La fin d’un mariage ou la possibilité d’une révélation

La multiplication des échecs conjugaux dans le milieu catholique l’atteste : de plus en plus de mariages présumés sacramentellement valides se révèlent invalides parce que non-viables pour des raisons qui, bien souvent, dépassent la bonne volonté et la sincérité des intéressés. Le bilan pastoral de nombreux prêtres est sans appel : la plupart des mariages sacramentels célébrés dans les formes ne sont pas valables faute de discernement de la part d’au moins l’un des conjoints.De nombreux prêtres le confient en privé. C’en est même un secret de Polichinelle…

Mais dans une société de la consommation où le consumérisme imbibe les personnalités jusque dans les moindres replis de leur psychologie, de leur affectivité et de leur inconscient n’est-ce pas le contraire qui serait surprenant ? Combien de futurs mariés font une claire distinction entre “être amoureux” et “aimer” ?

A cela s’ajoute l’absence trop fréquente de cette maturité psychologique et spirituelle qui grandit normalement au fil des années et qui est l’objet même de l’éducation. De nos jours en effet, et surtout dans certains milieux sociologiquement catholiques, l’éducation se confond purement et simplement avec la réussite scolaire.

Une réussite scolaire qui suppose notamment de délaisser l’étude de ce que l’on appelait “les humanités” et qui avaient pour objet de mieux comprendre la nature humaine et donc de mieux se comprendre soi-même. Une réussite scolaire qui monopolise l’essentiel de l’emploi du temps, accapare toute l’attention et jette le discrédit sur tout ce qui est gratuit : vie intérieure et vie relationnelle. Corollaire : plus de temps pour la vie de prière et surtout plus de raison d’y consacrer du temps. Plus de temps à consacrer à autrui, plus de temps pour lâcher prise et plus de temps pour “prêter l’oreille de son cœur à la voix du Seigneur”.

La maturité spirituelle que l’on pourrait espérer trouver dans les milieux catholiques et qui s’acquiert par la prière, la lecture patiente et la méditation régulière de textes littéraires, bibliques et théologiques a pratiquement disparu. Les conséquences de cette atrophie de la liberté intérieure sont d’autant plus tragiques chez ces catholiques que, contrairement à la plupart de leurs contemporains, ils voient dans le mariage un engagement indissoluble.

1/ Oui au divorce, mais avant le mariage !

Comment être libre quand on n’est encore que l’ébauche de soi-même ? Trop souvent en effet la personnalité de ceux qui aspirent à se marier pour l’éternité n’est ni assez affermie, ni assez affirmée. Heureux ceux qui ont pu découvrir progressivement leurs propres contradictions et prendre conscience d’eux-mêmes à mesure qu’ils accumulaient les déboires sentimentaux ! Heureux ceux qui se sont découverts eux-mêmes avant de se marier et non après !

A force de reproduire les mêmes schémas d’échec on finit parfois par comprendre à quel point la peur de ne pas être aimé peut parasiter le discernement et écourter, voire escamoter, la phase indécise mais indispensable de la libre introspection. La peur de rester seul(e) explique que l’on puisse instinctivement s’interdire de laisser se refermer une fenêtre d’opportunité.

Ce mode de fonctionnement, inconscient, ne présume en rien de la sincérité des intéressés. Mais combien ne se connaissent pas encore suffisamment pour comprendre les ressorts de leur comportement ? Combien ne sont encore que l’ébauche d’eux-mêmes et n’en sont pas conscients ?

A l’inverse un séminariste dispose d’au moins sept ans de réflexion pour se mettre au clair sur lui-même c’est-à-dire sur celui qu’il est et sur ce qu’est sa vocation…

Heureux ceux qui ont connu le divorce avant le mariage en découvrant qui ils étaient en vérité et ce qu’ils voulaient. Mais combien n’ont fait la lumière sur eux-même qu’après coup ?

2/ L’échec conjugal : une apocalypse ?

L’échec d’un mariage ne peut pas être vécu autrement que comme une tragédie, car c’en est une. Et encore plus quand il y a des enfants. On peut essayer de la vivre du mieux qu’on peut, c’est-à-dire en fait le moins mal possible, mais il n’y a pas de divorce réussi. Les conséquences et les séquelles ne disparaîtront pas par enchantement. Malheureusement. Parfois le désespoir est tel qu’on vit cette rupture comme la fin du monde et qu’on se dit que c’est l’apocalypse.

Mais c’est aussi l’occasion d’une apocalypse au sens premier et profond du terme : au sens d’une révélation de choses qui étaient cachées jusque là. Comme toute crise, l’échec d’un mariage peut aussi être la révélation d’un certain nombre de vérités qu’on avait plus ou moins occultées ou que l’on ignorait en toute sincérité.

Ce peut être l’éventualité de découvrir que l’on avait pris nos désirs pour des réalités. Que la réalité ne correspond pas à l’image que nous nous en faisions. Que l’autre est autre que ce que nous imaginions et que nous mêmes ne sommes pas celui ou celle que nous pensions.

Cette plaie ouverte, source de tant de souffrances, peut aussi être une brèche par laquelle passe la lumière. Celui qui croyait savoir ce qu’il voulait et ce qu’il lui fallait pour être heureux découvre parfois que ce qu’il voulait n’était pas vraiment ce qu’il lui fallait. C’est la possibilité de comprendre que l’adage selon lequel « on n’est jamais mieux servi que par soi-même » n’est pas toujours vrai. Quand nos désirs sont des illusions c’est le contraire. Dans ce cas là on n’est jamais mieux asservi que par soi-même.

La souffrance elle-même est à la mesure de l’espoir placé dans le mariage. Elle donne la mesure de l’aspiration à aimer et à être aimé qui se trouve dans le cœur humain. L’échec souligne cruellement la disproportion qui existe entre ce besoin d’être aimé parfaitement et l’imperfection de tout amour humain. Il témoigne que le désir d’être aimé est un désir infini que personne ici-bas ne sera jamais en mesure de combler totalement : “Qui donc pourra combler les désirs de mon cœur, répondre à ma demande d’un amour parfait ? Qui sinon toi Seigneur, Dieu de toute bonté ? Toi l’amour absolu de toute éternité ?” s’interrogeait saint Augustin.

L’échec d’un mariage, malgré et avec toutes les tragédies qui l’accompagnent, peut être la « chance » paradoxale de lever le voile sur ce qui était caché et de se découvrir soi-même en vérité. Cette tragédie peut se révéler une apocalypse, au double sens du terme, si elle permet de faire le deuil de ses illusions et de mieux comprendre que notre vocation fondamentale ne pourra se réaliser pleinement et définitivement qu’auprès de Dieu et que c’est le but unique de notre existence. Comme le disait, une fois encore, saint Augustin : “Plus près de toi, mon Dieu, j’aimerais reposer, c’est toi qui m’as créé et tu m’as fait pour toi, mon cœur est sans repos tant qu’il ne demeure en toi”.

On ne peut pas être à la fois signe de contradiction aux yeux des hommes et garant de l’ordre social

Pourquoi la résurgence de l’esclavage dans les pays de chrétienté n’a-t-elle pas provoqué de la part de l’Eglise instituée une réaction aussi impitoyable que l’apparition du protestantisme ? Le commerce triangulaire n’a jamais été un motif de croisade ou de guerre sainte pour une raison très simple : elle ne menaçait ni directement, ni indirectement les intérêts du clergé qui était à la fois, rappelons le, l’un des trois ordres soutenant l’ancien régime et sa caution morale.

A l’inverse, à mesure qu’il se développait et que les grands féodaux se ralliaient à lui, le protestantisme devenait le fer de lance de la contestation de le l’autorité du roi dont le clergé était à la fois l’obligé, l’otage, le complice et la caution morale. On ne peut même pas parler de collusion du clergé avec le pouvoir en place puisque le clergé était lui-même un des piliers du pouvoir en place.

De là découle sans doute aussi la tendance qu’a eu longtemps le clergé à s’accrocher au latin non seulement en tant que langue liturgique mais également en tant que langue d’enseignement. Enseignement de la théologie d’enseignement tout court.

Enseignement de la théologie : saint Jean-marie Vianney faillit ne jamais être ordonné faute de pouvoir répondre en latin aux questions théologiques de ses examinateurs. Il fallut lui permettre exceptionnellement de répondre en français pour qu’il puisse démontrer qu’il avait une intelligence de la foi suffisante pour pouvoir être prêtre.

Enseignement tout court : le savoir c’est le pouvoir. Il suffit de se rappeler le roman de Stendhal intitulé Le Rouge et le Noir, initialement sous-titré Chronique du XIXème siècle puis Chronique de 1830. C’est l’histoire, tragique en l’occurrence, d’un jeune fils de paysan ambitieux qui endosse le « triste habit noir » de séminariste pour effectuer l’ascension social qu’il ne peut plus espérer faire en s’engageant dans l’armée napoléonienne (le rouge). Et son ascension commence quand, enfant, il obtient la protection du curé de son village qui repère ce petit paysan capable de réciter par cœur le Nouveau Testament en latin.

Cela paraît absurde a posteriori mais c’est parfaitement cohérent du point de vue d’un corps constitué qui souhaite tenir les laïcs à distance afin de garder intact son monopole intellectuel et son autorité morale. N’importe quelle corporation entoure de barbelés ses prérogatives et ses avantages comparatifs. De ce point de vue la restriction de l’accès au savoir était un enjeu fondamental.

Elargir la possibilité d’accéder au patrimoine intellectuel et spirituel qui constitue la tradition de l’Eglise pour aider les laïcs à grandir en maturité spirituelle et en discernement aurait eu pour corollaire de les rendre moins dépendants de ce que leur disait le clergé . Pour ce dernier cela revenait à scier la branche sur laquelle ils étaient assis.

De même la méfiance et la suspicion dont ils ont entouré la Bible et qui a été intégrée très largement par les fidèles catholiques eux-mêmes. Elle a été très longue à disparaître, à supposer même qu’elle ait disparu aujourd’hui : je me rappelle qu’une de mes grands-mères, pourtant femme et chrétienne remarquable, m’avait fait part de sa réticence à l’idée que les catholiques lisent par eux-mêmes la Bible qu’elle jugeait trop subversive. Le père Stan Rougier rapporte de ses années de séminaire un témoignage similaire.

De manière générale le manque de formation des laïcs et des parents qui ne parviennent pas à transmettre la foi à leurs enfants parce qu’ils ne parviennent pas à répondre de manière intelligible et convaincante à leurs questions et à leurs objections vient de là.

La trahison des clercs devient inévitable et systématique quand le clergé se compromet avec les pouvoirs mondains. D’accords pragmatiques en compromis raisonnables il aboutit toujours à des compromissions qui trahissent l’évangile et défigurent le visage du Christ aux yeux des hommes dans mais surtout à l’extérieur de l’Eglise. “Ne craignez pas ceux qui tuent le corps et qui ne peuvent tuer l’âme; craignez plutôt celui qui peut faire périr l’âme et le corps dans la géhenne” (Matthieu 10, 28).

Voilà pourquoi il est paradoxalement souhaitable que le clergé soit en butte aux pouvoirs et aux intérêts du monde : ce n’est pas une garantie mais c’est au moins une forte présomption de fidélité au Christ. Les persécutions, sanglantes ou sournoises, en sont la contrepartie. “Heureux serez-vous, lorsqu’on vous outragera, qu’on vous persécutera et qu’on dira faussement de vous toute sorte de mal, à cause de moi” (Matthieu 5, 11).

De ce point de vue le déchaînement de haines souvent hystériques que déclenche le pape François dans certains milieux conservateurs et cercles économiques est une très bonne nouvelle. Paradoxalement elles constituent plutôt un encouragement.