« On n’a qu’une seule vie » dit-on parfois pour justifier des choix que l’on sait mauvais ou des tentations auxquelles on est bien décidés à succomber.
Et en un sens cette phrase est vraie. Mais pour qu’elle soit tout à fait exacte il faudrait la compléter : « On n’a qu’une seule vie…. et elle se prolonge dans l’éternité ». D’où l’impérieuse nécessité de bien l’orienter dès ici-bas afin d’éviter de tragiques erreurs d’aiguillages. Car sur les autoroutes de l’éternité on ne s’arrête pas comme ça sur les bas-côtés. Même pour accéder au purgatoire il faut déjà le vouloir.
Sachant que nous ne sommes ici bas qu’en transit et que les deux seules destinations qui nous sont proposées sont le paradis et l’enfer autant ne pas se tromper de porte d’embarquement.
1/ Les analogies et leurs limites
L’analogie avec le système judiciaire a largement été utilisée – à commencer par jésus Christ lui-même – pour parler de la vie éternelle, du paradis et de l’enfer. C’est notamment la métaphore du jugement dernier où Dieu, juge souverain, ordonnera à ses angéliques appariteurs de séparer les condamnés des innocents et de condamner à leur juste châtiment tous ceux qui l’auront bien mérité.
Cette analogie avec le système judiciaire des hommes permet de souligner le rôle déterminant de notre responsabilité et donc de notre liberté. C’est la réaffirmation et la reformulation à l’échelle individuelle de ce que Yahvé avait déjà proposé au peuple d’Israël par la voix de Moïse : « Je te propose de choisir entre la vie et la mort, la bénédiction et la malédiction. Choisis donc la vie » (Deutéronome 30, 19).
Ce coup de projecteur braqué sur notre liberté individuelle met en lumière une bonne et excellente nouvelle : notre salut ne dépend pas de notre hérédité (fils d’Israël ou pas fils d’Israël ?) ni même de la plus ou moins stricte observance des rites de la loi mosaïque, éventuellement alourdie de la loi orale rajoutées par les scribes et les pharisiens au point de devenir impraticable pour le commun des mortels. C’est l’assentiment du cœur à la volonté de Dieu qui nous sauvera, Juifs comme païens.
Jésus s’adressant à un auditoire majoritairement juif dans un contexte où la foi d’Israël avait pris la forme du judaïsme rabbinique on comprend aisément son insistance sur le rôle de la liberté individuelle et donc de la responsabilité individuelle dans l’économie du salut.
Mais cette analogie, comme toute analogie, a les défauts de ses qualités. Elle présente le risque d’induire en erreur ceux qui confondraient la réalité qu’elle décrit avec les comparaisons qu’elle utilise.
Une telle confusion a d’ailleurs longtemps été répandue par le clergé. En présentant le paradis comme des grandes vacances définitives et l’enfer comme une condamnation au bagne éternel il a fait oublier que la loi de Dieu est une boussole existentielle et non un code pénal d’inspiration divine. Mais surtout il a travesti le Dieu d’amour en un despote, éclairé certes, mais très angoissant et, au fond, absolument désespérant : « Si tu retiens les fautes, Seigneur, Seigneur qui subsistera ? » (Psaume 129). Plus grave encore, en défigurant Dieu il L’a rendu méconnaissable, a détourné les âmes de Lui et L’a calomnié.
En ceci le clergé a, bien malgré lui, illustré ce que disait saint Jacques dans son épître : « Ne soyez pas nombreux, mes frères, à devenir docteurs. Vous le savez nous n’en recevrons qu’un jugement plus sévère, car à maintes reprises nous commettons des écarts, tous sans exception » (Jacques 3, 1).Après avoir découragé les meilleures volontés et transformé en désert le champ qu’il avait reçu pour mission de moissonner le clergé est passé d’un excès à l’autre et, aujourd’hui, s’abstient résolument de réparer les dégâts qu’il a lui-même causés. Il se contente désormais de ne plus parler ni du paradis ni de l’enfer – c’est plus simple et c’est moins risqué – en laissant le soin à Michel Polnareff de rassurer ceux qui n’avaient pas encore pris leurs jambes à leur cou en leur chantant « On ira tous au paradis ».
Ainsi donc chaque analogie éclaire une partie de la réalité. Mais chaque analogie présente également ses propres limites. C’est pourquoi il est bon de se référer également à d’autres analogies qui élargissent encore la perspective.
L’analogie avec l’économie met ainsi l’accent sur la gratuité du salut généreusement offert à tous. C’est la métaphore de celui qui vient payer les dettes des malheureux qui ont été jetés en prison faute de pouvoir rembourser leurs dettes. C’est la figure du rédempteur qui est, au sens propre du terme, celui qui vient racheter les dettes de débiteurs impuissants à rembourser les dettes qu’ils ont pourtant eux-mêmes contractées et qui vient ainsi les libérer.
Cette comparaison avec celui dont le pouvoir d’achat est supérieur au nôtre et qui l’utilise pour nous libérer plutôt que pour nous enfoncer est très déculpabilisante. Elle affirme en effet que notre impuissance à nous sauver nous-mêmes est une donnée objective et qu’elle n’est pas imputable à notre mauvaise volonté ou notre manque de persévérance.
Et puis cette métaphore économique est également très réconfortante puisqu’elle nous révèle que ce n’est pas parce que Dieu est tout-puissant qu’il est indifférent à notre sort. Au contraire Il s’investit dans l’entreprise de notre salut en nous faisant profiter de son pouvoir de rachat. S’il est vrai que les priorités d’une personne se lisent sur son agenda et son carnet de chèques alors ont peut affirmer que Dieu se préoccupe de notre sort et que celui-ci Lui est cher.
2/ Le paradis : une greffe réussi plutôt qu’une récompense méritée
Dans la même veine une formule célèbre de saint Irénée de Lyon apporte un autre éclairage complémentaire sur la vie éternelle : « Dieu s’est fait homme pour que l’homme soit Dieu ».
Cette formule affirme deux choses nouvelles par rapport à l’analogie judiciaire.
La première c’est que Dieu Lui-même a voulu tout organiser pour que l’homme puisse vivre de la même vie que Lui en communion avec Lui. C’est la volonté de Dieu que nous Le rejoignions au paradis : « Dieu, en effet, n’a pas envoyé Son Fils dans le monde pour qu’il juge le monde mais pour que le monde soit sauvé par lui » (Jean 3, 17).
La seconde c’est que le paradis n’est pas une récompense accordée pour bons et loyaux services mais une greffe réussie, la greffe de la volonté humaine sur la vie de Dieu qui est éternelle, vivifiante et qui est fondamentalement une vie de partage et de communion puisque Dieu Lui-même est communion des personnes divines (on appelle ça la Trinité).
Cela signifie que Dieu ne veut pas se contenter de notre soumission et de notre bonne volonté à suivre Ses commandements : Il veut que nous soyons divinisés en lui et par Lui. Il veut nous transformer pour améliorer non pas seulement notre sort mais notre nature même en la divinisant.
Cette promesse de divinisation de la nature humaine fait partie du dépôt de la foi de l’Eglise catholique mais dans la pratique c’est-à-dire dans la prédication et dans la pastorale elle a été beaucoup moins développée et enseignée que chez nos frères orthodoxes.
On peut supposer a contrario que si cette perspective avait été plus clairement et plus constamment explosée et expliquée par le clergé catholique on aurait peut-être évité la dérive historique qui a consisté à réduire progressivement la vie spirituelle à l’observation d’une morale exigeante et dont la conséquence a été par la suite la désertion en masse de nombreux fidèles, phénomène inconnu des pays orthodoxes pourtant soumis à la persécution du régime communiste.
Pourtant la métamorphose de l’homme en homme divinisé n’est pas sans analogie avec une expérience de vie que nous avons tous faite – la naissance – qui est précisément le passage à un état de vie supérieur bien qu’inimaginable a priori. Le passage de l’état de fœtus (entièrement dépendant du cordon ombilical maternel et du liquide amniotique dans lequel il baigne depuis le début) à celui d’un bébé libéré du cordon ombilical, respirant par lui-même et, bientôt, se déplaçant par ses propres moyens pour se lancer dans une nouvelle vie riche d’une infinité de possibilités auparavant inconcevables ne peut-il pas être considéré comme une analogie avec l’accès à la vie de Dieu ?
De même cette greffe réussie que l’on appelle le paradis métamorphose l’homme tout en le révélant à lui-même. Au contact de Dieu il se découvre lui-même dans sa nature profonde et accède enfin à son identité en découvrant sa finalité. Ce faisant il étanche la soif inextinguible qui le taraudait jusqu’alors et que saint Augustin décrivait en ces termes : « Plus près de toi mon Dieu j’aimerais reposer, c’est toi qui m’as créé et tu m’as fait pour toi et mon cœur est sans repos tant qu’il ne repose en toi ». En devenant en acte celui qu’il n’était encore qu’en puissance il accomplit pleinement sa vocation, à l’image de la chenille qui ne devient véritablement elle-même qu’en devenant papillon.
A l’inverse ce que l’on appelle l’enfer n’est autre qu’un rejet de greffe. Un tel échec fait du malheureux qui la refuse une sorte de nouveau né prématuré qui n’en finit pas de souffrir et de mourir parce qu’il est devenu non-viable dans son nouvel environnement.
3/ L’urgence de la conversion ou qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ?
La perspective d’un tel accomplissement au contact de Dieu est une perspective enthousiasmante au sens propre du terme dans la mesure où le terme d’enthousiasme désigne « une exaltation de l’âme d’origine divine ». Mais c’est également une perspective bouleversante dans la mesure où elle bouleverse l’ordre de nos priorités.
Désormais nous n’avons rien de mieux à faire ni rien de plus urgent que de préparer notre cœur et notre âme à cette échéance à la fois fatidique et fantastique qu’est la rencontre avec Celui qui est à la fois notre Créateur et notre Rédempteur.
C’est à la fois sérieux et merveilleux. Un peu comme les joueurs de l’équipe de France lorsqu’ils ont appris qu’ils étaient sélectionnés pour la coupe du monde 2018. Ils s’en sont réjouis et sont immédiatement entrés dans une phase de préparation physique exigeante et librement consentie qui devait les amener au sommet de leur forme au moment où devait débuter la compétition.
Non seulement nous sommes tenus de nous préparer à une telle échéance mais nous sommes également tenus de la faire connaître au monde. Ce que nous devons annoncer est simple et c’est une très bonne nouvelle. On pourrait la résumer en ces termes : « Nous sommes en stage d’amour sur terre et nous avons la possibilité de passer en CDI à l’issue ! ».
Nous sommes tenus de l’annonce au monde non pas pour « sauver » des âmes de la damnation éternelle car, nous le savons, c’est Dieu qui sauve et nous ne sommes que des serviteurs inutiles. Dieu sauvera ceux que nous et l’Eglise dont nous sommes membres n’aurons pas pu, su ou voulu atteindre. Et il sauvera également ceux qui se sont détournés de Lui parce que nous avons défiguré Son visage par nos péchés et nos contre-témoignages…
Nous sommes tenus d’annoncer au monde que notre vocation est d’être divinisés par Dieu et en Dieu pour l’éternité tout simplement parce que nous n’avons pas le droit de garder jalousement une telle bonne nouvelle qui donne son sens à notre existence dès maintenant et qui est la condition de notre bonheur éternel. Ce serait criminel. Un peu comme chez les peuples du désert qui considèrent comme un criminel celui qui, connaissant l’emplacement d’un puits ou d’une source, s’est gardé de l’indiquer à celui qui en avait besoin. Celui qui garde pour lui le secret de l’élixir de vie en prive le reste des mortels et est à bon droit considéré comme un criminel.
Annoncer l’urgence et la nécessité de la conversion pour accéder au paradis c’est annoncer la possibilité offerte à tous d’entrer au paradis. C’est l’acte de charité par excellence. Poser un tel acte c’est à la fois progresser dans l’amour de Dieu et dans l’amour du prochain, ce commandement qui résume toute la loi et tous les prophètes. C’est travailler à notre propre sanctification et donc à notre salut.
Alors si nous ne le faisons pas pour les autres faisons-le au moins pour nous !