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La formule de Boltzmann

Le devoir de réserve qui s’impose aux hauts fonctionnaires est parfois un couvercle bien lourd à porter : on voit et on comprend beaucoup de choses, on assiste à de nombreux événements dont on est parfois protagonistes, on connaît le dessous des cartes mais on ne peut les révéler sous peine de provoquer l’effondrement du château de cartes…

Les romans de Gérard Pardini, haut fonctionnaire ayant exercé des responsabilités à la fois opérationnelles et stratégiques dans divers ministères régaliens, n’en sont donc que plus précieux. Sans rien dévoiler des dossiers qu’il a eus à connaître au fil de sa carrière, il livre une réflexion qui est nourrie de son expérience.

Lucides, désabusés mais également drôles ses romans portent un regard sans complaisance sur l’évolution de notre société mais sans hostilité, à l’image de ces moralistes du XVIIème siècle qui, après avoir fréquenté les cercles de pouvoirs, côtoyé les grands et sondé leurs petitesses en tirent des leçons qu’ils veulent partager.

C’est dans cette veine que s’inscrit le dernier roman de Gérard Pardini intitulé La formule de Boltzmann et publié chez L’Harmattan (les premières pages peuvent être lues sur http://www.gerard-pardini.fr/spip.php?article134).

 On y voit des décideurs persuadés d’œuvrer pour le bien de l’humanité mais qui ne soupçonnent pas un seul instant la noirceur de leurs âmes, un système politique conçu pour favoriser l’harmonie qui, au fil des catastrophes déraille vers l’absurde, une folie qui est aussi celle de leurs administrés et une lucidité sur l’évolution du monde qui reste l’apanage des femmes.

Cela vous fait penser à quelque chose ?

Marche avant par Alexandre Poussin

La publication récente des dernières aventures de la famille Poussin à Madagascar, Mada Trek, nous a incité à remettre en ligne la recension faite il y a dix ans d’un livre assez original d’Alexandre Poussin, intitulé Marche avant.

Après avoir passé sa jeunesse à escalader nuitamment les monuments parisiens et à faire une cour aussi assidue qu’originale à Sonia, il fait le tour du monde à bicyclette, traverse à pied l’Himalaya avec un ami, repasse par Paris pour épouser Sonia qu’il emmène ensuite en promenade pendant trois ans : le temps de rallier à pieds la ville du Cap en Afrique du Sud au lac de Tibériade en Israël, couchant chaque soir à la belle étoile ou chez l’habitant. En 2004 et 2005 Alexandre et Sonia raconteront leur expérience et surtout les multiples rencontres qui ont émaillé leur périple dans un livre publié en deux tomes intitulé Africa Trek que suivit un DVD éponyme. En 2011 Alexandre Poussin nous livre ses réflexions, ses méditations et son expérience dans un livre à la fois original, drôle, profond et très bien écrit intitulé Marche avant.

En quête de vérités qui aident à vivre, Alexandre Poussin ne cesse de tracer sa voie, de suivre son propre chemin et, inévitablement, il brouille les pistes. Ce n’est pas le moindre de ses mérites.

Tombé amoureux de l’Afrique et de sa beauté au contact de la revue L’Afrique réelle, dirigée par le controversé Bernard Lugan – proche de la droite radicale – Alexandre Poussin bat en brèche les stéréotypes sur l’Afrique et consacre des pages vibrantes au courage des Africains qui, simplement pour ne pas périr, doivent travailler d’arrache-pied – parfois au sens propre du terme – et mènent une vie de labeur que, selon lui, aucun Européen contemporain ne supporterait plus de trois semaines….

Déjà à Sciences po Grenoble il préférait les stages ouvriers aux stages conseillés. Il s’est ainsi embarqué comme mousse avec des marins-pêcheurs et a travaillé comme garçon de ferme dans les alpages afin de toucher du doigt la réalité de ces métiers ainsi que les conditions de vie de ceux qui les exerçaient au lieu d’effectuer sagement des photocopies dans une préfecture ou dans un cabinet de conseil. Il y découvrit des difficultés, des drames et des contradictions qui sont le reflet de nos choix de société. C’est peut-être pour cela que ses professeurs avaient tenté de l’en dissuader en faisant valoir que cela ne lui servirait à rien. C’est assurément pour cela que son rapport de stage sur l’agriculture fut étrillé : il y remettait en cause, exemples à l’appui, le modèle de l’agriculture industrielle.

Scout revendiqué qui ne tarit pas d’éloges sur la formation humaine et spirituelle qu’il doit au mouvement de Baden Powell il est également – et selon lui logiquement –  un écologiste viscéral. Il rend hommage à José Bové dont il salue le courage militant tout en suggérant qu’il est en avance sur son temps et que la postérité lui rendra justice. Car, si Alexandre Poussin est un écologiste engagé, il n’est pas un écologiste enragé.

Il connaît mieux que quiconque les réactions épidermiques des baby boomers que suscite la moindre interrogation pouvant remettre en cause les dogmes de la croissance exponentielle et du salut par le progrès technique. Philosophe, il se dit que chaque génération a son combat et que celui de la paix était le leur tandis que celui de l’environnement est désormais le nôtre. Généreux, il leur rend hommage pour ce qu’ils ont fait. Optimiste, il place son espoir dans la génération actuelle et les générations à venir à venir pour inverser les tendances destructrices actuellement à l’œuvre.

Ancien élève des écoles chrétiennes il se déclare sereinement défavorable à la mixité scolaire qu’il considère comme un obstacle à la formation des personnalités. Il estime que ce n’est pas un service à rendre à des adolescents et des adolescentes qui ne sont encore que l’ébauche d’eux-mêmes que de faire de l’école le terrain des jeux de l’amour et du hasard. Catholique assumé, il se déclare partisan de la sobriété volontaire qu’il considère comme la seule solution à la fois viable et vivable pour sortir de la société de consommation et de sa logique destructrice et se réfère indifféremment à Pierre Rabhi, Denis Tillinac, Jean-François Guillebaud et José Bové, Jean-Paul II ou Gandhi quand il ne cite pas purement et simplement l’Evangile.

S’il parcourt désormais le monde à pied pour faire de longs voyages à l’image des pèlerins du Moyen-Age c’est à la fois pour des raisons méthodologiques et déontologiques : par le simple fait de marcher le marcheur retrouve son corps. Il l’habite de nouveau. Il rentre en lui-même. Il se retrouve. Il reprend contact avec la Création qu’il contemple de nouveau. Son âme se reconnecte avec l’essentiel. Il se débarrasse de ses angoisses. De son stress. De l’esprit de comparaison. De l’esprit de compétition. Il n’est plus pollué et ne pollue plus. Il prend le temps. Il prend son temps. Il a le temps. Il redevient disponible aux rencontres imprévues.

L ‘éthique de la marche qui le meut et qu’il promeut est la source d’inspiration de ce livre-témoignage dans lequel alternent chapitres biographique et considérations plus philosophique. Car ce jeune quadra devenu récemment jeune papa a déjà beaucoup vécu et a pris le temps de ruminer ce qu’il a vécu pour le mettre en mots. Emprunt de profondeur et rédigé avec une bonne dose d’autodérision Marche avant est un récit inclassable qui aidera tous les chercheurs de sens à étancher leur soif.

Je crois pour comprendre et je comprends pour croire

Le blogue catholique québécois Le verbe propose des réflexions pour nourrir la vie chrétienne et témoigner de la foi. Son rédacteur en chef adjoint, James Langlois, nous propose une réflexion sur ce que l’on appelle croire en Dieu. Tous les articles de ce blogue peuvent être consultés sur  https://www.le-verbe.com/blogue/ et peuvent être envoyés gratuitement (https://www.le-verbe.com/abonnements-et-dons/).

« Dans notre société moderne, caractérisée par un esprit scientifique, matérialiste et rationaliste, tous conviennent qu’il est absurde de croire à quelque chose ou en quelqu’un sans motifs suffisants et crédibles. Connaître une réalité par le biais du témoignage d’un tiers, c’est ce qu’on appelle la foi : croire à quelque chose, croire quelqu’un, croire en quelqu’un.

Or, comme l’a déjà très bien expliqué le collègue Sylvain Aubé, la foi humaine sert dans tous les palais de justice et plusieurs de nos connaissances procèdent par celles-ci : nous croyons le médecin, nos professeurs, les scientifiques, seulement parce que nous leur faisons confiance. Nous n’avons pas l’évidence de la plupart des choses que nous pensons savoir.

Quand on arrive à la foi qui porte sur Dieu ou sur des sujets spirituels ou surnaturels, la foi a mauvaise réputation : elle est vue comme suspecte, douteuse, voire stupide. Je pense de fait comme M. Lévesque que c’est faire injure à l’intelligence humaine que de croire à des choses de manière aveugle et sans fondements : c’est ce qu’on appelle du fidéisme ou de la crédulité, et ce n’est pas la conception chrétienne, ou du moins catholique, de la foi.

Raison et révélation

Faisons d’ores et déjà la distinction entre la philosophie, qui concerne la raison, et la religion, ou la foi en Dieu, qui exige une révélation : pour avoir foi en Dieu ou en sa parole, il faut d’abord qu’il ait parlé; la foi est la réponse à cette révélation.

Quand, dès lors, on parle de théisme (ou de déisme/panthéisme,etc.), c’est avant tout une position philosophique, donc rationnelle. Appuyée par certains arguments, cette position postule l’existence d’un être intelligent, d’un principe ordonnateur de la nature, transcendant ou non, qui intervient ou pas dans le monde. La philosophie, la raison, ne prétend pas croire en, elle tente d’affirmer, de prouver. C’est ce que fait Aristote dans sa Métaphysique, Thomas d’Aquin dans les premières questions de sa Somme Théologique ou René Descartes dans ses Méditations.

Dans la théologie catholique, foi et raison ne s’opposent pas.

Le mystère chrétien de l’incarnation et de la rédemption – auxquels le chroniqueur fait référence – ainsi que la possibilité d’une dimension surnaturelle, concerne un Dieu qui se révèle et qui, par le fait même, veut donner à connaître des réalités qui surpassent la raison humaine. On quitte la raison pour entrer dans la foi.

Dans la théologie catholique, foi et raison ne s’opposent pas : Dieu, qui est le créateur de l’intelligence et de la réalité, ne demanderait pas de croire en des vérités qui contrediraient ce que la raison pourrait découvrir par elle-même. Inversement, la foi ne nie pas l’intelligence, mais elle la suppose: il faut bien quelques motifs de crédibilité pour donner son assentiment à une parole ou à des réalités dont nous ne pouvons pas avoir l’évidence.

Croire ou ne pas croire

La foi donc, qu’elle soit en des êtres humains, en Dieu ou en des témoins qui rapportent leur expérience de Dieu, et même si elle ne repose pas sur une évidence scientifique ou sensible, n’est pas pour le moins irrationnelle.

Au lieu de nous demander, comme le chroniqueur, «est-il raisonnable de croire en Dieu?» (ce qui voudrait dire croire en sa parole) je poserais la question ainsi : est-il raisonnable de penser que Dieu existe? Car sa formulation suppose  que l’idée d’une cause intelligente à l’origine de notre monde ne peut pas être rationnelle, qu’elle ne peut que reposer sur un saut aveugle dans la foi, qui vient d’une adhésion personnelle.

Croire ce n’est pas voir, que ce soit avec les yeux du corps ou de l’intelligence. Sous cet angle, la foi est l’opposée de l’évidence.

Quand M. Lévesque demande, au final, «est-ce bien raisonnable de croire en quelque chose dont nous n’avons aucune preuve?», la question est tordue dans son principe : quand nous avons des preuves, nous n’avons pas besoin de croire. Il faudrait plutôt se demander : «est-ce bien raisonnable de croire à quelque chose pour lequel nous n’avons aucun motif crédible?»

Un jardin sans jardinier?

Citant Dawkins en introduction de son texte, le chroniqueur semble nous dire qu’il est absurde de penser qu’un jardinier précède à l’existence d’un beau jardin. Qui, en voyant un magnifique jardin ordonné, ne déduirait pas d’emblée qu’il s’agit là d’une oeuvre intentionnelle? Quand nous voyons de la fumée monter au-delà de l’horizon, doutons-nous qu’il y ait un feu ou avons-nous besoin de le voir pour en avoir la certitude?

Jésus le Christ n’est pas un concept, mais un être personnel.

L’ordre implacable et toute la beauté de la nature, de notre ADN jusqu’aux galaxies, me suffisent à penser, comme nombre de scientifiques dans l’histoire, qu’il existe une intelligence derrière cette création. Il me semble de ce fait beaucoup plus irrationnel et absurde de croire que nous venons du néant et que nous y retournons.

Quant à Jésus le Christ et au Dieu chrétien, il n’est pas un concept, mais un être personnel que nous pouvons rencontrer de plusieurs manières. En ce temps de Pâques, ceux qui ont expérimenté le passage de la mort à la vie célèbrent Celui qui, le premier, a ouvert le chemin d’une Bonne Nouvelle témoignée depuis maintenant plus de 2000 ans ».

James Langlois

James a étudié l’éducation, la philosophie et la théologie. Son cursus témoigne de ses nombreux champs d’intérêt, mais surtout de son désir de transmettre, de comprendre et d’aimer. Il est rédacteur en chef adjoint au Verbe depuis juin 2016.

Noblet oblige

L’adaptation au théâtre du roman Réparer les vivants de Maylis de Kerangal par l’acteur Emmanuel Noblet est une réussite qui a été légitimement saluée par la critique et qui lui a valu notamment [1] le Molière 2017 dans la catégorie Seul en scène.

En effet adapter au théâtre un roman qui est déjà un OVNI littéraire – en l’occurrence un roman qui a pour objet le don d’organes – est déjà en soi un choix courageux.

Mais choisir en plus d’adapter un roman qui soulève les implications éthiques du progrès technique et rappelle le caractère irremplaçable de chaque être humain n’est pas non plus à notre époque, un choix anodin. C’est donc un choix doublement courageux.

Et choisir de le faire en incarnant successivement et parfois alternativement tous les rôles comme le fait Emmanuel Noblet relève de l’exploit. C’est donc un choix triplement courageux.

Mais la réussite d’Emmanuel Noblet vient couronner une série de choix artistiques et de choix de vie qui sont extraordinaires au sens propre du terme : ils sortent de l’ordinaire.

A ce titre ils témoignent d’une vraie liberté intérieure et sont d’autant plus salutaires que, pour reprendre le mot de Georges Bernanos, la société contemporaine est un gigantesque complot contre toute forme de vie intérieure.

Une réussite artistique

Ce n’est pas faire injure aux techniciens qui rendent possible la mise en scène (voix off, le jeu de lumière et la bande sonore) que de rendre hommage à la sobriété de cette pièce, résolument conçue selon un principe d’économie de moyens.

Deux chaises, un drap, une planche de surf, une blouse blanche, un téléphone portable, un écran d’ordinateur, portable lui aussi, et une paire de lunettes de soleil suffisent à restituer l’intensité des émotions, la complexité du drame intérieur que vivent les proches, les cas de conscience et les angoisses du corps médical engagé dans une course contre la montre.

Cette sobriété assumée est une garantie contre le pathos, la facilité et l’exhibitionnisme émotionnel. La mise en scène ressemble au langage succinct des médecins qui décrivent en termes cliniques la réalité pourtant tragique du passage de la vie à la mort.

L’unité de temps – moins de 24h séparent l’accident mortel de la fin de l’opération de transplantation – ajoute également à cette intensité à la fois sobre et crue. De ce point de vue on dirait une tragédie classique.

Un acteur qui a du métier et dont le métier est un choix de vie

Les critiques théâtrales ont toutes célébré, à juste titre, le talent d’Emmanuel Noblet (ainsi que son physique avantageux) mais ce qui est le plus impressionnant c’est la somme de travail que son talent révèle. Comme disait un autre Georges, Brassens celui-là, « sans travail le talent n’est rien qu’une sale manie ».

Le choix de la mise en scène n’a été rendu possible que parce qu’Emmanuel Noblet est un acteur dont on peut dire qu’il a du métier : c’est parce qu’il possède réellement son métier d’acteur qu’il peut, avec trois fois rien, faire surgir sous nos yeux une galerie de personnages tous plus vrais que nature.

Par ailleurs l’histoire du succès de la pièce qu’il a mise en scène est aussi une belle histoire au sens propre du terme puisqu’elle a commencé à un moment où la carrière d’Emmanuel Noblet était au creux de la vague et où les contingences pesaient de plus en plus lourd. A la lecture du roman de Maylis de Kerangal il rachète les droits d’adaptation, écrit la pièce, conçoit la mise en scène et file en voiture se produire au festival off d’Avignon…sans savoir que le succès l’y attendait.

Le choix d’adapter cette pièce sous cette forme précise est une décision courageuse prise et assumée de bout-en-bout par Emmanuel Noblet. Sa réussite artistique est donc le fruit d’un choix de vie courageux et authentique et d’une persévérance dans une voie notoirement difficile.

La joie de vivre sa vocation

Emmanuel Noblet est quelqu’un qui a trouvé sa vocation parce qu’il a eu le courage de la chercher. Quand il parle de son métier il parle spontanément de son bonheur de jouer et d’être acteur et sa joie est visible à l’œil nu.

Ce témoignage est d’autant plus précieux que la carrière qu’il a choisie – ou plutôt qu’il s’est choisie – suppose d’accepter un mode de vie aléatoire et incertain.

Il fait penser à d’autres exemples contemporains de personnes qui sont des personnalités à part entière parce qu’elles se donnent les moyens de chercher et de vivre leur vocations particulières… en assumant le risque de ramer parfois à contre-courant et de vivre d’une manière plus aléatoire – mais également plus détachée – que s’ils s’étaient laissé porter par les courants dominants d’une société consumériste.

L’exemple qu’il donne – peut-être même de manière involontaire – fait écho à ce qu’écrivent des auteurs contemporains comme l’essayiste américain Rod Dreher (Le pari bénédictin), le romancier canadien Micheal O’Brien (Père Elijah : une apocalypse) ou le couple de voyageurs français Alexandre et Sonia Poussin (Africatrek, Madatrek) : ils nous invitent à accepter le risque de vivre à contre-courant pour rester fidèles à notre vocation c’est-à-dire à nous-mêmes.

La joie d’Emmanuel Noblet rappelle qu’être heureux n’est pas nécessairement une chose confortable et que ce n’est pas en faisant comme tout le monde que l’on devient soi-même.

Cela suppose une culture de la liberté intérieure qui, sous l’ancien régime, était censée être celle de la noblesse et que l’on transmettait dans la famille. C’est visiblement la sienne.

Noblet oblige ?

[1] Réparer les vivants, théâtre du Petit Saint Martin (01 42 08 00 32) ; petitstmartin.com

Impressions de lecture

Avez-vous déjà fait l’expérience lors d’une soirée de suivre un dialogue intéressant entre deux personnes qui ne s’adressaient pas particulièrement à vous et qui ne cherchaient pas à vous convaincre mais dont les échanges vous semblaient suffisamment intéressants pour les écouter et pour y réfléchir après coup ?

C’est l’expérience que j’ai faite à la lecture d’un dialogue entre Dominique Wolton et le pape François intitulé Politique et société. Ce n’est pas à proprement parler un livre d’entretiens au sens où il s’agirait d’une longue interview sur le modèle du Choix de Dieu réalisé par le même Dominique Wolton et Jean-Louis Missika avec Jean-Marie Lustiger en 1989.

C’est d’abord une conversation à bâtons rompus entre deux individus qui échangent dans un climat de confiance et de bienveillance. D’où quelques redites, une discussion part parfois dans toutes les directions et un Dominique Wolton qui s’exprime autant que le pape François voire plus par endroits. Ce n’est donc pas un travail de journaliste : Dominique Wolton n’a jamais été journaliste et n’a jamais prétendu l’être.

Une fois admis ces prémisses je pense qu’on peut se plonger avec profit dans la lecture de ce dialogue. Je livre ci-dessous mes impressions de lecture dans l’espoir que cela incitera les lecteurs de cet article à devenir des lecteurs de Politique et société.

1/ Mettre l’accent sur la pédagogie et le discernement

Toutes les personnes qui ont eu la chance de s’entretenir en privé avec le pape émérite Benoît XVI s’accordaient à dire que, lorsqu’on avait une discussion avec lui on en ressortait plus intelligent… et donc plus libre.

Le cardinal Ratzinger, dont la culture théologique et l’intelligence dépassaient largement celle de la plupart de ses interlocuteurs même les plus brillants, se mettait toujours à l’écoute et au niveau de celui ou de celle qui lui parlait. Il reformulait positivement l’objection qui lui était faite ou la question qui lui était posée, puis complétait, élargissait et, le cas échéant, corrigeait parfois ce qui devait l’être mais toujours avec délicatesse et en explicitant. Il amenait ainsi son interlocuteur à un niveau supérieur de compréhension (à moins que ce ne soit à un niveau plus profond ?).

 Il était toujours animé du souci de l’accompagner en marchant à ses cotés et surtout à son rythme afin de l’éclairer pour le rendre plus libre. Chez Joseph Ratzinger l’amour de la vérité était indissociable de la vérité de l’amour qui s’incarnait dans une pédagogie sur-mesure.

C’est la même attitude que l’on retrouve chez le pape François. En bon jésuite, il conçoit son pontificat en jésuite c’est-à-dire qu’il cherche à se comporter comme directeur spirituel universel et, comme tout bon directeur spirituel, il invite ceux auxquels il s’adresse à exercer leur propre discernement. Il les invite à discerner ce qui est bon dans leur vie non seulement pour s’y tenir mais surtout pour en faire le point de départ d’un cheminement au cours duquel ils pourront faire ou approfondir l’expérience de Dieu.

Cette attitude n’a rien de nouveau en elle-même mais il faut croire que, compte tenu du poids des mauvaises habitudes accumulées, ce programme de conversion intérieure et de changement d’attitude constitue une vraie révolution culturelle.

Elle explique également le malaise de ceux qui souhaitaient une réponse catégorique – dans un sens ou dans un autre – à la question de l’accès à la communion des divorcés-remariés. La réponse pontificale était en effet de discerner avec les intéressés.

Comme à son habitude le pape le dit avec une simplicité désarmante: « Hélas, nous les prêtres, nous sommes habitués aux normes figées. Aux normes fixes. Et c’est difficile pour nous, cet accompagner sur le chemin, intégrer, discerner, dire du bien. Mais ma proposition, c’est bien ça ».

D’où les réticences du pape François vis-à-vis, non pas de la doctrine ou de la morale, mais d’une approche doctrinale ou simplement morale des problèmes et des drames contemporains. D’où l’incompréhension et l’exaspération de ceux qui n’attendent pas autre chose du pape et qui, pour cette raison, ne peuvent pas ou ne veulent pas écouter des propos qui ne correspondent pas à leurs attentes.

Mais si sa proposition est typiquement jésuite elle est surtout typique de Jésus qui accompagne les pèlerins d’Emmaüs sur le chemin, les interroge et les éclaire sur le sens des Ecritures avant de se révéler à eux dans la fraction du pain. Ou de Jésus qui s’adresse à la Samaritaine en partant de sa préoccupation concrète (elle veut puiser de l’eau) et non de sa situation maritale illégitime (l’homme avec lequel elle vit n’est pas son mari[1]) ou de son appartenance aux Samaritains, les hérétiques irrécupérables aux yeux de juifs pieux.

Dieu, quand il se fait homme en Jésus Christ, s’adresse à chaque personne individuellement, sans l’enfermer dans ses erreurs ou ses fautes, mais en faisant du sur-mesure.

2/ La communication comme acte d’humilité et de charité

C’est sans doute pour cela que le pape François insiste beaucoup sur la communication authentique qui n’est pas d’abord une transmission d’informations mais d’abord un acte relationnel c’est-à-dire un acte d’humilité et de charité.

C’est un acte de charité dans la mesure où il consiste à sortir de soi-même pour aller chercher l’autre là où il est et là où il en est. C’est un acte d’humilité dans la mesure où il consiste à faire le premier pas vers l’autre et à s’ajuster à lui plutôt que d’attendre de lui qu’il fasse l’effort de s’adapter à moi. C’est un acte relationnel qui consiste à apprivoiser autrui et à se laisser apprivoiser par lui pour pouvoir cheminer à ses côtés et aller à son pas au lieu de lui imposer le nôtre.

L’attitude que le pape François développe et explicite n’est pas nouvelle puisqu’elle est celle de Dieu le Père qui fait le premier pas vers Abraham et celle de Dieu le Fils qui s’incarne – dans une étable qui plus est ! – pour rejoindre l’humanité.

C’est ce que nous rappelle saint Paul : « Le Christ Jésus ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes. Reconnu homme à son aspect, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix » (2, Philippiens 6-8).

C’est ce qui explique la sévérité du pape François vis-à-vis du cléricalisme car il y voit un contre-témoignage inadmissible car trop lourd de conséquences : « Les voici, les deux faiblesses graves que je connais : le cléricalisme et la rigidité (…) Je n’aime pas quand je tombe sur un prêtre qui dans sa paroisse a affiché ses disponibilités de telle heure à telle heure. Et quand le fidèle dit d’accord, qu’il y va à l’heure indiquée et qu’au lieu de trouver un prêtre, il tombe sur une secrétaire, parfois un peu revêche, qui lui a dit que le père est trop occupé ! Ça c’est l’anti-communication et l’anti-évangile… »

Le pape François ne concevant pas autrement la communication que comme un acte de charité, il considère logiquement le refus de la communication ou sa contrefaçon (ce qui revient au même) comme un refus de la charité et donc un refus de Dieu : « Communiquer c’est s’abaisser comme le fait le Christ avec l’homme ».

Sa dénonciation du cléricalisme n’est pas une concession démagogique à l’air du temps. Sa préférence pour les pécheurs qui se reconnaissent comme tels a pour corollaire l’inquiétude que suscite chez lui la rigidité parce qu’elle est facteur de stagnation voire de régression spirituelle et donc humaine. C’est la version inquiète du fameux adage « Heureux les fêlés car ils laissent passer la lumière ».

3/ Reconnaître son propre péché pour pouvoir accueillir la grâce.

Là encore rien de superficiel ou de futile dans ses propos mais la vive conscience que le Christ est venu pour les pécheurs et non pour ceux qui se croient bien portants : « derrière chaque rigidité il y a une incapacité à communiquer. Quand je tombe sur une personne rigide, surtout un jeune, je me dis aussitôt qu’il est malade. Le danger est qu’il cherche la sécurité ».

A l’inverse les faiblesses et les péchés qui sont assumés et reconnus comme tels l’inquiètent peu : « La richesse de l’Eglise se trouve là : chez les pécheurs. Pourquoi ? Parce que quand tu te sens pécheur, tu demandes pardon, et ce faisant, tu lances un pont ».

Les péchés et les faiblesses assumés et reconnus peuvent constituer le point de départ d’un cheminement et d’un itinéraire spirituel, à l’image de celui de saint Augustin ou du bienheureux Charles de Foucauld. C’est pourquoi le pape François dit explicitement : « Moi j’ai peur de la rigidité. Je préfère un jeune désordonné, avec des problèmes normaux, qui s’énerve…car toutes ces contradictions vont l’aider à grandir ».

Quant aux stratégies d’évitement et aux dénis de réalités qu’inspire la rigidité à ceux qui en sont atteints il est d’une lucidité à la fois sereine et sans complaisance : « Les hommes qui sont malades psychologiquement le pressentent inconsciemment. Ils ne le savent pas mais ils le sentent et vont chercher des structures fortes qui les défendent dans la vie. Ils deviennent policiers, ils s’engagent dans l’armée ou dans l’Eglise. Des institutions fortes pour se défendre. Ils font bien leur travail, mais une fois qu’ils se sentent en sûreté, inconsciemment, la maladie se manifeste. Et là surviennent les problèmes ».

Quand il parle de ceux qui fuient leurs faiblesses en entrant dans l’Eglise, on ne peut que penser aux invectives de Jésus contre les pharisiens : «  Malheur à vous, spécialistes de la loi et pharisiens hypocrites, parce que vous ressemblez à des tombeaux blanchis qui paraissent beaux de l’extérieur et qui, à l’intérieur, sont pleins d’ossements de morts et de toutes sortes d’impuretés » (Matthieu 23, 27).

4/ Partir du concret

Un aspect très intéressant de ce dialogue est qu’il permet de constater que le pape François ne raisonne pas à partir de principes abstraits mais qu’au contraire il part toujours de la complexité du réel avec toutes ses contradictions : la personne telle qu’elle est et dans la situation qui est la sienne au moment où on la rencontre ; mais aussi les données politiques complexes et la réalité intime du peuple.

Il ne prône absolument pas la disparition des identités, au contraire : « Concernant le dialogue interreligieux, il doit exister mais, on ne peut pas établir un dialogue sincère entre les religions si l’on ne part pas de sa propre identité. J’ai mon identité et je parle avec la mienne ».

A Dominique Wolton qui lui parle des migrants il répond : « Oui on peut en parler, toutes les religions parlent des réfugiés. Mais il y a des problèmes politique, et certains pays n’ont pas assez de place, d’autres n’ont pas le courage nécessaire, et d’autres ont peur. D’autres n’ont pas su intégrer les immigrés et ils les ont ghettoïsés. C’est très complexe. Considérons le problème des Africains, par exemple. Ils fuient la guerre et la faim. Et quand il y a la guerre et la faim chez eux, le problème arrive ici ensuite. On doit aussi se demander : pourquoi y a-t-il une guerre là-bas ? Qui donne les armes ? »

L’intérêt des propos du pape François est de partir de la complexité du réel sans en tirer argument pour escamoter les questions qui fâchent. En partant des situations concrètes il pose des questions concrètes qui sont souvent des questions tabou c’est-à-dire, au sens littéral du terme, des questions dont on ne parle pas parce qu’elles sont trop embarrassantes.

« Le problème commence dans les pays d’où viennent les migrants. Pourquoi quittent-ils leurs terres ? Par manque de travail ou à cause de la guerre. Ce sont les deux principales raisons. Le manque de travail, parce qu’ils ont été exploités – je pense aux Africains. L’Europe a exploité l’Afrique… Je ne sais pas si l’on peut le dire ! Mais certaines colonisations européennes… oui, elles l’ont exploitées (…) la première chose que l’on doit faire, et je l’ai dit devant les Nations Unies, au Conseil de l’Europe et partout, c’est de trouver, là-bas des sources de création d’emplois, et d’y investir ; il est vrai que l’Europe doit investir également chez elle. Car ici aussi, il y a un problème de chômage. L’autre raison des migrations, ce sont les guerres. On peut investir, les gens auront une source de travail et n’auront plus besoin de partir, mais s’il y a la guerre, ils devront tout de même fuir. Or, qui fait la guerre ? Qui fournit les armes ? Nous ».

En braquant les projecteurs sur la question du trafic d’armes il soulève une question très intéressante mais également très embarrassante pour les pays occidentaux. Une question qui n’est pas récente et qui est même récurrente.

Déjà dans l’album de Tintin L’oreille cassée – publié en album de 1935 à 1937  dans les pages du Petit Vingtième – Hergé dénonçait cette réalité en mettant en scène le personnage de Basil Bazaroff, qui fait fortune en vendant les mêmes armes à deux pays belligérants. Ce personnage fictif était inspiré d’un personnage bien réel celui-là : Basil Zaharoff (1849-1936). C’était un marchand d’armes et financier d’origine grecque détenant plusieurs passeports, familier des grands de ce monde et dont la spécialité était d’alimenter tous les conflits en cours en vendant des armes à tous les camps en même temps. Son immense fortune lui permit même de se lancer dans des actions philanthropiques….

Le pape ne fait donc pas œuvre d’originalité quand il déclare : «  nous les leur fournissons pour qu’ils se détruisent, finalement. On se plaint que leurs migrants viennent nous détruire (…) Nous provoquons le chaos, les gens fuient, et nous, que faisons-nous ? Nous disons : Ah non, débrouillez-vous ! Je ne voudrais pas utiliser de mots trop durs, mais on n’a pas le droit de ne pas aider les gens qui arrivent. Ce sont des êtres humains ».

5/Une conception du peuple qui rejoint celle de Georges Bernanos

Partant des réalités concrètes et de la complexité du réel le pape François part et parle beaucoup de la spiritualité du peuple. Non seulement de la piété populaire mais même, de manière plus étonnante, sa théologie : « Le peuple a sa piété, sa théologie. Elles sont saines et concrètes. Fondées sur les valeurs de la famille, du travail. Même les péchés du peuple sont des péchés concrets ». En revanche les péchés de ces théologies idéologiques ont trop d’angélicalité. Les péchés les plus graves sont ceux qui ont beaucoup d’angélisme ».

C’est aussi pour cela qu’il se méfie des contrefaçons du peuple comme la théologie de la libération inventée par des intellectuels coupés du peuple : «  Le peuple n’a jamais accepté ces petits groupes ».

La partie la plus intéressante de son propos sur le peuple c’est justement son refus des contrefaçons idéologiques du peuple, qu’elles soient marxistes ou nationalistes. Il le justifie au nom de la réalité vivante du peuple qu’il distingue toujours de son travestissement en une catégorie intellectuelle, en une construction idéologique, un pur produit de l’esprit de système qui cherche à mettre la réalité au service d’un projet politique arbitraire puisque ne respectant pas la vérité.

 « Le peuple n’est pas une catégorie logique. C’est une catégorie mythique. C’est un mythos. Pour comprendre le peuple, il faut aller dans un village de France, d’Italie ou d’Amérique. Ce sont les mêmes. Et là, on vit la vie du peuple. Mais on ne peut pas l’expliquer (…) pour comprendre le peuple, tu dois vivre avec le peuple. Et seuls ceux qui ont vécu avec le peuple le comprennent ».

Cette idée de catégorie mythique plus que logique c’est un continuum de manières d’être et de se comporter qui se transmet de génération en génération sans forcément être théorisé et qui ne peut être instrumentalisé par le pouvoir politique en place le rapproche naturellement Charles Péguy – «Il a compris le peuple, et très bien » –  mais surtout de  Georges Bernanos  : « Et il y a un autre Français remarquable : Bernanos. Lui, il a compris le peuple, il a compris cette catégorie mythique ».

Bernanos en effet dénonce la réduction de la Patrie à la catégorie juridique de Nation, elle-même réduite à la notion d’Etat pour aboutir à l’appareil d’Etat, sorte de Moloch moderne qui exige des sacrifices humains sous forme de conscription obligatoire au nom d’une raison d’Etat aussi arbitraire que non négociable : « Je sais bien que formulé ainsi mon raisonnement semble paradoxal ; on jugerait aujourd’hui très difficile d’opposer la Patrie à l’État. Cette opposition eût paru pourtant naturelle à nos pères ». Et d’ajouter : «  La Patrie c’était (…) tout ce qu’il avait reçu, tout ce qu’il pouvait transmettre à sa famille, tout ce qui assurait cette transmission – c’était sa famille elle-même, immensément agrandie, mais toujours reconnaissable » (La France contre les robots).

De même le pape François dénonce l’aliénation des peuples en Amérique latine : « Nous sommes sous-développés, mais également sous domination, soumis à la puissance des colonisations idéologiques et économiques. Nous ne sommes pas libres. Certes, nous avons notre façon d’être, mais les multinationales ont fait leur œuvre ! »

Là encore le parallèle avec Bernanos dénonçant l’aliénation du peuple par les puissances de l’argent est saisissant : « D’une manière générale, il est juste d’écrire que la Bourgeoisie, depuis cent cinquante ans, peut être définie : la classe française dont le sort, dès l’origine, s’est trouvé lié à l’économie libérale, qui a défendu pied à pied le régime inhumain de l’économie libérale, qui s’est laissé arracher un par un, ainsi que des concessions gratuites, les réformes indispensables ».

Ou encore quand il écrit :  « Les gens du peuple ont un mot très profond lorsqu’ils s’encouragent à la sympathie. Mettons-nous à sa place, disent-ils. On ne se met aisément qu’à la place de ses égaux. À un certain degré d’infériorité, réelle ou imaginaire, cette substitution n’est plus possible. Les délicats du XVIIème siècle ne se mettaient nullement à la place des nègres dont la traite enrichissait leurs familles » (Les Grands cimetières sous la lune).

Le fait que la vision qu’a le pape François du peuple corresponde à celle de Georges Bernanos devrait rassurer tous ceux qui craignaient que le souverain pontife ne prône le grand remplacement.

Le pape François est le premier à déplorer l’aliénation des peuples par les forces de l’argent et le déracinement forcé auquel les migrants sont acculés. Il n’est pas plus responsable des vagues migratoires que le SAMU n’est responsable des accidents de la route.

Il conçoit l’Eglise comme l’ensemble des baptisés et non simplement comme la hiérarchie ecclésiastique. Il considère également que l’Eglise doit être un hôpital de campagne dans un monde régi par le Prince de ce monde et soumis à l’idole de l’argent. Il rappelle à temps et à contre temps que les migrants doivent être toujours regardés d’abord et avant tout comme des personnes humaines c’est-à-dire comme nos frères. Il joue son rôle de vicaire du Christ sur terre.

De ce point de vue la lecture de Politique et société est un bon moyen de découvrir ce que dit et ce que pense réellement le pape. C’est aussi un moyen salutaire d’échapper aux commentaires malveillants des journalistes spécialisés qui répétaient inlassablement sous Jean-Paul II et Benoît XVI que les catégories droite/gauche ne permettaient pas de comprendre l’action du pape mais qui aujourd’hui suggèrent en couverture de leur publication que le pape François serait partisan puisque de gauche.

Mais peut-être que l’explication de ce mystère réside justement dans le fait que, à l’image des écrivains catholiques français Charles Péguy, Georges Bernanos et Léon Bloy qu’il cite régulièrement, il dénonce l’idole de l’argent…

 

[1]  « Tu as bien fait de dire : Je n’ai pas de mari, car tu as eu cinq maris et l’homme que tu as maintenant n’est pas ton mari. En cela tu as dit la vérité. » Jean 4, 17-18

Eloge du carburateur

Eloge du carburateur : essai sur le sens et la valeur du travail  est un récit qui se situe à mi-chemin entre conversion et reconversion.

Après avoir décroché un doctorat en philosophie politique à l’université de Chicago, Matthew B Crawford se fait recruter à Washington comme directeur d’un think tank financé par l’industrie pétrolière afin de populariser l’idée que le réchauffement climatique n’était pas dû à l’activité humaine. Etant en service commandé sa liberté intellectuelle est donc fortement encadrée.

Constatant que la fonction qu’il exerce ne lui procure pas la satisfaction intellectuelle réputée inhérente aux métiers de  « cols blancs » il finit par renoncer à son (généreux) salaire et par  démissionner. Il ouvre alors un atelier de réparation de motos où il (re)trouve un sentiment de créativité et de compétence plus intense.

Paradoxe : il constate que l’exercice d’une activité manuelle lui procure une satisfaction beaucoup plus grande que dans bien des emplois officiellement définis comme « travail intellectuel » et ce, y compris, d’un simple point de vue intellectuel.

Son expérience et la réflexion qu’il en tire remettent en cause un certain nombre d’idées reçues : non le travail intellectuel n’est pas un gage d’émancipation individuelle, non il ne donne pas plus de chance de décrocher un travail qualifié intéressant et non il n’est plus vecteur d’ascension sociale.

Au fur et à mesure qu’elle se déploie sa réflexion acquiert les dimensions d’une véritable révolution copernicienne et invite à une véritable conversion de nos représentations («qu’est-ce qu’une vie bonne ? ») et de nos objectifs (« Quels choix de vie voulons-nous poser ? »). Ce n’est pas le moindre de ses mérites.

1/ Emplois de « cols bleus contre emplois de « cols blancs » : une distinction infondée

Contrairement à ce qu’avaient annoncé les prophètes de l’économie post-industrielle, la délocalisation des activités de production n’entraîne pas le développement du travail de conception dans les pays déjà industrialisés.

S’il est vrai que de nombreux emplois industriels ont migré sous d’autres cieux, les métiers manuels de type artisanal sont toujours là. Pour quiconque a besoin de se faire construire une terrasse ou de faire réparer son véhicule, les Chinois ne seront pas d’une grande utilité.  Forcément puisqu’ils habitent en Chine !

A l’inverse on constate désormais dans nos sociétés une pénurie de main d’œuvre tant dans le secteur de la construction que dans celui de la mécanique automobile. Seul le préjugé des intellectuels vis-à-vis de toute forme de travail concret explique qu’il ait été possible de mettre dans le même sac les métiers non qualifiés – donc potentiellement délocalisables – et les métiers manuels de l’artisanat. Qualifiés uniformément de boulots de « cols bleus » ils ont tous et indistinctement été assimilés à une espèce en voie de disparition.  A tort.

A l’inverse les métiers de « cols blancs » ont été assimilés à des métiers de conception. A tort là aussi. Combien de diplômés ayant accumulé des années d’études dans l’espoir d’exercer des responsabilités de concepteurs, de dirigeants, de décideurs, d’experts ou de stratèges et dans l’espoir d’être payés en conséquence sont désormais cantonnés dans des tâches routinières et risquent d’être licenciés à quarante ans parce qu’ils seront réputés coûter trop cher par rapport à leur plus-value ?

Ce phénomène n’est d’ailleurs pas nouveau : déjà en 1942 Joseph Schumpeter écrivait que l’expansion de l’éducation supérieure au-delà des capacités d’absorption du marché du travail réduisait souvent les cols blancs à accepter des salaires moins élevés que ceux des ouvriers les mieux rémunérés. Il ajoutait également que cette dérive aboutissait à créer des diplômés qui étaient à la fois inemployables dans des occupations manuelles et dans les professions libérales .

Mais ce n’est qu’aujourd’hui que les baby-boomers et surtout la génération de leurs enfants comprennent et admettent que les métiers de « cols blancs » n’échappent pas plus à la logique de taylorisation du travail que les métiers de « cols bleus », que l’informatisation et la standardisation des procédures ne ménagent pas plus de liberté de manœuvre aux premiers qu’aux seconds.

2/ L’artisanat réintroduit l’union de la pensée en action….

Notre système de formation repose sur le présupposé que le type de savoir qu’il faut acquérir en priorité – voire exclusivement – c’est un « savoir que » plutôt qu’un « savoir comment ». En d’autres termes le savoir universel et à ce titre transposable par opposition au savoir issu de l’expérience individuelle.

Le savoir universel est censé pouvoir être transposé dans n’importe quel contexte, par oral ou par écrit, sans aucune déperdition. En d’autres termes c’est un savoir délocalisable et les métiers qui lui correspondent sont les métiers actuellement délocalisés. Qu’ils soient non-qualifiés (travail à la chaîne en Chine) ou hautement qualifiés (programmation informatique en Inde) ne change rien.

A l’inverse le savoir-faire pratique est un savoir acquis de manière empirique par un individu particulier : à ce titre le savoir est indissociable de celui qui le possède et n’est pas transmissible sans déperdition. Ces emplois là sont beaucoup moins menacés de délocalisation. Et quand ils correspondent à des besoins essentiels (métiers de bouche, plomberie, bâtiment, électricité, mécanique etc.) ils le sont encore moins.

Il s’agit d’une forme d’intelligence qui repose sur des savoir-faire qu’il faut maîtriser concrètement, que nourrit l’expérience et qu’il ne suffit pas de restituer verbalement. Reposant davantage sur ce que Pascal appelait l’esprit de finesse (l’intuition) que sur l’esprit de géométrie (l’intelligence conceptuelle), elle prédispose à exercer des métiers dans lesquels la pensée est intimement unie à l’action.

A ce titre elle est structurellement rétive à toute forme d’organisation qui fragmente le travail en divisant les tâches dans le but d’améliorer la productivité. Les métiers manuels artisanaux sont donc incompatibles par nature avec la taylorisation du travail et donc avec la logique capitaliste

3/…. et oppose un contre-modèle à la division du travail, socle du système capitaliste

La réconciliation de la pensée et de l’action est une remise en cause radicale du capitalisme. Une remise en cause radicale du capitalisme, pas de l’économie libérale. L’auteur affirme sans ambiguïté que la recherche du profit n’est pas en elle-même un problème.

Le problème apparaît quand la recherche du profit subordonne le bien intrinsèque d’une activité – la qualité du produit, les conditions dans lesquelles il est produit, les méthodes et le temps qu’il faut pour le produire – aux exigences extrinsèques du profit.

Il s’agit donc d’une critique radicale du capitalisme au sens littéral du terme puisqu’elle s’attaque à la racine (radix) même du capitalisme : la dissociation de la réflexion et de l’action qui lui est consubstantielle et dont la taylorisation n’est que la systématisation tardive.

La digression historique qu’il fait sur les débuts du capitalisme est, de ce point de vue, éclairante. Il rappelle qu’au XVIIIème siècle, à l’aube du capitalisme, de nombreux travailleurs travaillaient à la pièce et à domicile, cherchant prioritairement à assurer leur subsistance en satisfaisant des besoins limités et en exerçant le travail le moins désagréable possible. Fort logiquement l’augmentation de leur rémunération ne les incitait pas à travailler plus pour gagner plus mais au contraire à travailler moins pour satisfaire les mêmes besoins à moindre coût de pénibilité.

Seul le rapport de forces entre demandeurs d’emplois et employeurs permit tout au long du XIXème siècle d’imposer aux travailleurs une augmentation de la production et une dégradation de leurs conditions de vie qu’ils n’avaient jamais acceptée tant qu’ils avaient le choix. Car contrairement à la fameuse rationalité économique de l’individu qu’invoquent souvent les apôtres du capitalisme, l’aspiration spontanée de l’être humain n’est pas de gagner plus pour consommer plus.

Ce n’est qu’avec le développement et les découvertes de la psychologie expérimentale et l’avènement du marketing dans la seconde moitié du XXème siècle que la contrainte économique a cédé le pas à la manipulation : en stimulant de nouveaux besoins et de nouveaux désirs chez le consommateur qui est aussi un travailleur on peut convaincre le travailleur de travailler plus pour gagner plus. Certes ce passage de la société industrielle à la société de consommation n’aurait pas été possible sans le développement du crédit à la consommation qui, lui aussi, repose sur une révolution copernicienne des mentalités en renversant la signification morale de l’endettement.

Désormais la dépense et la multiplication de besoins artificiels ne sont plus des symptômes de corruption et d’intempérance mais au contraire un élément de progrès et de civilisation. S’endetter cessa d’être honteux et devint au contraire le signe que l’on était responsable et respectable puisque l’on bénéficiait de la confiance de son banquier.

Conséquence concrète : une régression de la liberté individuelle inversement proportionnelle au processus de domestication de travailleurs désormais disciplinés puisque captifs d’un système routinier et standardisé dont ils ne peuvent plus se passer. A l’usine comme au bureau.

4/ L’artisanat permet de cultiver les vertus humaines

L’auteur passe ensuite en revue les bénéfices personnels que l’on peut retirer de métiers manuels artisanaux.

Ces bénéfices sont tout d’abord d’ordre psychique. Le travail manuel valorise le travailleur à ses propres yeux et aux yeux du monde extérieur. C’est une source de satisfaction perpétuelle qui ne dépend pas de la bienveillance d’autrui ou des circonstances extérieures.

Il procure une estime de soi profonde et une valorisation sociale non aléatoire. A ce titre le travail artisanal est facteur de tranquillité et de sérénité. Mais ces bénéfices sont surtout d’ordre moral : les métiers artisanaux nous aident à devenir humainement meilleurs !

Ils constituent d’abord un antidote contre la vantardise qui est le propre de l’adolescent incapable d’imprimer sa marque au monde. A l’inverse l’artisan est libéré de la nécessité de fournir une série de gloses bavardes sur sa propre identité pour affirmer sa valeur.

Il lui suffit en effet de montrer la réalité du doigt : le bâtiment tient debout, le moteur fonctionne, l’ampoule illumine la pièce. Par conséquent ils favorisent l’honnêteté intellectuelle. L’homme de métier est soumis au jugement infaillible de la réalité et ne peut pas noyer ses échecs ou ses lacunes sous un flot d’interprétations.

C’est particulièrement vrai dans les arts comme la médecine et la mécanique qui consistent à réparer ce que nous n’avons pas fabriqué nous-mêmes. Cette attitude prend le contrepied du fantasme de maîtrise qui imprègne la culture moderne et qui est complaisamment encouragé par la société de consommation. Elle incite à l’honnêteté et à l’humilité.

Ensuite ils renforcent le discernement et l’autonomie du jugement. L’artisan ne voue pas un culte à la nouveauté, il respecte les critères objectifs de son art qui repose sur la connaissance intime de la réalité et sur le sens de l’observation.

Cela le libère, au mois partiellement, des manipulations du marketing qui cherche à détourner notre attention de la réalité des choses en déployant un récit qui repose sur des associations imaginaires dont le seul but est d’exagérer des différences tout à fait mineures entre les marques.

Il restaure les vertus de patience et de persévérance : le savoir-faire artisanal suppose de consacrer beaucoup de temps à une tâche spécifique et de s’y impliquer profondément dans le but d’obtenir un résultat satisfaisant.

C’est aux antipodes du management contemporain qui, lui, préfère de loin l’exemple du consultant en gestion qui ne cesse de vibrionner d’une tâche à l’autre et se fait un point d’honneur de ne posséder aucune expertise spécifique.

Le savoir-faire artisanal prémunit contre l’esprit de système : en valorisant l’observation patiente des faits et du fonctionnement de phénomènes qui existent indépendamment de notre volonté il écarte les raisonnements de type idéologique ou les théories du complot.

Celles-ci séduisent en effet ceux chez qui l’engouement pour les discussions abstraites l’emporte sur l’observation correcte des faits et qui, pour cette raison, sont enclins à dogmatiser sur la base d’une poignée d’observations. A ce titre il prédispose à une mentalité libérale.

Enfin il développe le sens de la gratuité : on dit parfois que le savoir-faire artisanal repose sur le sens du travail bien fait, sans aucune considération annexe.

Il s’agit d’un cas devenu très rare dans la vie contemporaine d’une idée du bien qui est désintéressée et qui est encore susceptible d’être défendue publiquement.

5/ Le choix de l’artisanat est un choix profondément subversif

C’est non seulement notre système économique qui est acquis à la dissociation de la pensée et de l’action mais également notre système scolaire, qui malgré les déclarations incantatoires multiculturalisme qui exaltent la diversité, fonctionne sur une conception très restrictive des qualités humaines.

Car, à y regarder de près, il y a assez peu d’individus naturellement enclins à rester sagement assis en classe pendant seize ans de scolarité avant de passer éventuellement plusieurs décennies sagement assis dans un bureau. C’est pourtant la norme dans notre système scolaire alors même que nous nous gargarisons du terme « diversité ».

Les profils qui sont valorisés sont ceux qui se prêtent le plus facilement à des tests et qui rentrent le plus facilement dans un formulaire bureaucratique. Tel qu’il est conçu, notre système de formation prédispose les étudiants aux emplois de l’économie de l’information parce que la routine universitaire habitue les jeunes gens à accepter comme un état de fait normal le décalage entre la forme et le contenu, les représentations officielles et la réalité. Il sert à inculquer un état d’esprit qui, comme jadis en Union soviétique, est indispensable à la survie dans un environnement démocratique.

Ce type de simplification sert plusieurs objectifs institutionnels. En nous pliant à ces objectifs nous finissons par ne plus considérer notre propre personnalité qu’à travers des critères d’évaluation élaborés par d’autres et par oublier que les objectifs poursuivis par les institutions ne sont pas nécessairement les nôtres.

S’orienter vers l’artisanat c’est faire un choix de vie en se donnant les moyens de trouver un métier profondément gratifiant mais c’est également un choix qui exige suffisamment de liberté intérieure et de persévérance pour ramer à contre-courant d’une société globalement acquise à la dissociation de la pensée et de l’action et à un entourage qui ne comprendra peut-être pas que vous refusiez la voie d’un avenir professionnel tout tracé qu’il considère tout à la fois comme inévitable, obligatoire et hautement souhaitable.

6/ Conseils aux jeunes qui veulent s’orienter

L’auteur commence par rappeler une vérité fondamentale : travailler est pénible et sert nécessairement les intérêts de quelqu’un d’autre. C’est même pour ça qu’on nous paie. C’est même la seule raison. Cette dure réalité étant rappelée la question du choix du travail à exercer peut désormais être posée.

Matthew Crawford fait ensuite un constat : il y a davantage d’étudiants dans des filières généralistes de l’enseignement supérieur que de besoins en cadres supérieurs sur le marché du travail. Il en conclut donc qu’il ne faut pas se fourvoyer dans une voie qui, pour la majorité de ceux qui s’y engagent, débouchera sur une voie de garage.

Quoi de pire que d’être structurellement sous-employé dans des tâches ancillaires qui ne correspondent ni à ses compétences ni à ses aspirations fondamentales ?

Le choix qu’il propose de faire est le suivant: un choix qui, dans la mesure du possible, mobilise la plénitude des capacités humaines, un choix qui corresponde vraiment à ses aspirations profondes, à ses capacités, à son tempérament et, bien évidemment, aux besoins du marché de l’emploi.

L’idéal est, d’après lui, un métier où le face-à-face est la norme, où l’individu est responsable de son propre travail et où la solidarité du travail collectif repose sur des critères dépourvus d’ambiguïté plutôt que sur des rapports sociaux de manipulation.

Et l’auteur de conclure que, si vous ne ressentez aucune inclination pour la recherche universitaire, rien ne vous oblige à simuler le moindre intérêt pour la vie d’étudiant dans l’espoir de gagner décemment votre vie à la sortie.

En apprenant un métier puis en exerçant une carrière d’artisan indépendant vous aurez davantage de chances de vous sentir mieux dans votre peau et d’être mieux payé qu’en restant enfermé dans un bureau ou parqué dans un open space à manipuler des fragments d’information.

Critique du cléricalisme parce que fidèle à l’Eglise : le cas du père Zanotti-Sorkine

On peut classer les conservateurs en deux catégories : ceux qui souhaitent conserver ce qui en vaut la peine pour le transmettre aux nouvelles générations et ceux qui refusent par principe de remettre en cause ce qui existe. Le père Michel-Marie Zanotti-Sorkine appartient à la première catégorie. C’est pourquoi le témoignage qu’il donne dans le livre-entretien qui lui est consacré (Homme et prêtre : tourments, lumières et confidences) risque de lui aliéner ceux qui appartiennent à la deuxième. La franchise désarmante avec laquelle il décrit les dysfonctionnements, les non-dits, les impasses, les échecs dans le domaine pastoral est en effet inhabituelle. A l’image de son parcours de vie, son témoignage désarçonne.

Né d’un père corse et d’une mère juive d’origine russe, ce jeune juif inscrit au catéchisme par un père catholique non-pratiquant a petit à petit découvert que l’amour qui imbibait son foyer avait pour source un Dieu qui est Amour. Première conclusion : si la croissance de la foi dans un cœur suppose la réflexion, la naissance de la foi suppose d’abord une expérience de Dieu. Puis au contact d’un prêtre il sentira progressivement que Dieu l’a « pris » pour devenir prêtre et en ressentira un bonheur profond. Deuxième conclusion : la médiation humaine est le grand moyen dont Dieu se sert pour attirer les âmes à Lui. C’est notamment par la liturgie, premier outil de catéchèse que sa foi s’affermira. Troisième conclusion : notre intuition sensible est la porte d’entrée de notre âme et la négliger sous prétexte d’exalter la raison revient à supprimer le chemin qui mène à Dieu.

Ensuite il approfondira sa vocation au contact de femmes et d’hommes de Dieu remarquables. Mais sa vocation de prêtre sera longtemps entravée par de nombreux hommes d’Eglise. Avant de trouver sa place, d’être ordonné prêtre et de ressusciter littéralement la paroisse marseillaise en perdition qu’on finit par lui confier, Michel-Marie Zanotti-Sorkine vérifiera par lui-même cette maxime : on souffre parfois pour l’Eglise mais on souffre très souvent par l’Eglise.

Blessé par les contre-témoignages, les reniements et les trahisons qu’il a constatés dans le clergé, il livre un témoignage extrêmement précieux parce que sans concession au politiquement correct et sans crispation identitaire. Parfois animé d’une sainte colère, il n’hésite pas à porter le fer dans la plaie et à mettre le doigt là où ça fait mal mais sans esprit de polémique et sans laisser sa sensibilité, pourtant très vive, lui dicter ses propos. Son témoignage et les conclusions qu’il tire de son expérience sont dénués de toute complaisance mais pas de toute charité. Ses critiques portent sur des dérives et non des personnes. Son objectif est d’annoncer le Christ et de supprimer tout ce qui dans nos cœurs et dans nos mœurs y fait obstacle.

Fautes et responsabilités du clergé : quelques exemples

La promotion systématique d’une pastorale volontairement désincarnée au nom de l’authenticité dont le résultat a été de faire fuir les hommes de chair et de sang et de ne garder que les cerveaux sur pattes, espèce peu fréquente dans l’humanité courante mais malheureusement surreprésentés dans le clergé.

Le manque de charité dans l’accueil des candidats au baptême. L’esprit de système de certains responsables pastoraux qui impose des parcours fléchés préétablis à des personnes qui auraient besoin que l’on s’adapte à eux, à leurs possibilités et à leurs disponibilités constitue un contre-témoignage d’une portée incalculable. D’abord parce que seul l’accueil au cas par cas permet de montrer à quelqu’un qu’on le considère comme une personne et pas comme un numéro. Ensuite parce que préférer se raccrocher à des schémas pastoraux plutôt que d’accueillir les gens tels qu’ils sont c’est le signe qu’on ne croit plus la Grâce capable d’agir. Car s’il n’y avait qu’à suivre un système établi l’Esprit Saint ne servirait plus à rien.

L’affaissement du désir missionnaire. Michel-Marie Zanotti-Sorkine l’affirme sereinement : l’expansion du règne de Dieu et le désir de faire de nombreux chrétiens n’est pas premier chez un certain nombre de responsables de l’Eglise. De là le conservatisme funeste et le dogmatisme que l’on rencontre en matière pastorale (plus souvent qu’en matière doctrinale) de certains responsables diocésains face à toute initiative nouvelle remettant en cause les pratiques déjà établies.

La cléricalisation des laïcs. Elle résulte de la sous-traitance de certaines tâches pastorales à des paroissiens les plus engagés et entraîne des conséquences déplorables. D’abord parce qu’en enrôlant des laïcs dans une équipe liturgique, un conseil pastoral ou dans la gestion des comptes paroissiaux on les détourne de leur devoir d’état – être présents à leur famille, à leurs amis et à leurs collègues de travail – et donc de leur vocation qui consiste à témoigner de leur foi là où le prêtre n’est pas accepté et là où il ne peut accéder. Ensuite parce qu’à force d’empiéter sur les prérogatives du prêtre on aboutit à des querelles de pouvoirs qui blessent la communion et la charité.

Le manque de charité fraternelle entre les prêtres : c’est parce que le fonctionnement des structures ecclésiales a été calqué sur le modèle de l’entreprise et non sur celui de la famille que l’on se retrouve avec des prêtres qui se comportent comme des PDG, des militants syndicalistes, des gestionnaires et des carriéristes. Ce manque de charité fraternelle est imputable au manque de vie commune des prêtres. Car la vie commune oblige à accorder de la considération à son voisin, à se mettre à sa place et à faire preuve de patience : elle oblige à l’amour ! On aboutit au paradoxe que la vie d’un apôtre exige parfois d’eux moins de sacrifices offerts par amour que celle d’un père ou d’une mère de famille qui, eux, mènent avec leurs enfants une vie communautaire et doivent sacrifier par amour une partie de leurs désirs et de leurs envies.

L’atrophie de la vie spirituelle des chrétiens que masque la démultiplication des instances réflexives, des groupes d’échanges et de communication. Elle est la seule responsable du peu de fruits et de vocations qu’on ne cesse de déplorer.

Des recommandations de bon sens

Dans les églises le primat doit être donné à la propreté, à la beauté et au silence, source de fécondité surnaturelle. Pour les personnes le primat doit être accordé à l’accueil, à l’écoute et à la bienveillance : tout jugement doit être banni. L’accueil doit être tel que nul ne puisse se plaindre de ne pas avoir rencontré la tendresse de Dieu.

L’organisation de la paroisse doit prendre pour modèle celui de la famille: infrastructure minimaliste voire inexistante, réunions rares et dans un contexte convivial – autour d’un verre ou d’une bonne table. Les relations entre les paroissiens et avec le prêtre doivent être simples et franches : pas de pharisaïsme, nous sommes tous des êtres en voie de conversion. Les échanges doivent baigner dans un climat de simplicité bienveillante et d’égalité entre les êtres.

Le catéchisme est une matière que l’on doit enseigner et que les enfants doivent apprendre. Mais il ne peut se transmettre positivement que dans un climat surnaturel dans lequel Dieu s’éprouve avant qu’Il ne se pense. La priorité est donc d’initier les enfants à la prière, à la messe et aux sacrements. Il faut aussi leur fournir des exemples vrais et crédibles, notamment en leur transmettant les témoignages que constitue la vie des saints racontée dans des dessinées de qualité comme la vie de Don Bosco par Jijé. Il faut aussi que ceux qui annoncent le mystère en vivent. C’est pourquoi des catéchistes qui ne pratiquent pas ne devraient pas être autorisés à faire le catéchisme. Seule la cohérence entre les paroles et les comportements peut être crédible.

Pouvait-on faire mieux que le bouddhisme en l’absence de révélation divine ?

Bénédictin, père abbé émérite de l’Abbaye de Saint-Wandrille, Dom Pierre Massein a toujours été attiré par l’Extrême-Orient. Il a appris le sanscrit et le pâli pour pouvoir lire dans le texte les écrits bouddhistes. Il a également appris le thaï et s’est imprégné de la culture thaï avant de partir pour la Thaïlande où il a longtemps vécu. Il a fait l’expérience de la vie des moines bouddhistes dans un monastère thaï en forêt.

Dans son livre Un moine chrétien rencontre des moines bouddhistes, Dom Massein témoigne d’une expérience particulièrement originale du dialogue interreligieux. Il relate moins des dialogues entre croyants ouverts à la rencontre qu’une rencontre de moines ouverts vers l’absolu et en profite au passage pour battre en brèche l’idée communément admise que le bouddhisme est une religion athée.

Le moteur de la démarche des moines chrétiens et bouddhistes est en effet une aspiration mystique vers cet absolu que les premiers osent appeler non seulement Dieu mais aussi Père et dont les seconds n’osent rien dire par peur de dire des choses fausses.

Les points communs à la pratique monastique chrétienne et bouddhiste (disciplines concernant le sommeil, l’alimentation, les horaires, le mode de vie ascétique) a servi à Dom Massein de terrain d’entente et de point de départ pour découvrir, dans le nécessaire apprivoisement mutuel et en surmontant les limites du langage, le cheminement spirituel des moines bouddhistes qu’il a côtoyés.

Divergence doctrinale et convergence des expériences spirituelles

Dans le christianisme, chaque homme est invité en tant que personne unique et irremplaçable à entrer en relation avec un Dieu personnel…tellement personnel qu’il est Un en trois personnes ! La doctrine bouddhiste, quant à elle, ne nie pas la notion de personne mais elle l’ignore. Son objet est plutôt de renoncer à l’ego.

C’est là que l’expérience de Dom Massein dans un monastère bouddhiste est instructive. En fréquentant au quotidien des moines bouddhistes burinés par des années d’ascèse, il ne peut que constater et admirer chez la plupart d’entre eux un remarquable équilibre intérieur, à la fois psychologique et spirituel.

Manifestement, ce qui s’était épanoui en eux pendant toutes ces années, c’était…leur personne. L’expérience spirituelle qu’ils avaient faite et qu’ils continuaient à faire dépassaient leur doctrine.

D’où sa question : peut-on penser qu’ils bénéficient d’une grâce de Dieu ? Ou plutôt : peut-on penser qu’ils n’en bénéficient pas ? Car, dit-il, on ne peut mener une vie si exigeante, aussi longtemps et d’une façon aussi épanouie, sans une grâce de Dieu. Dom Massein exprime sa conviction profonde: ces moines font une expérience anonyme de Dieu.

Mais, après tout, est-ce si étonnant ? Le Christ ne disait-il pas qu’on reconnaissait un arbre à ses fruits ? Et si l’on admet que Dieu passe par les sacrements mais n’en est pas prisonnier pour autant, alors qu’est-ce qui permet d’affirmer que la Seigneur ne Se manifeste pas à l’homme – de manière certes voilée – dans la tradition bouddhiste ? Le Créateur ne Se révèle-t-il pas déjà de manière anonyme dans Sa création ?

Le bouddhisme: un lointain cousin de la théologie apophatique ?

Au-delà de la diversité doctrinale de ses différentes écoles, le boudhisme aspire à rejoindre l’absolu. Il croit que seul le fait de rejoindre l’absolu peut combler l’aspiration au bonheur qui se trouve au coeur de chaque homme. Saint Augustin ne disait pas autre chose. Partant du constat qu’il était un être de désirs infinis, il en déduisait fort logiquement qu’il ne pouvait trouver le bonheur que quand ses désirs auraient trouvé un objet lui-même infini : Dieu.

Mais, prudent, le bouddhisme s’interdit de dire quoi que ce soit sur cet absolu. Prudence méthodologique ou scrupule déontologique : la réalité ultime ne peut être ni imaginée, ni exprimée par des mots tirés de l’expérience humaine. Là encore, le bouddhisme rejoint la tradition chrétienne de la théologie dite apophatique. Cette tradition, également appelée théologie négative et illustrée par le pseudo-Denys, consiste à dire non pas ce que Dieu est mais ce qu’Il n’est pas.

C’est exactement ainsi que le bouddhisme parle du nirvâna. Il le décrit en utilisant des termes négatifs pour dire ce que n’est pas le nirvâna. Loin de tout nihilisme, il s’agit là encore d’une description apophatique d’une réalité ineffable qui vise à détruire les fausses représentations que nous pourrions être tentés de nous en faire et tous les conditionnements qui feraient que l’absolu ne serait plus l’absolu.

Nous savons bien que notre tendance naturelle est de donner une valeur absolue à des choses qui n’ont qu’une valeur relative (un système de pensée, une vertu, une institution…) – en langage chrétien, on appelle ça se faire des idoles – et le bouddhisme agit directement contre cette tendance pour aboutir à une vraie liberté intérieure.

Le bouddhisme affirme ainsi que nul ne peut provoquer le nirvâna puisque, si le nirvâna était lui-même l’effet d’une cause, il serait lui-même quelque chose de relatif et non d’absolu. Il serait « ravalé » au rang de conséquence d’une cause extérieure et antérieure: il ne serait pas l’Absolu.

Il y a un non né, non causé, non créé, non formé. S’il n’y avait pas de non né, non causé, non formé, nulle sortie de ce monde ne serait possible. Mais puisqu’il y a un non né, non causé, non créé, il est possible d’échapper à ce monde né, causé, créé, formé.

Udana III,3

Le moine bouddhiste sait très bien qu’il ne fait que préparer le terrain en le déblayant de tout ce qui l’encombre et qu’il se dispose ainsi à accéder à un nirvâna dont nul ne sait quand il adviendra. Au coeur de la démarche bouddhiste se trouvent la gratuité et l’ouverture à la transcendance. C’est d’ailleurs la seule justification de l’ascèse du renonçant et plus généralement du moine. Qu’il soit bouddhiste ou chrétien.

Le bouddhisme vaut-il le christianisme ?

Derrière question se cache bien évidemment celle du relativisme.

Dom Massein écarte la tentation du relativisme : un non-croyant qui sera sauvé le sera toujours par le Christ qui est l’unique sauveur. Telle est la révélation que Dieu nous apporte en Jésus-Christ, Son Fils: c’est parce que l’homme est naturellement impuissant à monter jusqu’à Dieu que Dieu est descendu jusqu’à l’homme. Ce que le Christ demande aux chrétiens, c’est de vivre de Son amour puis de témoigner de Lui en actes et en paroles, auprès des bouddhistes comme des autres.

Mais, comme le fait remarquer Dom Massein, si le Christ est le seul sauveur, le salut chrétien n’est pas formellement un salut par la connaissance – c’est la tentation de la gnôse – mais par la charité.

Ce n’est pas une question de doctrine. La doctrine ne sauve pas. Tu dis que tu crois qu’il n’y a qu’un seul Dieu et tu fais bien, les démons aussi et ils en tremblent (Lettre de Saint Jacques 2, 19).

Si la foi peut sauver, la foi est l’adhésion à une personne que l’on connaît déjà comme une personne. C’est le sens de l’expression « j’ai foi en toi ». C’est une question de confiance. C’est la confiance du centurion romain qui s’en remet entièrement à Jésus et qui fait dire à ce dernier : Amen, je vous le déclare, chez personne en Israël, je n’ai trouvé une telle foi (Matthieu 8, 5-17). Mais pour cela encore il faut non seulement savoir à qui on a affaire mais aussi déjà savoir qu’on a affaire à quelqu’un. Sinon, la question de la foi qui sauve se pose autrement.

Comme le dit Saint Thomas d’Aquin, la foi peut exister à l’état implicite dans le coeur de l’homme et le sauver quand, à un moment crucial de sa vie, il opte pour le bien et accomplit la volonté de Dieu quelle que soit la manière dont il Le conçoit…où ne Le conçoit pas. Un peu comme le centurion romain cité en exemple par Jésus à ses disciples (qui ont dû modérément apprécier).

Le bouddhisme peut-il aider les chrétiens à devenir davantage chrétiens ?

La philosophie grecque possédait un mode de raisonnement propre et indépendant des différentes écoles philosophiques (pythagoricienne, péripatétique, milsénienne etc.). C’est ce mode de raisonnement que les chrétiens ont fini par adopter et qui leur a permis de mieux exprimer et de mieux exposer la Bonne nouvelle dont ils étaient les heureux bénéficiaires. C’est ainsi qu’est née la théologie sous la forme que nous connaissons actuellement.

L’exemple le plus fameux de cette récapitulation du patrimoine grec, à l’origine extérieur à la révélation, est l’oeuvre de Saint Thomas d’Aquin qui s’appuie très largement sur l’étude d’Aristote.

De même, le bouddhisme possède une connaissance concrète de la vie intérieure qui est distincte de sa ou plutôt de ses doctrines. C’est une somme de sagesse pratique et une discipline spirituelle qui a pour objet de nous libérer des passions qui nous rendent malheureux, d’exercer notre discernement pour ne pas nous fourvoyer dans des illusions qui sont des impasses et à cultiver la sérénité face aux vicissitudes de l’existence.

Alors, si nous prenons au sérieux ce que nous recommande Saint Paul et que nous prenons à notre compte tout ce qui est vrai et noble, tout ce qui est juste et pur, tout ce qui est digne d’être aimé et honoré, tout ce qui s’appelle vertu et qui mérite des éloges (Philippiens 4, 4-9) la question se pose: quel usage les chrétiens peuvent-ils faire du bouddhisme ?

Le Royaume par Emmanuel Carrère

Tous sont appelés au Royaume

Le livre d’Emmanuel Carrère Le Royaume est le témoignage de vie d’un homme qui a été chrétien, qui ne l’est plus, qui est devenu agnostique et qui, néanmoins, ne peut se détacher du Christ.

Il essaie de faire le point et de résumer en des termes accessibles au grand public ce que les études historiques et exégétiques peuvent nous apprendre des premiers temps du christianisme, de sa diffusion et des péripéties. Commentant les Actes des apôtres puis les Évangiles l’auteur restitue le contexte, mêlant allègrement la grande et la petite histoire. Quand certaines périodes échappent au savoir des historiens il prend le relais non sans avertir préalablement ses lecteurs qu’il quitte le terrain historique pour celui de sa pure imagination.

C’est donc un livre d’enquête à la fois historique et histrionique car il se met en scène ses doutes, ses erreurs et ses volte-faces avec une forme de légèreté ou d’impudeur – ça dépend du point de vue qu’on adopte – qui rappelle fortement les Essais de Montaigne.

Si ce livre de six cents pages est un succès de librairie c’est, à mon avis, en grande partie grâce à son style. Il est alerte, plaisant, et oscille entre niveau de langue élevé, parfois poétique, et registre truculent. Ce que certains qualifieront de « grossier » d’autres y verront quelque chose de « leste » ou de « gaulois ». Il y a ceux que Rabelais effraie et ceux qu’il ravit. Ceux qui raffolent de Frédéric Dard et les autres. C’est une question de sensibilité individuelle : certains peuvent ne pas aimer, d’autres, comme l’auteur de ces lignes, ont lu l’ouvrage avec un réel bonheur et beaucoup de reconnaissance envers l’auteur.

C’est pourquoi je trouve qu’il faut lui rendre justice en le lavant de quelques accusations bêtes qui lui ont été adressées.

Ainsi lui reprocher de manière de n’être ni romancier, ni historien, ni poète n’a pas de sens : c’est lui contester un titre, ça ne dit rien de son livre. On pourrait adresser exactement le même reproche à Montaigne : cela signifie-t-il que ses Essais sont sans intérêt ? C’est bête.

De même lui reprocher d’avoir l’insolence de vouloir triturer la Bible c’est reprendre exactement le même argument que ceux qui ont condamné l’idée même d’une exégèse biblique au sein de l’Église au XIXème et au début du XXème siècle et ceux qui, aujourd’hui encore, condamnent – parfois à mort – tous ceux qui voudraient faire une exégèse du Coran. Non seulement c’est bête mais c’est dangereux.

C’est d’autant plus bête que, dans ce qu’il écrit effectivement, il y a matière à objections. Des provocations gratuites qui font penser à un adolescent très fier d’indigner les adultes en faisant des confidences à haute voix sur ses préférences sexuelles en pleine réunion de famille (il aime bien surfer sur des sites cochons, il adore la masturbation féminine, etc.) qui viennent comme un cheveu sur la soupe, il y en a effectivement quelques unes et on pourrait s’en passer.

C’est aussi une concession à l’esprit du temps pour se dédouaner d’être trop catho-compatible et en un sens on le comprend : plus de six cents pages pour dire qu’il n’est plus chrétien mais qu’il ne peut se résoudre à être bêtement athée c’est quand même la preuve que la question l’obsède !

Je suis le premier à dire que de tels procédés sont bêtes et dénués du moindre intérêt. Mais personne n’est forcé de ne retenir que ces quelques provocations infantiles disséminées sur six cents pages à la fois drôles, instructives, passionnantes et profondes.

On peut trouver l’auteur irritant – ce n’est pas mon cas mais je ne prétends pas être la norme – mais il a le mérite de pointer du doigt le mystère de l’Incarnation et de ses conséquences sur l’histoire de l’humanité et c’est suffisamment rare pour être souligné et recommandé. Et j’aurais tendance à faire mien le proverbe zen : Quand le doigt montre la lune, le sage regarde la lune et le sot regarde le doigt.