On exagère trop souvent l’importance des sacrements

Les catholiques pratiquants ont tendance à surévaluer l’importance des sacrements dans leur pèlerinage terrestre, sans doute parce que les non-pratiquants et a fortiori les non croyants en sous-estiment l’importance.

Mais ils les surévaluent néanmoins.

D’abord parce qu’ils oublient souvent que si la grâce de Dieu passe par les sacrements elle n’en est pas prisonnière pour autant.

Les Coréens sont devenus chrétiens en l’absence de prêtres. Ils n’en ont fait venir qu’après leur conversion initiale. De même des générations de chrétiens japonais et chinois ont vécu et transmis leur foi en l’absence de prêtres et donc d’accès aux sacrements. A en juger par les persécutions et le martyre qu’ils ont endurés sans rien renier et en faisant des disciples – le sang des martyrs est semence de chrétiens – la grâce ne leur a pas fait défaut pour autant.

Ensuite parce qu’ils négligent le fait que la grâce peut très bien ruisseler sur les chrétiens sans pour autant pénétrer leurs cœurs.

Le Rwanda a longtemps été considéré comme la vitrine de l’Eglise catholique en Afrique : tous étaient baptisés, 98 % de la population allait à la messe tous les dimanches, se confessaient régulièrement, les séminaires étaient pleins à craquer et on disait parfois au Vatican que le Rwanda était le jardin dans lequel Dieu aimait venir se reposer à la fin de la journée. Puis, du jour au lendemain ces catholiques modèles se sont entre-tués dans un déchaînement de violence et de haine qui en a fait un génocide sans équivalent dans l’histoire, pourtant sanguinaire, de ce continent. Pourtant tous les génocidaires rwandais ruisselaient de grâce sacramentelle.

C’est pourquoi accorder plus d’importance à la fréquentation des sacrements qu’aux devoirs que nous avons envers notre prochain – celui qui m’est proche et non celui que j’ai choisi – et qu’à notre devoir d’état – ceux qui nous sont moins proches et parfois inconnus mais envers qui nous avons des devoirs – est dangereux.

Pourquoi ? Parce qu’elle nous incite plutôt à être confits en dévotion qu’à la sanctification qui, elle, passe nécessairement par la conversion du cœur.

Car cette conversion est ce qui dépend de nous en priorité : c’est de nous mettre en état d’accueillir cette grâce pour qu’elle puisse produire ses effets. Si nous ne le faisons pas personne ne pourra le faire à notre place, même pas Dieu qui, fort logiquement, respecte la liberté qu’Il nous a donnée.

La priorité c’est de convertir son cœur concrètement : en modifiant ses habitudes, en renonçant à d’autres, en demandant pardon, en nous réconciliant, en fortifiant son intelligence de la foi, en aiguisant son discernement, en priant davantage, en gagnant en maturité spirituelle et en dilatant son cœur pour accroître sa capacité à aimer.

La priorité n’est pas de fréquenter les sacrements mais de travailler sur soi pour permettre à ces sacrements d’agir. Alors seulement la grâce cessera de ruisseler et pourra pénétrer mais tant qu’on se dispense de ce travail sur soi la grâce glisse sur nous comme l’eau sur les plumes d’un canard.

En accordant trop d’importance à la fréquentation des sacrements, on néglige ce travail permanent de conversion du cœur et on court le risque de sombrer dans l’autosuggestion. On peut très bien fréquenter les sacrements en barbotant dans la superstition ou l’animisme en confondant – consciemment ou pas – nos désirs avec la volonté de Dieu. C’est peut-être même l’explication des difficultés que nous rencontrons dans la transmission et le témoignage de notre foi.

A la différence de la magie – noire ou blanche – la grâce de Dieu ne s’impose jamais à notre liberté et ne se déploie qu’avec notre consentement éclairé. Dieu nous a donné la liberté et Il ne reprend pas ce qu’Il a donné : Dieu nous prend au sérieux.

3 réflexions sur « On exagère trop souvent l’importance des sacrements »

  1. Lecteur occasionnel, et généralement heureux, de LTDP, je réagis à votre petit article. Je conviens qu’il faudrait parfois le faire afin de louer… considérons que le silence habituel est celui de la joie contemplative.

    Mais là, je réagis, par une question: comment comprenez-vous le mot « sacrement »?

    Dire que Dieu n’est pas limité par ses sacrements, c’est du bon saint Thomas, mais si ce dernier dit cela, c’est parce qu’il a conscience que toute l’économie chrétienne est sacramentelle… et je crains que ce ne soit de faire des dichotomies entre l’agir moral et les sacrements, entre les sacrements et la conversion du coeur, qui bien souvent nous envoie dans le mur.

    Qui pourra nous convertir? « Seigneur, convertis-moi pour que je sois converti », dit le psalmiste. Tout cela est don de Dieu. L’Eucharistie, la Réconciliation nous refont le coeur pour aimer.

    Rien, dans l’histoire du salut, qui ne soit sacramentel… « Il a plu a Dieu dans sa sagesse et sa bonté de se révéler en personne et de faire connaître le mystère (littéralement: le sacrement) de sa volonté grâce auquel le hommes, par le Christ, le Verbe fait chair, accèdent dans l’Esprit Saint, auprès du Père et sont rendus participants de la nature divine. » (Vatican II, Dei Verbum 2).

    Le Christ est le sacrement-source, nous le recevons dans l’Eucharistie, nous allons le chercher dans le pauvre.

    De grâce, faut-il taper sur les sacrements pour tenter de nous convertir? On ne gagne jamais à ce jeu là !!

    Il faudrait être plus détaillé, plus long… le temps manque, je vous laisse chercher ! Belle suite à vous dans l’animation de ce site.

    Maxime+

    1. Tout à fait d’accord avec vous pour ne pas taper sur les sacrements. Rassurez-vous ça n’a jamais été mon propos.
      Ce sont des comportements et des raisonnements implicites que je mets en cause.

      Des comportements : parce que je me suis aperçu que c’est parmi les catholiques pratiquants que j’avais rencontré à la fois les gens les plus merveilleusement aimants et les plus odieux. La cohabitation de ces deux populations m’avait intriguée. Que l’on y trouve des gens dont la capacité à aimer est décuplée par les sacrements c’est, au fond, normal. Mais que l’on trouve des gens qui fréquentent les sacrements et qui sont plus odieux que d’autres personnes qui n’ont même pas le secours de ces sacrements c’est qu’il y a quelque chose qui ne va pas.

      Des raisonnements : parce que j’entends très souvent des jérémiades sur les statistiques des vocations et de la pratique sacramentelle qui me semblent être de très mauvais indicateurs de la sanctification réelle des âmes (d’où le passage sur le Rwanda).

      Je crains que dans l’Eglise – et pas seulement dans le clergé – on confonde trop souvent réalité spirituelle et réalité statistique. Ce qui à mon avis n’est pas seulement une confusion intellectuelle mais une confusion spirituelle et même un péché contre l’Esprit dans la mesure où il trahit une absence totale de confiance dans le travail de l’Esprit saint et dénote une volonté de tout maîtriser qui nous rend imperméables à ses manifestations. Or, l’esprit de Dieu est dans la brise légère pas dans la tempête…

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