Un argument non vérifiable est un argument qui n’est pas convaincant. En faire usage est un aveu implicite de faiblesse : c’est l’aveu qu’on n’en a pas de meilleur à sa disposition. Mais invoquer un argument qui ne convainc que ceux qui sont déjà convaincus n’est pas seulement un symptôme de faiblesse c’est aussi une manière de se tirer une balle dans le pied en creusant son propre déficit de crédibilité.
Ce qui est vrai en général l’est particulièrement en politique. C’est caricatural dans le cas du Front national et c’est ce que ne comprennent pas ses adversaires. Plus ils s’obstinent à prédire l’apocalypse en cas de victoire frontiste plus ils se décrédibilisent auprès des électeurs et de l’opinion publique qui se disent que s’ils avaient des arguments plus convaincants ils les utiliseraient.
Les représentants de ce parti s’en amusent même. Ils répètent souvent : « On nous avait prédit qu’en cas de victoire de notre parti aux élections municipales les eaux du Nil allaient se transformer en sang, qu’il y aurait des invasions de sauterelles, des sécheresses et des épidémies et rien de tout cela n’est arrivé ». A leur place qui se priverait de ce trait d’humour que leur offre la faiblesse argumentative de leurs adversaires ?
Mais cette anecdote est le symptôme d’une malade plus profonde et plus généralisée qui touche à la fois le milieu médiatico-politique mais également les sphères dirigeantes, les catégories socio-professionnelles dites supérieures (CSP+) et l’épiscopat : le le déni de réalité. Ils sont paradoxalement incapables d’expliquer factuellement et calmement les raisons pour lesquelles ils sont opposés au Front national. A cours d’arguments convaincants ils se rabattent sur les procès d’intention et les procès en sorcellerie. Leur indignation est inversement proportionnelle à leur argumentation. Curieux, non ?
1/ Laisser en paix les incendiaires, poursuivre ceux qui sonnent le tocsin
Ils admettent volontiers que la hausse du chômage, de la délinquance, de l’immigration et de l’islamisation sont des sujets de préoccupation mais c’est contre les succès électoraux du Front national qu’ils s’indignent et qu’ils vont manifester.
On ne les a jamais vus défiler dans la rue contre les mesures de dérégulation destinées à rendre possible la prise de contrôle du capital de nos grandes entreprises par des fonds de pensions internationaux.
Pourtant ce sont ces mesures qui ont permis à un actionnariat international par nature indifférent aux conséquences sociales de ses décisions d’investissement sur l’échiquier mondial de procéder à des licenciements massifs dans des entreprises par ailleurs rentables.
Ce sont ces mêmes mesures qui ont rendu possible la délocalisation d’entreprises qui, auparavant, employaient des Français chez eux. Ce sont ces mesures qui rendent possible la domiciliation dans des paradis fiscaux d’entreprises qui, auparavant, rendaient possible le financement de l’action de l’Etat.
On ne les a jamais vus non plus manifester contre la politique pénale des gouvernements qui se sont succédé depuis trente ans, droite et gauche confondues.
Ou contre l’inertie complaisant de tous les gouvernements vis-à-vis des pays musulmans qui financent le développement de mosquées salafistes en France en échanges de contrats juteux pour le secteur de l’énergie et de l’armement.
Pour rien au monde ils ne supprimeraient la porte d’entre de leur appartement et jamais ils laisseraient leur foyer ouvert à tout vent et au tout venant mais ils traitent de xénophobes ceux qui, vivant dans des quartiers ouverts à tous les vents et au tout venant, voudraient qu’on se penche sur leur sort et ont l’audace de remettre en question le « vivre ensemble ».
A ceux qui voudraient restaurer la souveraineté de l’Etat sur son territoire en procédant à des contrôles aux frontières et en décidant après examen ceux qui peuvent entrer chez nous et ceux qui ne le peuvent pas ils adressent des remontrances outrées. Ce que font des pays accueillants et démocratiques comme le Canada ou l’Australie serait chez nous une atteinte à la démocratie. Là ils s’indignent avec vigueur. C’est le triomphe posthume de Stéphane Hessel.
Mais le plus frappant ce ne sont pas leurs propres contradictions mais leur déni de réalité organisé. Ils répètent en boucle que le Front national n’est pas un parti républicain alors même que ce dernier ne jure que par la laïcité, la souveraineté de l’Etat et l’idéal d’une France républicaine. Ils prétendent le dénoncer au nom même des principes qu’il est devenu le dernier à revendiquer intégralement. Et ils s’étonnent de ne pas être suivis par les électeurs !
Cette fuite en avant est organisée depuis plus de trente ans par les partis politiques traditionnels qui n’entendent ni renoncer à leurs positions acquises ni assumer leurs responsabilités. En trente ans d’erreurs et de démissions, les professionnels de la politique sont devenus une des principales causes de la situation actuelle. C’est pour cette raison qu’ils cherchent à être jugés non pas sur leur bilan mais sur leur adversaire.
2/ Les adulescents au pouvoir !
Néanmoins leur manœuvre n’aurait jamais pu réussis si longtemps si plusieurs générations d’électeurs ne leur avaient pas emboîté le pas. Là c’est l’immaturité politique de toute une génération marquée intellectuellement – parfois à son corps défendant – par mai-68 qui est en cause.
De gauche ou de droite ils ont en commun de partager une vision binaire et manichéenne du monde qui interdit toute nuance dont toue analyse politique des problèmes réels. Consciemment ou non ils préfèrent voir le monde en noir et blanc. Un peu comme un enfant qui, au beau milieu du film que vous regardez à ses côtés, vous demande à propos d’un personnage : « Lui c’est un gentil ou un méchant ? ».
Voir le monde avec la belle et bête intransigeance d’un adolescent de quatorze ans c’est plus satisfaisant et plus reposant que de regarder la réalité dans toute sa complexité comme un adulte responsable est tenu de le faire. Et puis ne jamais avoir affaire à des problèmes mais toujours à des salauds c’est tellement plus exaltant !
Pourtant la réalité finit toujours par s’imposer. Elle est complexe et souvent tragique et l’art de la politique c’est d’envisager non seulement ce qui est souhaitable, mais considérer également le possible et savoir peser ensuite sur les conséquences intentionnelles ou non des actes décidés. La crise insoluble des migrants est venue opportunément nous le rappeler.
Mais tant que Jean-Marie Le Pen était le président du Front national on pouvait encore fermer les yeux. C’est lui-même qui servait la soupe ; Il le faisait inlassablement et avec une telle volupté que finalement tout le monde était content. Tel un grand-père un peu cabotin qui accepte de revêtir son costume de croquemitaine pour faire peur à des enfants qui n’attendent que ça, il conservait à portée de main son déguisement de monstre pour pouvoir faire son numéro à chaque fois que l’occasion se présentait.
C’était le bon temps, celui où l’on pouvait fermer les yeux sur la réalité politique tout en se faisant une bonne conscience à peu de frais. On pouvait exprimer sa conviction que le fascisme ne passerait tout en cultivant secrètement l’espoir qu’il ne trépasserait pas non plus. On avait à la fois le prestige du rebelle et le bénéfice du consensus. On prenait le maquis mais sans avoir à dormir sous la tente pour autant.
3/ Déni de réalité et cécité volontaire
Toutes les bonnes choses ayant malheureusement une fin le carrosse a fini par redevenir citrouille : Marine a succédé à Jean-Marie.
Les provocations antisémites, les propos racistes et les outrages d’un autre âge ont disparu. L’éviction des vrais idéologues a été confiée au compagnon de Marine Le Pen, Louis Alliot, qui y a gagné le doux sobriquet de « Loulou la purge ». Aujourd’hui le moindre propos antisémite d’un militant ou d’un responsable est immédiatement dénoncé et sanctionné par la direction du Front national.
Les vrais antisémites ne sont plus au Front national mais chez Egalité et réconciliation d’Alain Soral et de Dieudonné et, plus généralement, dans la nébuleuse islamo-gauchiste dont les représentants se répartissent entre le Front de Gauche, à EELV, Ligue Ouvrière et le NPA d’Olivier Besancenot. Les racistes de la mouvance identitaire qui s’assument se retrouvent, eux, sur le site François de Souche. Ceux qui n’osent pas s’assumer pleinement trouvent asile se drapent dans les plis de la laïcité outragée et trouvent refuge sur les sites de Boulevard Voltaire ou de Riposte Laïque.
Désormais le numéro deux du Front national, Florian Philippot, affiche ouvertement son gaullisme et ne cache pas son homosexualité. Il reprend une vision colbertiste du rôle de l’Etat et contribue à façonner l’image d’un parti qui pour ne pas être militant de la cause homosexuelle n’en est pas moins gay-friendly : droit à l’indifférence plutôt que droit à la différence.
Le changement politique et culturel effectué par le Front national fait penser à la révolution culturelle de Tony Blair qui avait réussi à transformer le Labour socialiste à fort relent marxiste en un New labour reprenant à son compte l’héritage des années Thatcher et le saupoudrant de multiculturalisme. Dans les deux cas – et abstraction faite de leurs orientations politiques divergentes – il s’agit d’une révolution copernicienne dont on trouve peu exemples contemporains. Et c’est cela que le microcosme médiatico-politique et la frange supérieure des partis politiques traditionnels ne veulent ou ne peuvent pas voir.
4/ L’héritier paradoxal du gaullisme dans une société post-moderne
Quand on sait que ce parti a été fondé par des hommes dont le dénominateur commun était la haine de De Gaulle on ne peut que constater une évolution à 180°C.
Ses thèmes et son programme sont ceux du RPF du discours de Bayeux (1946) : dénonciation d’un régime où « les marchandages des partis passent avant les intérêts de la France », principe d’un exécutif fort procédant du peuple, défense de la souveraineté de l’Etat vis-à-vis de ceux qui voudraient créer un Etat dans l’Etat – les communistes hier, les islamistes aujourd’hui – recherche d’une troisième voie entre capitalisme et collectivisme, refus d’une politique étrangère atlantiste, défense de l’indépendance nationale, développement d’une Europe des nations.
Il n’y a objectivement rien d’antirépublicain dans tout cela. Le Front national a changé dans des proportions telles que les anciens militants ont raison de hurler à la trahison. Sa sociologie a changé, son programme a changé, son ADN a changé.
Il s’est banalisé parce qu’il reflète de plus en plus la société française, pour le meilleur et pour le pire. Le meilleur c’est la réaffirmation du rôle de l’Etat dans la défense des plus faibles (sécurité), de la nation (immigration), de son territoire (souveraineté) et de la cohésion du corps social (solidarité nationale), de l’identité culturelle de la France (islamisation). Le pire c’est le silence assourdissant sur les questions sociétales et sur les mœurs (mariage pour tous, gestation pour autrui, avortement, euthanasie etc). Le Front national s’est normalisé et c’est la clef de son succès.
5/ A quand un authentique débat politique avec le Front national ?
La critique du programme du Front national est parfaitement légitime et elle est même nécessaire car le débat contradictoire public et rationnel est le principe même de la démocratie. Mais cela ne peut se faire qu’en opposant des arguments à des arguments c’est-à-dire en se situant sur le terrain de la discussion politique et non sur celui des procès d’intention et du déni de réalité.
Qu’elle s’applique au Front national ou à n’importe quel autre parti autorisé, la politique du deux poids, deux mesures est injustifiable car c’est une manière de truquer les règles du jeu démocratique. C’est à la fois un manque de justesse intellectuelle et un manque de justice envers les membres et les électeurs de ce parti. C’est injustifiable à la fois au regard de la morale universelle et des principes démocratiques eux-mêmes.
Que les propositions politiques du Front national puissent être contestées et que des propositions du Front national soient contestables c’est l’évidence et c’est souhaitable pour le bon fonctionnement de notre démocratie. Or, c’est justement ce que refusent de faire leurs adversaires. Ce sont eux qui ne sont pas républicains.