’est pas. Elle ne l’est pas parce qu’elle est culturellement imbibée de culture catholique. Les mœurs françaises sont indissociables de cette matrice qu’on soit croyant ou pas. Et cela l’Etat refuse de le considérer ce qui explique l’autisme du gouvernement en place, notamment.

Pierre Manent récuse, à juste titre, l’identification de la France réelle (une société fondée sur des communautés) à une France imaginaire et imaginée par les idéologues de l’Etat-nation qui ne conçoivent la nation que comme l’appendice d’un Etat tout puissant qui régnerait sur une masse d’individus atomisés dépourvus de passé, de relations, de convictions et d’identités.

Le philosophe part également du constat que dans certaines zones, les mœurs partagées dans l’espace public sont majoritairement musulmanes : d’où les revendications de menus hallal dans les écoles où les enfants musulmans sont localement majoritaires ou les réclamations d’horaires différenciés dans les piscines municipales entre filles et garçons.

Fort de ce constat il en déduit qu’il faut regarder la réalité en face et cesser de s’arc-bouter sur la chimère idéologique d’une société neutre : il faut, d’après lui, cesser de brandir l’argument de la laïcité dans ce genre de situations puisque la laïcité n’a jamais concerné la société mais les institutions.

1/ Les institutions sont laïques, pas la société

Les mœurs ne peuvent être dictés par l’Etat. L’identité de la France et ses mœurs viennent de beaucoup plus loin que 1789 et invoquer la République et les valeurs républicaines n’a non seulement pas beaucoup de sens mais surtout absolument aucune utilité. Ce n’est pas à force de prendre ses chimères pour des réalités que les chimères deviennent réalité.

Au fond, dit-il, mieux vaudrait renoncer à brandir la laïcité comme un principe sacré, et donc intangible, pour tenir compte de la réalité et s’autoriser à concéder localement des accommodements raisonnables dans un cadre politique dont les frontières seraient-elles intangibles : le refus du voile intégral et de la polygamie. Selon lui c’est la frontière à ne pas franchir sous peine de déliter les mœurs communes qui permettent à tous de vivre paisiblement en France et en tant que Français dans une culture qui reste française.

Je partage avec lui son parti pris de regarder la réalité – et notamment la réalité historique en face – et de tordre le coup à l’idéologie laïciste qui prétend évacuer le plus possible les religions et les communautés naturelles de l’espace public.

Mais c’est pour cette raison que je ne suis plus d’accord avec lui quand il parle de « faire une place à l’islam » ou de reconnaître qu’à côté de nos mœurs à nous, gorgés de catholicisme culturel (et non religieux) existent désormais des mœurs musulmanes.
Car cette dichotomie ne correspond pas à la réalité.

2/ Il n’y a pas de mœurs propres aux musulmans en France

Les musulmans en France sont confrontés, comme tout le monde, à l’influence de la société de consommation, à l’individualisme et à la disparition des repères collectifs structurants. Ils y réagissent, eux aussi, de manière très variée. Les musulmans de France n’appartiennent par à une seule strate sociale – ils vont du SDF au chef d’entreprise – et cela se reflète dans la diversité de leurs mœurs.

Car les mœurs des musulmans vivant en France, des musulmans concrets – par opposition à l’idéal-type du bon musulman appliquant systématiquement les prescriptions du Coran et du droit musulman – peuvent varier du tout au tout. Non seulement du point de vue alimentaire et vestimentaire mais aussi et surtout du point de vue de leur positionnement sur l’échiquier politique.

On trouve des musulmans de l’extrême-gauche à la droite nationale – en passant par les mœurs familiales qui peuvent aller du mariage traditionnel au Mariage Pour Tous en passant par le concubinage ou le célibat alternatif. Les « mœurs des musulmans » sont aussi variables que celles des catholiques et vont du progressisme au conservatisme les plus extrêmes. Les musulmans français ont rejoint la moyenne nationale du divorce.

On n’a pas les mêmes mœurs selon qu’on est musulman croyant mais pas pratiquant, pratiquant mais occasionnel, pratiquant régulier, pratiquant piétiste ou littéraliste, de vieille souche ou fraîchement converti. Le poids de la religion et la signification qu’ils donnent à l’islam reste très différent entre le beur musulman par héritage ayant abandonné toute pratique et le Gaulois converti via Internet professant un salafisme 2.0.

Comme chez les catholiques la diversité des mœurs des musulmans vivant en France est la règle, non l’exception. Songerait-on à ranger côte-à-côte Jean Vanier et Al Capone dans la catégorie « catholique »?

Sans compter que les mœurs réputées culturellement catholiques sont de moins en moins partagées par l’ensemble de nos concitoyens. Nous perdons notre culture sous les coups de boutoir conjugués d’un laïcisme idéologique et d’une culture individualiste consumériste.

Le délitement de toute communauté non élue (famille, communauté religieuse, identités régionales et bien sûr identité nationale), de tout héritage reçu et non choisi.

C’est la rupture de la transmission et le vertige du vide voilà ce qui nous tient de plus en plus lieu de patrimoine commun.

3/ Le danger d’une domination de l’espace public par les salafistes existe localement

Je ne prétends évidemment pas qu’il n’y a pas de pressions sociales dans les quartiers à majorité musulmanes pour que les femmes soient voilées intégralement et imposer des mœurs coraniques. Mais cette pression sociale est localisée dans certains quartiers, trop nombreux à mon goût.

De ce point de vue cette pression sociale fait penser à celle qu’ont exercé pendant des décennies le parti communiste et la CGT dans les municipalités de la banlieue rouge. Ces situations sont inquiétantes mais on ne peut pas en déduire qu’elles constituent des mœurs communes à l’ensemble ni même à la majorité des musulmans vivant en France.

Je ne dirais pas la même chose des pays majoritairement musulmans où la pression sociale y est normative. Mais tel n’est pas le cas en France où aucune religion ne domine l’espace public. C’est d’ailleurs heureux car toute religion dominante est une religion aliénante : non pas (forcément) en raison de son contenu mais simplement en raison de son statut.

Je remarque ensuite que les quartiers où des mœurs réputées musulmanes s’imposent sont ceux où les prêcheurs salafistes sont les plus installés. En d’autres termes ces activistes considèrent que ce les musulmans vivant dans ces quartiers sont exposés à l’influence de mœurs occidentales qu’ils jugent décadentes et qu’il faut ramener ces musulmans égarés dans le droit chemin.

Ils le déplorent, je m’en réjouis mais nous faisons eux et moi le même constat : les musulmans vivant en France ont moins tendance à imposer spontanément des mœurs conformes aux prescriptions du Coran et de la charia qu’à s’en éloigner et à adopter progressivement des mœurs non coraniques.

Si en théorie les musulmans sont censés régler leur conduite sur le Coran et ses commentaires – ce que souhaitent les salafistes – dans la pratique la plupart des musulmans en prennent et en laissent selon leur convenance.

Sans mauvais jeu de mots je pense que le Coran alternatif est beaucoup plus répandu et donc beaucoup moins visible que le mode de vie des salafistes beaucoup plus voyant mais beaucoup moins représentatifs de ce que sont les musulmans en France.

D’ailleurs si les mœurs salafistes étaient la pente naturelle de l’ensemble des musulmans les pays du Golfe n’auraient pas besoin de dépenser des millions depuis des décennies pour les promouvoir dans le monde. Ils le font parce que l’application stricte du Coran ne se ferait pas ou très peu autrement.

Si des missionnaires salafistes sont obligés de recourir à l’activisme, à la séduction, à l’intimidation et au bourrage de crâne pour parvenir à leurs fins c’est bien parce qu’ils estiment eux-mêmes qu’ils n’y parviendraient pas en laissant faire le cours naturel des choses. C’est le propre des minorités actives et c’est pour cela qu’elles sont dangereuses.

Il faut donc les combattre politiquement c’est-à-dire administrativement : en renvoyant chez eux les imams qui dressent leurs ouailles contre la société française, en interdisant aux Etats musulmans comme le Qatar, l’Arabie saoudite, la Turquie ou le Maroc de financer des mosquées et des imams sur notre territoire car, comme chacun sait, qui paye commande.

L’erreur serait, en revanche, de donner aux salafistes ce qu’ils veulent à savoir un brevet de représentativité de l’ensemble des musulmans. La meilleure manière de se tirer une balle dans le pied ça reste encore d’accorder à son ennemi ce dont il a besoin.

Je remarque enfin que les quartiers où des mœurs réputées musulmanes s’imposent sont ceux d’où les musulmans qui ont réussi économiquement et socialement sont partis pour s’installer dans des quartiers non majoritairement musulmans. Ce qui signifie que l’aspiration des musulmans qui ont le choix de la mobilité est d’échapper à un espace public régi par les prescriptions du Coran et de la charia.

Alors faut-il faire une place à l’islam en France dans l’espoir d’aboutir un jour à un islam de France ? Non car il n’existe pas d’islam de France ni de mœurs communes aux musulmans Français ou étrangers qui vivent sur le sol de France.

Faire une place à l’islam ? Même si on le voulait on ne pourrait pas. Qui a jamais réussi à faire quoi que ce soit à l’aide d’un couteau sans lame dont on a enlevé le manche ?

On peut et on doit combattre l’influence des salafistes qui, financés par des pays du Golfe complaisamment soutenus par les Etats-Unis, cherchent à dresser les musulmans vivant en France contre la France. Mais c’est justement parce que l’ensemble de ces musulmans ne leur est pas acquis que cette lutte d’influence à un sens. Parce qu’il n’y a pas d’unanimité dans ce qu’on appelle, à tort, l’islam de France.

Il n’y a pas d’islam de France il n’y a que des musulmans concrets, réels et influencés autant et souvent davantage par leur culture familiale, la culture française, leur degré d’intégration sociale, leur niveau de vie, leurs aspirations familiales et/ou individuelles mais aussi par les mœurs que véhiculent (pour le meilleur et pour le pire) la société de consommation, les films hollywoodiens et Internet et les réseaux sociaux.

Il n’y a pas d’islam de France, il n’y a que des musulmans concrets, réels et individuels : pour le meilleur et pour le pire.

C’est avec ces musulmans qu’il faut vivre.

Des musulmans réels qui ont souvent bien peu à voir avec l’image du bon musulman que cherchent à promouvoir les salafistes.

Le patriotisme : une certaine idée du bien commun

 Le patriotisme est un sentiment de solidarité sociale géographiquement et culturellement circonscrit. On peut le déplorer mais c’est ainsi : c’est une préférence accordée à ceux dont on se sent proche pour des raisons qui sont contingentes et donc arbitraires.

C’est beaucoup moins noble que l’amour universel du genre humain mais c’est aussi beaucoup plus concret et c’est à la portée du plus grand nombre. Même les âmes les moins généreuses ne contestent pas l’idée de solidarité nationale qui sous-tend l’impôt sur le revenu.

Seule la conscience d’une communauté de destin rend possible qu’un contribuable parisien accepte de payer pour un chômeur brestois qu’il ne connaît pas ou d’une mère célibataire marseillaise qu’il ne verra jamais.

Le patriotisme constitue un antidote puissant au droit à l’indifférence et aux égoïsmes catégoriels. Il élargit notre horizon social et notre conscience morale à ceux qui ne font pas partie de notre famille, qui n’habitent pas notre quartier, qui n’appartiennent pas à notre classe socio-professionnelle, qui ne partagent pas nos convictions politiques et/ou religieuses, qui ne sont pas issus de la même région que nous ou qui n’ont pas la même couleur de peau.

Le patriotisme réussit un miracle : transformer en compatriotes ceux qui nous sont a priori étrangers. Il nous incite à considérer ceux que nous côtoyons sans l’avoir décidé en compagnons de fortune et d’infortunes. Il transforme la promiscuité en proximité. Il nous arrache au despotisme des affinités naturelles en nous obligeant à sortir de nous-mêmes.

A l’inverse les déclarations d’amour universel faites au genre humain sont à prendre avec des pincettes. Elles sont suspectes parce qu’elles sont abstraites. Elles n’engagent que ceux qui les croient mais elles ne nous engagent pas. C’est pour cette raison qu’un patriote moyen sera toujours plus solidaire de son prochain qu’un bobo germanopratin.

Jean-Jacques Rousseau nous avait déjà prévenus : « Méfiez-vous de ces cosmopolites qui vont chercher loin de leur pays des devoirs qu’ils dédaignent accomplir chez eux. Tel philosophe aime les Tartares pour être dispensé d’aimer ses voisins ».

Le patriotisme est une construction culturelle et non pas naturelle et dans bien des cas la préférence nationale constitue un progrès moral par rapport à l’état de nature en élargissant notre cœur et notre intelligence humaine.

La préférence nationale nous empêche de faire de notre famille la mesure de toute chose et nous pousse à prendre en considération l’existence et l’intérêt des autres familles. Le patriotisme nous permet d’échapper et/ou de ne pas retomber dans des modèles de sociétés archaïques (l’ordre féodal) inhumaines, fondées sur l’idolâtrie de sa famille (les familles mafieuses) et de subordonner la promotion du bien à ses intérêts étroits (le règne des 200 familles).

Mieux, la préférence nationale nous permet de concevoir l’idée de bien commun au-delà de notre groupe d’origine. A l’inverse quand, comme en Afrique, la préférence ethnique se substitue à la préférence nationale, alors chaque président pille systématiquement les ressources nationales et distribue des prébendes à ceux de son ethnie : parce qu’il estime que c’est son devoir.

Mais le patriotisme ne se limite pas à la préférence nationale : c’est aussi et peut-être d’abord la volonté de transmettre un patrimoine.

C’est la conscience que nous avons d’être redevables à nos pères de l’héritage qu’ils nous ont légué. C’est aussi la conscience que nous avons de devoir transmettre à nos enfants ce que nous avons reçu et même un peu plus que ce que nous avons reçu. C’est ce que nous exprimons à chaque fois que nous nous disons, souvent avec inquiétude, « Quel monde allons-nous laisser à nos enfants ? ».

C’est un mélange de gratitude et de gratuité. Gratitude envers nos aînés. Gratuité puisqu’il s’agit de transmettre un patrimoine à nos descendants et non de se lancer dans un investissement dont on espère toucher des intérêts.

Un patrimoine culturel et moral qu’il faut décider de transmettre

Le patriotisme est un patrimoine c’est-à-dire un contenu. Une manière de voir le monde que véhicule la langue. Une manière de concevoir l’existence qu’expriment les mœurs et les coutumes.

C’est l’attachement à ce que l’on considère comme ce qui est bien, ce qui est bon, ce qui est beau et ce qui est souhaitable qui définit les civilisations et qui constitue la raison d’être du patriotisme. Ou plutôt des différents patriotismes : chacun ayant sa propre hiérarchie des priorités et aucun ne pouvant revendiquer le monopole de la vérité.

C’est la transmission d’une certaine idée de ce qu’est une vie bonne, à la fois du point de vue individuel et du point de vue collectif. C’est la transmission d’une certaine idée du bien commun.

On en mesure l’importance quand on en constate l’absence. Ceux qui sont dépourvus d’un tel patrimoine parce qu’on ne le leur a pas transmis sombrent dans la violence et le nihilisme que le péché originel a inoculé dans le cœur de l’homme. L’actualité en fournit chaque jour suffisamment d’exemples tragiques…

Qui dit « patrimoine » ou « héritage » dit aussi « droit d’inventaire ». Comme dans toute succession chaque génération fait le tri de ce qu’elle veut garder et de ce qu’elle veut jeter. Le tri sélectif a toujours existé. On choisit toujours.

Mais précisément on choisit toujours quand on a le choix et pour avoir le choix il faut avoir de quoi choisir. Quand on n’a le choix qu’entre rien et rien c’est justement qu’on n’a pas le choix ! La liberté c’est de pouvoir arbitrer entre différentes possibilités concrètes, pas d’avoir le droit abstrait de choisir ce qui est de toute façon hors de portée.

Or, l’expérience de nos aînés, au même titre que leurs exemples et leurs contre-exemples, nous donnent matière à choisir et nous éclairent : c’est un regain de liberté qui nous est ainsi donnée.

Cette mémoire qui nous est léguée peut servir et a déjà servi à dicter un certain nombre de choix collectifs : le choix de se doter d’un État puissant et indépendant des grands féodaux pour protéger le peuple. Le choix d’un État qui protège la paix civile et met fin aux guerres de religions qui ont ensanglanté le pays.

Mais cette mémoire a également façonné notre conscience collective : le souvenir de la Terreur et du génocide vendéen nous prévient à l’inverse contre le risque de dérive totalitaire de l’État. Au XIXème siècle l’industrialisation et son corollaire – l’apparition d’une misère inconnue jusque là (le prolétariat) – nous ont mis en alerte contre les dangers du règne des puissances de l’argent, de l’extrême-droite à l’extrême-gauche…

Le patrimoine collectif que reçoit chaque génération est donc une boîte à outils et une boîte à idées dans laquelle nous sommes libres de piocher et dont nous sommes libres de nous inspirer.

Un patrimoine qui peut être refusé, adopté, remanié (entièrement ou partiellement) y compris par les derniers arrivés – à savoir les immigrés – à condition bien sûr qu’on ait la volonté politique de le leur transmettre.

Rupture de transmission = panne d’intégration

L’être humain s’adapte toujours à ce qu’il trouve. Il ne peut pas s’intégrer à une société qui se désintègre.

D’où la tragédie que constitue l’idéologie soixante-huitarde du refus de la transmission des savoirs (instruction), des savoir-faire (formation professionnelle), des savoir-vivre (mœurs et conscience historique) !

Tragédie pour tous et plus particulièrement pour les fils d’immigrés. Dépourvus de ce patrimoine à quel genre de vie bonne et commune avec les Gaulois peuvent-ils aspirer ?

Que peuvent-ils espérer puisqu’on ne leur a pas donné les clefs pour entrer et devenir membre à part entière du pays où ils sont nés ?

De manière plus générale comment peut-on espérer se comprendre soi-même, comprendre autrui et comprendre le monde quand on ne dispose pas de plus de 200 mots de vocabulaires dont la moitié est composée d’insultes ?

Comment exprimer ses propres émotions et gérer ses propres frustrations sans recourir à la violence quand personne ne vous a appris à mettre des mots sur vos maux ?

Comment comprendre autrui quand on ne comprend pas ce qu’il dit ? Comment se mettre à sa place quand on est littéralement hors de soi en permanence ?

C’est pour cette raison que des réussites pédagogiques comme le Cours Alexandre Dumas[1] de Montfermeil, à la fois innovant dans sa forme et axé sur la transmission des savoirs fondamentaux et du savoir-vivre, est une lueur d’espoir dont il faut espérer qu’elle finisse par embraser le pays.

 Une contrefaçon de la patrie : l’État-nation

Le concept d’État-Nation, forgé au moment de la Révolution, est une contrefaçon de la patrie charnelle.

Qu’on l’affuble du nom de République, d’Empire ou d’État français il s’agit toujours d’une idée abstraite qui vise à légitimer une soumission absolue des individus. Une soumission absolue qui n’est plus subordonnée à rien et surtout pas à la transmission d’un bien commun. Le bien c’est ce que l’État décrète. Il n’existe plus de bien en soi.

L’idée d’État-Nation est la matrice de toutes les idéologies nationalistes qui ont embrasé l’Europe au XIXème et au XXème siècle (et qui inspire aujourd’hui encore la politique de l’État d’Israël) et de tous les totalitarismes.

Tout doit lui être sacrifié sans discussion : c’est le principe même de la conscription obligatoire qui apparaissait aux yeux de Georges Bernanos comme une idée totalitaire et un immense recul de la civilisation.

L’État-Nation ne s’arroge plus seulement le droit de disposer de la vie des criminels mais étend son droit de vie et de mort sur l’ensemble des citoyens[2] ce qui a pour corollaire de criminaliser l’exercice de la liberté de conscience. Ceux qui, à l’image de saint Jean-Marie Vianney, ont fui la conscription napoléonienne par refus de participer à une guerre contre l’Espagne qu’ils jugeaient injuste étaient déclarés déserteurs et risquaient la mort.

A l’inverse, lors de la Deuxième Guerre mondiale, les héros de la patrie charnelle furent ceux qui décidèrent librement de défendre leur foyer, leur clocher et leur village pour défendre une certaine idée de la civilisation, de la vie bonne et de ce qui est bien contre l’autorité de l’État après que celui-ci eût signé l’armistice.

C’est la patrie charnelle qui a fourni ses troupes à la résistance. C’est l’appareil administratif, policier, judiciaire et militaire qui, au nom du devoir absolu d’obéissance à l’État, a organisé leur persécution et leur mise à mort.

 Transmission du patrimoine et pédagogie par l’exemple

Depuis que l’idéologie de mai 68 a conquis nos dirigeants, désormais massivement acquis au principe de préférence internationale, la transmission de notre patrimoine ne dépend plus que de nous. Tant mieux !

Tant mieux car c’est au fond très simple : il nous suffit tout simplement de vivre sur notre patrimoine ! Il s’agit moins de démontrer que de montrer que notre langue, notre culture et nos mœurs nous aident à vivre une vie plus avisée, plus amusante et plus humanisante. La transmission se fera alors naturellement : quand on fait envie on est attirant.

Concrètement cela commence par être présent à sa femme et à ses enfants en rentrant suffisamment tôt du boulot – quitte à renoncer à ses ambitions de carrière, à un loisir chronophage – pour pouvoir chaque soir avoir matériellement le temps de les aimer et donc de partager avec eux ce qui est pour nous essentiel.

Nourrir des relations de confiance et d’intimité cela prend du temps : la qualité du temps passé avec quelqu’un est indissociable de la quantité de temps passé avec lui. D’ailleurs quand on aime on ne compte pas. Cela implique nécessairement de reléguer les accessoires technologiques (Internet, Facebook, smartphones, Netflix etc.) au rang qui est le leur – celui d’accessoire – c’est-à-dire à leur juste place. Le temps ainsi dégagé n’a pas de prix mais ne pas le faire a un coût !

Si nous sommes là pour accompagner nos enfants dans leurs premiers pas, leurs premiers jeux, leurs premières lectures (vive la méthode Boescher à la maison!) alors ils auront envie de nous imiter. On transmettra le goût de la lecture à nos enfants s’ils nous voient prendre le temps de lire nous-mêmes et d’être heureux de le faire : on commence par lire les souvenirs d’enfance de Marcel Pagnol et progressivement on en vient à lire Pascal et Montaigne. L’exemple n’est pas la meilleure pédagogie, c’est la seule !

La transmission intelligente et éclairée de ce que l’on n’ose plus appeler « les bonnes mœurs » est une autre manière de transmettre les ingrédients d’une vie bonne.

 Le patriotisme : la seule contre-culture féconde

La tradition française qui oscille entre gauloiserie et galanterie est unique au monde et constitue un acquis de civilisation : ni l’oppression de la femme (comme en Arabie saoudite), ni guerre des sexes (comme aux États-Unis), ni morne indifférence (comme en Scandinavie). Cet art de la connivence entre les sexes nous rend plus humains et nous prédispose à mieux aimer mais n’a rien de naturel : il s’éduque et se transmet.

L’art de la table n’est pas non plus anecdotique. C’est par excellence le patrimoine que l’on se transmet de génération en génération au sein de la famille parce que c’est important de bien manger : non seulement pour ne pas s’empoisonner mais aussi parce que c’est une manière de créer de la convivialité c’est-à-dire du lien social.

De même que faire ses courses chez des artisans des métiers de bouche plutôt que de soutenir la grande distribution, acheter des fruits de saisons cultivés avec le moins possible de produits chimiques, privilégier les producteurs locaux et les circuits courts de distribution c’est à la fois faire preuve de patriotisme économique, de solidarité sociale et de conscience environnementale !

De même que le civisme commence par la capacité à entretenir de bonnes relations de voisinage ce qui suppose au préalable d’avoir appris et de mettre en pratique les règles élémentaires de la politesse.

Tous cela relève des mœurs et là encore cela s’éduque et se transmet.

Au fond défendre sa patrie aujourd’hui c’est d’abord et avant tout défendre une idée de la vie bonne contre tous ce qui et ceux qui veulent escamoter la question pour pouvoir transformer notre pays en un gigantesque supermarché à échelle nationale.

Défendre sa patrie aujourd’hui c’est choisir résolument et lucidement d’adopter un style de vie contre-culturel. C’est la seule manière d’entrer en résistance.

Cela commence par s’abstenir de pousser nos enfants à faire une école de commerce qui l’enverra in fine manipuler de l’argent à Singapour ou à New-York au profit de Dieu sait qui et au détriment des plus petits.

Cela consiste plutôt à aider nos enfants à découvrir leurs goûts, leurs compétences et leurs limites pour qu’ils trouvent leur voie dans la vie en étant utiles et heureux de l’être. Les aider à ne pas avoir peur de vivre dans une sobriété heureuse, en leur faisant comprendre que les gens heureux ne consomment pas.

Cela suppose de leur apprendre à savoir dire « non » sereinement, aimablement, de manière posée, argumentée, intelligente,  intelligible et, dans la mesure du possible, en assortissant notre refus d’une contre-proposition.

Savoir dire « non » sans avoir peur d’être parfois marginalisé c’est la seule manière de pouvoir dire « oui » à ce qu’on estime être une vie bonne.

Aujourd’hui, le patriotisme est la seule contre-culture féconde que l’on peut opposer aux ravages du nihilisme contemporain.

 [1] Voir les sites http://www.esperancebanlieues.org/ et http://alexandredumas.fr/.

[2] Qu’on songe au refrain du Chant du départ : « La République nous appelle/Sachons vaincre ou sachons périr/Un Français doit vivre pour elle/Pour elle un Français doit mourir ».

Du dogme nucléaire et de son clergé

Un constat : la France compte 58 réacteurs nucléaires qui fournissent près de 75% de sa production électrique. Pas étonnant que le nucléaire fasse l’objet d’un large consensus au sein de la classe politique, à droite comme à gauche.

En 2011, lors de la crise de Fukushima, par le porte-parole du gouvernement de Nicolas Sarkozy, François Baroin s’était contenté de balayer d’une phrase lapidaire la question d’un journaliste qui lui demandait s’il ne fallait pas organiser un référendum sur le choix nucléaire :

« Soyons sérieux. Le choix nucléaire est partagé par tous les gouvernements depuis quarante ans ».

Pour méprisante qu’elle soit, cette réponse n’en est pas moins très révélatrice : le choix nucléaire est non négociable.

Il n’a donc pas à être soumis à l’approbation du peuple et ne fait pas partie des questions pouvant faire l’objet d’un débat démocratique.

On invoque le fait accompli, les précédents, la « tradition » pour esquiver la question qui fâche : est-il juste de léguer en héritage à nos enfants des déchets radioactifs dont les quantités se multiplient sans fin et dont la toxicité durera sur plusieurs générations dans le meilleur des cas ?

Les spécialistes, qui se veulent rassurants, affirment que pour les déchets à faible et moyenne activité et à vie courte ont une radio toxicité de « seulement » 300 ans. Comme ils le disent élégamment ces déchets étant « à vie courte », la radioprotection qu’ils nécessitent ne dépasse pas 300 ans, et peut être gérée à « échelle historique ».

C’est déjà suffisamment inquiétant de savoir qu’on enterre pour une durée de 300 ans des déchets toxiques : qui est en mesure de garantir que ça n’entraînera aucune conséquence dangereuse sur les nappes phréatiques, les terres et les cultures ? Personne, bien sûr.

Mais ce qui est inquiétant n’est pas ce que disent ces spécialistes mais ce qu’ils ne disent pas : quelle est la durée de nuisance des déchets radioactifs « à vie longue » ? Quel est leur degré de nuisance ? Pendant combien de temps survie de l’humanité es-elle compatible avec la production de tels déchets ?

Or c’est là une caractéristique française que de considérer l’option nucléaire comme un dogme qui, à ce titre, doit être exonéré de tout questionnement sur sa conformité au bien commun.

Le dogme nucléaire est une des manifestations de l’idéologie du Progrès qui, depuis la fin du XVIIIème siècle, postule que tout progrès technique est par nature un progrès de civilisation.

A la différence des dogmes des religions dites révélées, le dogme nucléaire n’invoque aucune origine divine pour fonder sa légitimité.

C’est un dogme humain parce que sorti de cerveaux humains,  les cerveaux d’êtres humains réputés plus sages parce que plus intelligents et plus éclairés que la moyenne de l’humanité.

En d’autres termes les hommes des Lumières se sont unilatéralement proclamés hommes de lumière.

Ils se sont attribués la mission d’éclairer l’humanité, d’en être à la fois la conscience et le tuteur, et surtout de faire son bonheur,  qu’elle le veuille ou pas.

La volonté des « hommes de lumière » est inaltérable : coûte que coûte, ils imposeront au peuple ce qu’ils jugent être bon pour lui.

C’est ce qui explique que Voltaire ait accepté d’être le conseiller de Frédéric II de Prusse, le despote éclairé.

C’est ce qui explique l’idéologie colonialiste justifiée « le fardeau de l’homme blanc ».

C’est ce qui explique la révolution bolchévique et la dictature du prolétariat.

C’est ce qui explique qu’on refuse d’organiser des référendums au motif d’éviter une dérive « bonapartiste » qui tournerait au plébiscite.

C’est ce qui explique que les résultats des référendums européens soient systématiquement tenus pour nuls et non avenus quand ils ne correspondent pas aux vues des élites qui se considèrent comme éclairées.

En matière nucléaire on retrouve exactement les mêmes ingrédients : un dogme décrété intouchable par un clergé séculier dont les intérêts catégoriels sont intimement liés à l’intégrité du dogme et qui s’en fait tout naturellement le gardien sourcilleux et intraitable.

Historiquement le grand prêtre et le premier gardien du dogme nucléaire en France s’appelle Charles De Gaulle. Héritier inconscient mais objectif du scientisme du XIXème siècle, il balaya d’un revers de la main toute objection au développement du nucléaire.

Contrairement à Georges Bernanos qui, lui, ne peut pas être accusé de fascination pour l’idéologie du progrès, et de la technique :

« Oui, j’espère de toutes mes forces que le monde moderne n’aura pas raison de l’homme. Le Monde moderne, c’est à dire l’État moderne, le Robot géant, planétaire auquel la science offre chaque jour des armes à sa taille. Il est clair qu’en face de cette Providence mécanique dont vous attendez la justice – pourquoi pas l’amour aussi, imbéciles ! – le Divin Mendiant pendu à ses clous fait piètre figure… »[1]

Le clergé nucléaire dont De Gaulle fut le grand prêtre repose sur une sorte d’épiscopat scientifico-administratif recruté dans les puissants corps des Polytechniciens et des ingénieurs des Mines. En guise de conférence nationale, le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) créé en 1945 et pour doctrine pastorale programme nucléaire civil lancé en 1974. Le développement des infrastructures s’est fait sur la base de fonds publics (emprunts EDF souscrits par les Français).

Qui peut croire sérieusement que face à une telle somme d’investissements la question de ce qui est vrai, bon et juste puisse peser dans la balance ?

La question de la vérité et donc du bien commun sont les premières qui sont escamotées par la caste qui détient le pouvoir et qui s’arroge le monopole de la lucidité.

C’était vrai avant-hier pour les intellectuels de Lumières qui conseillaient les despotes. C’était vrai hier pour les bolchéviques qui se pensaient comme l’avant-garde du prolétariat. C’est vrai aujourd’hui pour le clergé du nucléaire.

[1] La France contre les robots (1946)

Raison suffisante et suffisance de l’homme

La conscience de l’homme a été enténébrée par le péché originel : sa volonté en est restée blessée.

Certes il est encore capable de vouloir le Bien mais sa volonté est désormais défaillante. Il peut encore entrevoir la lumière mais dérive inexorablement vers les ténèbres. Telle est la condition de l’homme déchu.

Certes la raison technicienne est extrêmement puissante et inventive mais elle est déconnectée de la sagesse, de la saveur du vrai et de la joie du bien.

Elle n’est qu’un outil mais pas une lumière susceptible de nous guider dans l’existence, de discerner le sens de ce que nous vivons ou d’identifier le Bien et le Mal.

Dans ces conditions ériger la raison en mesure de toute chose comme ont prétendu le faire les Lumières ce n’est rien d’autre que signer un chèque en blanc à une somme d’intelligences humaines.

Des intelligences humaines limitées et sujettes à l’erreur. Des intelligences humaines donc mues par des passions humaines plus ou moins conscientes, souvent inavouables et toujours inavouées. Comme l’écrivait Blaise Pascal : « tout notre raisonnement se réduit à céder au sentiment ».

La raison qui prétend ignorer ses limites c’est la raison suffisante par excellence. C’est la raison de l’homme qui, par suffisance, décrète arbitrairement que sa capacité de compréhension doit être érigée en mesure de toute chose.

C’est le refus d’admettre que, pour reprendre Pascal, « notre intelligence tient dans l’ordre des choses intelligibles le même rang que notre corps dans l’étendue de la nature ».

Mais ce n’est pas à la raison qu’il faut imputer cette prétention délirante !

En effet l’intelligence et la liberté sont les moyens que Dieu donne à l’homme pour pouvoir Le reconnaitre et c’est d’ailleurs au nom de la foi que le chrétien affirme le pouvoir de la raison humaine.

Cette prétention délirante n’a pas pour origine une faute de raisonnement. Elle n’est pas née d’un défaut de la raison : elle n’est pas imputable à la raison de l’homme mais à son orgueil !

C’est cet orgueil chimiquement pur qui a engendré cette pétition de principe à la fois absurde du point de vue logique et monstrueuse du point de vue déontologique selon laquelle son intelligence est la mesrue de toute chose.

Cette prétention délirante, semblable à ce que les psychologues appellent une bouffée délirante, est du point de vue spirituel un pur blasphème.

Un blasphème consistant à vouloir se faire prescripteur du Bien et du Mal à la place de Dieu et dont la première apparition dans l’histoire de l’humanité est restée dans la mémoire collective sous l’appellation de péché originel.

C’est pourquoi la Vérité de Dieu n’est accessible que dans la mesure où l’homme est lui-même délivré de son péché et de son aveuglement.

Pour accéder à cette vérité il ne suffit pas de mobiliser son intelligence, ses connaissances ou de faire des recherches : il faut d’abord se mettre à prier pour purifier son cœur de la haine et de l’orgueil et laisser la lumière de Dieu éclairer son regard.

C’est un processus de transformation intérieure permanent que l’on appelle la conversion du cœur.

Si l’on veut permettre à la raison de se déployer, il faut commencer par purifier son âme de l’orgueil.

Dieu nous libère de l’idolâtrie de la famille

Certes le risque d’idolâtrie de la famille ne menace pas le gouvernement actuel mais il menace ceux qui, comme moi, ont manifesté contre le projet de loi du mariage pour tous.

Comprenons-nous bien : la famille est une cellule de base de la société. C’est une vérité d’expérience et de bon sens et en tant que citoyens nous avons le devoir de défendre le modèle de famille qui a fait ses preuves à travers les siècles.

Son délitement revendiqué par le gouvernement – Christine Taubira parlait elle-même de changement de civilisation – a été organisé au détriment des enfants à adopter en organisant légalement la possibilité de les priver d’un père et d’une mère. Cette privation était auparavant considérée comme le triste privilège des enfants de divorcés, elle est désormais officiellement promue au titre du progrès !

Mais la défense de la famille ne fait pas partie du dépôt de la foi. Nous la défendons en tant que citoyens au nom du bien commun. Nous la défendons parce que nous sommes des hommes libres, doués de raison et dotés d’une conscience et que c’est notre responsabilité. Au même titre que nos concitoyens non chrétiens. Nous ne pouvons pas faire moins !

Jésus n’a jamais exalté la famille

De sa naissance à sa mort en passant par son enfance et son enseignement la vie du Christ est un gigantesque pied de nez à l’exaltation de la famille.

Si la sainte famille est un modèle de sainteté elle n’est pas un modèle de famille. C’est même l’exact contre-pied d’une famille normale : c’est une famille centrée sur un enfant unique, né dans la rue, qui n’est pas le fils du père, qui a été conçu hors mariage et dont les parents n’ont jamais eu de relation sexuelle. Un enfant qui a eu deux papas en plus !

A l’âge de douze ans il fugue trois jours. Ses parents, morts d’inquiétude, le retrouvent finalement au Temple en train de discuter avec les docteurs de la loi. Légitimement bouleversés ils l’interrogent sur sa conduite : « Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ? Vois ! Ton père et moi, nous te cherchons, angoissés ». Au lieu de leur demander pardon et de faire repentance comme le ferait tout bon fils il se contente de feindre l’étonnement « Pourquoi donc me cherchiez-vous ? » avant de leur transpercer le cœur en leur répondant avec une nonchalance teintée d’ironie « Ne saviez-vous pas que je dois être dans la maison de mon Père ? » (Luc 2, 41-52). Quel père de famille responsable et normalement constitué ne lui aurait pas flanqué une paire de baffes ?

Plusieurs années après Jésus enseigne aux foules quand quelqu’un vient l’avertir que sa mère et ses frères se tenaient au-dehors et cherchaient à lui parler. Là encore, au vu et au su de tout le monde et des intéressés en particulier, il répond : « Qui est ma mère, et qui sont mes frères ? » puis il tend la main en direction de ses disciples et de déclarer : « Voici ma mère et mes frères. Celui qui fait la volonté de mon Père qui est aux cieux, celui-là est pour moi un frère, une sœur et une mère » (Matthieu 12, 46-50).

Au moment de mourir Jésus se tourne vers sa mère qui, pas rancunière, se tenait au pied de la croix, désigne son disciple Jean « Femme, voici ton fils » et au disciple « Voici ta mère » (Jean 19, 25-27).

Certes le Christ n’a jamais cherché pas à détruire le modèle familial traditionnel mais il s’est toujours abstenu de le promouvoir. A chaque fois qu’il en a parlé c’est pour rappeler que la famille était secondaire dans l’ordre des priorités.

Quand la famille s’oppose à l’appel de Dieu

Au risque d’en choquer plus d’un rappelons que le Christ n’a jamais encouragé l’unité des familles mais qu’au contraire il a annoncé à ses disciples qu’entre la famille et lui il faudra parfois faire un choix radical.

« Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre; je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée. Car je suis venu mettre la division entre l’homme et son père, entre la fille et sa mère, entre la belle-fille et sa belle-mère; et l’homme aura pour ennemis les gens de sa maison. Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi, et celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi n’est pas digne de moi; celui qui ne prend pas sa croix, et ne me suit pas, n’est pas digne de moi. Celui qui conservera sa vie la perdra, et celui qui perdra sa vie à cause de moi la retrouvera » (Matthieu 10, 34).

Le choix radical qu’il annonce est exactement du même ordre que celui qu’il annonce à propos de l’argent : on ne peut pas servir deux maîtres à la fois, il faut choisir ! La famille étant un bien secondaire, elle ne saurait être une priorité existentielle.

Très concrètement Saint François d’Assise a choisi d’obéir au Christ plutôt qu’à son père qui l’a menacé de le déshériter, l’a traîné en justice et avec lequel il a dû couper les ponts. Saint Thomas d’Aquin a été enlevé et retenu prisonnier pendant un an par sa famille qui souhaitait le détourner d’entrer chez les dominicains.

C’est pour cela que Jésus lui-même n’a pas fondé de famille. C’est pour cette même raison que les moines, les moniales, les prêtres catholiques – du moins ceux de rite latin – et les évêques des différentes Eglises orthodoxes ne fondent pas non plus de famille.

La famille n’est un bien aux yeux de Dieu que lorsqu’elle est ordonnée à la sanctification par l’amour et elle n’est qu’une voie parmi d’autres.

Si le Christ semble un « malin » plaisir à rabaisser la famille ce n’est certes pas pour la détruire mais pour la remettre à sa place : la famille ne doit pas nous détourner de l’essentiel qui est de répondre chacun à notre vocation propre.

Dans combien de familles catholiques la vocation d’un fils ou d’une fille est-elle vécue comme un drame ? Combien de familles catholiques prient ardemment pour qu’ éclosent des vocations….dans les familles des autres ?

Dieu nous libère de l’aliénation familiale

En elle-même la famille n’a rien de moral ou de saint. Elle est, elle aussi, marquée par le péché originel.

Il est symptomatique que les groupes criminels les plus résilients, ceux qui exigent et obtiennent de leurs membres de se sacrifier pour eux s’organisent non seulement sur le modèle théorique de la famille mais sur des familles réelles. La famille est le modèle explicite et très concret de la mafia italienne : Cosa nostra pour la Sicile, Ndrangheta pour la Calabre, Camorra pour la région de Naples.

La famille mafieuse est l’archétype de la famille érigée en norme suprême. Elle se situe par-delà le bien et le mal. On sacrifie tout à la famille, on ne respecte rien d’autre que la famille. C’est l’intérêt de la famille qui est la mesure du bien et du mal. La famille joue alors le rôle de l’arbre de la connaissance du Bien et du Mal dans la Genèse. Celui, le seul, que Dieu avait défendu de toucher.

La Bible elle-même nous rappelle que la famille traditionnelle et son extension (clanique ou tribale) ne font pas partie du plan de Dieu pour l’homme.

Elle le fait dès ses premières lignes : « C’est pourquoi un homme se séparera de son père et de sa mère et s’attachera à sa femme, et les deux ne feront plus qu’un » (Genèse 2, 24).

Mais comme l’homme a la nuque raide et un cœur de pierre le Christ le rappelle : «N’avez-vous pas lu dans les Ecritures qu’au commencement le Créateur a créé l’être humain homme et femme et qu’il a déclaré : C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et les deux ne feront plus qu’un ? » (Matthieu 19,5).

Et comme, même après avoir été baptisé, l’homme a vraiment la nuque raide et un cœur de pierre Saint Paul revient lui-aussi à la charge : « C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère pour s’attacher à sa femme et les deux ne seront plus qu’une seule chair » (Ephésiens 5, 31).

Car, même lorsqu’elle n’est pas une structure criminelle, la famille dite traditionnelle peut très bien être le lieu de l’aliénation et de l’enfermement au nom d’un l’intérêt présenté comme supérieur : pour nouer des alliances politiques, pour enrichir le patrimoine, pour élargir la surface des champs cultivés combien de parents ont sacrifié la vocation, la liberté, le bonheur et dignité de leurs enfants ? Les Kennedy ont toujours une une conception traditionnelle de la famille…

C’est bien contre cette conception traditionnelle de la famille  que l’Eglise s’est toujours battue en promouvant le libre consentement des enfants contre les intérêts des familles et en contestant la toute-puissance paternelle. La plupart des comédies de Molière ne parlent que de cela et à chaque fois les amoureux trouvent un prêtre pour les marier en secret contre l’avis du père !

Conversion du cœur plutôt que combat pour les valeurs

Notre famille nous façonne en partie mais elle ne doit pas nous définir, nous empêcher d’évoluer et de répondre à notre vocation individuelle et personnelle. A la maîtresse de maison modèle Jésus n’hésite pas à dire : « Marthe, Marthe, tu t’inquiètes et tu t’agites pour bien des choses. Une seule est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part : elle ne lui sera pas enlevée » (Luc 10, 42).

Notre famille nous façonne mais elle ne doit pas nous fasciner. Elle ne doit pas nous empêcher de répondre à l’appel de Dieu qui s’exprime par la voix de notre conscience. Elle ne doit pas nous faire vivre en dehors de nous-mêmes en nous dissuadant ou en nous interdisant de creuser notre vocation profonde

En tant que chrétiens notre devoir est de nous convertir d’abord et de convertir nos familles ensuite. Car comme toute réalité humaine la famille doit être évangélisée. Elle doit être régénérée, subvertie – au sens propre du terme – par l’évangile.

Dans le plan de Dieu son rôle est d’être une cellule d’amour. Sinon c’est une cellule morte. La famille est un instrument pédagogique de sanctification. Un outil précieux mais non exclusif comme le manifeste l’existence du célibat consacré.

L’objectif des chrétiens n’est pas de promouvoir la famille traditionnelle en tant que telle ou la multiplication des familles nombreuses. Notre objectif est la sanctification des familles par l’évangélisation de ses membres.

Ce n’est pas forcément contradictoire mais c’est radicalement différent.

Le sens de l’humour : un trésor spirituel !

Dans les milieux chrétiens la joie est souvent plus valorisée que l’humour.

La joie d’être sauvé et la joie de se savoir aimé sont considérées – à juste titre – comme les signes extérieurs et les symptômes objectifs d’une foi vivante et non seulement théorique. Au point que l’absence de joie est suspecte. Frédéric Nietzsche disait  qu’il croirait peut-être en Dieu si les chrétiens avaient des « gueules de ressuscités ».

La joie des saints est même leur dénominateur commun : avant d’être reconnus saints ils doivent préalablement être reconnus bienheureux.

Pourtant le sens de l’humour me semble encore trop ignoré chez les chrétiens et chez les catholiques en particulier. Espérons que la récente publication de la première biographie française consacrée à GK Chesterton1 contribuera à changer cette situation et convaincre les croyants que le sens de l’humour est un outil de sanctification par excellence.

D’abord parce que le sens de l’humour permet d’humaniser notre vie ici-bas en nous aidant à ne pas nous laisser détruire par les coups de la vie et à regarder le mal en face sans pour autant sombrer dans le désespoir.

Ensuite parce qu’il contribue à la conversion de nos cœurs en prévision de la vie éternelle. Les vérités qu’on a le moins envie d’entendre sont celles dont on a le plus besoin et le sens de l’humour nous donne accès, de manière indolore parce que détournée, à ces vérités fondamentales qui nous paraissent trop souvent paradoxales – et donc inacceptables – parce qu’elles dénoncent le monde d’illusions et de mensonges dans lequel nous vivons.

Le sens de l’humour est d’abord une technique de survie

Le sens de l’humour lève les inhibitions qui nous paralysent face aux puissants ou face à ces proches dont nous redoutons le jugement. Le sens de l’humour est l’issue de secours qui permet à l’expression de nos émotions et de nos convictions de ne pas être étranglées.

En cas d’agression psychologique, verbale ou physique celui qui est dépourvu de tout sens de l’humour ou celui qui ne parvient pas à le mobiliser pour répliquer n’a le choix qu’entre la fuite, la soumission ou la rébellion et aucune de ces solutions ne le laissera indemne émotionnellement.

Même en choisissant l’affrontement et en gagnant le prix émotionnel à payer est exorbitant. L’affrontement suppose de mobiliser sa colère pour la recycler en source d’énergie et implique d’accepter la surenchère pour triompher.

La soumission et la fuite entraînent nécessairement une dégradation de l’estime de soi. Dans tous les cas et quel que soit le résultat la personne agressée aura nécessairement à gérer les blessures affectives qu’elle aura reçues, le stress post-traumatique que la mémoire amplifiera et un sentiment d’épuisement affectif.

A l’inverse celui qui se sert de l’humour comme d’une technique d’auto-défense en ressortira émotionnellement vainqueur même en étant physiquement perdant. Il échappera à l’humiliation volontaire comme à la surenchère en déplaçant le conflit sur un terrain où il se retrouvera en position de supériorité.

Cela lui permettra de ne pas sombrer dans l’épuisement, l’auto-dénigrement ou les souvenirs traumatisants. Même maltraité extérieurement il se sera protégé intérieurement et le siège de son intégrité morale et affective aura été préservé. S’empresser de rire de tout pour ne pas avoir à en pleurer, c’est la voie de la sagesse.

Le sens de l’humour, un art martial non-violent

C’est une forme de non-violence active qui ressemble à la philosophie de l’aïkido japonais ou du systema russe. C’est une forme de lâcher prise qui ne permet pas d’épargner systématiquement la douleur mais qui en réduit considérablement l’intensité et la portée.

On dit parfois de l’humour que c’est l’élégance du désespoir. L’expression est intéressante parce qu’elle suggère que même désespéré on peut conserver suffisamment d’estime de soi pour faire bonne figure et rester élégant moralement.

Cela suppose bien sûr de s’entendre sur le sens des mots et de bien distinguer le sens de l’humour de la moquerie et de la raillerie qui visent à blesser autrui. Le sens de l’humour consiste à regarder en face la tragédie du monde et de l’existence pour en souligner les aspects comiques, ridicules, absurdes ou insolites, pas à se moquer de sa belle-mère !

C’est une manière d’accueillir la douleur et de la raccompagner vers la sortie pour l’empêcher de s’installer. C’est une source intarissable d’espérance pour ceux qui souffrent – l’humour juif est né des persécutions – et une manière de substituer le plaisir à la douleur.

Quand l’humilité s’unit à l’amour ils engendrent l’humour.

Le sens de l’humour repose également sur l’humilité : il faut d’abord consentir à regarder la réalité telle qu’elle est et à se regarder soi-même tel que l’on est. Cette lucidité préalable suppose d’avoir le courage de regarder en face ses limites et ses faiblesses pour pouvoir en rire à son tour. Heureux ceux qui savent rire d’eux-mêmes ils n’ont pas fini de s’amuser !

Il repose ensuite sur la vérité parce qu’il fait sauter toute prétention, toute boursouflure et tout mensonge. L’humour est toujours subversif parce qu’il révèle des vérités que l’on préfère cacher. Il démasque nos propres mensonges y compris ceux que nous cherchons à faire cautionner par Dieu.

Comme disait Voltaire, qui pourtant n’était pas un père de l’Eglise : « Si Dieu nous a faits à son image nous le lui avons bien rendu ». Son sens de l’humour est à la fois révélateur et prophétique puisqu’il anticipe Nietzsche qui déclarera au siècle suivant : « Dieu est mort (…) et c’est nous qui l’avons tué ! »

Le sens de l’humour repose enfin sur la charité parce qu’il repose sur la bienveillance envers autrui. C’est d’ailleurs ce qui le distingue de la moquerie ou de la raillerie qui sont dirigées contre autrui. La moquerie est naturelle au même titre que le péché originel, pas l’humour. Le sens de l’humour n’est jamais l’expression d’un mouvement d’humeur ou d’un trait d’esprit brillant mais éventuellement blessant.

Le Christ lui-même en fournit un bon exemple, au point que certains exégètes ont parlé d’ironie christique. Acculé par un groupe de pharisiens qui cherchent à le piéger en lui jetant dans les pieds une femme adultère et en lui demandant ce qu’il fallait en faire, le Christ ne relève pas le défi mais ne se dérobe pas non plus.

Il se contente de répliquer : « Que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre ». Puis, après leur départ honteux – l’évangile précise qu’ils partirent tous « en commençant par les plus âgés » – il enfonce le clou de l’ironie en demandant à la femme adultère sur un ton faussement étonné : « Eh bien, où sont donc passés tes accusateurs ? Personne ne t’a condamnée ? » (Jean 8, 7-10).

Le sens de l’humour n’est pas naturel, il est culturel

Rire de soi-même est un exercice de dépossession qui n’est pas naturel. Nous avons naturellement honte de nos faiblesses et notre tendance spontanée est de les dissimuler et de détourner l’attention sur celles d’autrui.

Le sens de l’humour est, à l’inverse, une disposition de l’esprit qui peut amener à exhiber ses propres faiblesses pour les subvertir par le rire. Cela suppose d’admettre sa propre vulnérabilité et d’accepter de reconnaître sa dépendance vis-à-vis des autres et vis-à-vis de l’Autre par excellence.

Le sens de l’humour n’est pas naturel mais culturel. Dans certaines cultures c’est même un art : l’humour anglais ou l’humour juif sont des acquis de civilisation et sans doute une des explications de leur capacité collective à se remettre en cause et à innover. Le sens de l’humour est culturel et c’est pour cette raison qu’il s’acquiert, s’éduque, se cultive et surtout se pratique.

Comme la vie spirituelle le sens de l’humour se nourrit, croît et se transmet parce que, comme la foi, il permet de croître en maturité, en humanité et en intelligence de la vie.

Le sens de l’humour agit comme le révélateur de vérités paradoxales

Le sens de l’humour est également un merveilleux révélateur de ces vérités paradoxales qui, précisément parce qu’elles sont paradoxales, sont négligées ou oubliées.

L’art du paradoxe c’est l’art de renverser les paradigmes, la capacité d’opérer des changements de perspectives. A l’image de Tristan Bernard sous l’Occupation. Arrêté un petit matin en tant que Juif pour être interné au camp de Drancy, il est emmené par les policiers/ Il n’a qu’un instant pour adresser un mot de réconfort à son épouse bouleversée. Il lui glisse alors à l’oreille : « Pourquoi pleurer ? Jusqu’à présent nous vivions dans l’angoisse, désormais, nous vivrons dans l’espoir. »

Parce qu’il éclaire les angles morts et révèle le dessous des cartes, le sens de l’humour nous prémunit contre les fausses évidences et nous libère des apparences.

Il prédispose ceux qui le pratiquent à accueillir de la Bonne nouvelle qui est le renversement de paradigme par excellence puisqu’il porte sur notre condition humaine et notre destinée individuelle.

C’est aussi le baume que les chrétiens peuvent passer sur le cœur de ceux qui redoutent, fuient ou refusent un Dieu vengeur et courroucé qu’on leur a présenté à tort comme le leur.

CS Lewis apaise les angoisses existentielles de bien des lecteurs quand il écrit à propos du jugement dernier : « Au fond l’humanité se divise simplement en deux catégories de personnes : ceux qui disent à Dieu Que ta volonté soit faite et ceux auxquels Dieu dit Que ta volonté soit faite. Tous ceux qui vont en enfer font partie de cette dernière catégorie ».

C’est enfin pour les chrétiens un antidote contre la tentation du fanatisme. Une foi aiguillée par le sens de l’humour est une foi qui apporte du sens au lieu de transformer la foi en un catalogue de sens interdits. C’est l’antidote au fanatisme puisque comme disait André Frossard, « les fanatique sont ceux qui font la volonté de Dieu…que Dieu le veuille ou non ! »

Le sens de l’humour est l’outil pédagogique par excellence et donc la meilleure manière d’annoncer le Dieu de Jésus-Christ. Mais au-delà même de ses vertus pédagogiques le sens de l’humour est d’abord une manière d’être au monde.

Une manière d’être dans le monde – en l’acceptant tel qu’il est – sans être du monde, en refusant la logique de la surenchère dans la colère et la haine. C’est une manière de se réconcilier avec le monde et de l’aimer sans le cautionner ni le juger.

Le sens de l’humour devrait être la voie de sanctification privilégiée des chrétiens.

1 Le Divin Chesterton, de François Rivière aux éditions Rivage (ça ne s’invente pas !)

L’alliance du trône et de l’autel, péché originel de l’épiscopat français 

En Angleterre Thomas More, et avant lui l’évêque Thomas Becket, ont refusé de compromettre l’annonce de l’Evangile en apportant la caution de l’Eglise à des hommes de ruse et de sang qui cachaient sous la bannière de Dieu leurs ambitions ou leurs folies personnelles.

Le martyre de saint Thomas More a marqué l’entrée de l’Eglise catholique d’Angleterre dans une longue période de persécution et de clandestinité, parfaitement conforme d’ailleurs à ce que le Christ avait prévu et prédit de son vivant : A cause de moi on vous jettera en prison, on vous traînera devant des rois et devant des gouverneurs (Luc 21, 12).

Contrepartie logique de cette situation évangélique : l’Eglise catholique a été préservée de toute compromission avec le pouvoir monarchique. Là-bas c’est l’Eglise anglicane qui a été décrédibilisée par l’alliance du trône et de l’autel. C’est même pour la cautionner qu’elle a été inventée.

En France c’est au contraire l’épiscopat catholique qui a toujours cautionné cette monstruosité théologique en acceptant de sacrer les rois à Reims. N’est-ce pas là l’origine de cette tradition de lâcheté épiscopale dont l’Eglise de France continue de déplorer les effets ?

Car il ne faut pas se voiler la face : la pusillanimité de nos évêques n’est pas nouvelle. Le légalisme et le gallicanisme sont des maux et des symptômes anciens dans l’histoire de l’Eglise de France.

En 1431 c’est une laïque, Jeanne d’Arc, qui meurt par la volonté de l’évêque Cauchon, parce qu’elle s’était dressée contre le pouvoir temporel anglais et bourguignon.

En 1791, l’épiscopat rallie majoritairement la Constitution civile du clergé. Le simple fait que son rédacteur, Charles-Maurice de Talleyrand, ait été un évêque qui n’avait pas la foi n’est-il pas suffisamment éloquent en soi ?

En 1905, l’épiscopat n’ose pas davantage se lever contre la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat qui constitue une rupture unilatérale du concordat de 1801 et impose l’approbation préalable du gouvernement pour la nomination des évêques.

En 1940, l’épiscopat ne dénonce pas le décret anti-juifs de Vichy, ni les déportations à l’exception notable de Mgr Salièges, archevêque de Toulouse.

En 1983, l’épiscopat ne réagit pas plus lors du projet de suppression de l’école libre à l’exception notable de Mgr Lustiger.

En 2013 la majorité silencieuse de la conférence des évêques de France prend ostensiblement ses distances vis-à-vis des manifestations organisées pour défendre la famille en 2013 contre le projet de loi présenté par le gouvernement.

Toujours dans le sens du vent, jamais à contre-courant, en décalage permanent avec les attentes et les besoins du peuple chrétien la plupart de nos évêques ont des réflexes de notables plutôt que de pasteurs. Pire : ils maltraitent les prêtres qui agissent en vrais pasteurs : quand on pense que le père Michel-Marie Zanotti-Sorkine a été refusé à la Chapelle de la rue du Bac, officiellement parce que l’engouement que suscitait sa venue a « inquiété » en haut-lieu….

Conséquence logique de ce manque de pasteurs, le troupeau se disperse.

Dans le meilleur des cas les catholiques passent avec armes et bagages chez les chrétiens évangéliques qui, eux, n’ont pas renoncé à leur liberté intérieure, ne sont pas timorés, encouragent les fidèles à prendre la parole et à prendre des initiatives, notamment pour annoncer la Bonne nouvelle à nos frères musulmans.

Dans le pire des cas ils s’éloignent de l’Eglise et du Christ.

Bien sûr on pourra opposer quelques exemples d’évêques courageux. Bien sûr il y a encore Philippe Barbarin, Dominique Rey ou Jean-Pierre Cattenoz. Bien sûr il existe des poissons volants mais, objectivement, ce n’est pas la majorité de l’espèce !

Face au contraste qui apparaît entre les prêtres remarquables que j’ai la chance de connaître depuis de longues années et les évêques régulièrement nommés une question me taraude : l’épiscopat français regorge-t-il à ce point de véritables pasteurs qu’il soit obligé d’en recaler certains au moment de procéder à de nouvelles nominations ?

Au vu du comportement des évêques qu’il m’a été donné d’observer leur désignation me semble plutôt se faire sur la base d’autres critères : souplesse dorsale, régime alimentaire à base de couleuvres, aversion pour le risque, capacité à mettre de la distance sous prétexte de prendre de la hauteur, rigueur dans la gestion de sa carrière, peur du contact humain, esprit de corps et méfiance vis-à-vis du principe de subsidiarité.

La pusillanimité de l’épiscopat est à l’origine de sa démission mais nourrit également la culture du déni de réalité. Le meilleur exemple me semble son tropisme européiste et son unanimisme aveugle.

Par pur mimétisme avec les milieux dirigeants, nos évêques confondent – volontairement ? – le dogme on ne peut plus chrétien de l’universalité du salut qui découle directement de l’unicité du genre humain avec celui de l’ouverture systématique des frontières, conçue pour faciliter la circulation de la main-d’œuvre servile et généraliser l’exploitation de l’homme par l’homme.

Le problème n’est-il pas que l’épiscopat a été pendant des siècles à la tête de l’un des trois ordres qui ont structuré la société française sous l’Ancien régime et que cela a laissé des traces très profondes de corporatisme que l’on pourrait résumer par le mot cléricalisme ?

Car au fond préférer un manque de charité à un désordre, préférer l’évitement plutôt que la rencontre ce sont des réflexes de notables ou de fonctionnaires et non de pasteurs. On ne peut pas être à la fois dans le monde et du monde. On ne peut pas à la fois être l’un des soutiens de l’ordre social et signe de contradiction aux yeux des hommes.

Dans un régime comme le nôtre cette recherche d’harmonie à tout prix avec le corps social signifie ne jamais s’aliéner l’opinion publique et les faiseurs d’opinion publique. En d’autres termes se ranger toujours du côté des puissants du moment.

Dans des régimes plus autoritaires cela signifie ne jamais affronter les détenteurs du pouvoir temporel, surtout si ces derniers se sont auto-proclamés défenseurs et gardiens de la foi. En France ça a donné le gallicanisme, en Angleterre ça a donné l’anglicanisme.

L’alliance du trône et de l’autel est le péché originel de l’épiscopat français.

Vivre et travailler au pays

Vivre et travailler au pays c’est l’aspiration de ceux qui veulent simplement vivre et vivre simplement. Vivre chez eux et parmi les leurs. La plupart de ceux qui y ont renoncé l’ont fait sous la contrainte : guerre, persécution, famine, contrainte économique. Vivre et travailler au pays, c’est le désir spontané de la plupart des hommes et ce quels que soient les continents. c’est quelque chose à prescrire plutôt qu’à proscrire.

A contrario l’immigration de masse n’est pas un phénomène spontané : c’est un phénomène organisé au bénéfice d’un petit nombre d’intérêts économiques. C’est un phénomène organisé mais par en vue du bien commun. C’est quelque chose à proscrire plutôt qu’à prescrire.

Historiquement l’immigration de masse a toujours servi les intérêts économiques de milieux d’affaires : le commerce transatlantique des esclaves a fait la fortune de villes comme Bordeaux ou Nantes et a enrichi les actionnaires des sociétés qui l’organisaient. Voltaire est sans doute le plus célèbre de ces actionnaires. Aujourd’hui l’immigration de masse sert à mettre en concurrence sur le marché du travail des autochtones précarisé et des prolétaires importés pour faire jouer les salaires à la baisse.

A ce petit jeu les autochtones précarisés sont toujours perdants car, contrairement à leurs concurrents, ils savent qu’ils ont plus à perdre qu’à gagner à jouer au jeu du moins-disant. Mais surtout ils sont livrés à eux-mêmes contrairement aux prolétaires déracinés qui – tout déracinés qu’ils soient – sont néanmoins fortement encadrés.

Quand l’immigration de masse était régulière c’était les entreprises comme Renault ou Peugeot qui organisaient des tournées promotionnelles dans les pays du Maghreb fraîchement décolonisés. Ils y recrutaient des hommes jeunes, forts et sans qualification pour venir chez nous faire tourner les usines et grossir les bidonvilles de Nanterre, Noisy-le-Sec, Champigny ou, à Nice, celui de la Digue-des-Français. Aujourd’hui l’immigration de masse est irrégulière mais elle est toujours organisée et les prolétaires déracinés sont toujours bien encadrés.

D’abord par leurs propres compatriotes qui constituent des filières d’immigration clandestine et/ou des mafias. Ce sont eux qui littéralement créent les immigrés en déracinant leurs compatriotes. Ce sont également eux qui, les premiers, les exploitent et les esclavagisent : en les traitant comme de la marchandise pendant le trajet puis, une fois arrivés à destination, en les enrôlant dans la prostitution, les trafics et surtout le travail non-déclaré pour leur faire rembourser le coût de leur passage.

Ce sont ensuite les entreprises qui les embauchent en fermant les yeux sur leur statut et sur leurs conditions de vie pour les faire travailler au noir c’est-à-dire à moindre coût. C’est toujours ça de gagné ! Ces entreprises sont souvent les sous-traitantes des grands groupes du CAC 40, piliers du MEDEF, qui font les étonnés à chaque fois qu’ils « découvrent » que l’un de leur sous-traitant exploite des clandestins. Pourtant elles sont les premières à réclamer davantage d’immigration au nom d’une croissance qui ne crée plus d’emplois en France depuis qu’ils ont la possibilité de délocaliser leurs usines et de paradifiscaliser.

Parmi ceux qui encadrent et pérennisent l’immigration de masse figurent également les associations anti-racistes et les associations d’aides aux immigrés. Pour justifier leur existence et continuer de toucher les subventions publiques qui les font vivre, elles consacrent tout leur temps et leur énergie à rendre juridiquement inextricable, pratiquement impossible et symboliquement impensable l’expulsion des clandestins. Sans leur obstruction persévérante la réapparition de bidonvilles au cours des années 1990 n’aurait pas été possible.

Enfin, last but not least, toutes les femmes et les hommes politiques qui, par conviction ou par démission, ont ratifié ou appliqué les accords de Schengen qui interdisent désormais à l’Etat français de décider qui a le droit de venir s’établir sur son sol et qui doit s’en aller. La préférence accordée (tacitement) depuis quarante ans par les gouvernements successifs aux prolétaires déracinés est directement responsable de la marginalisation, dans leur propre pays, de ceux qu’on appelle désormais les « petits blancs » faute de pouvoir désigner autrement tous ceux dont les intérêts ne sont pas défendus par aucun lobby communautaire. Mais le mal ne s’arrête pas là.

Car l’application systématique du principe de préférence supranationale est également en grande partie responsable du déclin de tous ces pays africains que les gouvernements successifs ont toujours prétendu aider alors qu’ils siphonnaient leurs forces vivres sous le regard complaisant de leurs dirigeants. La complaisance de ces derniers est d’autant plus assurée qu’elle est tarifée. Les fonds versés au titre de la coopération et du développement finissent invariablement dans les caisses des dictateurs « amis de la France » et de leur clientèle.

Ce système où les pauvres des pays riches payent pour les riches des pays pauvres est en effet la garantie que le cercle vicieux de l’immigration de masse ne sera pas rompu. Car il s’agit bien d’un système vicieux ou, pour reprendre la terminologie de saint Jean-Paul II, d’une « structure de péché ». Comment en effet un pays pourrait espérer se développer quand chaque année il est privé de ses ressortissants les plus jeunes, les plus courageux et parfois les plus instruits qui vont tenter leur chance en France en croyant y trouver un eldorado qui n’existe que dans leurs rêves ?

L’immigration de masse est un système vicieux et vicié qui transforme des Africains en déracinés et qui est co-responsable du naufrage sans fin et sans fond de leurs pays d’origine. Elle transforme des Africains en immigrés, enprolétaires et parfois enesclaves puis les enrôle pour pousser au chômage des autochtones fragilisés mais encore considérés comme trop chers. Elle organise la concurrence, c’est-à-dire l’affrontement, des plus fragiles au bénéfice exclusif des quelques organisateurs de ces jeux du cirque contemporains. Elle alimente désormais une croissance qui ne crée plus d’emplois au service d’une économie où l’argent n’a plus besoin des gens.

L’immigration de masse c’est le visage que prend aujourd’hui l’exploitation de l’homme par l’homme. C’est elle qui détourne les hommes de vivre et de travailler chez eux, pour eux, pour leurs proches, pour leurs descendants et pour le bien commun. L’arrêt de l’immigration de masse est une mesure de salut public pour les peuples européens comme pour les peuples africains.

L’anti-immigrationnisme est un humanisme. Aujourd’hui c’est même le seul.

Olivier Chegaray : “Il ne faut pas regarder les mots, il faut regarder la personne, ce qui se passe dans son cœur”

Comme tous les pays développés le Japon est confronté au délitement du lien social et à l’atomisation de la société, particulièrement chez les plus jeunes. La crise du sens traverse la société japonaise comme toute autre société post-moderne. De ce point de vue le Japon et la France se ressemblent et les chrétiens d’ici et de là-bas sont confrontés au défi d’annoncer d’abord la Bonne nouvelle à une société qui a soif de sens mais qui est le plus souvent ignorante du vocabulaire de la foi et qui est immergée dans la culture de la consommation. Ou à celui de nouer un dialogue inter-religieux qui évite les querelles de mots pour permettre aux êtres de se rencontre en vérité et qui, a contrario, ne cède pas à la tentation de diluer les différences dans un syncrétisme dépourvu de sens. Mais le Japon est aussi un pays qui a une identité propre. La foi y germe dans une culture différent qui en fait ressortir des aspects que nous méconnaissons parfois en France. Le temps d’y penser est donc heureux de vous proposer cet entretien avec le père Olivier Chegaray des Missions Etrangères de Paris (MEP) qui vit depuis 45 ans au Japon.

Père Olivier, merci de nous recevoir dans ce lieu, le. Pourriez-vous vous présenter ?

Je m’appelle Olivier Chegaray. Chegaray, c’est un nom basque. Je suis arrivé au Japon il y a 45 ans, huit ans d’abord dans le Hokkaidô, puis j’ai été appelé à Tokyo pour m’occuper des jeunes universitaires. Ici nous avons trois centres au total. Je m’occupe plus particulièrement du centre pour les jeunes, depuis 25 ans.

Shinseikaikan signifie vie et vérité. Le fondateur est un Japonais qui a donné ce lieu avant la seconde guerre mondiale. Il ne voulait pas que cela soit une structure ecclésiastique. Nous avons donc plutôt un statut ONG. J’en suis le directeur. Nous sommes laïcs et indépendants. Il y a une trentaine de personnes environ qui font vivre ce lieu.

Lors du tremblement de terre de mars 2011, nous avons été très secoués et le bâtiment a été fragilisé. Il doit être détruit à partir du mois d’avril cette année, et reconstruit dans quatre ans. C’est une situation difficile. Nous avons un contact avec l’Université Sophia qui est à côté pour un lieu de remplacement.

J’appartiens aux Missions Etrangères de Paris. C’est une société de prêtres séculiers au service d’un évêque. Je suis au service de l’évêque de Tokyo qui m’a nommé ici. Je vis aussi avec l’ancien évêque de Tokyo qui est quelqu’un de remarquable et qui a une grande audience au Japon, bien au-delà des cercles catholiques. C’est une personne très ouverte à tous les problèmes du monde. Il s’agit de Monseigneur Mori Kazuo, mais il n’aime pas du tout être appelé Monseigneur.

En France, quand je dis que je suis missionnaire, — je n’aime pas le terme mais je suis quand même obligé de le dire quand on m’interroge — ça a une très mauvaise connotation. Les gens pensent que je suis un agent de la colonisation, que je force les pauvres Japonais qui ont déjà une excellente religion… Je les laisse parler. Comment leur expliquer ? Ce n’est absolument pas ça.

Comment se passe l’accueil des jeunes ?

Les jeunes qui ont entendu des cours toute la journée attendent autre chose qu’un autre cours sur la religion. Le point de départ de nos activités est, si possible, une expérience commune sur laquelle nous réfléchissons avant d’en approfondir le sens à la lumière de l’Evangile et de célébrer ensemble la joie d’être réunis sous le regard de Dieu.

J’ai été pendant dix ans le coordinateur des étudiants catholiques pour toute l’Asie. Pendant longtemps il y a eu des échanges entre jeunes japonais et jeunes de l’Asie. C’est comme ça que j’ai pu voyager un peu partout en Asie et cela a été une expérience très enrichissante.

J’ai notamment organisé des échanges avec les jeunes Coréens pour participer à la réconciliation entre les deux pays et ça continue encore aujourd’hui, même si les jeunes ont beaucoup changé… En France aussi, je crois, les jeunes d’aujourd’hui sont très centrés sur les jeux et internet et moins ouverts à la rencontre. C’est un peu le lot de tous les pays très développés.

Vous vous occupez aussi d’un centre de recherche ?

Oui, c’est un centre de recherche sur les problèmes sociaux. Nous publions une revue six fois par an. Je porte ça à bout de bras avec quatre cinq personnes. Ce n’est pas facile. Cela ressemble un peu aux semaines sociales en France. Il y a un thème donné. Ce sont des chrétiens laïcs (journalistes, professeurs, entrepreneurs…) qui sont heureux de se retrouver pour parler. Il y a aussi des non-chrétiens.

Nous avons un séminaire par an qui regroupe une centaine de personnes. Au fond la question, c’est comment être chrétien dans le monde d’aujourd’hui. Ce centre des chrétiens laïcs est unique au Japon. Cela m’a énormément apporté. Organiser ces échanges aujourd’hui est difficile.

Je suis aussi le responsable des Missions étrangères au Japon. On a les mêmes problèmes de vieillissement et de désaffection qu’ailleurs. On s’inquiète un peu de l’avenir tout en pensant qu’il faut faire confiance. Le dimanche je suis sans une paroisse, à Koen-ji à une demi-heure en train d’ici. On est de moins en moins pour de plus en plus de travail.

Quel est le cœur du message chrétien, catholique, et comment votre grande expérience du Japon et de l’Asie a t-elle enrichi, approfondi votre foi ?

[Rires] On pourrait en parler des jours ! Je pense avoir acquis, grâce aux Japonais, une sensibilité nouvelle vis-à-vis de la nature et aussi concernant le contact humain, la beauté, le sens de la vie. En France nous avons une approche extrêmement intellectuelle de la foi et dogmatique alors que celle des Japonais est beaucoup plus intuitive, globale, et beaucoup plus généreuse aussi. Ils ont horreur de mettre des idées dans des boîtes.

Ce sont aussi des gens qui ont un regard sur la vie tout à fait différent du nôtre, un regard qui n’est pas un regard abstrait. Un regard charnel, je dirais, qui n’intellectualise pas. En France, nous sommes le peuple du logos. Ce sont les mots qui importent. Quand on a dit quelque chose, on pense que c’est vrai et que c’est la conclusion, tandis qu’au Japon tout est processus, on n’a jamais le mot de la fin.

On parle les uns avec les autres. Il y a un art de vivre ensemble très différent de la France où l’on est plus carré. Foncièrement les Japonais ne sont pas un peuple du logos, la vraie réalité est au-delà des mots. Ce ne sont pas les mots ou les idées qui comptent, mais ce qu’il y a profondément dans mon cœur qui se dévoile dans la rencontre, l’échange qui se passe sans qu’on assomme les autres, sans vouloir dire « moi je, moi je » sans arrêt ou  » moi je dis, moi je pense ».

Ici il y a une écoute plus profonde, plus patiente. On juge moins les autres finalement. C’est sur ce point là que je pense avoir le plus changé. Du point de vue chrétien, ici, je parle moins. Et surtout je ne commence pas par assommer les jeunes avec l’idée du péché.

Cette idée, présentée de manière abrupte, à mon avis, ce n’est pas l’Evangile, et c’est une grande erreur. Les Japonais culpabilisent facilement. C’est un peuple extrêmement sérieux, peut-être trop même. Souvent les gens sont tendus. Si on leur rajoute l’idée du péché, ça les tue. Nous sommes ici pour apporter l’Evangile. C’est le salut de tout l’être. C’est la bonne nouvelle qui doit créer la joie. En France je le savais intellectuellement, mais c’est ici que je l’ai compris profondément. Le péché, on en parle mais après. Les Japonais ont aussi un sens de l’incomplétude. Il y a, de plus, le pur et l’impur; c’est très important ici.

Il faut aussi dire que le logos est un défaut qui a ses qualités. En France on interroge beaucoup, on questionne souvent. On pense qu’il y a une vérité et qu’on doit y aller, tandis qu’au Japon il y a un syncrétisme énorme. Tout est dans tout et souvent on est dans l’entre-deux, dans le vague, sans conclusion.

C’est un peu la faiblesse du Japon. On a peur d’arriver à une conclusion pour ne pas mécontenter des gens ou les rejeter. Finalement la France et le Japon sont deux pays qui se complètent admirablement. Il faudrait envoyer des millions de Japonais en France et des millions de Français au Japon.

C’est un projet d’avenir… !

[Rires] Oui… Les Français, je crois, ont encore beaucoup à apprendre sur le plan humain. Mais en même temps les Japonais peuvent être très durs entre eux. Il y a des situations où le rejet de l’autre est plus fort qu’en France, lorsque par exemple quelqu’un ne parvient pas à s’adapter.

Mais en général il y a une attention à l’autre, un savoir-vivre, une manière de résoudre les conflits en interrogeant tout le monde, qui pour moi est extrêmement intéressante. En France la décision vient souvent d’en haut. Au Japon on se consulte davantage.

Comment êtes-vous arrivé au Japon ?

J’étais étudiant à la Sorbonne. Je suis passé un jour dans la rue du Bac. J’ai vu les Missions étrangères. Je suis entré… mais je n’ai pas choisi le Japon. Je n’avais aucune idée d’un pays en particulier mais je voulais aller en Asie, sans trop savoir pourquoi. A cette époque on était affecté à un district pour la vie. Pour moi ce fut celui d’Hokkaidô. Puis l’évêque de Tokyo m’a appelé ici.

Mon obéissance et les choix de mon supérieur se sont révélés excellents pour moi. Je n’ai jamais eu la moindre difficulté à vivre au Japon. La nourriture me va totalement. Je suis Normand de naissance et il y a quelques ressemblances avec la mentalité d’ici. Mais j’ai des confrères qui ont beaucoup de mal à se faire au Japon. Ils sont trop logiques, trop impatients. Au bout d’un moment ils reviennent en France.

Moi, je n’ai jamais eu envie de rentrer en France, et je me suis fait des amis ici, Jean-François Sabouret [sociologue français spécialiste du Japon] notamment qui m’a beaucoup aidé. Il m’a apporté sa grande connaissance du Japon, son regard lucide. C’est quelqu’un de très ouvert. Dans le Hokkaidô il y avait les « salons Sabouret ». Avec ses interrogations il m’a sorti du ghetto catholique et cela m’a fait beaucoup de bien. J’ai beaucoup d’estime et d’admiration pour lui. J’y ai aussi connu Augustin Berque [géographe, philosophe et grand connaisseur du Japon].

Que pensez-vous du dialogue inter-religieux ?

Je me suis beaucoup intéressé au bouddhisme. Pendant dix ans, j’ai fait du zazen toutes les semaines avec un groupe et des bonzes. Nous avons d’excellentes relations avec les bonzes. Ce sont des gens respectueux, d’une générosité et d’une ouverture extraordinaire. Je n’ai jamais ressenti une quelconque inimitié. A chaque fois qu’on allait dans un temple, le bonze nous disait de surtout continuer à faire la messe. J’ai connu des grands bonshommes d’une simplicité désarmante.

Je me rappelle notamment d’un bonze d’un rang très élevé dans la hiérarchie de l’école Zen, qui, un jour, m’a invité chez lui. Et après le repas, il me propose de m’appendre les origamis, et il me dit: figurez-vous que je fais des origamis de la Vierge Marie. Toute la journée nous avons fait des origamis. Nous n’avons pas parlé de problèmes théologiques ardus. La rencontre fut heureuse.

En même temps les séances de zazen sous sa direction étaient sévères. Il était dur, et sans doute il le fallait avec moi. Aujourd’hui j’ai moins le temps de faire ces rencontres et je le déplore.

Est-ce que cette ouverture au bouddhisme, à l’école du bouddhisme Zen par exemple, est partagée par vos confrères ou bien est-ce quelque chose qui vous est propre ?

Mes confrères m’ont toujours approuvé. Et j’ai eu un confrère qui était beaucoup plus avancé que moi dans ce domaine. Tous les matins il faisait zazen. Cela dit, ici, la paroisse est très fermée. On fait de la pastorale. Mais les contacts avec les prêtres japonais sont bien meilleurs qu’avant. Il y a plus d’échanges. Avant les années 1990, on peut dire que chacun restait un peu dans son coin.

Les mots de la Bible, comment les retrouvez-vous dans la langue japonaise ?

Ce sont des mots qui ne leur disent d’abord rien du tout: la rédemption, la trinité, l’agneau de Dieu, le prophète. Mais en cherchant bien on trouve quand même des équivalents. La principale difficulté est de traduire le mot Dieu au sens où nous l’entendons, parce qu’un Dieu personnel, ici, ça ne va pas du tout. On emploie le mot kami, kamisama, qui fait partie du vocabulaire polythéiste japonais.

Mais sur le plan de l’expérience, de la prière, on se rejoint tout à fait. Dans les temples, les gens, les dames qui prient comme ça [Père Olivier fait le geste de la prière], qui disent kamisama elles croient comme nous, le cœur est le même.

Il ne faut pas regarder les mots, il faut regarder la personne, ce qui se passe dans son cœur. La source est la même. Pour moi c’est important de partir des personnes plutôt que des dogmes, même si les dogmes sont importants aussi.

Il y a des pierres d’attente qui font que les mots de la Bible rejoignent la recherche des gens. Ce ne sont pas des mots rares, excepté l’agneau de Dieu. Il n’y a pas d’agneau au Japon ! Mais il suffit de leur montrer une image et ça va très bien. Les Japonais aiment beaucoup les paraboles et beaucoup de gens veulent lire la Bible.

Ce que j’ai toujours admiré chez les Japonais est leur profond respect pour les prêtres et les hommes de religion, et ce, même lorsqu’ils ne croient pas. La seule chose à éviter avec eux, c’est l’humour français. Les plaisanteries gauloises, ça ne passe pas du tout.

Le culte des ancêtres, dans les maisons, c’est quelque chose qui vous touche ?

Enormément. Le culte des ancêtres est quelque chose de commun à toutes les religions. La communion des saints, c’est ça : les ancêtres sont là et on y croit. Les enterrements sont très importants. Au Japon ils durent trois jours en général et c’est le prêtre qui les fait. On fait l’office du bonze pour les chrétiens et même parfois pour des non-chrétiens.

Le problème, ce sont certains mariages catholiques. Les Japonais adorent la liturgie catholique et il y a des Américains qui se déguisent et qui font de l’argent avec ça. Il y a eu de grosses erreurs à ce sujet. Le mariage, c’est un sacrement. Aujourd’hui l’Eglise pose des conditions beaucoup plus strictes.

Qu’auriez-vous envie de dire aux catholiques en France ?

Je rentre en France une fois tous les quatre ans, pendant deux mois et j’ai donc une très modeste expérience de ce qu’est la France d’aujourd’hui et de la vie des jeunes catholiques. C’est pour cela qu’il m’est difficile de parler d’expérience.

Néanmoins j’ai une famille nombreuse qui vit en France (j’y ai des frères et des neveux) et j’ai participé six fois aux Journées Mondiales de la Jeunesse ce qui me permet quand même de me faire une petite idée de ce que vivent les jeunes catholiques en France actuellement. Je peux essayer de répondre à votre question en m’appuyant sur ce vécu là.

Je crois que le contexte dans lequel ils vivent est dur. Ils vivent dans une société frappée de plein fouet par une crise économique et sociale, par un chômage important et qui souffre d’une perte des repères auquel s’ajoute un athéisme agressif ou moqueur d’une partie de la population).

En revanche il y a quelque chose de positif c’est qu’ils ont la possibilité (démocratie, liberté d’expression et de manifestation) et les moyens (sites Internet, blogs, forums) de s’exprimer. Il existe, je crois, de vrais débats.

Au Japon il y a un repli sur soi qui m’inquiète beaucoup et un suicide des jeunes. Certains jeunes s’éteignent. On a énormément de dépressions. Ce sont des jeunes qui n’arrivent pas à communiquer, qui n’ont pas d’amis.

Il n’y a pas vraiment de problème de chômage. L’emploi, c’est dur, c’est un peu la porte étroite: il y a des gens qui sont mis de côté, c’est vrai, mais un jeune qui en veut, ici, trouve toujours au moins un petit boulot. Non, c’est un problème d’envie de vivre: pas envie d’avoir une petite amie par exemple. Il y a aussi des filles très indépendantes qui ne s’intéressent pas aux garçons.

Il me semble qu’en France il y a plus de communication et de rébellion. Mais les jeunes catholiques me disent qu’en France ils n’ont aucun repère. Alors ils se raccrochent aux communautés nouvelles. Ils sont très conservateurs et même parfois un peu catho-facho. Je les trouve très fragiles, beaucoup plus que nous l’étions.

Pourriez-vous nous recommander quelques livres ?

Il y a les livres de Monseigneur Mori. J’aime aussi beaucoup les livres de Jeffrey Eugenides. En ce moment je lis l’excellent Anticathéchisme pour un christianisme à venir, écrit par une femme sous le pseudonyme de Pietro de Paoli.

Il y a aussi Kawai Hayao qui est traduit en français, en anthropologie. Les grands écrivains, philosophes se font rares. J’ai beaucoup apprécié les livres de Jean-Luc Marion. J’ai essayé de les faire connaître.

Quelques mots sur la catastrophe nucléaire de Fukushima ?

On a un groupe de volontaires, des équipes de vingt qui y vont pendant deux ou trois jours. J’y vais régulièrement aussi. Au début c’était du nettoyage. Maintenant ce sont davantage des fêtes et de l’écoute.

Dans les campements provisoires les gens sont dans une grande solitude. L’Eglise catholique y a donné un excellent témoignage et sans y faire de prosélytisme.

Père Olivier, nous vous remercions infiniment pour cet entretien.
Tokyo, le 22 janvier 2014
Propos recueillis par Pierre Godo et Yuuko Suzuki.

Pierre Godo est agrégé de philosophie et poète. Ses recherches portent sur l’art, la foi et la spiritualité extrême-orientale. Il enseigne le français et la philosophie à l’Athénée Français de Tokyo.

Yuuko Suzuki est artiste peintre. Elle a vécu 26 ans à Paris.

Elle a peint la calligraphie qui illustre l’article : shin (vérité) et sei (vie) que l’on retrouve dans Shinseikaikan.