Les athées de la Trinité ou ceux qui ne croient pas en l’action de l’Esprit saint

La Commission Indépendante sur les Abus Sexuels dans l’Eglise (CIASE) a rendu son rapport et ses préconisations, conformément à la lettre de mission qui lui avait été adressée par la Conférence des Evêques de France (CEF) et la Conférence des Religieux et Religieuses de France (CORREF)[1].

Le rapport présidé par Jean-Marc Sauvé estime à 300.000 le nombre de victimes de crimes sexuels au sein de l’Eglise catholique de France depuis les années 1950. Les criminels sont très majoritairement – mais pas exclusivement – des prêtres. Le chiffre de 300.000 a été obtenu par un procédé d’extrapolation statistique courant dans les enquêtes d’opinion et les sondages qui permet d’estimer par des calculs mathématiques le nombre de victimes probables à partir du nombre de victimes déclarées.

En criminologie la difficulté est connue : on sait que les agressions, les vols et les atteintes aux personnes en général sont supérieures à la somme des dépôts de plaintes. Toutes les victimes ne portent pas plainte. Soit qu’elles ne le veuillent pas pour ne pas revivre le traumatisme qu’elles ont subi, soit qu’elles ne le puissent pas à cause de blocages psychologiques, de peur de représailles ou encore parce que les autorités compétentes refusent de les croire ou refusent de prendre leurs dépositions.

Le rapport émet aussi un avis et fait des préconisations, conformément à ce qui avait été demandé aux membres de la commission. Il rappelle entre autres choses que les crimes ont été réitérés pendant des années par des prêtres grâce à la complicité de leurs évêques. Ces derniers les mutaient de diocèses en diocèses, leur permettant ainsi d’aller sévir ailleurs en toute impunité. La sollicitude des évêques pour les prêtres coupables n’avait d’égale que leur indifférence pour les victimes. On se trouve en face d’un cas de crimes organisés impliquant les autorités ecclésiales et non de crimes isolés et indépendants les uns des autres. C’est ce que le rapport qualifie de systémique.

Le rapport de la CIASE en déduit que tous ces crimes ne peuvent être considérés isolément car c’est aussi la complicité d’une organisation qui est en cause. C’est un phénomène criminel qui s’inscrit dans la durée, impliquant à la fois des criminels et des complices. La CIASE affirme que cette impunité reposait sur une culture commune du déni et de l’impunité qui reposait elle-même sur le présupposé que la priorité en cas de scandale était de protéger la réputation de l’institution plutôt que de venir au secours des victimes.

Il s’agit typiquement de ce que le Christ avait dit au sujet des scandales et qu’il avait annoncé.

« Je vous le dis en vérité, si vous ne vous convertissez pas et si vous ne devenez pas comme les petits enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux. C’est pourquoi, celui qui se rendra humble comme ce petit enfant sera le plus grand dans le royaume des cieux, et celui qui accueille en mon nom un petit enfant comme celui-ci m’accueille moi-même. Mais si quelqu’un fait trébucher un seul de ces petits qui croient en moi, il vaudrait mieux pour lui qu’on suspende à son cou une meule de moulin et qu’on le jette au fond de la mer. Malheur au monde à cause des pièges ! Les pièges sont inévitables, mais malheur à l’homme qui en est responsable ! si ta main ou ton pied te poussent à mal agir, coupe-les et jette-les loin de toi. Mieux vaut pour toi entrer dans la vie boiteux ou manchot que d’avoir deux pieds ou deux mains et d’être jeté dans le feu éternel » (Matthieu 18, 3-8).

C’est cette survalorisation symbolique du prêtre et de l’échelle des priorités qui en découle que le rapport de la CIASE a voulu mettre en lumière.

1/ Le rapport Sauvé et ses critiques

Ceux qui critiquent le rapport Sauvé invoquent la liberté de penser et le droit d’être critique, ce en quoi ils ont parfaitement raison. La recherche de la vérité justifie pleinement que l’on puisse exercer son discernement en lisant le rapport de la CIASE. Non seulement on le peut mais on le doit car il est nécessaire de pousser la critique jusqu’à faire la critique de la critique si l’on recherche la vérité.

C’est en partant de ce postulat que huit membres de l’Académie catholique de France ont rédigé une critique de ce rapport et l’ont transmise à Rome. Leur démarche a soulevé une vive polémique pour plusieurs raisons. En raison du procédé employé d’abord – le rapport a été envoyé directement au pape sans que son contenu ait préalablement fait l’objet d’une discussion au sein de l’Académie catholique de France – et en raison de son contenu.

Le document adresse des reproches d’ordre déontologiques au rapport Sauvé c’est-à-dire qu’il remet en cause non seulement la pertinence des méthodes employées mais aussi l’honnêteté intellectuelle des auteurs du rapport auxquels sont reprochés une « hostilité vis-à-vis de l’Église » ainsi que des « biais » et des « a priori idéologiques ».

Les reproches qu’ils adressent ont, eux-mêmes, fait l’objet de contestations en sens inverse et plusieurs membres de l’Académie catholique de France ont même démissionné pour manifester leur désaccord avec leurs huit collègues.

L’un des reproches adressés à la CIASE paraît étonnant : il consiste à accuser la CIASE d’avoir outrepassé son mandat et de chercher à en profiter pour imposer ses réformes à l’Eglise.

C’est un argument étonnant pour deux raisons : la première est que les préconisations faisaient partie de la lettre de mission que lui avaient adressée ses mandataires et la deuxième c’est que l’on présuppose que les membres de la CIASE ont non seulement l’intention mais également les moyens d’imposer aux évêques de France ou au Vatican des réformes dont ils ne voudraient pas.

Pourtant les règles du jeu initialement acceptées par les deux parties et les rapports de forces n’ont pas changé avant et après la publication du rapport : la CIASE propose, les dirigeants de l’Eglise disposent

D’où provient donc cette crainte ?

2/ Où veulent en venir les détracteurs du rapport Sauvé ?

Outre que les arguments méthodologiques et déontologiques employées par les huit membres de l’Académie Catholique de France ont fait l’objet de contestations et que le pape ait ultérieurement accordé son soutien public à Eric de Moulins-Beaufort et à la conférence des évêques de France le lors de leur visite ad limina à Rome, les détracteurs du rapport Sauvé semblent animés d’une crainte sourde dont l’objet n’est cependant pas clairement expliqué.

Bien qu’ils ne contestent ni la réalité des crimes pédophiles, ni la complicité systématique des évêques ni leur désintérêt systématique pour les victimes, ils s’efforcent pourtant de réviser à la baisse le nombre de victimes. Dans quel but ?

Car, même en admettant leur argument selon lequel le chiffre des victimes serait inférieur à 300.000, le problème resterait intact. Même les principaux mis en cause, les évêques français commanditaires de l’étude, reconnaissent leurs propres responsabilités. Se battre sur les chiffres apparaît à bien des égards comme un combat sans objet et hors-sujet.

A moins qu’il existe un autre enjeu, caché celui-là : la volonté de minimiser le montant des indemnités à verser aux victimes.

3/ Le refus de payer

Cette volonté de minimiser l’ampleur du scandale s’explique peut-être par un refus de payer le prix des crimes commis. Un refus de payer au double sens du terme. Au sens moral du terme d’abord : pour éviter de reconnaître le péché institutionnel (systémique). Au sens littéral du terme ensuite : pour éviter d’avoir à payer des indemnités en espèces sonnantes et trébuchantes.

Le paiement d’indemnités impliquerait en effet de vendre de nombreux biens immobiliers dont les diocèses ont la jouissance et/ou dont ils tirent des sources de revenus en les louant. Une telle vente entraînerait inévitablement une réorganisation matérielle des structures ecclésiales donc une réorganisation de son mode de fonctionnement et un réagencement de ses priorités pastorales.

Peut-être même que des prêtres seraient de nouveau obligés de travailler pour subvenir à leurs besoins. En soi cela n’aurait rien de nouveau : saint Paul était fabriquant de tentes et s’honorait de subvenir à ses propres besoins et de ne rien devoir à personne.

Ce serait l’adoption d’un mode de fonctionnement que connaissent depuis le VIème siècle les moines bénédictins qui subviennent à leurs propres besoins et dont la devise est ora et labora. Ordre remarquable de stabilité et d’équilibre, d’humilité et de travail. Ce qui ne l’a pas empêché, dès la fin du IXème siècle, de connaître de multiples réformes et retours à la règle originelle chaque fois que réapparaissaient routine, enrichissement ou laxisme.

Le refus de payer traduit peut-être aussi une peur de l’inconnu et le tournis que l’on éprouve avant d’effectuer un saut dans le vide. Cette peur est compréhensible d’un point de vue humain mais inacceptable d’un point de vue chrétien car elle trahit un manque de confiance totale en l’Esprit saint.

Leur raisonnement repose sur la conviction – au moins implicite – que l’on ne peut pas s’en remettre à l’Esprit saint pour guider et guérir l’Eglise. Leur argument consiste à dire que si l’on reconnaît le caractère institutionnel de ces crimes alors on remettrait inévitablement en cause l’institution hiérarchique de l’Eglise et donc l’existence de l’Eglise elle-même. Curieux raisonnement qui prétend enrôler le déni – et donc le mensonge –  au service de l’Eglise.

Car en raisonnant ainsi les détracteurs du rapport Sauvé affirment – sans s’en rendre compte ? – que l’Eglise est indissociable de ses crimes et qu’on ne peut pas éradiquer la maladie sans faire crever le malade. A leurs propres yeux l’Eglise hiérarchique serait inguérissable, incorrigible et irrécupérable. Leur vision de l’Eglise est encore plus infamante que celle de ses adversaires déclarés.

C’est un réflexe désespéré et désespérant qui repose sur le refus de croire que l’Esprit saint souffle sur l’Eglise et inspire des solutions ou des réformes de structures. Pourtant le Christ nous L’a promis : « Quant à moi, je prierai le Père et il vous donnera un autre défenseur afin qu’il reste éternellement avec vous: l’Esprit de la vérité » (Jean 14, 16).

Le refus d’accorder sa confiance – c’est-à-dire sa foi – à la troisième personne de la Trinité est un réflexe d’athée. En l’occurrence un réflexe d’athée de la Trinité.

4/ Athées de la Trinité

Car c’est cet Esprit saint qui anime l’Eglise et compense le péché de ses membres depuis plus de 2000 ans et qui inspire les grands réformateurs de l’Eglise comme saint François d’Assise ou sainte Catherine de Sienne.

Le Christ nous a promis l’Esprit saint mais n’a pas promis au clergé l’omniscience, l’infaillibilité ou l’impeccabilité du clergé : « Ne soyez pas nombreux à vouloir devenir des enseignants car, vous le savez, mes frères et sœurs, nous serons jugés plus sévèrement » (Jacques 3, 1).

Le Christ nous a promis qu’Il enverrait Son Esprit à Ses disciples c’est-à-dire à Son Eglise c’est-à-dire à l’ensemble des baptisés et pas seulement au clergé.

« Je vous ai dit cela pendant que je suis encore avec vous, mais le défenseur, l’Esprit saint que le Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses et vous rappellera tout ce que je vous ai dit. Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. Je ne vous la donne pas comme le monde donne. Que votre cœur ne se trouble pas et ne se laisse pas effrayer » (Jean 14, 25-27).

Et c’est parce que souffle l’Esprit saint que l’Eglise peut se réformer en permanence et doit se réformer en permanence : Ecclesia semper reformenda.

Le refus de croire que la troisième personne de la Trinité agira demain si on s’en remet à Elle est un manque de foi dans la réalité de la Trinité : Père, Fils et Esprit. Mais ce manque de foi n’est pas le propre des membres de l’Académie catholique de France.

Cette incrédulité est celle de Pierre quand le Christ lui dit « Arrière de moi, Satan ! tu m’es un scandale ; car tes pensées ne sont pas les pensées de Dieu, mais celles des hommes » (Matthieu: 16,23).

Cette incrédulité est celle des apôtres au lendemain de la mort du Christ.

Cette incrédulité est la nôtre à chaque fois que nous préférons prêter l’oreille au grondement du tonnerre qu’au souffle de la brise légère (1 Rois 19,11-23).

L’Esprit saint parle à notre cœur pour nous mener par des voies que nous ne connaissons pas vers un but que nous ignorons.

C’est ainsi qu’agit l’Esprit saint et c’est pour cela que nous voulons si peu L’écouter.


[1] https://www.ciase.fr/wordpress/wp-content/uploads/2019/02/Lettre-de-Mission-CEF-CORREF.pdf