Un Patriot Act à la française

A la suite des attentats islamistes qui ont marqué le début de l’année 2015 le gouvernement a proposé un projet de loi sur le renseignement qui élargit énormément les possibilités légales d’interception des services de renseignement.

L’argument invoqué est que la loi de 1991 sur les interceptions serait devenue obsolète puisque conçue avant l’apparition d’Internet. Il serait désormais indispensable pour la sécurité de nos concitoyens de pouvoir déceler en amont les terroristes avant qu’ils ne passent à l’acte.

Mais derrière ce discours, en apparence rationnel et légitime, se cache une imposture très, très, très lourde de conséquences.

Déni de réalité…

Nos autorités font en effet semblant de croire que nos services de lutte anti-terroriste sont entravés par un manque de moyens juridiques et techniques alors que ce sont les dysfonctionnements au cœur même de l’appareil d’Etat qui sont en cause.

Le péché originel des gouvernements successifs – de la DCRI voulue par Nicolas Sarkozy à la DGSI que François Hollande a prétendu réformer – est d’avoir accrédité l’idée selon laquelle les attentats se produisent parce que les services spécialisés ne peuvent pas détecter en amont les individus dont le profil laisse supposer qu’ils pourraient passer à l’acte. Raisonnement convaincant…en apparence seulement.

Car quand on y regarde de près on s’aperçoit que Mohamed Merah était déjà connu et fiché par la DCRI, que les frères Kouachi et Amédy Coulibaly étaient connus mais non suivis de la DGSI et que Sid Ahmed Ghlam faisait déjà l’objet d’une fiche S de la DGSI.

Paradoxalement le ministère de l’Intérieur a décidé de se mettre à l’école de l’Education nationale : à chaque fiasco on escamote la question des dysfonctionnements, des responsabilités à établir, des méthodes à employer et de la réorganisation des services pour mieux dénoncer le manque de moyens.

Cette rhétorique classique de l’Education nationale est celle qui empêche tout retour d’expérience et qui permet d’éviter à certaines catégories de fonctionnaires de rendre des comptes : pédagogues auto-proclamés et indéboulonnables dans un cas, commissaires de police formant un réseau extrêmement résilient de responsables dispensés d’assumer leurs responsabilités de l’autre.

Le problème n’est donc pas lié à un manque de moyens, il est dû aux dysfonctionnements à répétition de la DGSI et de sa version antérieure la DCRI. Le problème est intrinsèque à l’Etat et le gouvernement actuel veut nous faire croire qu’il peut être résolu de l’extérieur.

et refus d’assumer ses responsabilités régaliennes

Ce projet de loi permet au gouvernement d’éluder les problèmes urgents et décisifs : la réforme de la DGSI, la réorganisation des services de lutte anti-terroriste et la répartition de leurs compétences.

Pourtant ce rôle d’arbitre est un rôle que lui seul peut tenir. Nul autre que lui ne pourra jamais faire à sa place est de réformer en profondeur nos services anti-terroristes et régler tous les dysfonctionnements qui les paralysent actuellement : qui d’autres pourrait couper des têtes au plus haut niveau et imposer les réformes nécessaires qui mettraient un terme à la guerre des services en supprimant les baronnies et les intérêts catégoriels ?

La loi sur le renseignement est un leurre qui permet au gouvernement de démissionner de ses responsabilités ce qui est au sens littéral du terme criminel puisqu’elle sacrifie la sécurité de la population sur l’autel d’intérêts catégoriels.

Mais le gouvernement démissionne également parce qu’en cherchant à faire adopter sa loi sur le renseignement il détourne l’attention pour faire oublier ses propres compromissions politiques avec lceux qui nourrissent l’islamisme.

Qui peut raisonnablement penser qu’un gouvernement qui obéit docilement aux injonctions géostratégiques d’Obama et qui définit sa diplomatie pour permettre à son lobby militaro-industriel de vendre des armes aux pays qui sont les bailleurs de fonds du terrorisme jihadiste (Arabie saoudite, Qatar etc.) peut lutter efficacement contre les islamistes ?

Qui peut raisonnablement penser qu’un gouvernement qui n’a pas le courage politique de se brouiller durablement avec des pays du golfe et du Maghreb pour faire valoir son droit de regard sur la nomination des imams et le financement des mosquées en France peut lutter efficacement contre les islamistes ?

Puisque les objectifs affichés ne correspondent pas aux objectifs réels alors la question se pose : à qui profit e le crime ? La réponse est double : au groupe Thalès d’abord et aux gouvernements – actuels et à venir – ensuite.

Un dispositif qui bénéficiera à Thalès, pas à la sécurité des citoyens

Si le gouvernement a les moyens de faire passer une loi autorisant l’écoute généralisée de l’ensemble de la société il n’a pas en revanche les moyens techniques de procéder lui-même à de telles écoutes.

C’est pourquoi il sous-traite cette tâche, ô combien régalienne, à l’industrie de la sécurité privée. C’est ce qu’il a fait en créant une Plate-forme Nationale des Interceptions Judiciaires (PNIJ) dont il a confié la gestion à Thalès qui se retrouve de facto le détenteur réel et unique des données les plus sensibles.

Certes il sera tenu de les fournir au gouvernement mais le gouvernement ne sera pas en mesure de l’empêcher de conserver, d’utiliser ou de revendre à sa guise celles qu’il aura décidé de ne pas transmettre. In fine le détenteur réel de ces données sera le conseil d’administration de Thalès. Et si demain Thalès se faisait racheter par les Chinois ou les Américains ?

Thalès est devenu l’interlocuteur unique de l’Etat en la matière et sera donc le bénéficiaire exclusif des prestations qu’il lui facturera. Et pour pouvoir facturer le plus de prestations possibles il faut élargir le plus possible le domaine des interceptions légales. Les lobbyistes de Thalès sont en train de réussir à faire adopte un Patriot Act à la française 14 ans après les lobbies militaro-industriels du gouvernement Bush.

Des Renseignements Généraux version 2.0

Si l’opération bénéficie d’abord à Thalès elle bénéficie ensuite au gouvernement actuel et ne sera jamais remise en cause par les suivants auxquels cette loi fournira un substitut aux défunts Renseignements Généraux.

Ce substitut sera à la fois beaucoup plus discret, ratissera beaucoup plus large et ses résultats seront beaucoup plus fiables. On passera directement des inspecteurs Dupond et Dupont à Matrix…

Les partis d’opposition feront ce qu’ils ont toujours fait à l’époque des Renseignements Généraux et du SDECE (l’ancêtre de la DGSE) : ils les dénonceront comme des atteintes intolérables à la démocratie tant qu’ils seront dans l’opposition et les utiliseront à leur profit dès qu’ils seront au pouvoir.

Pourtant la résurrection d’une police politique 2.0 gérée par le privé ne menace pas vraiment notre démocratie puisque celle-ci est morte le 13 décembre 2007 à Lisbonne quand Nicolas Sarkozy a fait ratifier par un traité le projet de constitution européenne que le peuple français avait rejeté par referendum.

Mais si la démocratie n’a plus rien à craindre la société civile, elle, a encore tout à redouter.

Désormais la surveillance de la population sera déconnectée du risque de préparation d’un acte terroriste ou criminel. Ce sera désormais l’opinione jugée déviante qui fera l’objet d’une surveillance. Et par qui l’opinion sera-telle jugée déviante ?

Par des fonctionnaires qui relaieront scrupuleusement les instructions du gouvernement du moment. Ces instructions seront elles-mêmes le produit d’un rapport de forces entre différents intérêts partisans (idéologiques, catégoriels et financiers) auxquels plus rien ne fera contre-poids et que plus rien ne limitera.

Tous ceux qui, pour une raison ou pour une autre, contestent l’organisation ou les orientations de la société actuelle seront sous surveillance : les opposants aux dérives bio-éthiques déjà engagées (avortement, euthanasie, eugénisme, manipulations génétiques), les défenseurs de l’environnement (agriculture raisonnée, décroissance, opposants aux pesticides et aux quotas de production), les partisans d’une économie locale par opposition à l’économie de casino (circuits courts de distribution, refus du monopole de la grande distribution) etc.

Les partisans de la Manif pour tous s’inquiétaient d’avoir été infiltrés et fichés par les services de l’Etat. Qu’ils se rassurent ce sera désormais une certitude et ce sera fait de manière beaucoup plus professionnelle qu’avant…

Aimer n’a rien de spontané

L’inégale répartition des tâches ménagères au sein du couple constitue fréquemment un sujet d’incompréhension et les disputes qui en résultent ne sont prosaïques qu’en apparence.

Elles révèlent en effet une vérité plus profonde : la vie de couple n’est pas une construction spontanée et il n’est pas facile de développer une relation qui s’approfondisse avec le temps et qui, en même temps,  aide chacun à croître en amour et en vérité.

Mais les disputes domestiques constituent paradoxalement une occasion d’apprendre très concrètement à aimer cet autrui qui est tour à tour et souvent en même temps extraordinarement et insupportablement…autre.

Ces disputes en apparence triviales sont en réalité vitales car elles constituent autant d’opportunités pour convertir notre cœur et donc pour apprendre à aimer un peu mieux.

Démonstation.

Les hommes ont généralement un seuil de tolérance au désordre et à la poussière plus élevé que celui des femmes et ils se projettent moins facilement qu’elles dans l’avenir. Par conséquent ils anticipent moins leurs propres besoins.

Ces tendances sont des tendances lourdes : elles préexistent à la formation du couple et ne disparaissent pas sous prétexte qu’un homme et une femme décident d’emménager ensemble ou de devenir parents.

En fait rien ne change vraiment chez l’homme ou chez la femme : ni la sensibilité à l’environnement, ni le niveau d’exigence, ni les réflexes.

Là où madame verra un désordre intolérable et un niveau de saleté insoutenable appelant des mesures énergiques et immédiates, monsieur ne verra rien d’insupportable. Dans le meilleur des cas il trouvera le diagnostic largement exagéré et dans le pire des cas – qui est également le plus fréquent – il ne verra même pas de quoi on lui parle.

C’est donc seule que madame prendra l’initiative du rangement et du ménage. Si on lui demande pourquoi elle se charge de l’essentiel des tâches domestiques, la probabilité est très forte qu’elle réponde : parce qu’il faut bien que quelqu’un le fasse. Réponse sincère mais inexacte. La réponse exacte serait plutôt : parce que je voudrais que les choses soient faites maintenant et pas plus tard.

En fait madame gère son foyer comme si elle était encore célibataire : elle n’a rien changé de ses habitudes ni de son niveau d’exigences. Ce faisant, et tout en étant persuadée du contraire, elle se comporte exactement comme monsieur qui, lui non plus, n’a pas changé ses habitudes ni modifié son comportement. Sauf qu’il le vit mieux puisqu’il en fait moins.

Ce constat nourrit chez madame un sentiment d’injustice et de rancœur. Ce mélange n’a rien d’étonnant mais il est d’autant plus détonant que, la plupart du temps, monsieur ne se doute de rien. Et quand madame lui adresse des reproches d’autant plus vifs qu’elle les a gardés longtemps, monsieur tombe des nues. Il ne comprend vraiment pas ce qu’elle lui reproche et se demande sincèrement où est ce problème qu’il ne le voit pas.

Madame, elle, voit très bien où est le problème. C’est tellement évident ! C’est tellement évident qu’elle ne peut même pas concevoir que monsieur ne le voie pas. Fort logiquement elle en conclut que si monsieur s’obstine à prétendre le contraire c’est qu’il s’obstine à nier l’évidence. Non seulement il est fainéant mais en plus il est de mauvaise foi ! ! !

Le dialogue de sourds peut alors commencer :

Lui : Mais pourquoi m’agresses-tu pour cette histoire de verre laissé sur la table du salon ? C’est odieux de me prendre à partie ainsi. Je ne t’ai rien fait !

Elle : Justement tu ne fais rien. C’est toujours moi qui fais tout dans cette maison.

Lui : Mais je ne t’ai jamais demandé d’en faire autant !

A ce stade d’incompréhension, madame et monsieur se trouvent à la croisée des chemins : soit ils campent sur leur position et s’enferment dans le silence jusqu’au prochain conflit, soit ils décident d’en parler.

Dans le premier cas ils risquent se laisser entraîner dans le cycle infernal des reproches mutuels et des accusations croisées.

Madame maudira la paresse et l’hypocrisie de monsieur qui, objectivement, continuera de lui laisser tout faire et ne s’en porte pas plus mal. Monsieur, lui, comprendra de moins en moins que madame se charge de tâches ménagères dont l’urgence ne lui saute pas aux yeux et dont la fréquence lui paraîtra complètement délirante. Il finira par renoncer à comprendre et le silence s’installera, entrecoupé de scènes de ménages pénibles. La vie de couple finira par se par se dissoudre naturellement faute de n’avoir plus rien à échanger que des récriminations.

Dans le second cas ils peuvent raisonnablement espérer qu’à force de discussions, d’explications et d’écoute ils parviendront à se mettre d’accord sur une règle du jeu commune qui permettra à l’avenir de conjuguer spontanéité et sérénité. Un tel accord sera le résultat d’une négociation c’est-à-dire le fruit d’un compromis, à l’image d’un peuple qui se dote d’une constitution politique.

Il ne satisfera pas toutes les aspirations spontanées de madame et de monsieur mais il permettra à leur relation de progresser au fur et à mesure que chacun sortira de lui-même pour se décentrer et intégrer dans ses choix le point de vue et l’intérêt de l’autre.

C’est à ce prix que leur relation deviendra une relation d’amour et non plus simplement ou d’abord une relation de confort dans un cas et de domination dans l’autre.

Un tel modus vivendi est le résultat d’une construction, souvent laborieuse et jamais achevée. Un compromis se construit, à l’image de la vie de couple elle-même. On n’a jamais fini d’apprendre à aimer et cet apprentissage n’a rien de très spontané.

Aimer n’est en effet jamais facile et rarement confortable :  nous avons tous spontanément envie d’être aimés mais nous n’avons pas spontanément envie d’aimer.

Pourtant aimer est notre vocation à tous, que l’on vive en couple ou pas…

J’ai besoin que quelqu’un me montre le chemin

Dans la culture contemporaine la volonté consciente est trop souvent surévaluée.

L’usage que je fais de ma volonté consciente fait de moi un homme libre et un citoyen de plein droit mais ce n’est pas elle qui prescrit ce qui me garde en vie. C’est tellement vrai qu’on n’y pense pas. Ou plus. Pourtant l’expérience quotidienne l’atteste.

Mon cœur bat sans interruption et sans s’embarrasser de mon consentement. Heureusement pour moi ! Mon organisme gère de lui-même les processus normaux (respiration, digestion, excrétion) qui me maintiennent en vie sans que ma volonté soit ne serait-ce que consultée ou informée.

Mon corps m’envoie des messages pour que je tienne compte de mes besoins vitaux (dormir, manger, boire), lance automatiquement l’alerte quand le danger approche (stress) et déclenche des procédures d’urgence quand il est imminent (réflexes de survie). A chaque instant mon corps prend pour moi des décisions vitales sans me consulter.

Parallèlement à mon intelligence consciente une autre intelligence est à l’œuvre en moi. Une intelligence qui n’obéit pas à ma volonté. Comme disait Nietzsche Il y a plus de raison dans ton corps que dans ta meilleure sagesse.

Mon corps n’est pas seulement doué d’une intelligence qui lui est propre mais également d’une volonté propre susceptible d’entrer en conflit avec ma volonté consciente.

Saint Augustin lui-même constatait qu’il était maître de ses désirs et de ses pensées dans la journée mais que la nuit venue il ne maîtrisait plus rien. Ses pulsions sexuelles et son imagination prenaient le pouvoir quand il dormait en l’absence même de stimuli extérieurs.

De manière plus générale tous ceux qui ont connu ou qui connaissent l’addiction – à l’alcool, au tabac, aux médicaments aux endomorphines (pour les sportifs compulsifs) ou aux produits stupéfiants – font la même expérience : le corps se cabre pour obtenir ce qu’il réclame quand la volonté consciente le lui refuse. Il entre en rébellion et déclenche une véritable guerre civile intérieure qui met aux prises deux volontés distinctes.

Ma volonté consciente ne me résume pas.

Elle n’est qu’une partie de moi. Elle peut être concurrencée par l’intelligence que déploie mon corps et être contestée par la volonté que mon corps lui oppose.

Mais elle peut également être contestée dans ses prérogatives : le monopole qu’elle revendique sur l’usage de ma liberté lui est contesté par quelque chose qui lui échappe, quel que soit le nom qu’on lui donne (inconscient, âme ou conscience).

Les songes que je fais pendant le sommeil ne sont pas dictés par ma volonté consciente puisque celle-ci elle est précisément débranchée.

Les actes manqués et les lapsus qui me trahissent aux yeux du monde révèlent également à moi-même des désirs que ma volonté consciente avait niés et qui ressurgissent de manière inattendue.

Ils me révèlent à moi-même.

La somatisation de mes émotions traduit physiquement la réalité d’un conflit psychique que ma volonté consciente ne peut/veut pas (re)connaître.

Sans parler de cette voix qui murmure à mon intelligence ce que ma volonté ne veut pas entendre, qui me reproche ce que je sais et que je ne supporterais pas d’entendre de la bouche d’une personne extérieure.

Cette voix qui est ce que j’ai de plus intime, que je suis parfois tenté d’étouffer et que les chrétiens appellent la conscience.

Je suis donc un mystère pour moi-même.

Il existe en moi une intelligence qui préexiste à ma volonté consciente et qui fait intimement partie de moi mais qui se déploie sans que je le veuille et parfois malgré ma volonté. En bien et en mal.

Non seulement ma volonté consciente ne peut pas tout mais surtout elle n’explique pas tout. L’homme passe infiniment l’homme.

Si nous devions compter sur notre volonté consciente pour vouloir ce qui nous est nécessaire pour vivre, jamais aucun bébé ne viendrait à terme.

Mais ce qui est vrai de la vie intra-utérine l’est également de la vie après l’accouchement.

Nous ne savons pas vraiment ce qui est bon pour nous ni sur le plan physique ni sur le plan moral.

Je ne sais pas vraiment qui je suis ni ce que je veux au fond.

Mon insatisfaction structurelle m’en est témoin . A peine ai-je obtenu ce que je voulais que je veux déjà ce que je n’ai pas encore. A chaque fois je constate que mon désir profond n’est pas comblé : il rejaillit toujours sous une forme nouvelle.

Je suis un être mystérieux à moi-même.

Je suis régulièrement traversé par des désirs infinis que nul objet fini ne peut contenter.

Seul quelque chose ou quelqu’un d’infini est susceptible d’étancher de manière définitive ma soif inextinguible.

Ce quelqu’un d’infini, je crois l’avoir trouvé.

Comme saint Augustin je m’écrie : Qui pourra donc combler les désirs de mon cœur, répondre à ma demande d’un amour parfait ? Qui sinon Toi Seigneur, Dieu de toute bonté, Toi l’amour absolu de toute éternité ?

Ce quelqu’un d’infini j’ai décidé de Lui faire confiance parce qu’Il m’a prouvé que je pouvais Lui faire confiance.

Car quand Dieu s’est fait homme Il a accepté de mourir pour que je sois sauvé.

Ce faisant Il a prouvé à quel point Il m’aimait.

Puis Il est ressuscité.

En revenant à la vie, Il a démontré qu’Il était suffisamment fort pour triompher de la mort.

En se faisant homme puis en ressuscitant Dieu a gagné ma confiance.

Alors quand Il explique à la Samaritaine au bord du puits : Quiconque boit de cette eau aura soif à nouveau mais qui boira de l’eau que je lui donnerai n’aura plus jamais soif; l’eau que je lui donnerai deviendra en lui source d’eau jaillissant en vie éternelle je fais comme la Samaritaine.Je lui réponds : Seigneur, donne-moi cette eau, afin que je n’aie plus soif et ne vienne plus ici pour puiser1.

Si j’ai décidé de Le suivre – ou plutôt si en dépit de mes contradictions, de mes péchés et de mes incohérences et de mes complaisances je cherche maladroitement à Le suivre – c’est parce que j’ai besoin qu’Il me dise qui je suis et comment l’être mystérieux que je suis dois faire pour être heureux.

Parce que j’ai besoin qu’Il me montre le chemin.

1 Jean 4, 13-14

C’est l’interprétation qui fait la Bible

L’expression « religions du Livre » est fréquemment utilisée par celles et ceux qui souhaitent rapprocher juifs, chrétiens et musulmans en insistant sur ce qui les rapproche plutôt que sur ce qui les sépare. Intention louable mais qui repose sur un concept faux.

D’abord parce qu’il n’existe pas de livre commun aux trois religions : l’islam considère que l’Ancien et le Nouveau testament que nous lisons sont des versions tronquées de la révélation divine antéislamique. Le judaïsme, quant à lui, ne reconnaît de caractère inspiré ni au Nouveau testament ni au Coran. Le christianisme, lui, reconnaît le caractère inspiré de l’Ancien et du Nouveau testament qu’il appelle la Bible. D’où l’ambiguïté du mot Bible qui ne désigne pas la même réalité chez les Juifs et chez les chrétiens.

Ensuite parce que la différence entre le Coran et la Bible chrétienne ne réside pas seulement dans le contenu des textes – ce qui est déjà énorme – mais également dans la manière de lire les textes. En effet le Coran se présente lui-même comme un livre unique contenant la parole exacte de Dieu. Comme le contenu inaltéré, exact au mot près, des paroles dictées par Dieu en langue arabe à Mahomet. Le Coran se présente comme incréé, présent de toute éternité.

Fort logiquement toute traduction ou interprétation constitue une altération de la perfection divine et donc une insupportable profanation : qui est l’homme pour prétendre retrancher ou ajouter quoi que ce soit à ce que Dieu a jugé bon de dire ? Le Coran ne souffre donc, théoriquement du moins, aucune traduction, aucune discussion et aucune interprétation. Je dis théoriquement  car il existe désormais des musulmans qui revendiquent la possibilité de lire le Coran comme on lit n’importe quel autre texte à savoir dans son contexte. Je pense notamment aux travaux de Mehdi Azaïez (www.mehdi-azaiez.org). Mais ces musulmans sont encore des pionniers, il ne s’agit pas (encore ?) de la majorité.

La Bible au contraire ne parle jamais d’elle-même et ne définit pas son statut. Ne serait-ce que parce que la Bible n’est pas un livre mais la somme de quatre-vingt-seize livres rédigés dans trois langues distinctes – l’hébreu, le grec, l’araméen – à des époques fort éloignées et dans des genres littéraires très divers à destination de publics différents. Ces livres reflètent la culture et la mentalité de ceux qui les ont écrits : ils constituent un ensemble disparate tantôt passionnant et tantôt ennuyeux, parfois limpide, souvent obscur, quelquefois édifiant et souvent scandaleux qu’il faut patiemment décortiquer pour en extraire la parole de Dieu qui y est contenue. Rien ne semble donc justifier a priori qu’on les publie ensemble et qu’on en fasse un texte de référence.

C’est pourtant le cas : la Bible a été le fondement de notre civilisation européenne et occidentale, elle continue à l’être dans certains pays, elle détient chaque année le record du plus gros tirage éditorial au monde depuis l’invention de l’imprimerie, elle est traduite dans toutes les langues et elle continue à inspirer des vies et des vocations non seulement en Europe et en Amérique mais aussi – et surtout en Afrique, en Asie et en Océanie. On peut donc en conclure qu’en dépit des apparences il existe une cohérence propre à la Bible qui en explique le succès.

Et si le fil directeur de ces quatre-vingt-seize livres ne se situe pas dans le corps même des textes, il faut alors le chercher dans la lecture concordante qui en est faite depuis des siècles par le peuple de Dieu et que chaque génération transmet à la suivante. Pour les Juifs et les Chrétiens seule l’interprétation et l’exégèse des livres constitutifs de la Bible permettent de discerner la parole de Dieu derrière les mots qu’ont empruntés les hommes qui les ont rédigés.

Seule l’interprétation et l’exégèse donnent sens et cohérence à ce qui ne serait autrement qu’un ensemble hétéroclite de textes abscons et parfois scandaleux.

Pour les Juifs et les Chrétiens, l’interprétation de la Bible n’est pas permise, elle est requise.

Car c’est l’interprétation qui fait la Bible.

Plafond de verre imaginaire et vrai pacte faustien

L’idée est tellement répandue qu’elle est a acquis la force de l’évidence : un jour ou l’autre les ambitions de carrière des femmes se heurtent à un plafond de verre imputable au machisme invisible – et donc d’autant plus sournois – des détenteurs du pouvoir.

Pourtant une telle explication relevant de la théorie du complot – c’est le prototype de l’explication invérifiable et manichéenne – elle devrait susciter la méfiance plutôt que le consensus.

Mais surtout elle fait l’impasse sur une réalité prosaïque : dans le monde professionnel l’accès aux plus hauts postes se fait moins sur des critères de compétence et de performance que sur celui du dévouement voire de la dévotion à l’institution.

Plus les impétrants sont prêts à sacrifier l’essentiel de leur existence à leur employeur – public ou privé – et plus ils auront de chances de se faire adouber par leurs supérieurs et de devenir leurs pairs.

Mais ce choix a des conséquences qui dépassent de beaucoup le sort de celui qui le fait. Car celui qui est prêt à sacrifier  ses soirées, ses week-ends et tout ou partie de ses vacances sur l’autel de ses ambitions ne sacrifie pas simplement sa vie privée. Il sacrifie surtout  celle de son conjoint, de ses enfants et plus largement de tous ceux qui comptaient pour lui et pour lesquels il comptait.

Vue sous cet angle la sous-représentation statistique des femmes dans les instances dirigeantes prend une toute autre signification. Elle traduit un choix plutôt qu’un non-choix.

Elle est l’expression d’un choix de vie – accorder la priorité à la vie relationnelle, à la création de lien social en-dehors du cadre professionnel – et donc d’une préférence. En l’occurrence une préférence pour la gratuité plutôt que pour la performance.

Ce qu’on appelle le plafond de verre est donc une chimère : il n’existe pas ! Les femmes comme Margaret Thatcher, Angela Merkel, Hillary Clinton, Christine Lagarde ou Anne Lauvergeon ne se sont heurtées à aucun plafond de verre.

Elles ont fait comme leurs collègues masculins : pour accéder aux plus hautes marches du pouvoir elles ont accepté d’en payer le prix exorbitant. Elles ont fait comme les hommes qu’elles côtoient au sommet : elles ont accepté le pacte faustien.

Or, c’est ce pacte faustien qu’il faut dénoncer – pour les hommes comme pour les femmes et plus généralement pour leurs proches et de proche en proche pour l’ensemble de la société ! – plutôt que de chercher à le renforcer en enrôlant encore davantage de femmes.

On ne peut pas se plaindre des ravages de l’individualisme et de l’atomisation de la société et en même temps chercher à convaincre les femmes qui n’en veulent pas d’adopter le modèle égoïste et carriériste de collègues qui ont volontairement renoncé à assumer leurs responsabilités morales.

Ce n’est pas seulement pour les femmes qu’il faut cesser de planifier des réunions à partir de 17h c’est aussi pour inciter les hommes à décoller leurs yeux de leur nombril et à s’intéresser prioritairement à   celles et à ceux pour lesquels ils sont réellement irremplaçables.

La question ne se pose pas en termes de guerre des sexes mais en termes de choix de vie et, à l’échelle collective, de choix de société : faut-il promouvoir des comportements centrés sur la performance ou sur le lien ?

Faut-il encourager les salariés à consacrer du temps à leurs proches ou à leur stratégie de carrière ?

Faut-il les inciter à être présents à leurs enfants ou  à sous-traiter la gestion du quotidien à des nounous puis à des enseignants – publics ou privés peu importe – pour mieux s’effacer et disparaître de leur vie sur la pointe des piedds  ?

Faut-il les encourager à sous-traiter l’accompagnement de leurs parents vieillissants à des professionnels de la fin de vie ou faut-il au contraire les encourager à être d’autant plus présents dans ces moments ?

La dénonciation récurrente d’un plafond de verre imaginaire n’est que la promotion déguisée d’un pacte faustien incompatible avec toute forme de vie collective vraiment humaine.

C’est une question de civilisation.

Mais qui d’entre nous est prêt à l’entendre ?

Le Dieu des chrétiens est un Dieu unique et à plus d’un titre

Souvent mes frères musulmans me disent que nous adorons le même Dieu. Cette expression manifeste une empathie réelle à laquelle je suis particulièrement sensible, surtout à une période ou d’autres chrétiens se font massacrer par d’autres musulmans dans d’autres pays. Cela manifeste un sentiment de proximité chaleureuse, de compréhension et de sympathie particulièrement précieux.

Mais c’est également une affirmation théologiquement inexacte qui ne permet pas de comprendre la spécificité du Dieu des chrétiens et des conséquences humaines, spirituelles et civilisationnelles qui en découlent.

Les chrétiens s’accordent avec leurs frères musulmans pour dire que Dieu est unique et qu’Il est mystérieux. Mais pour les chrétiens Dieu n’est pas seulement mystérieux, Il est également paradoxal. Il ne fait jamais ce qu’on aurait pu « légitimement » attendre de Lui. Il nous prend systématiquement à contre-pied et nous pousse à remettre en question la légitimité de nos attentes  pour entrer dans le point de vue de Dieu : ce qui est sage aux yeux des hommes est folie aux yeux de Dieu. C’est vrai de toute la révélation biblique mais c’est particulièrement manifeste dans la manière qu’Il a d’être homme c’est-à-dire en Jésus-Christ.

Car c’est précisément quand Il a choisi de se révéler pleinement aux hommes que Dieu se dépouille des attributs divins qui auraient permis de Le reconnaître à coup sûr. Alors qu’Il veut se faire connaître Il renonce à ses signes extérieurs de divinité : toute-puissance, omniscience, inaltérabilité, gloire…

Pour se faire connaître Il décide de nous dévoiler sa substance : Il est amour. Il se fait connaître tel qu’Il est, dans son essence, au risque d’être méconnu puisque, en ce monde, l’amour est mal aimé.

Le Dieu des chrétiens est souvent déroutant mais jamais équivoque. Ses voies sont impénétrables mais pas sa volonté : Il veut que tous les hommes soient sauvés. Tous. Pas seulement les chrétiens. A ces derniers Il demande de collaborer à son œuvre de salut en tant que serviteurs inutiles : car de qui Dieu aurait-Il besoin ?

Le Dieu de chrétiens n’a besoin de personne et décide pourtant d’avoir besoin des hommes. Il descend de son piédestal divin, renonce à sa seigneurie et à l’adoration qui Lui est due pour se faire quémandeur de l’amour des hommes.

Pire – ou plutôt mieux – Il se fait quémandeur de l’amour de chaque homme individuellement. Tel un amoureux transi régulièrement éconduit Il ne se laisse pas décourager et continue de tenter sa chance. Il se fait demandeur et ça dure depuis des siècles…

Décidément le Dieu des chrétiens est vraiment unique.

L’heure des témoins a sonné

La prospérité des trente glorieuses avait provisoirement éclipsé les grandes questions existentielles. La fin de la guerre froide avait noyé les grands débats idéologiques dans le consumérisme. L’individualisme idéologique de l’Union européenne avait discrédité l’idée même de bien commun.

La fin de la période de croissance et d’abondance commencée au lendemain de la deuxième guerre mondiale et sur laquelle nous avions bâti notre modèle social à la française s’achève et avec elle la promesse d’une qualité de vie que, finalement, seuls les baby boomers auront pleinement vécue.

Le démantèlement programmé de notre système de protection sociale (retraites, temps et conditions de travail, assurance maladie et indemnisation du chômage) nous confronte de nouveau aux drames de la condition humaine que la génération de nos parents avait cru voués à l’oubli : l’aliénation par le travail, l’exploitation de l’homme par l’homme, la maladie et la souffrance.

Dans un contexte de chômage durable et de baisse de niveau de vie généralisée la perspective d’être mis en concurrence avec des ouvriers du tiers-monde sous-payés et exploités paraît de plus en plus inéluctable.

Contrairement à celle de leurs parents, les jeunes générations pourront de moins en moins se réfugier dans la consommation et l’hédonisme – ce que Pascal appelait déjà en son temps les divertissements – pour escamoter les grandes questions métaphysiques qui taraudent l’humanité depuis son apparition. Qui suis-je ? Que puis-je faire ? Que m’est-il permis d’espérer ? Pourquoi la douleur et la mort ? La vie vaut-elle d’être vécue ? Pourquoi ? Pour quoi ? Pour qui ?

A l’heure actuelle les questions sur le sens de la vie réapparaissent sous la forme de questions identitaires (droit des minorités, identité nationale, laïcité à la française) et morales (politiquement correct, écologie et bioéthique).

Mais si les questions ressurgissent, les réponses sur le sens de la vie individuelle se font attendre et pour cette raison même peuvent être sources d’angoisses, particulièrement pour les jeunes générations françaises qui se sentent la plupart du temps démunies car elles se sentent et peut-être se savent moins bien loties que celles de bon nombre de pays émergents.

D’abord parce que les jeunes européens de l’Ouest font partie de ces déshérités auxquels François-Xavier Bellamy a consacré un livre (Les déshérités ou l’urgence de transmettre, Plon 2014).  Pour reprendre ses termes « une génération s’est refusée à transmettre à la suivante ce qu’elle avait à lui donner, l’ensemble du savoir, des repères, de l’expérience humaine qui constituait son héritage ».

Ensuite parce qu’en tant que Français ces jeunes générations sont victimes d’une laïcité idéologique qui cherche à faire taire toutes les grandes traditions religieuses qui proposent des réponses – diverses – à ces questions. C’est la fameuse pétition de principe selon laquelle les convictions religieuses relèvent exclusivement de la sphère privée et n’ont pas le droit d’en sortir sous peine d’offenser ceux qui ne les partagent pas. Exquise pudeur dont les idéologues de la laïcité se dispensent néanmoins quand il s’agit d’exprimer des convictions politiques ouvertement anti-religieuses ou de publier des caricatures explicitement destinées à blesser ceux qui ont des convictions religieuses…

Dans un tel contexte les jeunes Français – qu’ils se sentent français ou pas – ressemblent tragiquement à Blu, l’oiseau domestique du film d’animation Rio qui, ayant toujours vécu chez sa propriétaire, ne sait pas voler et est paniqué à l’idée de rejoindre son milieu naturel pour y vivre sa condition d’oiseau. Les plus jeunes de nos compatriotes sont angoissés à l’idée une existence dont ils perçoivent les écueils mais dont ils ne voient pas le sens.

Face à ce qui apparaît à beaucoup comme une existence dont il n’y a rien à espérer la tentation est de se voiler la face…à tous les sens du terme : la tentation du djihadisme et celle de la fuite dans la surconsommation (pour ceux qui en ont encore les moyens financiers) sont les deux faces d’un même nihilisme.

Dans les deux cas c’est la tentation de la fuite : exorciser l’angoisse d’une vie absurde en se précipitant dans une mort perçue comme libératrice  dans un cas, exorciser cette angoisse de la mort qui rend la vie absurde en s’étourdissant de n’importe quoi – qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse – dans l’autre.

Dans les deux cas cette fuite repose sur la conviction qu’ici-base tout est absurde et dérisoire et que la seule solution rationnelle et raisonnable est de refuser ce monde désespérant avec l’énergie du désespoir.

C’est dans ce contexte que le pape François et ses prédécesseurs appellent les chrétiens à la nouvelle évangélisation en témoignant de témoigner de l’espérance qui les habite : Soyez toujours prêts à rendre compte de l’espérance qui est en vous ; mais faites-le avec douceur et respect (Première lettre de saint Pierre 3.16).

Cela consiste à signifier par sa vie d’abord et par la parole ensuite que, contre toute évidence sensible, le mal n’est pas la norme mais un dysfonctionnement tragique qui sera corrigé in fine.

Que cette conviction n’est pas d’abord le résultat d’une réflexion et encore moins d’une auto-suggestion mais la conséquence d’un événement historique : la mort et la résurrection de Jésus-Christ.

Que Dieu ne méprise pas la condition humaine (il s’est fait homme lui-même), qu’il n’est pas indifférent à la souffrance des hommes (il a lui-même été torturé à mort et à tort) et qu’il est tout-puissant (il est ressuscité).

Que tout ce que nous vivons est provisoire mais pas dérisoire.

Que nous ne marchons pas dans une vallée de larmes mais sur un chemin d’éternité.

Que si nous continuons à boiter c’est avec la certitude d’être aimés par quelqu’un qui nous attend au terme du chemin.

Mais comme ceux qui ont le plus besoin d’entendre cela sont précisément les plus angoissés  et donc les plus sceptiques – on a tellement peur d’être déçus qu’on anticipe la déception en n’accordant pas sa confiance – il faut préparer le terrain et les apprivoiser préalablement.

Pour que notre témoignage soit audible il faut auparavant prendre le temps de remplacer le climat de méfiance par un climat de confiance en instaurant des relationsauthatiques et bienveillantes.

Cela suppose de la part des chrétiens qu’ils prennent l’initiative d’aimer les premiers sans attendre la réciprocité – aimer quelqu’un c’est rechercher d’abord son bien pas sa reconnaissance – et de persévérer.

A l’image de Dieu qui a fait le premier pas pour aller à la rencontre des hommes et qui ne s’est pas laissé décourager par les refus – pourtant humiliants– qu’il a essuyés.

Mais si nous mettons précisément toute notre espérance dans un tel Dieu comment faire autrement ?

Et puis si nous annonçons un Dieu d’amour comment pouvons-nous espérer être crédibles si nous ne sommes pas en mesure d’en distribuer un échantillon ?

Plusieurs religions, une vérité : comment discerner ?

La multiplicité de l’offre religieuse sur le marché mondialisé a de quoi laisser perplexes les indécis : toutes les religions ne se prévalent-elles pas de détenir la vérité ? Toutes ne dénient-elles pas ce monopole à leurs concurrentes ?

Certains en concluent qu’elles se valent toutes dans leur prétention dangereuse à monopoliser la vérité, qu’elles sont toutes également enclines à l’intolérance et à ce titre dangereuses et qu’il vaut mieux adopter à leur égard une hostilité de principe égalitaire.

Les plus cohérents d’entre eux jugent nécessaire de lutter politiquement et idéologiquement contre leur influence avec la même détermination intransigeante que quand on entreprend une campagne de dératisation. Ce sont les héritiers des Lumières.

Leur certitude est à la fois complètement folle et radicalement fausse.

Elle est folle car c’est une présomption littéralement délirante que de décréter unilatéralement que toute l’expérience spirituelle accumulée par l’humanité depuis son apparition est incapable de leur apprendre quoi que ce soit.

Elle est radicalement fausse parce que ses présupposés sont faux : il n’est pas vrai que toutes les religions revendiquent le monopole de la vérité et que les garanties qu’elles apportent soient équivalentes.

Une typologie des religions, même sommaire, suffit à le démontrer.

La plupart des religions ne prétendent pas dévoiler de vérité

L’hindouisme, religion dont les mythes fondateurs se perdent dans la nuit des temps, ne prétend pas à l’exclusivité de la vérité. Transmis de générations en générations ses récits fondateurs ne se placent sous la tutelle d’aucune autorité identifiée. Cela n’empêche pas certains hindouistes, comme les hommes de n’importe quelle religion, de persécuter ceux qui ne partagent pas leur religion (chrétiens et musulmans).

Le bouddhisme, leconfucianisme et le taoïsme sont d’autant de sagesses de vie fondées par de grands maîtres de sagesse (Bouddha, Confucius et Lao Tseu) qui ne sont pas à proprement parler des religions au sens où nous l’entendons. Elles ne prétendent pas dévoiler de vérité mais constituer un art de vivre destiné à réussir son existence ici-bas. Elles ne nous renseignent pas sur le sens de notre vie ici-bas et sur notre éventuelle vie après la mort.

Les religions animistes – et notamment celles qui incluent des sacrifices humains comme dans le cas du culte rendu par les Carthaginois au dieu Baal ou celui que les Aztèques rendaient au dieu soleil – visent à préserver une harmonie cosmique toujours précaire, à acheter la paix sociale avec les forces obscures et malfaisantes de l’univers en les tenant à distance. Elles ne se préoccupent ni de certifier leur origine divine, ni de répondre à une quête de sens. La question de la vérité ne les préoccupe pas.

Certaines religions sont ce que nous appellerions des « religions laïques » qui divinisent le système politique… et renforcent l’autorité de ceux qui le dirigent : c’était le cas des empires incas, égyptien et romains, c’est toujours les cas du shintoïsme au Japon. Et en sens c’est également vrai des religions athées comme le nazisme ou le communisme que l’on a vu fleurir au XXème siècle. La vérité n’est pas non plus leur préoccupation. Les leurs sont plus prosaïques : maintenir la cohésion sociale et renforcer la légitimité du pouvoir en place.

Les religions syncrétiques (New Age et sectes.) sont le produit d’une démarche marketing visant à proposer au public un nouveau produit correspondant à ses attentes. Ce n’est pas le résultat d’une quête de la vérité.

Seules les religions révélées (judaïsme, christianisme, islam, mormonisme) prétendent révéler et transmettre une vérité dont elles ne sont pas l’inventeur.

L’origine divine de leur contenu, qu’elles revendiquent toutes, est le gage de l’authenticité du message et toutes se présentent comme des messagers fidèles qui n’ont rien ajouté ni rien retranché de la vérité divine originelle.

Seules les religions révélées prétendent à l’exclusivité de la vérité

Les héritiers des Lumières se trompent et trompent donc leur monde en affirmant que toutes les religions prétendent à l’exclusivité de la vérité : c’est tout bonnement faux. La question de la vérité n’est centrale que pour les religions qui se présentent comme des religions révélées et celles-ci sont en nombre réduit.

C’est pour elles, et pour elles seules, que se pose la question de l’authenticité de leur origine divine. Mais ce n’est pas pour autant que la question est insoluble. On peut en effet appliquer à cette révélation la méthodologie qu’utilisent quotidiennement les journalistes, les historiens, les services d’investigation de la police et les services de renseignement : le recoupement des sources.

Le critère est simple : ces religions se présentent-elles comme le produit d’une révélation privée, attestée par un seul individu et par définition invérifiable ou d’une révélation collective, attestée par plusieurs individus ? En d’autres termes peut-on recouper les sources ?

Ce critère permet d’exclure a priori l’Islam et le Mormonisme, pas le Judaïsme et le Christianisme.

Dans la révélation biblique c’est par l’intermédiaire de patriarches, de prêtres, de rois et de prophètes et du Messie vivant à des époques différentes qui annonçaient la parole de Dieu, prophétisaient les événements à venir et accomplissaient les prophéties annoncées.

Dans le Nouveau testament, nous disposons de quatre témoignages distincts (les quatre évangiles) qui correspondent dans les grandes lignes et ne divergent que dans les détails. Exactement comme les sources des historiens nous apprennent l’histoire de Rome

Ce n’est pas une garantie absolue de vérité, ce n’est pas une preuve : c’est un gage de vraisemblance.

Des faisceaux d’indices convergents, pas des preuves

L’absence de preuve, au sens scientifique du terme, est parfois une source de scepticisme pour de nombreux indécis et même pour des croyants. Mais c’est précisément cela qui est étonnant que l’absence de preuve soit regrettable, on peut l’admettre.

Mais en quoi cela serait problématique ?

Après tout qui a épousé son conjoint après que celui-ci lui ait prouvé son amour ? Personne.

Nous nous marions parce que quelqu’un nous déclare son amour et que nous lui faisons confiance sur la base d’un certain nombre d’indices convergents et sur la base de notre cette intuition que Pascal appelait le cœur et qui comprend sans pour autant pouvoir démontrer : le cœur a ses raisons que la raison ignore.

Qui a jamais suivi les prescriptions d’un médecin parce que celui-ci lui avait préalablement démontré la justesse de son diagnostic et prouvé la justesse du traitement qu’il préconisait ? Personne.

Nous faisons, éventuellement, confiance à un médecin sur le fondement de ce que nous en disent des amis ou des connaissances dont le témoignage nous semble, lui aussi, digne de confiance.

De manière générale nous passons notre vie à prendre des décisions sur la base d’une information lacunaire et imparfaite c’est-à-crie sans disposer de preuve, sans avoir decertitude absolue.

Nous le faisons habituellement sur celui de la probabilité en nous fondant sur des faisceaux d’indices convergents plutôt que sur des preuves.

Nous décidons à un moment d’accorder notre confiance à quelqu’un. Au sens littéral du terme nous lui accordons notre foi.

Ce que nous faisons quotidiennement dans tous les domaines de la vie avec les personnes qui nous entourent n’est pas absurde.

Alors pourquoi ce que nous faisons avec eux serait-il absurde avec Dieu ?

Les musulmans actuels sont dans la situation qui était celle de nombreux catholiques avant le concile de Vatican II

Les tragiques événements qui se multiplient depuis le début de cette année posent avec angoisse la question de la cohabitation avec l’islam. Le temps d’y penser a souhaité apporter sa contribution au débat en republiant l’entretien que Hyacinthe nous avait accordé en 2011. Hyacinthe est un chrétien qui connaît bien l’islam, qui parle couramment l’arabe et qui a vécu de nombreuses années au Moyen-Orient où il a conservé des contacts, raison pour laquelle il a souhaité s’exprimer sous pseudonyme. Evitant de céder aux deux formes d’autosuggestion que sont l’optimisme et le pessimisme, il s’intéresse davantage aux musulmans en tant que personnes humaines en quête de salut qu’à l’islam en tant que dogme ou que civilisation. Ce regard, trop rarement adopté (y compris au sein de l’Eglise) est pourtant celui que portait sur le Christ sur chaque personne qu’il rencontrait…

Le conformisme est réputé tellement fort au sein de la communauté musulmane qu’on dit parfois de la pratique religieuse qu’elle est trompeuse. Alors que parmi les chrétiens on trouve des croyants non-pratiquants on trouverait chez les musulmans de nombreux pratiquants non-croyants. Est-ce vrai ?

Non, c’est exagéré. Le musulman est en général profondément croyant, tout simplement parce que l’homme est naturellement religieux. La foi des musulmans n’est pas contestable. C’est même cela qui avait frappé Charles de Foucauld et qui a a été le point de départ la quête spirituelle qui a abouti plus tard à sa conversion… au catholicisme.

On ne peut donc pas parler de conformisme à propos de la pratique religieuse des musulmans ?

Si, mais le conformisme se situe ailleurs. Il ne s’agit pas d’une duplicité qui consisterait à prier du bout des lèvres un Dieu auquel on ne croirait pas. Il s’agit plutôt de soumission : soumission à Dieu – c’est le sens du mot islam en arabe – et à ses représentants sur terre que sont les mollahs, les cheikhs ou les imams.

Cette absence de liberté est d’autant plus forte que la plupart des musulmans ne connaissent du Coran que ce qu’ils en entendent dans les prêches qu’ils écoutent à la mosquée. Les prédicateurs eux-mêmes n’ont le plus souvent qu’une connaissance purement factuelle du Coran. Leur formation a consisté à apprendre par cœur le Coran et leur autorité dérive de leur capacité à le réciter par cœur. En Egypte un prédicateur célèbre a exercé ses fonctions officielles pendant quarante ans alors qu’il n’avait jamais lu un autre livre que le Coran. Un seul livre suffit….

Peut-on parler d’obscurantisme ?

Les musulmans actuels sont dans la situation qui était celle de nombreux catholiques avant le concile de Vatican II. Ils ne connaissent pas leur livre sacré parce qu’ils ne le lisent pas, n’en connaissent que des bribes qui leur ont été rapportées et leur foi – sincère – est une fois reçue mais pas éclairée. Elle repose sur une vision au fond assez manichéenne du monde et de la vie : d’un côté les croyants qui seront sauvés, de l’autre les incroyants qui ne le seront pas.

Présenté ainsi c’est assez inquiétant !

Oui mais ça commence à changer. Des musulmans à l’esprit ouvert et vivant en France comme le professeur  Abdelwahab Meddeb [décédé depuis] proposent désormais de lire le Coran comme un livre rédigé de main d’homme et, à ce titre, susceptible d’être interprété et discuté. Car c’est là que se situe, d’après moi, la clef de l’évolution de l’islam.

En effet le postulat actuel est que le Coran a directement été dicté par Dieu, en arabe et à la virgule près, à son scribe Mahomet. C’est ce postulat érigé en dogme qui verrouille toute réflexion et toute discussion donc tout dialogue avec les non musulmans. Car si Dieu en personne a choisi les mots du Coran qui pourrait avoir la prétention de le corriger ?

A l’inverse si l’on admet que, comme pour la Bible, il s’agit d’un livre inspiré par Dieu à un ou des homme(s) alors non seulement la réflexion et la discussion deviennent possibles mais elles deviennent même indispensables pour distinguer ce qui vient de Dieu et ce qui vient des hommes.

Mais en faisant cela les musulmans comme Abdelwahab Meddeb remettent en cause le dogme du Coran incréé et provoquent une véritable secousse tellurique dans l’imaginaire musulman qui peut se manifester par des réactions violentes. C’est ce qui explique qu’ils vivent et s’expriment dans des sociétés européennes et non dans des sociétés majoritairement musulmanes.

Quel regard portez-vous sur les musulmans de France ?

La plupart d’entre eux ne connaissent ni le Coran, ni l’arabe. Malgré le niveau d’alphabétisation et de scolarisation supérieur à celui de leurs parents, leur ignorance en matière religieuse reste grande.

Si la pratique de l’islam s’apparente davantage à l’observance de commandements qu’à une vie spirituelle intériorisée, intime et personnelle alors cela signifie que les musulmans exigeants ne parviennent pas à étancher leur soif spirituelle. N’est-ce pas là un boulevard pour l’évangélisation ?

Effectivement on assiste chaque année en France à de nombreux baptêmes de musulmans. C’est un phénomène bien réel mais peu visible car les intéressés le font très discrètement par peur des réactions de leur famille voire par peur des représailles prévues par le Coran pour les musulmans quittant l’islam. J’en connais personnellement. Je note que souvent la conversion de musulmans est en grande partie, la conversion de musulmanes.

De fait au moins la moitié des musulmans français ou vivant en France sont en fait des musulmanes qui, contrairement à leurs mères, sont scolarisées, jouissent de droits civiques, peuvent travailler et devenir indépendantes financièrement. Cette liberté, nouvelle pour les musulmanes, leur permet de faire des choix de vie, ce qui était impensable auparavant. Dans ce contexte la conversion au christianisme de musulmans est un phénomène qui n’en est peut-être qu’à ses débuts…

Oui, je le pense. D’autant que les conversions au christianisme ne se font pas seulement au sein de l’Eglise catholique : les églises évangélistes sont très actives et n’ont aucune inhibition.

De manière générale la présence en France d’une importante communauté musulmane modifie les comportements et les habitudes des femmes musulmanes qui commencent à faire entendre leurs voix. Un mouvement comme Ni putes, ni soumises a été fondé par des musulmanes françaises qui souhaitaient ne pas porter le voile (et encore moins la burqa).

L’émancipation des musulmanes grâce à des sociétés non musulmanes, est une grande avancée en vue d’une approche beaucoup plus libre de l’islam, en effet. C’est un grand facteur de changement.

Le christianisme n’est-il pas dans une position privilégiée pour accueillir des musulmans sincères qui souhaitent concilier Foi et Raison ?

Je le crois. Contrairement à ce qui se passe dans l’islam où l’on est musulman du seul fait que l’on naît musulman, on ne naît pas chrétien : on le devient. Et on le devient progressivement. Le baptême est moins un acte qui inclut dans une communauté – en l’occurrence la communauté chrétienne – que le point de départ d’un cheminement spirituel individuel vers la sainteté qui sollicite le discernement et l’usage de la raison. Le baptême des enfants n’y fait pas exception : il n’est accordé à l’enfant que sur l’engagement que prennent ses parents de l’élever dans la foi et de le catéchiser.

Il ne s’agit donc pas d’intégrer le camp des vainqueurs par opposition au camp des perdants que serait celui des non baptisés. La Foi en Jésus nous prémunit contre toute vision manichéenne du salut. Notre vocation n’est pas le baptême mais la sainteté : l’enjeu est de grandir dans la connaissance et dans la volonté de Dieu. Cela engage notre Foi, notre volonté, notre liberté et notre action. Cela nous libère du joug de la Loi, reconnaissant avec saint Paul que la lettre tue et que l’Esprit vivifie. (2 Corinthiens 3, 6).

C’est particulièrement précieux pour des musulmans sincères qui sont tiraillés entre leur aspiration à une vie spirituelle authentique et compatible avec les exigences de leur conscience individuelle d’une part et leur attachement à la loi coranique réputée divine d’autre part.

Selon vous c’est ce qui explique l’attrait qu’exerce la foi chrétienne sur les musulmans et les musulmanes qui vivent en France ?

Je pense que si aucun chrétien n’est à la hauteur de l’Evangile on trouve en revanche de nombreux musulmans qui valent mieux que le Coran. D’ailleurs même quand on voit des musulmans qui ont le cœur plein de haine et de péchés il faut avoir deux fois plus de bienveillance envers eux qu’envers les chrétiens qui commettent le mal. Car les musulmans, eux, ne connaissent pas le Christ. Pour référence ils n’ont, en tout et pour tout, que la figure de Mahomet. Ce n’est pas vraiment équivalent. Tandis que nous nous avons le Christ pour modèle. D’ailleurs le Christ est notre unique modèle. C’est lui qui nous guide et nous donne confiance même quand l’Eglise nous déçoit et nous trouble.

A nos frères musulmans nous devons indiquer le Christ et nous tenir toujours prêts à rendre compte de l’espérance qui nous habite pour reprendre les mots de Saint Pierre. Et toujours avec douceur et respect (1 Pierre 3, 16). Nous devons leur indiquer le Christ au nom de la vérité car c’est la recherche de la vérité qui fait les justes et non pas l’appartenance à un camp identifié par les uns comme le camp des saints par opposition au camp des damnés.

Voilà un message qui est une bonne nouvelle pour tout homme de bonne volonté et donc pour tout musulman de bonne volonté. C’est le Christ qui sauve mais il ne réserve pas son salut aux seuls baptisés : il est venu sauver le monde, l’ensemble de l’humanité.

Cela veut-il dire qu’il n’est pas nécessaire d’être chrétien ? A quoi bon annoncer le Christ dans ce cas ?

Tout au contraire il nous faut annoncer à tous les hommes que le salut est offert par Dieu gratuitement à ceux qui cherchent la vérité et font le bien . Il faut leur dire que la proposition de Dieu est valable y compris jusqu’au dernier moment.

Avez-vous remarqué que le bon larron – qui est le premier sauvé « officiel » depuis l’avènement du Christ – a été sauvé alors même qu’il n’avait pas reconnu en Jésus-Christ le Fils de Dieu ? Il a été sauvé « seulement » parce qu’il a fait la vérité sur lui-même et sur sa vie en admettant au dernier moment que lui méritait son châtiment alors que Jésus, victime innocente, ne méritait pas, lui, d’être mis à mort.

Le bon larron a été sauvé parce qu’il a confessé ses fautes et son péché en vérité. Et Dieu, révélé en Jésus, est un Dieu d’Amour qui ne fait pas de différence entre les hommes, ce Dieu tient en effet compte du retour du pécheur : ça c’est une Bonne nouvelle, voire la Bonne Nouvelle, qu’il faut annoncer à tous. Ceux qui cherchent la vérité font leur salut sans le savoir.

Le salut proposé par Jésus-Christ étant destiné à tous et offert gratuitement il concerne même ceux qui ne sont pas chrétiens. L’Esprit souffle là où il veut et Dieu n’est pas tenu par les sacrements : sa grâce passe par eux mais elle n’en est pas prisonnière.

C’est précisément cette gratuité, cette universalité et cette générosité du Christ qui sont susceptibles d’attirer à lui tous ceux qui, parmi les musulmans, sont des chercheurs de vérité.

Une fois que l’on s’attache à la personne du Christ on s’attache naturellement à ce qu’il nous dit (son enseignement) et à ce qu’il a institué (l’Église en tant que communauté des fidèles du Christ et les sacrements).

Ce n’est qu’à partir du moment où l’on rencontre le Christ que le baptême et les sacrements deviennent une option et un engagement libres pour cheminer avec et vers le Christ qui est le chemin, la vérité et la vie (Jean 14, 6).

Pour les musulmans, comme pour les chrétiens d’ailleurs, l’appartenance à l’Eglise ne peut avoir de sens que par rapport au Christ. N’est-ce pas d’ailleurs ce que montre Joseph Fadelle quand il raconte le parcours de sa conversion (Le prix à payer) ?

Pouvait-on faire mieux que le bouddhisme en l’absence de révélation divine ?

Bénédictin, père abbé émérite de l’Abbaye de Saint-Wandrille, Dom Pierre Massein a toujours été attiré par l’Extrême-Orient. Il a appris le sanscrit et le pâli pour pouvoir lire dans le texte les écrits bouddhistes. Il a également appris le thaï et s’est imprégné de la culture thaï avant de partir pour la Thaïlande où il a longtemps vécu. Il a fait l’expérience de la vie des moines bouddhistes dans un monastère thaï en forêt.

Dans son livre Un moine chrétien rencontre des moines bouddhistes, Dom Massein témoigne d’une expérience particulièrement originale du dialogue interreligieux. Il relate moins des dialogues entre croyants ouverts à la rencontre qu’une rencontre de moines ouverts vers l’absolu et en profite au passage pour battre en brèche l’idée communément admise que le bouddhisme est une religion athée.

Le moteur de la démarche des moines chrétiens et bouddhistes est en effet une aspiration mystique vers cet absolu que les premiers osent appeler non seulement Dieu mais aussi Père et dont les seconds n’osent rien dire par peur de dire des choses fausses.

Les points communs à la pratique monastique chrétienne et bouddhiste (disciplines concernant le sommeil, l’alimentation, les horaires, le mode de vie ascétique) a servi à Dom Massein de terrain d’entente et de point de départ pour découvrir, dans le nécessaire apprivoisement mutuel et en surmontant les limites du langage, le cheminement spirituel des moines bouddhistes qu’il a côtoyés.

Divergence doctrinale et convergence des expériences spirituelles

Dans le christianisme, chaque homme est invité en tant que personne unique et irremplaçable à entrer en relation avec un Dieu personnel…tellement personnel qu’il est Un en trois personnes ! La doctrine bouddhiste, quant à elle, ne nie pas la notion de personne mais elle l’ignore. Son objet est plutôt de renoncer à l’ego.

C’est là que l’expérience de Dom Massein dans un monastère bouddhiste est instructive. En fréquentant au quotidien des moines bouddhistes burinés par des années d’ascèse, il ne peut que constater et admirer chez la plupart d’entre eux un remarquable équilibre intérieur, à la fois psychologique et spirituel.

Manifestement, ce qui s’était épanoui en eux pendant toutes ces années, c’était…leur personne. L’expérience spirituelle qu’ils avaient faite et qu’ils continuaient à faire dépassaient leur doctrine.

D’où sa question : peut-on penser qu’ils bénéficient d’une grâce de Dieu ? Ou plutôt : peut-on penser qu’ils n’en bénéficient pas ? Car, dit-il, on ne peut mener une vie si exigeante, aussi longtemps et d’une façon aussi épanouie, sans une grâce de Dieu. Dom Massein exprime sa conviction profonde: ces moines font une expérience anonyme de Dieu.

Mais, après tout, est-ce si étonnant ? Le Christ ne disait-il pas qu’on reconnaissait un arbre à ses fruits ? Et si l’on admet que Dieu passe par les sacrements mais n’en est pas prisonnier pour autant, alors qu’est-ce qui permet d’affirmer que la Seigneur ne Se manifeste pas à l’homme – de manière certes voilée – dans la tradition bouddhiste ? Le Créateur ne Se révèle-t-il pas déjà de manière anonyme dans Sa création ?

Le bouddhisme: un lointain cousin de la théologie apophatique ?

Au-delà de la diversité doctrinale de ses différentes écoles, le boudhisme aspire à rejoindre l’absolu. Il croit que seul le fait de rejoindre l’absolu peut combler l’aspiration au bonheur qui se trouve au coeur de chaque homme. Saint Augustin ne disait pas autre chose. Partant du constat qu’il était un être de désirs infinis, il en déduisait fort logiquement qu’il ne pouvait trouver le bonheur que quand ses désirs auraient trouvé un objet lui-même infini : Dieu.

Mais, prudent, le bouddhisme s’interdit de dire quoi que ce soit sur cet absolu. Prudence méthodologique ou scrupule déontologique : la réalité ultime ne peut être ni imaginée, ni exprimée par des mots tirés de l’expérience humaine. Là encore, le bouddhisme rejoint la tradition chrétienne de la théologie dite apophatique. Cette tradition, également appelée théologie négative et illustrée par le pseudo-Denys, consiste à dire non pas ce que Dieu est mais ce qu’Il n’est pas.

C’est exactement ainsi que le bouddhisme parle du nirvâna. Il le décrit en utilisant des termes négatifs pour dire ce que n’est pas le nirvâna. Loin de tout nihilisme, il s’agit là encore d’une description apophatique d’une réalité ineffable qui vise à détruire les fausses représentations que nous pourrions être tentés de nous en faire et tous les conditionnements qui feraient que l’absolu ne serait plus l’absolu.

Nous savons bien que notre tendance naturelle est de donner une valeur absolue à des choses qui n’ont qu’une valeur relative (un système de pensée, une vertu, une institution…) – en langage chrétien, on appelle ça se faire des idoles – et le bouddhisme agit directement contre cette tendance pour aboutir à une vraie liberté intérieure.

Le bouddhisme affirme ainsi que nul ne peut provoquer le nirvâna puisque, si le nirvâna était lui-même l’effet d’une cause, il serait lui-même quelque chose de relatif et non d’absolu. Il serait « ravalé » au rang de conséquence d’une cause extérieure et antérieure: il ne serait pas l’Absolu.

Il y a un non né, non causé, non créé, non formé. S’il n’y avait pas de non né, non causé, non formé, nulle sortie de ce monde ne serait possible. Mais puisqu’il y a un non né, non causé, non créé, il est possible d’échapper à ce monde né, causé, créé, formé.

Udana III,3

Le moine bouddhiste sait très bien qu’il ne fait que préparer le terrain en le déblayant de tout ce qui l’encombre et qu’il se dispose ainsi à accéder à un nirvâna dont nul ne sait quand il adviendra. Au coeur de la démarche bouddhiste se trouvent la gratuité et l’ouverture à la transcendance. C’est d’ailleurs la seule justification de l’ascèse du renonçant et plus généralement du moine. Qu’il soit bouddhiste ou chrétien.

Le bouddhisme vaut-il le christianisme ?

Derrière question se cache bien évidemment celle du relativisme.

Dom Massein écarte la tentation du relativisme : un non-croyant qui sera sauvé le sera toujours par le Christ qui est l’unique sauveur. Telle est la révélation que Dieu nous apporte en Jésus-Christ, Son Fils: c’est parce que l’homme est naturellement impuissant à monter jusqu’à Dieu que Dieu est descendu jusqu’à l’homme. Ce que le Christ demande aux chrétiens, c’est de vivre de Son amour puis de témoigner de Lui en actes et en paroles, auprès des bouddhistes comme des autres.

Mais, comme le fait remarquer Dom Massein, si le Christ est le seul sauveur, le salut chrétien n’est pas formellement un salut par la connaissance – c’est la tentation de la gnôse – mais par la charité.

Ce n’est pas une question de doctrine. La doctrine ne sauve pas. Tu dis que tu crois qu’il n’y a qu’un seul Dieu et tu fais bien, les démons aussi et ils en tremblent (Lettre de Saint Jacques 2, 19).

Si la foi peut sauver, la foi est l’adhésion à une personne que l’on connaît déjà comme une personne. C’est le sens de l’expression « j’ai foi en toi ». C’est une question de confiance. C’est la confiance du centurion romain qui s’en remet entièrement à Jésus et qui fait dire à ce dernier : Amen, je vous le déclare, chez personne en Israël, je n’ai trouvé une telle foi (Matthieu 8, 5-17). Mais pour cela encore il faut non seulement savoir à qui on a affaire mais aussi déjà savoir qu’on a affaire à quelqu’un. Sinon, la question de la foi qui sauve se pose autrement.

Comme le dit Saint Thomas d’Aquin, la foi peut exister à l’état implicite dans le coeur de l’homme et le sauver quand, à un moment crucial de sa vie, il opte pour le bien et accomplit la volonté de Dieu quelle que soit la manière dont il Le conçoit…où ne Le conçoit pas. Un peu comme le centurion romain cité en exemple par Jésus à ses disciples (qui ont dû modérément apprécier).

Le bouddhisme peut-il aider les chrétiens à devenir davantage chrétiens ?

La philosophie grecque possédait un mode de raisonnement propre et indépendant des différentes écoles philosophiques (pythagoricienne, péripatétique, milsénienne etc.). C’est ce mode de raisonnement que les chrétiens ont fini par adopter et qui leur a permis de mieux exprimer et de mieux exposer la Bonne nouvelle dont ils étaient les heureux bénéficiaires. C’est ainsi qu’est née la théologie sous la forme que nous connaissons actuellement.

L’exemple le plus fameux de cette récapitulation du patrimoine grec, à l’origine extérieur à la révélation, est l’oeuvre de Saint Thomas d’Aquin qui s’appuie très largement sur l’étude d’Aristote.

De même, le bouddhisme possède une connaissance concrète de la vie intérieure qui est distincte de sa ou plutôt de ses doctrines. C’est une somme de sagesse pratique et une discipline spirituelle qui a pour objet de nous libérer des passions qui nous rendent malheureux, d’exercer notre discernement pour ne pas nous fourvoyer dans des illusions qui sont des impasses et à cultiver la sérénité face aux vicissitudes de l’existence.

Alors, si nous prenons au sérieux ce que nous recommande Saint Paul et que nous prenons à notre compte tout ce qui est vrai et noble, tout ce qui est juste et pur, tout ce qui est digne d’être aimé et honoré, tout ce qui s’appelle vertu et qui mérite des éloges (Philippiens 4, 4-9) la question se pose: quel usage les chrétiens peuvent-ils faire du bouddhisme ?

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