Les catholiques traditionnels et le pape François contre le cléricalisme ?

Qui eût cru que les catholiques traditionnels seraient les alliés objectifs du pape François dans la lutte contre le cléricalisme au sein de l’Eglise. Etonnant, n’est-ce pas ? Et pourtant…

1/ L’anticléricalisme : une vertu chrétienne

L’Eglise n’est pas le clergé, pas plus que la France ne se confond avec son administration ou ses gouvernants successifs. L’Église n’est pas d’abord une institution mais une communauté. Au risque de reprendre une formule un peu galvaudée l’Église c’est le peuple de Dieu : « Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d’eux » (Matthieu 18, 20).

De ce point de vue il est normal et souhaitable que les chrétiens soient anticléricaux… au sens propre du terme. Non pas hostile au clergé par principe mais hostile au cléricalisme par principe. C’est pourquoi laisser le monopole de l’anticléricalisme aux non-catholiques est un danger majeur car les catholiques sont les mieux placés pour ne pas confondre le malade et la maladie. Ne serait-ce que parce, contrairement aux autres, ils sont les premières victimes du cléricalisme. Ce n’est pas parce que l’on dénonce la bureaucratie qu’on renonce au service public, au contraire . De même l’anticléricalisme authentique rend justice au Christ et à l’Evangile aux yeux des croyants comme aux yeux de non-croyants.

En ce sens il n’y a pas plus anticlérical que Jésus-Christ, cloué sur une croix par le clergé de son temps, que Jeanne d’Arc, condamnée au bûcher par la fine fleur du clergé de son temps…. Ou que le pape François détesté et voué aux gémonies par une grande partie du Vatican depuis qu’il a dénoncé publiquement les maladies spirituelles de la Curie et qu’il dénonce de manière récurrente le cléricalisme.

Mais le plus amusant c’est de constater que, quand le pape François appelle le clergé à renoncer au cléricalisme et à une Eglise auto-référentielle, ce sont les tradis qui répondent à l’appel !

2/ Les catholiques traditionnels sont les nouveaux anticléricaux

Le succès du pèlerinage de Chartres organisée par l’association de laïcs Notre Dame de Chrétienté en est une parfaite illustration et la jalousie de l’épiscopat qui affleure dans certains articles en est la confirmation.

On sent bien à leur lecture qu’au-delà des problèmes de double-discours que l’on retrouve malheureusement chez certains catholiques traditionnels se noue un enjeu de pouvoir : des laïcs prennent des initiatives qui, par contraste, mettent en lumière la stérilité pastorale de l’épiscopat.

Des laïcs agissent de leur propre initiative pour vivre collectivement leur foi chrétienne ? Leur ferveur attire des jeunes extérieurs au monde des catholiques traditionnels ? Crime de lèse-majesté à la Conférence des Evêques de France (CEF) et aux salons du Vatican ! Horreur, malheur et salsa du démon !

Car le fond (inavoué) du problème est bien là : la proposition de foi des catholiques traditionnels attire des jeunes en l’absence même de toute stratégie pastorale élaborée spécifiquement pour les jeunes… contrairement aux stratégies pastorales diocésaines. C’est en grande partie cela qui est un insupportable à un certain nombres d’évêques qui réagissent davantage comme une corporation sur le déclin que comme des pasteurs ayant « l’odeur de leur troupeau » comme le souhaite le pape François.

Cette réaction corporatiste qui s’attache plus à sauver la face qu’à se réjouir d’une évangélisation qui échappe à la hiérarchie est le symptôme le plus aveuglant de ce cléricalisme dénoncé par le haut par le pape François et contesté par le bas par les pèlerins de Notre Dame de Chrétienté.

On pourrait même élargir le diagnostic à d’autres initiatives de laïcs qui rencontrent un réel succès : le pèlerinage des pères de familles et le pèlerinage des mères de famille à Cotignac ou encore les succès d’audimat de l’émission En quête d’esprit diffusée le dimanche soir sur Cnews.

Cette convergence des luttes – pour reprendre une expression marxiste – entre le pape François et les catholiques traditionnels peut sembler paradoxale après la publication du Motu Proprio restreignant la célébration du rite extraordinaire de l’Église catholique latine. Surnommé Motu Exproprio par certains, cette décision disciplinaire a été jugée disproportionnée par de nombreux catholiques en-dehors même de la sphère traditionaliste.

En France du moins, les traditionalistes ne sont pas considérés, dans leur majorité, comme des schismatiques déguisés pratiquant la taqîya même si certains cas de double-discours existent malheureusement : en public on dit « oui » du bout des lèvres au concile Vatican II, on dit « non » du fond du cœur à Vatican II quand on se retrouve entre-soi. Mais l’idée de frapper aveuglément les fautifs et les non-fautifs a globalement choqué au sein de l’Eglise de France.

D’autant plus qu’aucune communication claire n’a été faite par le Vatican et qu’il semble que cette fermeté soudaine ait surtout visé l’Église des Etats-Unis, traversée par des courants schismatiques comparables à celui de monseigneur Lefevbre en son temps.

Mais malgré les apparences l’attitude, le dynamisme et la fécondité dont font preuve les traditionalistes non-schismatiques correspondent exactement à ce que le pape François préconise et encourage de ses vœux : une communauté chrétienne qui vit de la foi au Christ, qui la proclame, la communique et attire à Lui des personnes qui ne Le connaissaient pas (ou mal) sans attendre le feu vert, l’aide ou encore moins la bénédiction de l’épiscopat et du clergé diocésain.

C’est le modèle de l’Église coréenne que le pape François apprécie tant. Les prêtres sont là pour distribuer les sacrements – ce que personne ne peut faire à leur place – mais les initiatives concrètes viennent du peuple chrétien qui prend sa vie de foi en main et qui évangélise de sa propre initiative.

C’est la vie chrétienne de laïcs adultes qui prennent leur foi au sérieux et s’émancipent de la tutelle d’un clergé démissionnaire plutôt que missionnaire mais dont la pente naturelle reste toujours de chercher à les infantiliser : hier pour mieux les dominer (version autoritaire) aujourd’hui en laissant tout aller afin de ne pas s’opposer au monde (version laxiste).

Mais c’est aussi l’officialisation d’une réalité anthropologique et spirituelle longtemps occultée : la foi et la ferveur se transmettent beaucoup plus au sein de la famille que par les structures diocésaines et paroissiales. C’est d’ailleurs souvent de ces familles que sont issus les séminaristes et les prêtres…

Sans doute aussi parce que l’instruction religieuse et la formation théologique transmise au sein des milieux traditionnels est beaucoup plus solide que celle qui est censée être transmise au sein des structures diocésaines officielles.

Là encore rien d’étonnant : on n’accorde pas sa foi sans avoir de de bonnes raisons pour cela. Foi et raison vont de paire. De ce point de vue il existe une continuité entre la transmission de la foi et celle de la culture que ces mêmes familles transmettent en parallèle des structures diocésaines et des structures scolaires profanes au point, bien souvent, de faire le travail de ces structures à leur place.

Ces familles catholiques traditionnelles s’organisent de leur propre initiative pour compenser l’anomie et la stérilité de structures diocésaines qui ne peuvent ou ne veulent plus transmettre la proposition de foi et en vivre.

Que peut-on encore attendre d’ établissements d’enseignement qui n’ont plus de catholique que le nom ? D’aumôneries qui accueillent mais n’instruisent plus ? De paroisses ressemblant davantage à un club de bridge ou à un EPHAD qu’à un foyer d’évangélisation ? D’ évêques parachutés dans des diocèse qu’ils ne connaissent pas et où ils restent inconnus ? De prêtres de paroisses ressemblant davantage à des dirigeants de PME (quand ce n’est pas des TPE) désemparés et isolés qui vivent mal leur sacerdoce et donc leur célibat ?

Pourquoi s’étonner que de telles réalités n’attirent personne ? Elles vérifient littéralement les critères de Jésus-Christ « Celui qui n’est pas avec moi est contre moi, et celui qui n’assemble pas avec moi disperse » (Luc 11,23). Ce désaveu est tellement accablant pour le clergé diocésain et l’épiscopat ! Là se trouve la cause de l’exaspération de certains clercs haut placés devant le succès d’un peuple chrétien dynamique, décomplexé, heureux et missionnaire qui constitue pour eux le pire des désaveux.

Ce peuple chrétien est rabroué ou boudé par la hiérarchie catholique comme l’ont été auparavant les communautés charismatiques…et pour les mêmes raisons.

Le renouveau charismatique a d’abord été mal reçu avant d’être béni et intégré par le clergé diocésain. Chez nos frères protestants on trouve une méfiance et une hostilité équivalentes des autorités protestantes luthéro-réformées envers les chrétiens évangéliques qui, plus exigeants et plus fervents, plus confiants dans la Parole de Dieu sont également plus disponibles à l’Esprit saint… et le laissent passer par eux pour attirer autour d’eux.

Cela ne signifie pas pour autant que le dynamisme dont témoignent les catholiques traditionnels soit acquis une fois pour toutes et que les motivations soient toutes inspirées par l’Esprit saint.

Les motivations inavouées de certains – le refus de Vatican II et l’orgueil donatiste – peuvent parfaitement cohabiter avec l’humilité et la sanctification réelle des autres. Parmi les catholiques traditionnels le meilleur cohabite avec le pire…comme partout ailleurs dans l’Église et dans l’humanité en général. D’où l’impérieuse nécessité de ne pas faire de procès d’intention à l’ensemble des catholiques traditionnels et de faire confiance à l’Esprit saint,

« Le royaume des cieux est semblable à un homme qui a semé une bonne semence dans son champ. Mais, pendant que les gens dormaient, son ennemi vint, sema de l’ivraie parmi le blé, et s’en alla. Lorsque l’herbe eut poussé et donné du fruit, l’ivraie parut aussi. Les serviteurs du maître de la maison vinrent lui dire : Seigneur, n’as-tu pas semé une bonne semence dans ton champ ? D’où vient donc qu’il y a de l’ivraie ? Il leur répondit : C’est un ennemi qui a fait cela. Et les serviteurs lui dirent : Veux-tu que nous allions l’arracher ? Non, dit-il, de peur qu’en arrachant l’ivraie, vous ne déraciniez en même temps le blé. Laissez croître ensemble l’un et l’autre jusqu’à la moisson, et, à l’époque de la moisson, je dirai aux moissonneurs : Arrachez d’abord l’ivraie, et liez-la en gerbes pour la brûler, mais amassez le blé dans mon grenier » (Matthieu 13, 27-30)

La vie chrétienne n’est rien d’autre qu’un pèlerinage terrestre qui ne prend fin qu’au jour de l’entrée dans la vie éternelle. Nous avons toute la vie terrestre pour nous convertir, purifier notre âme et transformer notre cœur de pierre en cœur de chair, renoncer à nos propres passions et à nos propres désirs pour faire nôtre la volonté de Dieu car « Le sacrifice qui plaît à Dieu, c’est un esprit brisé ; tu ne repousses pas, ô mon Dieu, un cœur brisé et broyé » (Psaume 50, 19).

3/ L’Esprit saint souffle où Il veut… à condition qu’on veuille bien de Lui

L’Esprit saint souffle en permanence et on le reconnaît à la fécondité de ceux qui l’accueillent… du moins tant qu’ils l’accueillent. Le dynamisme et la fécondité des catholiques traditionnels sont donc conditionnels puisqu’ils sont conditionnés par leur fidélité à l’Esprit saint. Ils ne sont donc pas acquis. Normal. La lecture de la Parole de Dieu le rappeler à ceux qui l’auraient oublié.

L’histoire des rois d’Israël illustre que ceux qui ont été fidèles à Dieu un temps et qui ont dû leur prospérité à leur fidélité, ont tout perdu à partir du moment où ils ont préféré suivre leurs propres désirs : Saül est mort dans la haine et la douleur, David est devenu meurtrier et adultère avant de se repentir et de se réconcilier avec son Seigneur – raison pour laquelle il figure au calendrier des saints de l’Église catholique – et Salomon, initialement comblé des bénédictions divines, a fini sa vie en réintroduisant les cultes païens et en mettant un terme à la monarchie d’Israël (qui de toute manière n’avait été concédée qu’à titre temporaire par Dieu devant l’obstination impie du peuple d’Israël qui ne voulait plus de Lui comme roi (1 Samuel 8, 1-18).

Reconnaître le dynamisme de la frange traditionnelle du catholicisme français n’est donc pas accorder un blanc-seing à tout ce qui se célèbre en latin mais c’est d’abord un acte de lucidité et donc de vérité. Ce qui porte du fruit vient de Dieu : « Un bon arbre ne donne pas de fruit pourri ; jamais non plus un arbre qui pourrit ne donne de bon fruit. Chaque arbre, en effet, se reconnaît à son fruit : on ne cueille pas des figues sur des épines ; on ne vendange pas non plus du raisin sur des ronces » (Luc 6, 43-49). Autrement dit c’est refuser le déni de réalité. Chacun sait que, dans la vie en général, le plus difficile n’est pas de découvrir la vérité mais d’accepter de la regarder en face et de l’admettre.

C’est ensuite un motif d’action de grâce – merci Seigneur parce que Tu attires à toi des gens qui ne Te connaissaient peu ou pas – et l’occasion de faire un acte d’humilité en se demandant comment et pourquoi ces catholiques parviennent à faire ce que demande le pape François et ce que les structures diocésaines ne font pas.

Enfin c’est l’occasion de poser des actes de charité en priant pour que cette belle dynamique ne se fourvoie pas dans un ghetto sociologique et communautaire voire comme une nouvelle forme de protestantisme à tendance sectaire mais continue au contraire à devenir encore davantage missionnaire pour mener à Dieu ceux qu’Il met sur leurs chemins.

2 réflexions sur « Les catholiques traditionnels et le pape François contre le cléricalisme ? »

  1. Merci pour cet article qui illustre bien la tension qui se joue entre une pratique traditionnelle et le clergé. Mais je ne suis pas convaincu par le fait que les traditionalistes ‘jouent’ pour le pape. Vous parlez de ‘convergence des luttes’ entre les intentions du pape et les aspirations des traditionalistes. Il faudrait plus parler ´d’intersectorialité´. Marx a à voir, bien sûr, mais pas là. Le clergé comme appareil administratif est entré depuis 30 ans dans une phase de désorganisation permanente, pour 2 raisons : une manifeste et une autre non-dite. La première, manifeste, est la crise des vocations qui entraîne un affaiblissement du maillage religieux (moins de diocèses et moins de prêtres). L’autre, non-dite, s’explique par une pratique religieuse qui tient de l’entre-soi social (c’est là que Marx arrive). On va vouloir choisir qui va célébrer le baptême du petit chéri, l’enterrement de la grand-mère où le mariage du petit dernier et à quel endroit. L’officiant sera un oncle, un cousin, le petit fils ou l’arrière petit fils du grand oncle ou de la grand-mère chérie. Il prendra de facto la place du curé désigné et exclura les pratiquants locaux pour le besoin de sa messe. Cette pratique officieuse et tolérée par l’Eglise, en période de crise des vocations, va accélérer la désorganisation du clergé. Les traditionalistes continuent cette pratique car ils considèrent que les liens familiaux vont primer sur le reste (et sur la foi). Face au ‘programme’ du clergé, ils vont opposer l’intérêt de leur liens endogènes. Ce faisant, plus ils vont s’organiser, plus ils vont désorganiser le clergé et augmenter l’effet d’entropie. Dans ce cadre, il ne m’apparaît pas du tout évident qu’ils ‘jouent’ pour le pape, au contraire. Bref, c’est leur façon de se venger de l’amour de Dieu : Dieu me choisit, alors je me venge en choisissant celui qui Le célébrera en mon nom.
    1. Ce que vous décrivez est un processus de retour à la féodalité les familles se substituant au clergé séculier constitueraient la base voire la structure exclusive de l’Eglise. Au risque de superposer et de confondre les intérêts de ces familles et de leurs alliés avec l’évangélisation et l’ouverture vers le monde que l’on est appelé à aimer tel qu’il est.C’est bien évidemment c’est une évolution que l’on ne peut exclure. Ceci dit si la tendance évangélisatrice de ce genre de pèlerinage traditionnel se confirmait cela changerait le cours de ce mouvement de féodalisation. Reste à savoir si c’est un mouvement qui fait connaître le Christ à des non-chrétiens à la façon de Blaise Pascal (« Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob et non Dieu des philosophes. Joie, joie, pleurs de joie ») ou si c’est une remobilisation psychologique et identitaire de jeunes d’origine catholique qui, n’ayant plus rien reçu, sont confrontés à des angoisses existentielles et civilisationnelles (la montée de l’islam). Si ce dernier cas était le « bon » alors on serait dans une dérive paganisante. Mais je crois que le bon grain et l’ivraie sont mêlés et que la réalité est complexe. Wait and see. Talk to them and pray with them.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *