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On ne peut pas à la fois déréguler par principe et défendre la vie

Lors des assises du mouvement Ecologie Humaine, le philosophe François-Xavier Bellamy – auteur du remarquable essai sur la rupture de la transmission intitulé Les Déshérités – faisait observer que le petit de l’homme était sans doute le plus vulnérable de toutes les espèces vivantes.

Contrairement aux petits des animaux il reste vulnérable pendant de très nombreuses années après sa naissance et ne peut devenir viable que grâce à une organisation sociale construite sur ses besoins fondamentaux c’est-à-dire autour de sa vulnérabilité intrinsèque.

Tenir compte de notre propre vulnérabilité est donc la condition sine qua non pour pouvoir tenir compte de la vulnérabilité d’autrui. C’est le fondement de la protection de la vie humaine de la conception à la mort naturelle.

Mais si nous croyons vraiment cela alors ne sommes-nous pas tenus de défendre la vie jusqu’au bout et pour de bon  ?

Si la défense de la vie doit aller de la conception à la mort naturelle, alors ne passe-t-elle pas également et inévitablement par la défense de la vie après la naissance et avant la maladie conduisant à la mort ?

Si nous prétendons défendre la vie jusqu’au bout et pour de bon alors l’organisation de la vie collective à partir des besoins fondamentaux des plus fragiles et de nos vulnérabilités communes n’est pas plus négociable que dans le cas des nouveaux-nés ou des enfants à naître.

En d’autres termes la défense de la vie passe inévitablement par l’adoption, la défense et la promotion de mesures qui limitent la volonté, les intérêts et les appétits des plus forts et des plus habiles pour protéger les intérêts vitaux des plus fragiles.

Si l’on veut rendre viable la vie des plus vulnérables alors il faut assumer le choix politique que constitue l’adoption de mesures régulatrices. Il  faut alors  être cohérent jusque dans son bulletin de vote.

On peut poser la question autrement : la dérégulation par principe – c’est-à-dire sans discernement prélable sur ses conséquences  –  est-elle compatible avec la défense de la vie ?

La dérégulation a priori c’est, par exemple,  le refus a priori d’accorder des aides publiques à ceux qui ont fait le choix de fonder une famille – cellule de base de la société – et aux mères célibataires qui ont eu le courage de garder leur enfant malgré le départ de leur compagnon.

La dérégulation au nom de la liberté c’est aussi celle qui démantèle les systèmes de santé publics  déjà existants ou qui s’oppose à la mise en place de tels systèmes  afin de garantir que la santé soit un marché comme les autres. Un marché libre, régi par la seule loi de l’offre et de la demande. Un marché donc où les institutions prodiguant des soins médicaux n’auraient aucune obligation (ou le moins possible) de pratiquer des soins accessibles à toutes les familles qui en ont besoin sans pour autant en avoir les moyens.

La dérégulation à l’exclusion de toute autre considération c’est la suppression ou l’affaiblissement des réglementations qui protègent les droits des particuliers face aux intérêts des grands groupes. C’est la déréglementation qui donne à la grande distribution la possibilité d’étrangler les agriculteurs (quitte à les pousser au suicide), d’empoisonner les consommateurs (production agricole traitée aux pesticides et aux insecticides) et de laisser un environnement impropre à la vie (nappes phréatiques polluées par l’élevage intensif des porcs). La déréglementation dans ce cas n’est que la traduction d’un rapport de forces favorable aux grands groupes et aux normes communautaires. Un rapport de forces qui leur permet d’imposer à l’Etat des règles du jeu plus lâches pour favoriser leurs intérêts

La dérégulation comme seul horizon politique c’est l’abandon de toute barrière de protection qui prive les travailleurs français de leur moyen de subsistance (leur emploi) pour que des travailleurs étrangers puissent être exploités dans des ateliers de misère et  vivre, en famille, dans la misère.

La dérégulation au nom d’un avenir meilleur est toujours réclamée par le loup au nom de la liberté de croquer et elle est toujours dénoncée, mais d’une voix beaucoup moins audible, par les agneaux au nom du droit à exister.

Entre le fort et le faible, c’est la liberté qui opprime et la loi qui protège la vie. L’anarchie étant le stade suprême de la liberté des plus forts elle aboutit nécessairement à la loi du plus fort.

Je ne pense donc pas que l’on puisse défendre la vie quand on vote – par habitude ou par conviction – pour des partis qui promeuvent la dérégulation non pas au cas par cas mais par principe : l’anarchie n’est-elle pas au sens étymologique du terme l’absence de règles ?

Je crois que si l’on veut défendre la vie sincèrement et sans naïveté il faut commencer par s’interdire de voter pour ceux qui considèrent la dérégulation comme un objectif politique plutôt que comme un outil au service d’objectifs politiques.

Je crois qu’en conscience et par souci de cohérence, on ne peut pas à la fois prétendre protéger la vie et voter pour un parti qui veut déréguler par principe.

Que ces partis le fassent au nom des lendemains qui chantent ou par résignation, au motif qu’il n’y aurait pas d’autre choix, ne change rien au problème.

Comme disait Bossuet « Dieu se rit des hommes qui maudissent les causes dont ils chérissent les conséquences ».

Je crois que si l’on veut défendre la vie sincèrement et sans arrière-pensée partisane il faut commencer par s’abstenir de voter pour les candidats ou les partis qui veulent déréguler par principe. Alors seulement on pourra entamer un travail de jugement prudentiel et commencer à exercer son discernement pour déterminer quels candidats et quels partis sont les meilleurs…ou les moins mauvais.

Mais une chose me paraît claire : pour qui veut défendre la vie, se contenter de voter pour un candidat uniquement parce qu’il se déclare pro-vie est une manière de faire l’impasse sur les vrais enjeux et de s’acheter une bonne conscience à peu de frais.

Si l’on veut défendre la vie jusqu’au bout et pour de bon alors il faut être cohérent jusque dans son bulletin de vote.

Un Patriot Act à la française

A la suite des attentats islamistes qui ont marqué le début de l’année 2015 le gouvernement a proposé un projet de loi sur le renseignement qui élargit énormément les possibilités légales d’interception des services de renseignement.

L’argument invoqué est que la loi de 1991 sur les interceptions serait devenue obsolète puisque conçue avant l’apparition d’Internet. Il serait désormais indispensable pour la sécurité de nos concitoyens de pouvoir déceler en amont les terroristes avant qu’ils ne passent à l’acte.

Mais derrière ce discours, en apparence rationnel et légitime, se cache une imposture très, très, très lourde de conséquences.

Déni de réalité…

Nos autorités font en effet semblant de croire que nos services de lutte anti-terroriste sont entravés par un manque de moyens juridiques et techniques alors que ce sont les dysfonctionnements au cœur même de l’appareil d’Etat qui sont en cause.

Le péché originel des gouvernements successifs – de la DCRI voulue par Nicolas Sarkozy à la DGSI que François Hollande a prétendu réformer – est d’avoir accrédité l’idée selon laquelle les attentats se produisent parce que les services spécialisés ne peuvent pas détecter en amont les individus dont le profil laisse supposer qu’ils pourraient passer à l’acte. Raisonnement convaincant…en apparence seulement.

Car quand on y regarde de près on s’aperçoit que Mohamed Merah était déjà connu et fiché par la DCRI, que les frères Kouachi et Amédy Coulibaly étaient connus mais non suivis de la DGSI et que Sid Ahmed Ghlam faisait déjà l’objet d’une fiche S de la DGSI.

Paradoxalement le ministère de l’Intérieur a décidé de se mettre à l’école de l’Education nationale : à chaque fiasco on escamote la question des dysfonctionnements, des responsabilités à établir, des méthodes à employer et de la réorganisation des services pour mieux dénoncer le manque de moyens.

Cette rhétorique classique de l’Education nationale est celle qui empêche tout retour d’expérience et qui permet d’éviter à certaines catégories de fonctionnaires de rendre des comptes : pédagogues auto-proclamés et indéboulonnables dans un cas, commissaires de police formant un réseau extrêmement résilient de responsables dispensés d’assumer leurs responsabilités de l’autre.

Le problème n’est donc pas lié à un manque de moyens, il est dû aux dysfonctionnements à répétition de la DGSI et de sa version antérieure la DCRI. Le problème est intrinsèque à l’Etat et le gouvernement actuel veut nous faire croire qu’il peut être résolu de l’extérieur.

et refus d’assumer ses responsabilités régaliennes

Ce projet de loi permet au gouvernement d’éluder les problèmes urgents et décisifs : la réforme de la DGSI, la réorganisation des services de lutte anti-terroriste et la répartition de leurs compétences.

Pourtant ce rôle d’arbitre est un rôle que lui seul peut tenir. Nul autre que lui ne pourra jamais faire à sa place est de réformer en profondeur nos services anti-terroristes et régler tous les dysfonctionnements qui les paralysent actuellement : qui d’autres pourrait couper des têtes au plus haut niveau et imposer les réformes nécessaires qui mettraient un terme à la guerre des services en supprimant les baronnies et les intérêts catégoriels ?

La loi sur le renseignement est un leurre qui permet au gouvernement de démissionner de ses responsabilités ce qui est au sens littéral du terme criminel puisqu’elle sacrifie la sécurité de la population sur l’autel d’intérêts catégoriels.

Mais le gouvernement démissionne également parce qu’en cherchant à faire adopter sa loi sur le renseignement il détourne l’attention pour faire oublier ses propres compromissions politiques avec lceux qui nourrissent l’islamisme.

Qui peut raisonnablement penser qu’un gouvernement qui obéit docilement aux injonctions géostratégiques d’Obama et qui définit sa diplomatie pour permettre à son lobby militaro-industriel de vendre des armes aux pays qui sont les bailleurs de fonds du terrorisme jihadiste (Arabie saoudite, Qatar etc.) peut lutter efficacement contre les islamistes ?

Qui peut raisonnablement penser qu’un gouvernement qui n’a pas le courage politique de se brouiller durablement avec des pays du golfe et du Maghreb pour faire valoir son droit de regard sur la nomination des imams et le financement des mosquées en France peut lutter efficacement contre les islamistes ?

Puisque les objectifs affichés ne correspondent pas aux objectifs réels alors la question se pose : à qui profit e le crime ? La réponse est double : au groupe Thalès d’abord et aux gouvernements – actuels et à venir – ensuite.

Un dispositif qui bénéficiera à Thalès, pas à la sécurité des citoyens

Si le gouvernement a les moyens de faire passer une loi autorisant l’écoute généralisée de l’ensemble de la société il n’a pas en revanche les moyens techniques de procéder lui-même à de telles écoutes.

C’est pourquoi il sous-traite cette tâche, ô combien régalienne, à l’industrie de la sécurité privée. C’est ce qu’il a fait en créant une Plate-forme Nationale des Interceptions Judiciaires (PNIJ) dont il a confié la gestion à Thalès qui se retrouve de facto le détenteur réel et unique des données les plus sensibles.

Certes il sera tenu de les fournir au gouvernement mais le gouvernement ne sera pas en mesure de l’empêcher de conserver, d’utiliser ou de revendre à sa guise celles qu’il aura décidé de ne pas transmettre. In fine le détenteur réel de ces données sera le conseil d’administration de Thalès. Et si demain Thalès se faisait racheter par les Chinois ou les Américains ?

Thalès est devenu l’interlocuteur unique de l’Etat en la matière et sera donc le bénéficiaire exclusif des prestations qu’il lui facturera. Et pour pouvoir facturer le plus de prestations possibles il faut élargir le plus possible le domaine des interceptions légales. Les lobbyistes de Thalès sont en train de réussir à faire adopte un Patriot Act à la française 14 ans après les lobbies militaro-industriels du gouvernement Bush.

Des Renseignements Généraux version 2.0

Si l’opération bénéficie d’abord à Thalès elle bénéficie ensuite au gouvernement actuel et ne sera jamais remise en cause par les suivants auxquels cette loi fournira un substitut aux défunts Renseignements Généraux.

Ce substitut sera à la fois beaucoup plus discret, ratissera beaucoup plus large et ses résultats seront beaucoup plus fiables. On passera directement des inspecteurs Dupond et Dupont à Matrix…

Les partis d’opposition feront ce qu’ils ont toujours fait à l’époque des Renseignements Généraux et du SDECE (l’ancêtre de la DGSE) : ils les dénonceront comme des atteintes intolérables à la démocratie tant qu’ils seront dans l’opposition et les utiliseront à leur profit dès qu’ils seront au pouvoir.

Pourtant la résurrection d’une police politique 2.0 gérée par le privé ne menace pas vraiment notre démocratie puisque celle-ci est morte le 13 décembre 2007 à Lisbonne quand Nicolas Sarkozy a fait ratifier par un traité le projet de constitution européenne que le peuple français avait rejeté par referendum.

Mais si la démocratie n’a plus rien à craindre la société civile, elle, a encore tout à redouter.

Désormais la surveillance de la population sera déconnectée du risque de préparation d’un acte terroriste ou criminel. Ce sera désormais l’opinione jugée déviante qui fera l’objet d’une surveillance. Et par qui l’opinion sera-telle jugée déviante ?

Par des fonctionnaires qui relaieront scrupuleusement les instructions du gouvernement du moment. Ces instructions seront elles-mêmes le produit d’un rapport de forces entre différents intérêts partisans (idéologiques, catégoriels et financiers) auxquels plus rien ne fera contre-poids et que plus rien ne limitera.

Tous ceux qui, pour une raison ou pour une autre, contestent l’organisation ou les orientations de la société actuelle seront sous surveillance : les opposants aux dérives bio-éthiques déjà engagées (avortement, euthanasie, eugénisme, manipulations génétiques), les défenseurs de l’environnement (agriculture raisonnée, décroissance, opposants aux pesticides et aux quotas de production), les partisans d’une économie locale par opposition à l’économie de casino (circuits courts de distribution, refus du monopole de la grande distribution) etc.

Les partisans de la Manif pour tous s’inquiétaient d’avoir été infiltrés et fichés par les services de l’Etat. Qu’ils se rassurent ce sera désormais une certitude et ce sera fait de manière beaucoup plus professionnelle qu’avant…

Aimer n’a rien de spontané

L’inégale répartition des tâches ménagères au sein du couple constitue fréquemment un sujet d’incompréhension et les disputes qui en résultent ne sont prosaïques qu’en apparence.

Elles révèlent en effet une vérité plus profonde : la vie de couple n’est pas une construction spontanée et il n’est pas facile de développer une relation qui s’approfondisse avec le temps et qui, en même temps,  aide chacun à croître en amour et en vérité.

Mais les disputes domestiques constituent paradoxalement une occasion d’apprendre très concrètement à aimer cet autrui qui est tour à tour et souvent en même temps extraordinarement et insupportablement…autre.

Ces disputes en apparence triviales sont en réalité vitales car elles constituent autant d’opportunités pour convertir notre cœur et donc pour apprendre à aimer un peu mieux.

Démonstation.

Les hommes ont généralement un seuil de tolérance au désordre et à la poussière plus élevé que celui des femmes et ils se projettent moins facilement qu’elles dans l’avenir. Par conséquent ils anticipent moins leurs propres besoins.

Ces tendances sont des tendances lourdes : elles préexistent à la formation du couple et ne disparaissent pas sous prétexte qu’un homme et une femme décident d’emménager ensemble ou de devenir parents.

En fait rien ne change vraiment chez l’homme ou chez la femme : ni la sensibilité à l’environnement, ni le niveau d’exigence, ni les réflexes.

Là où madame verra un désordre intolérable et un niveau de saleté insoutenable appelant des mesures énergiques et immédiates, monsieur ne verra rien d’insupportable. Dans le meilleur des cas il trouvera le diagnostic largement exagéré et dans le pire des cas – qui est également le plus fréquent – il ne verra même pas de quoi on lui parle.

C’est donc seule que madame prendra l’initiative du rangement et du ménage. Si on lui demande pourquoi elle se charge de l’essentiel des tâches domestiques, la probabilité est très forte qu’elle réponde : parce qu’il faut bien que quelqu’un le fasse. Réponse sincère mais inexacte. La réponse exacte serait plutôt : parce que je voudrais que les choses soient faites maintenant et pas plus tard.

En fait madame gère son foyer comme si elle était encore célibataire : elle n’a rien changé de ses habitudes ni de son niveau d’exigences. Ce faisant, et tout en étant persuadée du contraire, elle se comporte exactement comme monsieur qui, lui non plus, n’a pas changé ses habitudes ni modifié son comportement. Sauf qu’il le vit mieux puisqu’il en fait moins.

Ce constat nourrit chez madame un sentiment d’injustice et de rancœur. Ce mélange n’a rien d’étonnant mais il est d’autant plus détonant que, la plupart du temps, monsieur ne se doute de rien. Et quand madame lui adresse des reproches d’autant plus vifs qu’elle les a gardés longtemps, monsieur tombe des nues. Il ne comprend vraiment pas ce qu’elle lui reproche et se demande sincèrement où est ce problème qu’il ne le voit pas.

Madame, elle, voit très bien où est le problème. C’est tellement évident ! C’est tellement évident qu’elle ne peut même pas concevoir que monsieur ne le voie pas. Fort logiquement elle en conclut que si monsieur s’obstine à prétendre le contraire c’est qu’il s’obstine à nier l’évidence. Non seulement il est fainéant mais en plus il est de mauvaise foi ! ! !

Le dialogue de sourds peut alors commencer :

Lui : Mais pourquoi m’agresses-tu pour cette histoire de verre laissé sur la table du salon ? C’est odieux de me prendre à partie ainsi. Je ne t’ai rien fait !

Elle : Justement tu ne fais rien. C’est toujours moi qui fais tout dans cette maison.

Lui : Mais je ne t’ai jamais demandé d’en faire autant !

A ce stade d’incompréhension, madame et monsieur se trouvent à la croisée des chemins : soit ils campent sur leur position et s’enferment dans le silence jusqu’au prochain conflit, soit ils décident d’en parler.

Dans le premier cas ils risquent se laisser entraîner dans le cycle infernal des reproches mutuels et des accusations croisées.

Madame maudira la paresse et l’hypocrisie de monsieur qui, objectivement, continuera de lui laisser tout faire et ne s’en porte pas plus mal. Monsieur, lui, comprendra de moins en moins que madame se charge de tâches ménagères dont l’urgence ne lui saute pas aux yeux et dont la fréquence lui paraîtra complètement délirante. Il finira par renoncer à comprendre et le silence s’installera, entrecoupé de scènes de ménages pénibles. La vie de couple finira par se par se dissoudre naturellement faute de n’avoir plus rien à échanger que des récriminations.

Dans le second cas ils peuvent raisonnablement espérer qu’à force de discussions, d’explications et d’écoute ils parviendront à se mettre d’accord sur une règle du jeu commune qui permettra à l’avenir de conjuguer spontanéité et sérénité. Un tel accord sera le résultat d’une négociation c’est-à-dire le fruit d’un compromis, à l’image d’un peuple qui se dote d’une constitution politique.

Il ne satisfera pas toutes les aspirations spontanées de madame et de monsieur mais il permettra à leur relation de progresser au fur et à mesure que chacun sortira de lui-même pour se décentrer et intégrer dans ses choix le point de vue et l’intérêt de l’autre.

C’est à ce prix que leur relation deviendra une relation d’amour et non plus simplement ou d’abord une relation de confort dans un cas et de domination dans l’autre.

Un tel modus vivendi est le résultat d’une construction, souvent laborieuse et jamais achevée. Un compromis se construit, à l’image de la vie de couple elle-même. On n’a jamais fini d’apprendre à aimer et cet apprentissage n’a rien de très spontané.

Aimer n’est en effet jamais facile et rarement confortable :  nous avons tous spontanément envie d’être aimés mais nous n’avons pas spontanément envie d’aimer.

Pourtant aimer est notre vocation à tous, que l’on vive en couple ou pas…

J’ai besoin que quelqu’un me montre le chemin

Dans la culture contemporaine la volonté consciente est trop souvent surévaluée.

L’usage que je fais de ma volonté consciente fait de moi un homme libre et un citoyen de plein droit mais ce n’est pas elle qui prescrit ce qui me garde en vie. C’est tellement vrai qu’on n’y pense pas. Ou plus. Pourtant l’expérience quotidienne l’atteste.

Mon cœur bat sans interruption et sans s’embarrasser de mon consentement. Heureusement pour moi ! Mon organisme gère de lui-même les processus normaux (respiration, digestion, excrétion) qui me maintiennent en vie sans que ma volonté soit ne serait-ce que consultée ou informée.

Mon corps m’envoie des messages pour que je tienne compte de mes besoins vitaux (dormir, manger, boire), lance automatiquement l’alerte quand le danger approche (stress) et déclenche des procédures d’urgence quand il est imminent (réflexes de survie). A chaque instant mon corps prend pour moi des décisions vitales sans me consulter.

Parallèlement à mon intelligence consciente une autre intelligence est à l’œuvre en moi. Une intelligence qui n’obéit pas à ma volonté. Comme disait Nietzsche Il y a plus de raison dans ton corps que dans ta meilleure sagesse.

Mon corps n’est pas seulement doué d’une intelligence qui lui est propre mais également d’une volonté propre susceptible d’entrer en conflit avec ma volonté consciente.

Saint Augustin lui-même constatait qu’il était maître de ses désirs et de ses pensées dans la journée mais que la nuit venue il ne maîtrisait plus rien. Ses pulsions sexuelles et son imagination prenaient le pouvoir quand il dormait en l’absence même de stimuli extérieurs.

De manière plus générale tous ceux qui ont connu ou qui connaissent l’addiction – à l’alcool, au tabac, aux médicaments aux endomorphines (pour les sportifs compulsifs) ou aux produits stupéfiants – font la même expérience : le corps se cabre pour obtenir ce qu’il réclame quand la volonté consciente le lui refuse. Il entre en rébellion et déclenche une véritable guerre civile intérieure qui met aux prises deux volontés distinctes.

Ma volonté consciente ne me résume pas.

Elle n’est qu’une partie de moi. Elle peut être concurrencée par l’intelligence que déploie mon corps et être contestée par la volonté que mon corps lui oppose.

Mais elle peut également être contestée dans ses prérogatives : le monopole qu’elle revendique sur l’usage de ma liberté lui est contesté par quelque chose qui lui échappe, quel que soit le nom qu’on lui donne (inconscient, âme ou conscience).

Les songes que je fais pendant le sommeil ne sont pas dictés par ma volonté consciente puisque celle-ci elle est précisément débranchée.

Les actes manqués et les lapsus qui me trahissent aux yeux du monde révèlent également à moi-même des désirs que ma volonté consciente avait niés et qui ressurgissent de manière inattendue.

Ils me révèlent à moi-même.

La somatisation de mes émotions traduit physiquement la réalité d’un conflit psychique que ma volonté consciente ne peut/veut pas (re)connaître.

Sans parler de cette voix qui murmure à mon intelligence ce que ma volonté ne veut pas entendre, qui me reproche ce que je sais et que je ne supporterais pas d’entendre de la bouche d’une personne extérieure.

Cette voix qui est ce que j’ai de plus intime, que je suis parfois tenté d’étouffer et que les chrétiens appellent la conscience.

Je suis donc un mystère pour moi-même.

Il existe en moi une intelligence qui préexiste à ma volonté consciente et qui fait intimement partie de moi mais qui se déploie sans que je le veuille et parfois malgré ma volonté. En bien et en mal.

Non seulement ma volonté consciente ne peut pas tout mais surtout elle n’explique pas tout. L’homme passe infiniment l’homme.

Si nous devions compter sur notre volonté consciente pour vouloir ce qui nous est nécessaire pour vivre, jamais aucun bébé ne viendrait à terme.

Mais ce qui est vrai de la vie intra-utérine l’est également de la vie après l’accouchement.

Nous ne savons pas vraiment ce qui est bon pour nous ni sur le plan physique ni sur le plan moral.

Je ne sais pas vraiment qui je suis ni ce que je veux au fond.

Mon insatisfaction structurelle m’en est témoin . A peine ai-je obtenu ce que je voulais que je veux déjà ce que je n’ai pas encore. A chaque fois je constate que mon désir profond n’est pas comblé : il rejaillit toujours sous une forme nouvelle.

Je suis un être mystérieux à moi-même.

Je suis régulièrement traversé par des désirs infinis que nul objet fini ne peut contenter.

Seul quelque chose ou quelqu’un d’infini est susceptible d’étancher de manière définitive ma soif inextinguible.

Ce quelqu’un d’infini, je crois l’avoir trouvé.

Comme saint Augustin je m’écrie : Qui pourra donc combler les désirs de mon cœur, répondre à ma demande d’un amour parfait ? Qui sinon Toi Seigneur, Dieu de toute bonté, Toi l’amour absolu de toute éternité ?

Ce quelqu’un d’infini j’ai décidé de Lui faire confiance parce qu’Il m’a prouvé que je pouvais Lui faire confiance.

Car quand Dieu s’est fait homme Il a accepté de mourir pour que je sois sauvé.

Ce faisant Il a prouvé à quel point Il m’aimait.

Puis Il est ressuscité.

En revenant à la vie, Il a démontré qu’Il était suffisamment fort pour triompher de la mort.

En se faisant homme puis en ressuscitant Dieu a gagné ma confiance.

Alors quand Il explique à la Samaritaine au bord du puits : Quiconque boit de cette eau aura soif à nouveau mais qui boira de l’eau que je lui donnerai n’aura plus jamais soif; l’eau que je lui donnerai deviendra en lui source d’eau jaillissant en vie éternelle je fais comme la Samaritaine.Je lui réponds : Seigneur, donne-moi cette eau, afin que je n’aie plus soif et ne vienne plus ici pour puiser1.

Si j’ai décidé de Le suivre – ou plutôt si en dépit de mes contradictions, de mes péchés et de mes incohérences et de mes complaisances je cherche maladroitement à Le suivre – c’est parce que j’ai besoin qu’Il me dise qui je suis et comment l’être mystérieux que je suis dois faire pour être heureux.

Parce que j’ai besoin qu’Il me montre le chemin.

1 Jean 4, 13-14

C’est l’interprétation qui fait la Bible

L’expression « religions du Livre » est fréquemment utilisée par celles et ceux qui souhaitent rapprocher juifs, chrétiens et musulmans en insistant sur ce qui les rapproche plutôt que sur ce qui les sépare. Intention louable mais qui repose sur un concept faux.

D’abord parce qu’il n’existe pas de livre commun aux trois religions : l’islam considère que l’Ancien et le Nouveau testament que nous lisons sont des versions tronquées de la révélation divine antéislamique. Le judaïsme, quant à lui, ne reconnaît de caractère inspiré ni au Nouveau testament ni au Coran. Le christianisme, lui, reconnaît le caractère inspiré de l’Ancien et du Nouveau testament qu’il appelle la Bible. D’où l’ambiguïté du mot Bible qui ne désigne pas la même réalité chez les Juifs et chez les chrétiens.

Ensuite parce que la différence entre le Coran et la Bible chrétienne ne réside pas seulement dans le contenu des textes – ce qui est déjà énorme – mais également dans la manière de lire les textes. En effet le Coran se présente lui-même comme un livre unique contenant la parole exacte de Dieu. Comme le contenu inaltéré, exact au mot près, des paroles dictées par Dieu en langue arabe à Mahomet. Le Coran se présente comme incréé, présent de toute éternité.

Fort logiquement toute traduction ou interprétation constitue une altération de la perfection divine et donc une insupportable profanation : qui est l’homme pour prétendre retrancher ou ajouter quoi que ce soit à ce que Dieu a jugé bon de dire ? Le Coran ne souffre donc, théoriquement du moins, aucune traduction, aucune discussion et aucune interprétation. Je dis théoriquement  car il existe désormais des musulmans qui revendiquent la possibilité de lire le Coran comme on lit n’importe quel autre texte à savoir dans son contexte. Je pense notamment aux travaux de Mehdi Azaïez (www.mehdi-azaiez.org). Mais ces musulmans sont encore des pionniers, il ne s’agit pas (encore ?) de la majorité.

La Bible au contraire ne parle jamais d’elle-même et ne définit pas son statut. Ne serait-ce que parce que la Bible n’est pas un livre mais la somme de quatre-vingt-seize livres rédigés dans trois langues distinctes – l’hébreu, le grec, l’araméen – à des époques fort éloignées et dans des genres littéraires très divers à destination de publics différents. Ces livres reflètent la culture et la mentalité de ceux qui les ont écrits : ils constituent un ensemble disparate tantôt passionnant et tantôt ennuyeux, parfois limpide, souvent obscur, quelquefois édifiant et souvent scandaleux qu’il faut patiemment décortiquer pour en extraire la parole de Dieu qui y est contenue. Rien ne semble donc justifier a priori qu’on les publie ensemble et qu’on en fasse un texte de référence.

C’est pourtant le cas : la Bible a été le fondement de notre civilisation européenne et occidentale, elle continue à l’être dans certains pays, elle détient chaque année le record du plus gros tirage éditorial au monde depuis l’invention de l’imprimerie, elle est traduite dans toutes les langues et elle continue à inspirer des vies et des vocations non seulement en Europe et en Amérique mais aussi – et surtout en Afrique, en Asie et en Océanie. On peut donc en conclure qu’en dépit des apparences il existe une cohérence propre à la Bible qui en explique le succès.

Et si le fil directeur de ces quatre-vingt-seize livres ne se situe pas dans le corps même des textes, il faut alors le chercher dans la lecture concordante qui en est faite depuis des siècles par le peuple de Dieu et que chaque génération transmet à la suivante. Pour les Juifs et les Chrétiens seule l’interprétation et l’exégèse des livres constitutifs de la Bible permettent de discerner la parole de Dieu derrière les mots qu’ont empruntés les hommes qui les ont rédigés.

Seule l’interprétation et l’exégèse donnent sens et cohérence à ce qui ne serait autrement qu’un ensemble hétéroclite de textes abscons et parfois scandaleux.

Pour les Juifs et les Chrétiens, l’interprétation de la Bible n’est pas permise, elle est requise.

Car c’est l’interprétation qui fait la Bible.

Plafond de verre imaginaire et vrai pacte faustien

L’idée est tellement répandue qu’elle est a acquis la force de l’évidence : un jour ou l’autre les ambitions de carrière des femmes se heurtent à un plafond de verre imputable au machisme invisible – et donc d’autant plus sournois – des détenteurs du pouvoir.

Pourtant une telle explication relevant de la théorie du complot – c’est le prototype de l’explication invérifiable et manichéenne – elle devrait susciter la méfiance plutôt que le consensus.

Mais surtout elle fait l’impasse sur une réalité prosaïque : dans le monde professionnel l’accès aux plus hauts postes se fait moins sur des critères de compétence et de performance que sur celui du dévouement voire de la dévotion à l’institution.

Plus les impétrants sont prêts à sacrifier l’essentiel de leur existence à leur employeur – public ou privé – et plus ils auront de chances de se faire adouber par leurs supérieurs et de devenir leurs pairs.

Mais ce choix a des conséquences qui dépassent de beaucoup le sort de celui qui le fait. Car celui qui est prêt à sacrifier  ses soirées, ses week-ends et tout ou partie de ses vacances sur l’autel de ses ambitions ne sacrifie pas simplement sa vie privée. Il sacrifie surtout  celle de son conjoint, de ses enfants et plus largement de tous ceux qui comptaient pour lui et pour lesquels il comptait.

Vue sous cet angle la sous-représentation statistique des femmes dans les instances dirigeantes prend une toute autre signification. Elle traduit un choix plutôt qu’un non-choix.

Elle est l’expression d’un choix de vie – accorder la priorité à la vie relationnelle, à la création de lien social en-dehors du cadre professionnel – et donc d’une préférence. En l’occurrence une préférence pour la gratuité plutôt que pour la performance.

Ce qu’on appelle le plafond de verre est donc une chimère : il n’existe pas ! Les femmes comme Margaret Thatcher, Angela Merkel, Hillary Clinton, Christine Lagarde ou Anne Lauvergeon ne se sont heurtées à aucun plafond de verre.

Elles ont fait comme leurs collègues masculins : pour accéder aux plus hautes marches du pouvoir elles ont accepté d’en payer le prix exorbitant. Elles ont fait comme les hommes qu’elles côtoient au sommet : elles ont accepté le pacte faustien.

Or, c’est ce pacte faustien qu’il faut dénoncer – pour les hommes comme pour les femmes et plus généralement pour leurs proches et de proche en proche pour l’ensemble de la société ! – plutôt que de chercher à le renforcer en enrôlant encore davantage de femmes.

On ne peut pas se plaindre des ravages de l’individualisme et de l’atomisation de la société et en même temps chercher à convaincre les femmes qui n’en veulent pas d’adopter le modèle égoïste et carriériste de collègues qui ont volontairement renoncé à assumer leurs responsabilités morales.

Ce n’est pas seulement pour les femmes qu’il faut cesser de planifier des réunions à partir de 17h c’est aussi pour inciter les hommes à décoller leurs yeux de leur nombril et à s’intéresser prioritairement à   celles et à ceux pour lesquels ils sont réellement irremplaçables.

La question ne se pose pas en termes de guerre des sexes mais en termes de choix de vie et, à l’échelle collective, de choix de société : faut-il promouvoir des comportements centrés sur la performance ou sur le lien ?

Faut-il encourager les salariés à consacrer du temps à leurs proches ou à leur stratégie de carrière ?

Faut-il les inciter à être présents à leurs enfants ou  à sous-traiter la gestion du quotidien à des nounous puis à des enseignants – publics ou privés peu importe – pour mieux s’effacer et disparaître de leur vie sur la pointe des piedds  ?

Faut-il les encourager à sous-traiter l’accompagnement de leurs parents vieillissants à des professionnels de la fin de vie ou faut-il au contraire les encourager à être d’autant plus présents dans ces moments ?

La dénonciation récurrente d’un plafond de verre imaginaire n’est que la promotion déguisée d’un pacte faustien incompatible avec toute forme de vie collective vraiment humaine.

C’est une question de civilisation.

Mais qui d’entre nous est prêt à l’entendre ?

Le Dieu des chrétiens est un Dieu unique et à plus d’un titre

Souvent mes frères musulmans me disent que nous adorons le même Dieu. Cette expression manifeste une empathie réelle à laquelle je suis particulièrement sensible, surtout à une période ou d’autres chrétiens se font massacrer par d’autres musulmans dans d’autres pays. Cela manifeste un sentiment de proximité chaleureuse, de compréhension et de sympathie particulièrement précieux.

Mais c’est également une affirmation théologiquement inexacte qui ne permet pas de comprendre la spécificité du Dieu des chrétiens et des conséquences humaines, spirituelles et civilisationnelles qui en découlent.

Les chrétiens s’accordent avec leurs frères musulmans pour dire que Dieu est unique et qu’Il est mystérieux. Mais pour les chrétiens Dieu n’est pas seulement mystérieux, Il est également paradoxal. Il ne fait jamais ce qu’on aurait pu « légitimement » attendre de Lui. Il nous prend systématiquement à contre-pied et nous pousse à remettre en question la légitimité de nos attentes  pour entrer dans le point de vue de Dieu : ce qui est sage aux yeux des hommes est folie aux yeux de Dieu. C’est vrai de toute la révélation biblique mais c’est particulièrement manifeste dans la manière qu’Il a d’être homme c’est-à-dire en Jésus-Christ.

Car c’est précisément quand Il a choisi de se révéler pleinement aux hommes que Dieu se dépouille des attributs divins qui auraient permis de Le reconnaître à coup sûr. Alors qu’Il veut se faire connaître Il renonce à ses signes extérieurs de divinité : toute-puissance, omniscience, inaltérabilité, gloire…

Pour se faire connaître Il décide de nous dévoiler sa substance : Il est amour. Il se fait connaître tel qu’Il est, dans son essence, au risque d’être méconnu puisque, en ce monde, l’amour est mal aimé.

Le Dieu des chrétiens est souvent déroutant mais jamais équivoque. Ses voies sont impénétrables mais pas sa volonté : Il veut que tous les hommes soient sauvés. Tous. Pas seulement les chrétiens. A ces derniers Il demande de collaborer à son œuvre de salut en tant que serviteurs inutiles : car de qui Dieu aurait-Il besoin ?

Le Dieu de chrétiens n’a besoin de personne et décide pourtant d’avoir besoin des hommes. Il descend de son piédestal divin, renonce à sa seigneurie et à l’adoration qui Lui est due pour se faire quémandeur de l’amour des hommes.

Pire – ou plutôt mieux – Il se fait quémandeur de l’amour de chaque homme individuellement. Tel un amoureux transi régulièrement éconduit Il ne se laisse pas décourager et continue de tenter sa chance. Il se fait demandeur et ça dure depuis des siècles…

Décidément le Dieu des chrétiens est vraiment unique.

L’heure des témoins a sonné

La prospérité des trente glorieuses avait provisoirement éclipsé les grandes questions existentielles. La fin de la guerre froide avait noyé les grands débats idéologiques dans le consumérisme. L’individualisme idéologique de l’Union européenne avait discrédité l’idée même de bien commun.

La fin de la période de croissance et d’abondance commencée au lendemain de la deuxième guerre mondiale et sur laquelle nous avions bâti notre modèle social à la française s’achève et avec elle la promesse d’une qualité de vie que, finalement, seuls les baby boomers auront pleinement vécue.

Le démantèlement programmé de notre système de protection sociale (retraites, temps et conditions de travail, assurance maladie et indemnisation du chômage) nous confronte de nouveau aux drames de la condition humaine que la génération de nos parents avait cru voués à l’oubli : l’aliénation par le travail, l’exploitation de l’homme par l’homme, la maladie et la souffrance.

Dans un contexte de chômage durable et de baisse de niveau de vie généralisée la perspective d’être mis en concurrence avec des ouvriers du tiers-monde sous-payés et exploités paraît de plus en plus inéluctable.

Contrairement à celle de leurs parents, les jeunes générations pourront de moins en moins se réfugier dans la consommation et l’hédonisme – ce que Pascal appelait déjà en son temps les divertissements – pour escamoter les grandes questions métaphysiques qui taraudent l’humanité depuis son apparition. Qui suis-je ? Que puis-je faire ? Que m’est-il permis d’espérer ? Pourquoi la douleur et la mort ? La vie vaut-elle d’être vécue ? Pourquoi ? Pour quoi ? Pour qui ?

A l’heure actuelle les questions sur le sens de la vie réapparaissent sous la forme de questions identitaires (droit des minorités, identité nationale, laïcité à la française) et morales (politiquement correct, écologie et bioéthique).

Mais si les questions ressurgissent, les réponses sur le sens de la vie individuelle se font attendre et pour cette raison même peuvent être sources d’angoisses, particulièrement pour les jeunes générations françaises qui se sentent la plupart du temps démunies car elles se sentent et peut-être se savent moins bien loties que celles de bon nombre de pays émergents.

D’abord parce que les jeunes européens de l’Ouest font partie de ces déshérités auxquels François-Xavier Bellamy a consacré un livre (Les déshérités ou l’urgence de transmettre, Plon 2014).  Pour reprendre ses termes « une génération s’est refusée à transmettre à la suivante ce qu’elle avait à lui donner, l’ensemble du savoir, des repères, de l’expérience humaine qui constituait son héritage ».

Ensuite parce qu’en tant que Français ces jeunes générations sont victimes d’une laïcité idéologique qui cherche à faire taire toutes les grandes traditions religieuses qui proposent des réponses – diverses – à ces questions. C’est la fameuse pétition de principe selon laquelle les convictions religieuses relèvent exclusivement de la sphère privée et n’ont pas le droit d’en sortir sous peine d’offenser ceux qui ne les partagent pas. Exquise pudeur dont les idéologues de la laïcité se dispensent néanmoins quand il s’agit d’exprimer des convictions politiques ouvertement anti-religieuses ou de publier des caricatures explicitement destinées à blesser ceux qui ont des convictions religieuses…

Dans un tel contexte les jeunes Français – qu’ils se sentent français ou pas – ressemblent tragiquement à Blu, l’oiseau domestique du film d’animation Rio qui, ayant toujours vécu chez sa propriétaire, ne sait pas voler et est paniqué à l’idée de rejoindre son milieu naturel pour y vivre sa condition d’oiseau. Les plus jeunes de nos compatriotes sont angoissés à l’idée une existence dont ils perçoivent les écueils mais dont ils ne voient pas le sens.

Face à ce qui apparaît à beaucoup comme une existence dont il n’y a rien à espérer la tentation est de se voiler la face…à tous les sens du terme : la tentation du djihadisme et celle de la fuite dans la surconsommation (pour ceux qui en ont encore les moyens financiers) sont les deux faces d’un même nihilisme.

Dans les deux cas c’est la tentation de la fuite : exorciser l’angoisse d’une vie absurde en se précipitant dans une mort perçue comme libératrice  dans un cas, exorciser cette angoisse de la mort qui rend la vie absurde en s’étourdissant de n’importe quoi – qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse – dans l’autre.

Dans les deux cas cette fuite repose sur la conviction qu’ici-base tout est absurde et dérisoire et que la seule solution rationnelle et raisonnable est de refuser ce monde désespérant avec l’énergie du désespoir.

C’est dans ce contexte que le pape François et ses prédécesseurs appellent les chrétiens à la nouvelle évangélisation en témoignant de témoigner de l’espérance qui les habite : Soyez toujours prêts à rendre compte de l’espérance qui est en vous ; mais faites-le avec douceur et respect (Première lettre de saint Pierre 3.16).

Cela consiste à signifier par sa vie d’abord et par la parole ensuite que, contre toute évidence sensible, le mal n’est pas la norme mais un dysfonctionnement tragique qui sera corrigé in fine.

Que cette conviction n’est pas d’abord le résultat d’une réflexion et encore moins d’une auto-suggestion mais la conséquence d’un événement historique : la mort et la résurrection de Jésus-Christ.

Que Dieu ne méprise pas la condition humaine (il s’est fait homme lui-même), qu’il n’est pas indifférent à la souffrance des hommes (il a lui-même été torturé à mort et à tort) et qu’il est tout-puissant (il est ressuscité).

Que tout ce que nous vivons est provisoire mais pas dérisoire.

Que nous ne marchons pas dans une vallée de larmes mais sur un chemin d’éternité.

Que si nous continuons à boiter c’est avec la certitude d’être aimés par quelqu’un qui nous attend au terme du chemin.

Mais comme ceux qui ont le plus besoin d’entendre cela sont précisément les plus angoissés  et donc les plus sceptiques – on a tellement peur d’être déçus qu’on anticipe la déception en n’accordant pas sa confiance – il faut préparer le terrain et les apprivoiser préalablement.

Pour que notre témoignage soit audible il faut auparavant prendre le temps de remplacer le climat de méfiance par un climat de confiance en instaurant des relationsauthatiques et bienveillantes.

Cela suppose de la part des chrétiens qu’ils prennent l’initiative d’aimer les premiers sans attendre la réciprocité – aimer quelqu’un c’est rechercher d’abord son bien pas sa reconnaissance – et de persévérer.

A l’image de Dieu qui a fait le premier pas pour aller à la rencontre des hommes et qui ne s’est pas laissé décourager par les refus – pourtant humiliants– qu’il a essuyés.

Mais si nous mettons précisément toute notre espérance dans un tel Dieu comment faire autrement ?

Et puis si nous annonçons un Dieu d’amour comment pouvons-nous espérer être crédibles si nous ne sommes pas en mesure d’en distribuer un échantillon ?

La confrérie des journalistes et des responsables politiques

Une fois que l’on a dit que rien ne justifiait d’assassiner les journalistes de Charlie Hebdo que peut-on dire de plus ?

A-t-on ensuite le droit de pointer du doigt des vérités que les médias et les institutions refusent de relayer parce qu’ils n’ont pas envie de les entendre ?

Non seulement je pense qu’on en a le droit mais je pense qu’on en a le devoir.

Un peu comme un médecin qui doit annoncer à son patient qu’à moins de changer radicalement son comportement alimentaire il va au-devant de graves problèmes de santé qu’il fera, en outre, supporter à son entourage immédiat.

La confrérie des journalistes et des responsables politiques découvre en effet avec effroi que le monde entier se sent pas forcément Charlie, que la France dans son ensemble ne se sent pas Charlie et que les collégiens et lycéens musulmans ne se sont jamais sentis Charlie.

Horreur, malheur stupéfaction et sidération.

Mais au fond ce qui est étonnant c’est que ça l’étonne tellement.

Elle prend subitement conscience de ses propres incohérences.

Deux incohérences majeures qu’elle n’avait jamais voulu admettre jusqu’à présent

La première est la confusion qu’elle a entretenue entre la liberté d’expression, qui est garantie par la Constitution, et droit à l’insulte que la rédaction de Charlie Hebdo s’était unilatéralement arrogée.

La confrérie des journalistes et des responsables politiques s’est obstinée à ne pas vouloir faire de distinction entre le fait d’exprimer un point de vue divergent de celui de ses interlocuteurs – en l’occurrence de ses lecteurs – et le fait de les insulter délibérément, pour le simple plaisir de les blesser.

Critiquer le dogme musulman ou le Coran cela relève de la liberté d’expression.

Dessiner Mahomet en train d’exhiber ses fesses ou le représenter sous forme d’un étron surmonté d’un turban ça relève de la liberté d’excrétion.

Ce n’est pas la même chose

Si l’équipe de Charlie Hebdo s’était contentée de critiquer le dogme musulman ou le Coran à l’aide d’arguments j’aurais été le premier à descendre dans la rue en criant : Je suis Charlie.

Mais elle s’est complu à blesser des musulmans en ricanant méchamment et revendiquant leur irresponsabilité comme un titre de gloire.

Jamais elle n’a cherché à débattre rationnellement, à entrer dans une discussion contradictoire avec échanges d’arguments.

Depuis l’attentat contre Charlie Hebdo la confrérie des journalistes et des responsables politiques hurlent à la vertu outragée et cherchent des responsabilités partout…sauf du côté de Charlie Hebdo.

Incohérence.

Manque de rigueur intellectuelle.

Manque de rigueur morale.

Deux poids, deux mesures.

La deuxième incohérence majeure de la confrérie des journalistes et des responsables politiques a été d’asséner pendant des années à qui voulait l’entendre (et encore plus à ceux qui voulaient pas l’entendre) que la liberté d’expression c’est la liberté de tout dire même si ça paraît inacceptable à certains et que sa seule limitation légitime était en cas de menace à l’ordre public.

Hormis ce cas on pouvait tout dire et il n’y avait aucune censure.

Contre-vérité

Mensonge

Deux poids, deux mesures.

La censure est juridiquement en vigueur depuis la mise ne place des lois mémorielles : loi Gayssot du 13 juillet 1990 visant à interdire le négationnisme, loi du 29 janvier 2001 sur le génocide arménien et la loi Taubira du 21 mai 2001 sur la traite et de l’esclavage.

Que l’on juge ces lois nécessaires ou qu’on les juge illégitimes un constat s’impose : certains propos sont pénalisables même s’ils ne constituent pas une menace de trouble à l’ordre public et d’autres pas.

On peut s’en féliciter ou le déplorer mais pas le nier.

C’est pourtant ce que fait la confrérie des journalistes et des responsables politiques à chaque fois qu’elle cherche à réduire au silence certains propos comme lorsque Dieudonné déclare qu’il se sentait Charlie Coulibaly.

Objectivement la liberté d’expression qu’elle défende c’est la liberté de tout dire pour certains et pas pour d’autres.

Le droit à l’outrance est à géométrie variable en France.

Deux poids, deux mesures.

Pendant de nombreuses années la confrérie des journalistes et des responsables politiques a pataugé dans un déni de réalité d’autant plus insupportable qu’il s’agit d’un déni de justice et de la négation de ce qu’ils appellent eux-mêmes le pacte républicain ?

Où est la liberté d’expression pour tous ?

Où est l’égalité des citoyens devant la loi ?

Quant à la fraternité cela a-t-il encore un sens d’en parler ?

Les raisons des incohérences et de l’aveuglement collectif de la confrérie des journalistes et des responsables politiques leur appartiennent.

La seule question est de savoir si les événements de la semaine dernière, ceux d’hier et ceux de demain – car le grand feu d’artifices ne fait peut-être que commencer – suffiront à lui ouvrir les yeux sur la réalité.

Si tel n’est pas le cas une chose est sure : au lendemain du deuxième tour de l’élection présidentielle de en 2017 elle fera encore l’étonnée….

 

 

Louis Charles

Pourquoi des Français ont-ils tué d’autres Français ?

En écrivant à propos des tragiques événements de la semaine dernière que des Français qui avaient assassiné d’autres Français Henry Le Barde a soulevé une question polémique. L’un de ses lecteurs a écrit que qualifier quelqu’un de Français alors qu’il abhorrait la France était techniquement et juridiquement vrai mais gravement fautif au niveau moral, philosophique et spirituel. Cette remarque a inspiré ce billet.

Dire que des Français ont tué des Français c’est faire le constat d’une crise d’identité nationale. C’est à mon avis le moyen de mettre le doigt là où ça fait mal. C’est sans doute pour cela que ce point de vue a été complètement occulté par l’ensemble des médias et de la classe politique.

Des individus qui n’ont pas connu d’autre pays que la France, pas d’autre système scolaire que le système français, qui parlent français – plus ou moins bien mais toujours mieux que l’arabe – et qui ont donc la nationalité française refusent de s’identifier à la France et la rejettent de toutes leurs forces.

La vraie question c’est  pourquoi ?

La réponse est sans doute que l’on s’adapte à ce que l’on trouve et que l’on ne peut pas s’intégrer à ce qui se désintègre.

Concrètement la société française contemporaine est à l’image des autres pays européens : une zone de droit et de non-sens d’où la notion de bien commun a été expulsée.

Parce que l’idée même qu’il existe un bien vers lequel il faut tendre et un mal dont il faudrait s’éloigner est une idée qui est anathématisée. D’où le refus opiniâtre des normes à prétention objective et la promotion systématique de l’évitement sous forme d’injonctions politiquement correctes.

Exemple récent : le refus d’ouvrir un vrai débat sur l’opportunité d’élargir le mariage et l’adoption à des couples homosexuels. La question du bien de l’enfant a d’entrée de jeu été escamotée et décrétée hors sujet. Le seul enjeu qui restait : ne pas blesser les homosexuels, injustement identifiés à la poignée d’activistes LGBT qui était à la manœuvre dans les couloirs ministériels.

Ce refus de poser collectivement la question du bien et du mal ne heurte pas que les catholiques. Mais à la différence des enfants de l’immigration les catholiques, eux, disposent d’argumentaires et de références autres que ceux aimablement fournis par la société consumériste et par l’idéologie créationniste officielle qui postule que la France est sortie du néant et du chaos un beau jour de 1789.

Les catholiques français ont une mémoire et une histoire qui leur permettent de relativiser concrètement le désespoir qu’inspire le moment présent. Ils ont des atouts culturels et spirituels qui leur font dire que, pour paraphraser Saint Paul  c’est quand ils sont faibles qu’ils sont forts parce que c’est dans ces moments là que Dieu agit de manière inattendue.

Quand on est musulmans et qu’on ne se reconnaît pas dans une société décadente  l’unique perspective est de prendre le maquis c’est-à-dire de se réfugier dans une communauté imaginaire (l’Oumma) et de rejeter cette société objectivement décadente.

Rien d’étonnant à ce que des jeunes musulmans français sur le papier ne se sentent pas français dans la réalité. Pourquoi devraient-ils s’identifier à une société dans laquelle les catholiques français eux-mêmes se sentent de plus en plus étrangers ?

Surtout si l’image de la France qu’on cherche à leur vendre s’identifie à la haine de toutes les religions et à l’impunité arbitrairement revendiquée par Charlie Hebo. Et encore plus si le droit à l’insulte et à l’humour « bête et méchant » est appliqué selon le principe du deux poids deux mesures : solidarité nationale obligatoire pour les outrances de Charlie Hebdo et répression judiciaire pour celles de Dieudonné.

L’image de la France qu’on propose aux jeunes générations, dont les jeunes musulmans, est celle d’une France de baby-boomers fatigués, égoïstes et matérialistes qui ont renoncé à transmettre le patrimoine familial, affectif, spirituel, culturel, intellectuel, moral, économique et social dont ils étaient, eux, les heureux héritiers.

Cette France là n’a plus rien à proposer. Elle est déjà morte mais ne le sait pas encore. Elle le découvrira peut-être en 2017. Déjà elle ne croit plus en rien et plus personne ne croit en elle. Elle ne s’appuie plus que sur des clientèles. Elle est rongée aux mythes et son panthéon est décousu. Cette France est nue. Cette France est perdue.

Cette France là ne correspond pas à la réalité mais comment de jeunes musulmans déculturés le sauraient-ils ?

 

 

Louis Charles