Le patriotisme : une certaine idée du bien commun

 Le patriotisme est un sentiment de solidarité sociale géographiquement et culturellement circonscrit. On peut le déplorer mais c’est ainsi : c’est une préférence accordée à ceux dont on se sent proche pour des raisons qui sont contingentes et donc arbitraires.

C’est beaucoup moins noble que l’amour universel du genre humain mais c’est aussi beaucoup plus concret et c’est à la portée du plus grand nombre. Même les âmes les moins généreuses ne contestent pas l’idée de solidarité nationale qui sous-tend l’impôt sur le revenu.

Seule la conscience d’une communauté de destin rend possible qu’un contribuable parisien accepte de payer pour un chômeur brestois qu’il ne connaît pas ou d’une mère célibataire marseillaise qu’il ne verra jamais.

Le patriotisme constitue un antidote puissant au droit à l’indifférence et aux égoïsmes catégoriels. Il élargit notre horizon social et notre conscience morale à ceux qui ne font pas partie de notre famille, qui n’habitent pas notre quartier, qui n’appartiennent pas à notre classe socio-professionnelle, qui ne partagent pas nos convictions politiques et/ou religieuses, qui ne sont pas issus de la même région que nous ou qui n’ont pas la même couleur de peau.

Le patriotisme réussit un miracle : transformer en compatriotes ceux qui nous sont a priori étrangers. Il nous incite à considérer ceux que nous côtoyons sans l’avoir décidé en compagnons de fortune et d’infortunes. Il transforme la promiscuité en proximité. Il nous arrache au despotisme des affinités naturelles en nous obligeant à sortir de nous-mêmes.

A l’inverse les déclarations d’amour universel faites au genre humain sont à prendre avec des pincettes. Elles sont suspectes parce qu’elles sont abstraites. Elles n’engagent que ceux qui les croient mais elles ne nous engagent pas. C’est pour cette raison qu’un patriote moyen sera toujours plus solidaire de son prochain qu’un bobo germanopratin.

Jean-Jacques Rousseau nous avait déjà prévenus : « Méfiez-vous de ces cosmopolites qui vont chercher loin de leur pays des devoirs qu’ils dédaignent accomplir chez eux. Tel philosophe aime les Tartares pour être dispensé d’aimer ses voisins ».

Le patriotisme est une construction culturelle et non pas naturelle et dans bien des cas la préférence nationale constitue un progrès moral par rapport à l’état de nature en élargissant notre cœur et notre intelligence humaine.

La préférence nationale nous empêche de faire de notre famille la mesure de toute chose et nous pousse à prendre en considération l’existence et l’intérêt des autres familles. Le patriotisme nous permet d’échapper et/ou de ne pas retomber dans des modèles de sociétés archaïques (l’ordre féodal) inhumaines, fondées sur l’idolâtrie de sa famille (les familles mafieuses) et de subordonner la promotion du bien à ses intérêts étroits (le règne des 200 familles).

Mieux, la préférence nationale nous permet de concevoir l’idée de bien commun au-delà de notre groupe d’origine. A l’inverse quand, comme en Afrique, la préférence ethnique se substitue à la préférence nationale, alors chaque président pille systématiquement les ressources nationales et distribue des prébendes à ceux de son ethnie : parce qu’il estime que c’est son devoir.

Mais le patriotisme ne se limite pas à la préférence nationale : c’est aussi et peut-être d’abord la volonté de transmettre un patrimoine.

C’est la conscience que nous avons d’être redevables à nos pères de l’héritage qu’ils nous ont légué. C’est aussi la conscience que nous avons de devoir transmettre à nos enfants ce que nous avons reçu et même un peu plus que ce que nous avons reçu. C’est ce que nous exprimons à chaque fois que nous nous disons, souvent avec inquiétude, « Quel monde allons-nous laisser à nos enfants ? ».

C’est un mélange de gratitude et de gratuité. Gratitude envers nos aînés. Gratuité puisqu’il s’agit de transmettre un patrimoine à nos descendants et non de se lancer dans un investissement dont on espère toucher des intérêts.

Un patrimoine culturel et moral qu’il faut décider de transmettre

Le patriotisme est un patrimoine c’est-à-dire un contenu. Une manière de voir le monde que véhicule la langue. Une manière de concevoir l’existence qu’expriment les mœurs et les coutumes.

C’est l’attachement à ce que l’on considère comme ce qui est bien, ce qui est bon, ce qui est beau et ce qui est souhaitable qui définit les civilisations et qui constitue la raison d’être du patriotisme. Ou plutôt des différents patriotismes : chacun ayant sa propre hiérarchie des priorités et aucun ne pouvant revendiquer le monopole de la vérité.

C’est la transmission d’une certaine idée de ce qu’est une vie bonne, à la fois du point de vue individuel et du point de vue collectif. C’est la transmission d’une certaine idée du bien commun.

On en mesure l’importance quand on en constate l’absence. Ceux qui sont dépourvus d’un tel patrimoine parce qu’on ne le leur a pas transmis sombrent dans la violence et le nihilisme que le péché originel a inoculé dans le cœur de l’homme. L’actualité en fournit chaque jour suffisamment d’exemples tragiques…

Qui dit « patrimoine » ou « héritage » dit aussi « droit d’inventaire ». Comme dans toute succession chaque génération fait le tri de ce qu’elle veut garder et de ce qu’elle veut jeter. Le tri sélectif a toujours existé. On choisit toujours.

Mais précisément on choisit toujours quand on a le choix et pour avoir le choix il faut avoir de quoi choisir. Quand on n’a le choix qu’entre rien et rien c’est justement qu’on n’a pas le choix ! La liberté c’est de pouvoir arbitrer entre différentes possibilités concrètes, pas d’avoir le droit abstrait de choisir ce qui est de toute façon hors de portée.

Or, l’expérience de nos aînés, au même titre que leurs exemples et leurs contre-exemples, nous donnent matière à choisir et nous éclairent : c’est un regain de liberté qui nous est ainsi donnée.

Cette mémoire qui nous est léguée peut servir et a déjà servi à dicter un certain nombre de choix collectifs : le choix de se doter d’un État puissant et indépendant des grands féodaux pour protéger le peuple. Le choix d’un État qui protège la paix civile et met fin aux guerres de religions qui ont ensanglanté le pays.

Mais cette mémoire a également façonné notre conscience collective : le souvenir de la Terreur et du génocide vendéen nous prévient à l’inverse contre le risque de dérive totalitaire de l’État. Au XIXème siècle l’industrialisation et son corollaire – l’apparition d’une misère inconnue jusque là (le prolétariat) – nous ont mis en alerte contre les dangers du règne des puissances de l’argent, de l’extrême-droite à l’extrême-gauche…

Le patrimoine collectif que reçoit chaque génération est donc une boîte à outils et une boîte à idées dans laquelle nous sommes libres de piocher et dont nous sommes libres de nous inspirer.

Un patrimoine qui peut être refusé, adopté, remanié (entièrement ou partiellement) y compris par les derniers arrivés – à savoir les immigrés – à condition bien sûr qu’on ait la volonté politique de le leur transmettre.

Rupture de transmission = panne d’intégration

L’être humain s’adapte toujours à ce qu’il trouve. Il ne peut pas s’intégrer à une société qui se désintègre.

D’où la tragédie que constitue l’idéologie soixante-huitarde du refus de la transmission des savoirs (instruction), des savoir-faire (formation professionnelle), des savoir-vivre (mœurs et conscience historique) !

Tragédie pour tous et plus particulièrement pour les fils d’immigrés. Dépourvus de ce patrimoine à quel genre de vie bonne et commune avec les Gaulois peuvent-ils aspirer ?

Que peuvent-ils espérer puisqu’on ne leur a pas donné les clefs pour entrer et devenir membre à part entière du pays où ils sont nés ?

De manière plus générale comment peut-on espérer se comprendre soi-même, comprendre autrui et comprendre le monde quand on ne dispose pas de plus de 200 mots de vocabulaires dont la moitié est composée d’insultes ?

Comment exprimer ses propres émotions et gérer ses propres frustrations sans recourir à la violence quand personne ne vous a appris à mettre des mots sur vos maux ?

Comment comprendre autrui quand on ne comprend pas ce qu’il dit ? Comment se mettre à sa place quand on est littéralement hors de soi en permanence ?

C’est pour cette raison que des réussites pédagogiques comme le Cours Alexandre Dumas[1] de Montfermeil, à la fois innovant dans sa forme et axé sur la transmission des savoirs fondamentaux et du savoir-vivre, est une lueur d’espoir dont il faut espérer qu’elle finisse par embraser le pays.

 Une contrefaçon de la patrie : l’État-nation

Le concept d’État-Nation, forgé au moment de la Révolution, est une contrefaçon de la patrie charnelle.

Qu’on l’affuble du nom de République, d’Empire ou d’État français il s’agit toujours d’une idée abstraite qui vise à légitimer une soumission absolue des individus. Une soumission absolue qui n’est plus subordonnée à rien et surtout pas à la transmission d’un bien commun. Le bien c’est ce que l’État décrète. Il n’existe plus de bien en soi.

L’idée d’État-Nation est la matrice de toutes les idéologies nationalistes qui ont embrasé l’Europe au XIXème et au XXème siècle (et qui inspire aujourd’hui encore la politique de l’État d’Israël) et de tous les totalitarismes.

Tout doit lui être sacrifié sans discussion : c’est le principe même de la conscription obligatoire qui apparaissait aux yeux de Georges Bernanos comme une idée totalitaire et un immense recul de la civilisation.

L’État-Nation ne s’arroge plus seulement le droit de disposer de la vie des criminels mais étend son droit de vie et de mort sur l’ensemble des citoyens[2] ce qui a pour corollaire de criminaliser l’exercice de la liberté de conscience. Ceux qui, à l’image de saint Jean-Marie Vianney, ont fui la conscription napoléonienne par refus de participer à une guerre contre l’Espagne qu’ils jugeaient injuste étaient déclarés déserteurs et risquaient la mort.

A l’inverse, lors de la Deuxième Guerre mondiale, les héros de la patrie charnelle furent ceux qui décidèrent librement de défendre leur foyer, leur clocher et leur village pour défendre une certaine idée de la civilisation, de la vie bonne et de ce qui est bien contre l’autorité de l’État après que celui-ci eût signé l’armistice.

C’est la patrie charnelle qui a fourni ses troupes à la résistance. C’est l’appareil administratif, policier, judiciaire et militaire qui, au nom du devoir absolu d’obéissance à l’État, a organisé leur persécution et leur mise à mort.

 Transmission du patrimoine et pédagogie par l’exemple

Depuis que l’idéologie de mai 68 a conquis nos dirigeants, désormais massivement acquis au principe de préférence internationale, la transmission de notre patrimoine ne dépend plus que de nous. Tant mieux !

Tant mieux car c’est au fond très simple : il nous suffit tout simplement de vivre sur notre patrimoine ! Il s’agit moins de démontrer que de montrer que notre langue, notre culture et nos mœurs nous aident à vivre une vie plus avisée, plus amusante et plus humanisante. La transmission se fera alors naturellement : quand on fait envie on est attirant.

Concrètement cela commence par être présent à sa femme et à ses enfants en rentrant suffisamment tôt du boulot – quitte à renoncer à ses ambitions de carrière, à un loisir chronophage – pour pouvoir chaque soir avoir matériellement le temps de les aimer et donc de partager avec eux ce qui est pour nous essentiel.

Nourrir des relations de confiance et d’intimité cela prend du temps : la qualité du temps passé avec quelqu’un est indissociable de la quantité de temps passé avec lui. D’ailleurs quand on aime on ne compte pas. Cela implique nécessairement de reléguer les accessoires technologiques (Internet, Facebook, smartphones, Netflix etc.) au rang qui est le leur – celui d’accessoire – c’est-à-dire à leur juste place. Le temps ainsi dégagé n’a pas de prix mais ne pas le faire a un coût !

Si nous sommes là pour accompagner nos enfants dans leurs premiers pas, leurs premiers jeux, leurs premières lectures (vive la méthode Boescher à la maison!) alors ils auront envie de nous imiter. On transmettra le goût de la lecture à nos enfants s’ils nous voient prendre le temps de lire nous-mêmes et d’être heureux de le faire : on commence par lire les souvenirs d’enfance de Marcel Pagnol et progressivement on en vient à lire Pascal et Montaigne. L’exemple n’est pas la meilleure pédagogie, c’est la seule !

La transmission intelligente et éclairée de ce que l’on n’ose plus appeler « les bonnes mœurs » est une autre manière de transmettre les ingrédients d’une vie bonne.

 Le patriotisme : la seule contre-culture féconde

La tradition française qui oscille entre gauloiserie et galanterie est unique au monde et constitue un acquis de civilisation : ni l’oppression de la femme (comme en Arabie saoudite), ni guerre des sexes (comme aux États-Unis), ni morne indifférence (comme en Scandinavie). Cet art de la connivence entre les sexes nous rend plus humains et nous prédispose à mieux aimer mais n’a rien de naturel : il s’éduque et se transmet.

L’art de la table n’est pas non plus anecdotique. C’est par excellence le patrimoine que l’on se transmet de génération en génération au sein de la famille parce que c’est important de bien manger : non seulement pour ne pas s’empoisonner mais aussi parce que c’est une manière de créer de la convivialité c’est-à-dire du lien social.

De même que faire ses courses chez des artisans des métiers de bouche plutôt que de soutenir la grande distribution, acheter des fruits de saisons cultivés avec le moins possible de produits chimiques, privilégier les producteurs locaux et les circuits courts de distribution c’est à la fois faire preuve de patriotisme économique, de solidarité sociale et de conscience environnementale !

De même que le civisme commence par la capacité à entretenir de bonnes relations de voisinage ce qui suppose au préalable d’avoir appris et de mettre en pratique les règles élémentaires de la politesse.

Tous cela relève des mœurs et là encore cela s’éduque et se transmet.

Au fond défendre sa patrie aujourd’hui c’est d’abord et avant tout défendre une idée de la vie bonne contre tous ce qui et ceux qui veulent escamoter la question pour pouvoir transformer notre pays en un gigantesque supermarché à échelle nationale.

Défendre sa patrie aujourd’hui c’est choisir résolument et lucidement d’adopter un style de vie contre-culturel. C’est la seule manière d’entrer en résistance.

Cela commence par s’abstenir de pousser nos enfants à faire une école de commerce qui l’enverra in fine manipuler de l’argent à Singapour ou à New-York au profit de Dieu sait qui et au détriment des plus petits.

Cela consiste plutôt à aider nos enfants à découvrir leurs goûts, leurs compétences et leurs limites pour qu’ils trouvent leur voie dans la vie en étant utiles et heureux de l’être. Les aider à ne pas avoir peur de vivre dans une sobriété heureuse, en leur faisant comprendre que les gens heureux ne consomment pas.

Cela suppose de leur apprendre à savoir dire « non » sereinement, aimablement, de manière posée, argumentée, intelligente,  intelligible et, dans la mesure du possible, en assortissant notre refus d’une contre-proposition.

Savoir dire « non » sans avoir peur d’être parfois marginalisé c’est la seule manière de pouvoir dire « oui » à ce qu’on estime être une vie bonne.

Aujourd’hui, le patriotisme est la seule contre-culture féconde que l’on peut opposer aux ravages du nihilisme contemporain.

 [1] Voir les sites http://www.esperancebanlieues.org/ et http://alexandredumas.fr/.

[2] Qu’on songe au refrain du Chant du départ : « La République nous appelle/Sachons vaincre ou sachons périr/Un Français doit vivre pour elle/Pour elle un Français doit mourir ».