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Ecouter l’Eglise avec discernement : un besoin plutôt qu’un devoir

Le langage humain est imparfait et limité et ce quelle que soit la langue considérée. Notre compréhension individuelle de la Parole de Dieu est, elle aussi, limitée : c’est pour cela que nous avons besoin de confronter et de compléter ce que nous en avons compris avec ce que d’autres en comprennent et avec ce que nos prédécesseurs en ont compris. Il s’agit de recouper, de corriger et d’approfondir ce que nous en comprenons. C’est ce qui ne peut se faire qu’à l’intérieur de la communauté de ceux qui cherchent à comprendre la Parole pour s’y conformer : l’Eglise. Tout croyant est en effet exposé en permanence au risque de réduire Dieu et Sa parole à ce qu’il en comprend, à ce qu’il croit en comprendre et surtout à ce qu’il veut en comprendre. Entre l’autosuggestion et le mensonge délibéré la frontière est souvent floue…

Si le clergé et la hiérarchie ecclésiale ont élaboré des dogmes et des articles de foi c’est pour permettre à la conscience d’acquiescer en liberté et en vérité en mettant à sa disposition un résumé raisonné et argumenté de ce qui été cru partout, toujours et par tous pour reprendre l’expression forgée au Vème siècle par Vincent de Lérins. C’est la seule justification de leur autorité doctrinale. En aucun cas ils ne sont prescripteurs ou mêmes juges de la vérité.

L’Eglise n’est donc pas une caste d’experts infaillibles ou de saints omniscients qui détiendraient une foi(s) pour toute une vérité infaillible et intangible. Elle-même ne sait pas tout. L’Eglise ne détient pas la vérité. Elle reçoit progressivement la vérité de Quelqu’un qui est la Vérité :

J’ai encore beaucoup à vous dire, mais vous ne pouvez pas le porter à présent. Mais quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous introduira dans la vérité tout entière; car il ne parlera pas de lui-même, mais ce qu’il entendra, il le dira et il vous dévoilera les choses à venir (Jean 16, 12-13).

Elle passe sa vie à approfondir, c’est-à-dire à découvrir, et à transmettre plus ou moins bien une vérité qui la dépasse parce qu’elle n’en est pas la source. C’est une vérité qui, parfois, lui déplaît parce qu’elle la prend elle-même souvent à contre-pied. L’histoire de l’Eglise regorge de croyants dont le seul tort fut d’avoir eu raison trop tôt. Il n’y a qu’à voir le nombre de saints qu’elle a canonisés après les avoir condamnés et persécutés : combien de saints ont souffert pour l’Eglise et par l’Eglise ? Sans compter la masse – bien plus nombreuse – de tous ceux qui n’étaient pas des saints mais qu’elle a fait injustement souffrir…

Elle est comparable à un vieux docteur de deux mille ans qui a une expérience très précieuse, incomparable et pour tout dire vitale. Ne pas l’écouter serait un mélange délirant de présomption et de bêtise. Mais il n’est pas omniscient pour autant et il n’a pas toujours bon caractère : ça dépend des fois. Il n’est pas toujours de bonne foi (sans jeu de mots). Il lui arrive parfois de prescrire aux autres ce qu’il ne s’applique pas à lui-même.

Un exemple ? Elle recommande à ses fidèles d’aller demander pardon à ceux qu’ils ont blessés, de réparer les dégâts dans la mesure du possible et surtout de se repentir sincèrement… mais pendant des décennies les prêtres pédophiles ont été discrètement exfiltrés d’un diocèse à l’autre pour éviter tout scandale susceptible de nuire à la réputation de l’Eglise et leurs victimes ont été purement et simplement niées. Deux poids, deux mesures : selon que vous serez laïc ou ordonné…

Il peut également arriver au bon docteur de faire la sourde oreille et de refuser d’admettre ses éventuelles erreurs de diagnostic (officiellement l’Eglise n’a toujours pas réhabilité Galilée alors même qu’elle a reconnu ses propres erreurs) et à chaque fois elle fourvoie ceux qui lui faisaient confiance en lui sacrifiant leur discernement.

Combien de fois l’Eglise a-t-elle effectué des demi-tours à 180°C au cours de son histoire ? Combien de siècles lui a-t-il fallu pour qu’elle reconnaisse du bout des lèvres qu’il n’était pas blasphématoire de soutenir que la création de l’Univers avait sans doute duré plus de sept jours ?

Combien de siècles a-t-il fallu attendre pour que l’Eglise accepte d’accorder une sépulture aux personnes qui s’étaient suicidées ? Combien de siècles a-t-il fallu attendre pour que le Vatican renonce à son enseignement pluriséculaire sur l’interdiction absolue du prêt à intérêt en confiant ses quelques économies à des banques (et pas toujours aux meilleures) ?

Au cours de l’histoire les arguments doctrinaux et l’argument de la tradition ont toujours été employés pour justifier des vues humaines. C’est exactement ce que Jésus reprochait aux autorités religieuses de son temps :

Vous abandonnez le commandement de Dieu, et vous observez la tradition des hommes. Il leur dit encore: Vous anéantissez fort bien le commandement de Dieu, pour garder votre tradition (Marc 7, 8-9).

Ce n’est pas une raison en revanche pour refuser d’écouter et de méditer dans notre cœur tout ce que l’Eglise nous dit et de prier avant de nous décider. Tout en ayant présent à l’esprit que, dans la vie spirituelle comme dans la vie en général, les conseilleurs ne sont jamais les payeurs.

Il nous faut écouter l’Eglise en ayant toujours présent à l’esprit qu’il ne s’agit pas d’abord d’une institution mais d’une communauté de pécheurs qui se savent déjà pardonnés pourvu qu’ils acceptent ce pardon en changeant de vie et en en prenant les moyens spirituels et notamment sacramentels.

L’Eglise est une boîte à outils en libre accès dans laquelle il faut piocher tout en sachant que le meilleur peut côtoyer le pire et qu’il faut toujours exercer son discernement pour distinguer ce qui vient de Dieu de ce qui vient des hommes. La seule certitude à avoir c’est qu’il ne faut pas se cramponner à des formules intangibles qui prétendent enfermer Sa volonté dans une expression définitive :

Ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits (Mathieu 15, 6).

Tenir compte de ce que dit et propose l’Eglise pour connaître la volonté de Dieu dans ma vie est à la fois indispensable et insuffisant : il faut le passer au filtre de l’Esprit saint. Cela suppose préalablement de cultiver un état de disponibilité intérieure fait d’humilité et de confiance, de contemplation, de prière, de rumination de la Parole de Dieu… et de courage.

Un bon critère est de savoir si ce que me dit l’Eglise nous aide à devenir plus humains en devenant plus aimants. Notre devoir de chrétien est en effet de nous attacher toujours plus au Christ pour mieux lui ressembler et conformer notre vie à la sienne. L’Eglise et un moyen pour y parvenir par une fin et encore moins un absolu.

L’Evangile de Jésus-Christ est un appel à la liberté, pas une injonction disciplinaire. Nul ne devrait l’invoquer pour relativiser l’importance du discernement individuel. Ce serait faire le contraire de ce que Jésus a fait et prêché. La vocation de l’homme à la liberté découle de la Bonne nouvelle. Jésus a porté un regard positif sur l’être humain malgré ses blessures et son péché. En s’adressant à sa liberté il a misé sur sa capacité à agir et non à obéir. Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ignore ce que veut faire son maître ; maintenant, je vous appelle mes amis, car tout ce que j’ai appris de mon Père, je vous l’ai fait connaître.

Si le Christ lui-même nous dit cela alors par qui pourrions-nous accepter d’être appelés serviteurs ? Le Christ nous a libérés du devoir d’obéir aveuglément aux institutions humaines.

C’est ce que le clergé de son époque ne lui a pas pardonné et c’est pour cela qu’il l’a crucifié. Nul ne peut invoquer son exemple ou son enseignement pour inciter quiconque à se tenir au garde à vous le doigt sur la couture face à une hiérarchie que l’on sait (trop) humaine.

Chacun a le devoir d’exercer son discernement et de ne pas accepter tout ce qu’on lui dit au nom de la tradition. Comme le disait le cardinal Henri de Lubac : pour que le fleuve de la tradition puisse s’écouler jusqu’à nous il faut perpétuellement désensabler son lit. Personne n’a le droit de consentir au divorce entrer foi et raison au nom de la tradition car les deux premiers sont des dons de Dieu contrairement au dernier (Que l’orgueil puisse instrumentaliser la raison pour refuser la Parole de Dieu est une autre chose. Cela signifie seulement que notre vie ici-bas est un combat spirituel permanent. Ni plus, ni moins. C’est une vérité incontestable mais ce n’est en aucun cas une nouvelle.) Le Christ a dit Je suis la voie, je suis la vérité, je suis la vie. Il n’a jamais dit Je suis la tradition.

Mais comme il est impossible d’exercer son droit d’inventaire si on ne dispose pas préalablement d’un héritage il nous faut impérativement écouter l’Eglise. Il s’agit moins d’un devoir que d’un besoin.

Que peut-on raisonnablement attendre de l’Eglise catholique ?

Comme tous les prestataires de service, l’Eglise catholique n’est pas immunisée contre les bugs et les virus. Un rapide coup d’œil rétrospectif sur ses deux mille ans d’Histoire suffit à convaincre les sceptiques. Elle n’est pas à l’abri des bugs courants qui affectent l’humanité et qui sont la conséquence du péché originel.

Le reniement de Saint Pierre la nuit de l’arrestation de Jésus en est l’exemple le plus célèbre et le scandale des prêtres pédophiles en est peut-être le plus le plus récent. Tous ces bugs manifestent la réalité et la permanence du péché originel. Il y en a eu, il y a et il y aura sans doute encore d’autres.

Pire encore : non seulement l’Eglise n’est pas paramétrée pour éviter les bugs mais elle sécrète elle-même régulièrement des virus qui n’existaient pas à l’état de nature et que l’on appelle les hérésies.

Dans ces conditions peut-on en espérer quelque chose ? Oui, car certaines prestations sont garanties dans le contrat (« Tu es Pierre et sur cette Pierre je bâtirai mon Eglise et jamais les portes de l’Hadès ne prévaudront sur elle »).

Parmi ces services garantis figure en premier lieu la transmission sécurisée des vérités divines dévoilées par Dieu au peuple d’Israël d’abord et à l’Eglise catholique ensuite. Les deux modems complémentaires qui doivent être utilisés, les Écritures et la Tradition, sont également fournis. Vient ensuite un branchement haut-débit illimité sur Dieu qui permet d’être en permanence régénéré par Lui, d’échapper à l’emprise du péché et de vivre de sa vie malgré un monde hostile. Enfin, une production à flux tendu de saints qui constituent autant de manifestations de l’Amour de Dieu.

Pour le reste c’est comme en informatique : il faut s’armer de patience et chercher par soi-même à compenser les imperfections du système d’exploitation voire à corriger les éventuelles erreurs que la machine incite l’utilisateur à commettre et dont elle ne reconnaîtra peut-être immédiatement – voire jamais – la paternité.

Par ailleurs, nous trouverons toujours des administrateurs réseaux incompétents dans le clergé qui ne comprendront pas le problème auquel on est confronté, ne répondront pas à nos questions mais s’adresseront à nous dans un jargon incompréhensible, même aux spécialistes.

Nous trouverons toujours des gens qui nous expliqueront que la machine ne peut pas commettre d’erreurs et que ceux qui ont vu leurs fichiers disparaître en un éclair ne doivent s’en prendre qu’à eux-mêmes.

Ainsi donc les services garantis ne nous dispensent pas de rester sur nos gardes, d’être prudents et de comparer ce que l’on nous dit avec ce que l’on nous a déjà dit.

Mais quelles que soient les faiblesses et les fautes de l’Eglise (et Dieu sait si on en trouve !) les services qu’elle rend restent néanmoins sans équivalent sur le marché : nous avons besoin d’elle pour devenir des saints.

C’est elle qui peut nous à devenir beaucoup plus conforme à la volonté de Dieu, c’est-à-dire beaucoup plus humains que nous ne pourrions jamais le devenir sans elle, et elle peut nous y aider parce que, malgré ses défauts de construction, elle est fondée sur le Christ.

C’est pourquoi le monde n’est plus le même depuis le Christ : il y a un avant et un après Jésus-Christ et l’existence de l’Eglise en est le signe.

Photographie : Filippo Monteforte (source)

Article initialement publié le 12 mai  2009