La pédophilie du clergé est un fruit du cléricalisme


L’ampleur du phénomène de la pédophilie dans le clergé – et non dans l’Eglise qui est l’ensemble des baptisés, laïcs comme consacrés – n’a d’égale que la cécité volontaire de l’épiscopat puisque les deux ont «communié» dans une même indifférence au sort des victimes.

Ce tsunami de crimes et de complicités révèle aussi chez les criminels et leurs complices une sorte de paraplégie sur le plan relationnel, une insensibilité profonde et durable au corps et au sort des victimes. Un manque d’intelligence de cœur aussi mystérieux que scandaleux. Un déficit d’humanité chez ceux qui étaient censés être des experts en humanité.

L’ampleur du phénomène ne permet plus d’affirmer qu’il s’agit de quelques cas dramatiques mais isolés. Le dénominateur commun des criminels ? Préférer imposer des relations sexuelles à des enfants en usant de leur autorité d’adulte faute de pouvoir ou de vouloir assumer des relations affectives normales avec des adultes consentants. Ce sont des impuissants sur le plan des relations humaines, des handicapés relationnels.

Le dénominateur commun de leurs complices ? Préférer sauver la réputation de l’institution plutôt que de venir en aide aux victimes. Ils préfèrent une injustice à un désordre parce qu’ils ne mesurent pas l’ampleur des répercussions sur la vie des victimes. Ce sont des inexpérimentés en humanité, des amputés de l’empathie.

Chez ces hommes, censés être des paratonnerres à Esprit saint, la grâce divine n’a visiblement pas suffi à compenser le déficit d’équilibre psychologique et affectif chez ceux que l’on appelle encore – mais pour combien de temps ? – « mon père ». D’après saint Thomas d’Aquin : « la grâce divine n’efface pas la nature humaine, mais elle la suppose et la perfectionne ». Dans ce cas cela signifie que quelque chose de structurellement vicié existait chez les auteurs et les complices de ces abus : ceux que l’on croyait « experts en humanité » étaient en fait des handicapés en humanité.


1/ Le célibat sacerdotal : un pavillon de complaisance pour désaxés

Comment se fait-il que le choix du célibat consacré ait attiré et promu au rang de personnages référents autant de personnes amputées à ce point dans leur capacité d’empathie ? C’est l’une des questions qu’il faut aborder frontalement.

Non pas que le célibat mène nécessairement à la pédophilie. D’abord parce que la plupart des cas de pédophilie concernent en général des gens « normaux » qui sont par ailleurs mariés ou en couples. Ensuite parce qu’il y a – heureusement ! – une majorité de personnes consacrées au sein de l’Eglise qui ne sont pas pédophiles.

Mais la règle du célibat obligatoire offre un alibi en béton armé à leur impuissance relationnelle tout en leur conférant un statut inattaquable : ils sont réputés être plus avancés que leurs ouailles dans la maîtrise et l’harmonisation de leurs pulsions et de leurs désirs. Donc d’autant plus insoupçonnables.

Pourtant la recherche de relations sexuelles avec des mineurs est le symptôme d’une faille psychique et affective profonde… pour n’utiliser qu’un doux euphémisme. C’est une perversion au sens étymologique du terme, c’est-à-dire un vice structurel.

C’est ce mal structurel qui explique l’impunité durable dont ont bénéficié les coupables grâce à la complicité, durable elle aussi, de leur hiérarchie. D’un point de vue moral et spirituel on n’en est même plus au stade de l’hypocrisie, on en est carrément au stade de l’hémiplégie !

Mais surtout la persévérance dans le mal en dépit de toutes les aides spirituelles à portée de ces prêtres, religieux et évêques est l’indice qu’il y a bien quelque chose de satanique dans le clergé catholique.

Comme le disait saint Thomas d’Aquin : Errare humanum est, perseverare diabolicum. Un tel déséquilibre intérieur est sans doute le pire désaveu pour ceux qui sont censés être des accompagnants, des référents, des guides, des « pères » spirituels. Le manque d’équilibre et d’unification psychique, affectif et spirituel de ces prêtres est déjà en soi une chose consternante.

L’indifférence des criminels au sort des victimes et l’insensibilité de leurs complices en est une autre qui, elle, relève du scandale moral et spirituel. « Si quelqu’un scandalisait un de ces petits qui croient en moi, il vaudrait mieux pour lui qu’on suspendît à son cou une meule de moulin, et qu’on le jetât au fond de la mer » ( Matthieu 6, 18).

2/ Le cléricalisme a encore frappé

Au fond si ce scandale a pu durer si longtemps c’est que les responsables ecclésiastiques étaient soit incompétents soit consentants : ils ne voulaient pas voir, comme l’illustre l’excellent roman de l’Irlandais John Boyne intitulé Il n’est pire aveugle. Dans les deux cas qu’est-ce qui justifie de leur faire encore confiance ?

A mon avis rien. Les baptisés doivent aiguiser leur discernement et exercer leur prudence au lieu de faire confiance a priori et aveuglément aux prêtres et aux évêques.

Pourquoi ? Mais parce qu’il n’y a absolument aucune raison de supposer que le fléau de la pédophilie infligée par le clergé a disparu. Par quel miracle les crimes recensés par la Commission Indépendante sur les Abus Sexuels dans l’Eglise (CIASE) sur une période allant de 1950 à 2020 auraient-ils brusquement disparu en 2021 ?

Chaque institution humaine préfère une injustice à un désordre parce qu’elle a pour priorité sa propre préservation et refuse de se laisser ébranler, fût-ce par la vérité. Mais n’est-ce pas au fond la parfaite illustration de ce que le pape François ne cesse de dénoncer depuis le début de son pontificat : une Eglise autoréférentielle?

Ou plutôt une Eglise qui ne se conçoit d’abord comme une institution et une hiérarchie et non comme une communauté dont les membres ont pour dénominateur commun une relation personnelle à Jésus-Christ ? La figure du prêtre, intangible et sacralisée, n’est-elle pas l’exact opposé du portrait que nous brosse les Evangiles de ceux qui furent les premiers évêques : les Apôtres ?

Il suffit d’ouvrir l’Evangile pour les voir pour ce qu’ils sont : des pécheurs. Des pécheurs ambitieux qui se querellent en chemin pour savoir lequel d’entre eux siègera à la droite du Christ au paradis. Des pécheurs qui tentent de s’interposer entre les enfants et le Christ avant de se faire rabrouer par Lui.

Des pécheurs qui abandonnent le Christ au moment de sa passion. Des pécheurs qui ne veulent pas croire le témoignage des femmes leur rapportant Sa résurrection. Voilà les « modèles » de d’évêques que nous propose l’Evangile. Quant au « modèle » de pape, saint Pierre, il a carrément renié le Christ par trois fois.

Là où le Christ appelle chacun à sa liberté pour savoir s’il veut le suivre, le cléricalisme rampant de l’Eglise catholique substitue la vertu d’obéissance sans discernement. Seule une conversion spirituelle du clergé et de l’épiscopat permettra de recentrer l’Eglise sur le Christ.

C’est la relation au Christ qui fait l’Eglise, pas le souci humain de faire communauté et de se doter d’une hiérarchie pour singer les puissances de ce monde. Parce que c’est le Christ qui nous sauve, pas nos communautés ni nos autorités. C’est ce qu’exprime la liturgie quand, avant de consacrer l’hostie, le prêtre dit « Seigneur lave moi de mes fautes, purifie-moi de mon péché » ou quand il dit « Seigneur ne regarde pas nos péchés mais la foi de ton Eglise ».


3/ Changer nos habitudes

Le cléricalisme est une maladie qui ne peut prospérer qu’avec la complicité, consciente ou inconsciente, des laïcs. L’idéalisation de la figure du prêtre a conduit certains parents à ne pas vouloir et/ou pouvoir prendre la défense de leurs enfants abusés par des prêtres qu’ils révéraient.

L’idolâtrie de tel ou tel prêtre n’est possible que parce que trop souvent des laïcs acquiescent à l’idée que le prêtre est « un homme à part » au motif que sa fonction l’est. Cette confusion transforme le serviteur de Dieu en un supérieur hiérarchique auquel on prête, en pratique si ce n’est en théorie, des qualités qui n’appartiennent qu’à Dieu : omniscience, omnipotence, infaillibilité et impeccabilité.

Il revient donc aussi aux laïcs – et donc aussi à l’auteur de ces lignes – de se délester du poids des mauvaises habitudes qui les poussent inconsciemment à placer sur un piédestal les prêtres et les évêques. Pour être concret je proposerais deux changements : cesser d’appeler nos évêques « monseigneur » et cesser d’appeler nos prêtres « mon père ».

Le terme « monseigneur » est un titre féodal qui intrinsèquement place sur l’évêque sur un piédestal. Non seulement il n’a aucun fondement biblique mais surtout il contredit ce que nous enseigne le Nouveau testament : « Ne soyez pas nombreux à vouloir devenir des enseignants car, vous le savez, mes frères et sœurs, nous serons jugés plus sévèrement » (Jacques 3, 1).

Mais surtout le plus important c’est de renoncer à conférer aux prêtre le titre de père car c’est vraiment le titre par excellence qui installe une relation infantile entre les laïcs et les prêtres. De là découle la survalorisation du prêtre qui apparaît comme intangible et infaillible aux yeux des laïcs et qui a dissuadé certains évêques de dénoncer les agissements de certains d’entre eux au motif que leur devoir « paternel » leur imposait de protéger leurs prêtres.

L’expression « mon père » installe un rapport profondément pervers entre les laïcs et leurs prêtres. Ce n’est pas moi qui le dis c’est Dieu Lui-même en la personne de Jésus-Christ : « N’appelez personne sur la terre votre père, car un seul est votre Père, c’est celui qui est au ciel » (Matthieu 23, 9).

Sans compter que la – mauvaise – habitude d’appeler un prêtre « mon père » n’est pas si ancienne que cela. Pourquoi ne pas renouer avec l’habitude d’appeler un prêtre « monsieur » ? Après tout c’était l’usage en vigueur à l’époque de saint Vincent de Paul (1580-1660) qu’on appelait « monsieur Vincent ».

3 réflexions sur « La pédophilie du clergé est un fruit du cléricalisme »

  1. Bonjour,
    Merci d’avoir partagé votre réflexion autour de ce sujet capital. J’en discutais il y a quelques mois avec un de mes amis prêtre. Selon lui le phénomène aurait deux racines tout aussi profondes l’une que l’autre :

    D’une part le cléricalisme, qui confère une position d’autorité au prêtre au sein de sa communauté, alors que son rôle premier est le service de son peuple par l’administration des sacrements. Cette position est sans doute encore renforcée par le fait qu’en dehors de l’Eglise ils sont victimes d’un rejet assez catégorique (mon curé m’a déjà dit avoir été insulté de « pédophile » en pleine rue, complètement gratuitement). Inconsciemment certains se disent peut-être « si je suis rejeté dans le monde, alors j’impose ma puissance dans l’Eglise ». C’est caricatural bien sûr, mais il pourrait y avoir un fond de vérité.
    Donc oui, nous avons à agir pour faire redescendre de leurs piédestaux nos pasteurs, à tous les niveaux de la « hiérarchie » de l’Eglise catholique romaine.

    Et la deuxième racine : un problème dans la maîtrise des désirs proprement sexuels. Ici, comment sont abordés ces thèmes au séminaire ? Quels sont leurs soutiens au quotidiens ? Comment la société hypersexualisée dans laquelle nous vivons influence-t-elle ce renoncement ?

    1. La difficulté à gérer ses désirs sexuels se pose pour chacun d’entre nous : à partir du moment où nous nous interdisons d’imposer nos désirs à autrui. C’est la base de la vie en société. Mais je crains que le vœu d’abstinence le fait de renoncer à avoir éventuellement des relations sexuelles soit très mal vécu au sein du clergé. Ne serait-ce que parce qu’il existe encore une suspicion au moins implicite sur la sexualité. Même de nos jours. Avez-vous remarqué que l’on parle toujours du vœu de chasteté pour signifier le vœu de célibat ? Si l’on prend à la lettre les vœux prononcés lors de l’ordination – c’est-à-dire si on prend au sérieux ce que nous disent les impétrants et leurs évêques – alors cela signifie que pureté (chasteté) = absence de relations sexuelles. Donc que relations sexuelles = impureté.
      Ce mépris du corps dont on ne trouve aucune trace dans la Bible est à mon avis imputable à l’influence très profonde de la philosophie grecque (platonisme) sur notre mentalité catholique. Comme quoi quelque chose peut être très catholique sans être très chrétien.

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