« Vivre sans temps mort et jouir sans entrave », « Je prends mes désirs pour la réalité car je crois en la réalité de mes désirs » ou «On ne revendique rien, on prend » sont autant de slogans qui ont fleuri en mai 68 et dont est issue la nouvelle morale de nos sociétés occidentales.
Les acteurs de mai 68, eux, sont devenus les représentants de ce qu’il est désormais convenu d’appeler le progressisme c’est-à-dire la suppression de tout ce qui, auparavant, entravait la libre-initiative et la libre-jouissance, qu’il s’agisse de la morale traditionnelle ou des limites imposées au libre-échange.
De ce grand changement de paradigme les femmes sont souvent présentées comme les grandes bénéficiaires et les grandes gagnantes. Pourtant de Dominique Strauss-Kahn à Harvey Weinstein en passant par Denis Baupin on s’aperçoit que les champions toute catégorie du progressisme sont parfois les pires prédateurs et que leurs comportements bénéficie d’une impunité que leur confère précisément leur brevet de progressisme.
Dominique Strauss-Kahn incarnait la gauche réformiste en phase avec l’économie ouverte ; Harvey Weinstein figurait parmi les plus grands donateurs du parti Démocrate américain, multipliait les dons à des associations luttant contre le sida ou la pauvreté et avait versé 5 millions de dollars à l’université de Caroline du Sud pour aider les femmes metteurs en scène. Denis Baupin n’avait pas hésité à poser sur une photo avec du rouge aux lèvres pour la journée de la femme…
Bien sûr on peut objecter que le clergé catholique fournit, lui aussi, de très bons exemples de prédicateurs faisant le contraire de ce qu’ils prêchent en matière sexuelle. Pourtant il existe une différence fondamentale entre les deux.
Dans le cas de prêtres, d’évêques et de cardinaux ayant commis ou couverts des abus sexuels on peut leur reprocher leur (in)conduite non seulement au nom de la morale traditionnelle mais aussi et surtout on peut leur reprocher à juste titre d’avoir trahi les prescriptions de l’Evangile et l’amour du prochain dont ils se voulaient les témoins et les garants. Ce qu’on peut et ce que l’on doit leur reprocher c’est leurs incohérences et leurs trahisons.
Dans le cas des apôtres du progressisme issu de mai 68 leurs comportements ne sont condamnables qu’au regard de la morale traditionnelle qu’ils ont eux-mêmes jetée aux orties pour pouvoir vivre sans temps mort, jouir sans entrave, prendre leurs désirs pour la réalité au nom de la réalité de leurs désirs et, finalement, prendre tout sans rien revendiquer. C’est la démonstration empirique qu’ils sont restés fidèles à leurs convictions de jeunesse…pour le plus grand malheur des femmes qui ont croisé leurs chemins.
Car la libéralisation des mœurs induite par mai 68 a constitué une gigantesque régression pour la condition féminine que le vernis du discours progressiste dissimule de moins en moins.
Elle met un terme à une période de l’histoire pendant laquelle la femme a humanisé l’homme en endormant le mâle qui sommeillait en eux. Aujourd’hui nous assistons au retour de l’empire du mâle.
1/ L’empire du mâle contre-attaque
Livré à ses pulsions naturelles l’homme n’est plus qu’un mâle et se comporte comme tel. Sans même nécessairement penser à mal. Sans même penser du tout puisqu’il est de nouveau guidé par ses instincts. Car s’il a suffisamment de sang pour approvisionner à la fois son intelligence et sa libido il n’en a malheureusement pas suffisamment pour approvisionner les deux en même temps.
Livré à ses pulsions naturelles l’homme se comporte comme un mâle. Un mâle opportuniste qui cherche à satisfaire ses pulsions en tirant le meilleur parti des circonstances favorables et des opportunités… parfois à l’aide de stratégies plus ou moins élaborées. C’est connu de toutes les femmes : quand les hommes ont obtenu « ce qu’ils voulaient » ils ont tendance à se désinvestir progressivement de la relation quand ils ne désertent pas purement et simplement ce qu’ils considéraient comme un champ de bataille.
Car le mâle multiplie les « conquêtes », terme militaire qui signifie bien qu’il considère spontanément la femme comme un adversaire à soumettre plutôt que comme une partenaire avec laquelle s’engager. Il envisage la relation sexuelle davantage comme une activité sexuelle que comme une relation humaine.
Et quand les mâles cherchent à se justifier ils invoquent invariablement la liberté. Du moins leur liberté. Dominique Strauss-Kahn revendiquait son « libertinage » tandis que Denis Baupin se décrivait comme un « libertin incompris ».
D’où la différence avec les femmes qui, parce qu’elles envisagent plus fréquemment de s’investir dans une relation, se projettent plus volontiers dans l’avenir : rencontre, échange, partage, don et abandon puis éventuellement développement d’une relation stable, construction d’un couple, accueil et éducation des enfants.
D’où la position d’infériorité structurelle de la femme dans ce que Marivaux avait appelé le jeu de l’amour et du hasard. Au petit jeu de la séduction la femme est doublement pénalisée.
D’abord parce qu’elle risque plus gros en cas d’échec. Elle risque plus gros parce qu’elle mise plus gros et elle mise plus gros parce qu’elle vise plus haut. Elle attend beaucoup plus d’une rencontre amoureuse qu’une passade d’un soir. Même réussie.
Ensuite et surtout parce que le temps joue contre elle et en faveur de l’homme. Le temps qui passe permet à l’homme de mûrir et fait fructifier son capital d’attractivité (personnalité, sagesse, expérience, prestige) mais, à l’inverse, érode le capital d’attractivité de la femme (beauté, grâce, jeunesse, prestance).
Un homme mûr attire beaucoup plus facilement des femmes jeunes et jolies que l’inverse. Bien sûr cela peut arriver : de la pièce de théâtre Harold et Maud au couple présidentiel actuel on peut trouver des contre-exemples. De même qu’il existe des poissons-volants. Mais ce n’est pas la majorité de l’espèce.
Le constat est cruel et c’est pour cela que l’on utilise l’euphémisme de « famille monoparentale » pour désigner ces femmes qui restent seules à élever leurs enfants après que leurs compagnons les aient quittées. Le départ se fait très majoritairement dans le même sens : ce sont les hommes qui partent et les femmes qui restent avec les enfants.
Le constat est cruel mais la réalité n’est pas nouvelle. Elle est même consubstantielle à la condition humaine depuis la chute. C’est une des conséquences du péché originel. La Bible l’exprime clairement : Il [Dieu] dit à la femme : « J’augmenterai la souffrance de tes grossesses. C’est dans la douleur que tu mettras des enfants au monde. Tes désirs se porteront vers ton mari, mais lui, il dominera sur toi. » (Genèse 3, 16).
2/ L’apparition de l’homme est le triomphe historique de la femme
La nature est particulièrement défavorable aux femmes et, en Occident, la culture est venue lui faire contrepoids. Pendant des millénaires les femmes se sont efforcées de domestiquer les mâles dans le but d’en faire des hommes dignes de ce nom.
Elles se sont efforcées de réprimer leurs tendances brutales, anarchiques, égoïstes et stériles (violence, libido anarchique, ivrognerie, jeu). Ce faisant elles sont parvenues à enchaîner leurs hommes au foyer ce qui est le sens littéral du mot husband (mari) en anglais : house-bound signifie littéralement « lié à la maison ».
Ce lien est parfois perçu par les intéressés comme une chaîne et, en un sens, c’est vrai. Le sens des responsabilités implique forcément une restriction de la liberté. Choisir implique de renoncer. Choisir c’est renoncer. Choisir c’est assumer une certaine dose de frustration en échange d’un bien plus grand et différé dans le temps. Mais c’est à ce prix que le mâle, spontanément inconséquent et égoïste, peut accéder au statut d’homme responsable et doté d’un sens moral.
Tel est le prix à payer pour grandir en humanité. Tel est le prix de l’humanisation de l’homme. Telle est la condition de possibilité d’une relation humanisante entre l’homme et la femme. Cela n’a rien de naturel, c’est une construction culturelle, une victoire de la civilisation, un acquis sociétal. Le temps qui passe a fini par nous convaincre que l’humanisation de l’homme et la connivence entre les sexes étaient « normales » alors que fondamentalement l’apparition de l’homme est le triomphe historique de la femme.
A l’inverse la « libéralisation des mœurs », fièrement revendiquée par les apôtres de mai 68, a fait voler en éclats cet acquis de civilisation laborieusement et patiemment conquis pendant plusieurs siècles en Occident. Les slogans comme « jouir sans entrave » ou « faites l’amour pas la guerre » ont donné le feu vert à la grande régression masculine pour le plus grand malheur de la condition féminine.
L’égoïsme de la pulsion masculine s’en est retrouvé légitimé, flattée et encouragé par la société. Les mâles ont désormais reconquis le territoire qu’ils avaient perdu et l’ont même agrandi grâce, notamment, au soutien de féministes en peau de lapin qui refusent d’admettre que ce que l’on a appelé la libération des mœurs a consisté à émanciper les hommes de leurs devoirs envers autrui.
Auparavant on réprouvait l’égoïsme des hommes qui abandonnaient des femmes après les avoir, selon l’expression consacrée « séduites et abandonnées ». Aujourd’hui les mêmes hommes sont « libérés » de cette culpabilité et de tout devoir grâce à la pilule contraceptive et à l’avortement légalisé. Ils peuvent désormais, en toute quiétude, baiser sans s’engager. L’idéal de la mobilité nomade et des décisions unilatérales – l’idéal du mâle – est devenu la norme morale…. Y compris pour les femmes désormais sommées d’adopter le même comportement nomade et prédateur au nom de l’égalité. On comprend bien le raisonnement : l’égalité dans l’irresponsabilité rendrait les femmes elles aussi « libérées ». C’est l’extension aux femmes de ce que le modèle masculin a de pire. L’idéal du mâle est devenu l’acquis sociétal d’une société désormais acquise à la mentalité libérale.
Pourtant aujourd’hui ce sont surtout les femmes qui en supportent le poids et qui en payent le prix : le marché du désir et le marché du travail sont devenus de plus en plus volatiles, la compétition de plus en plus impitoyable, l’instabilité croissante et leurs vies de plus en plus précarisées.
Comme l’écrivait Michel Houellebecq : « elles doivent parallèlement, et parfois pendant plusieurs dizaines d’années, se consacrer à l’entretien de leur « capital séduction », dépensant une énergie et des sommes folles pour un résultat dans l’ensemble peu probant (les effets du vieillissement restant grosso modo inéluctables). N’ayant nullement renoncé à la maternité, elles doivent en dernier lieu élever seules le ou les enfants qu’elles ont réussi à arracher aux hommes ayant traversé leur existence – lesdits hommes les ayant entre-temps quittées pour une plus jeune ; encore bien heureuses lorsqu’elles réussissent à obtenir le versement de la pension alimentaire »[1].
3/ Libération du mâle et culture de la femme-objet
Désormais épuisées par leurs doubles journées les femmes occidentales ploient sous le double poids de la charge psychologique et d’un nouvel l’impératif catégorique : sois désirable et tais-toi. C’est-à-dire sois consommable et tais-toi.
La coquetterie n’est plus un choix individuel mais une injonction sociale pour pouvoir rester sur un marché de la séduction toujours plus concurrentiel, instable et impitoyable.
Avant il était convenu que la vie n’était pas un défilé de mode et que nulle n’était tenue d’être un mannequin. Mais ça c’était avant. Désormais les femmes sont tenues d’être sexy. C’est une injonction très forte relayée par les magazines féminins comme par l’industrie de la publicité, de la mode ou du cinéma. Comme le chantait en 1984 le groupe Cookie Dingler dans Femme libérée qui fut son seul et unique tube: « Elle rentre son ventre à chaque fois qu’elle sort, même dans Elle ils disent qu’il faut faire des efforts ».
Sans compter que l’essor de l’industrie pornographique est devenu l’un des moteurs de la croissance économique de nos sociétés et que sa banalisation culturelle consacre le triomphe de l’empire du mâle.
Cette industrie, qui repose exclusivement et ouvertement sur le rabaissement de la femme au statut de sex-toy, est devenue une des marques de fabrique de nos sociétés post-modernes malgré les postures émancipatrices qu’elles prennent parfois, par exemple en traquant jusque dans la grammaire toute expression (réelle ou supposée) de machisme. Il suffit en effet de regarder la couverture de n’importe quel magazine féminin pour comprendre que ces postures ne sont que des impostures. Le moindre article intitulé « Comment s’accepter telle que l’on est et assumer sa silhouette » est invariablement suivi d’un autre article intitulé « Comment perdre des kilos avant l’été »…
Pourtant dans une société qui revendique haut et fort l’émancipation pour tous, l’exhibition de femmes soumises aux désirs, aux humiliations et aux violences masculines devrait, en toute logique, susciter une politique publique volontariste de type abolitionniste.
Une politique publique de protection à destination non seulement des enfants – dont l’éducation sexuelle est confiée de facto aux bons soins de l’industrie pornographique – mais avant tout et surtout à destination de toutes les femmes dont la dignité humaine est ouvertement et délibérément bafouée. Après tout on a bien adopté une politique volontariste pour lutter contre les ravages du tabac. Et avec un certain succès…
Mais la libération des mœurs est comparable à la liberté du marché : elle est revendiquée par ceux qui en profitent et non par ceux qui en pâtissent. De même que la liberté de croquer est revendiquée par les prédateurs et non par leurs proies.
La libération des mœurs n’est que le manteau dans lequel se drape un refus archaïque et égoïste : le refus de tenir compte des autres. C’est le refus de ceux qui sont en position de force. C’est le refus de de s’imposer des limites, et donc des contraintes, par égard pour ceux – et en l’occurrence pour celles – qui sont dans une position de faiblesse structurelle.
C’est un refus qu’abrite le pavillon de complaisance de l’égalité formelle. L’égalité formelle vous connaissez ? C’est une hypocrisie qui consiste à décréter qu’à partir du moment où les règles du jeu sont les mêmes pour tous les forts et les faibles ont les mêmes chances. En économie cela consiste à supprimer les lois qui protégeaient les PME de la puissance des multinationales tout en prétendant qu’elles luttent à armes égales. En sport cela consisterait à supprimer la distinction entre compétitions masculines et compétitions féminines au nom de l’égalité. L’égalité formelle c’est ce que dénonçait déjà au XIXème siècle Henri Lacordaire : « Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ».
La libération des mœurs promue par ceux qui en profitent n’est que le masque derrière lequel se cache le refus des règles de vie qui garantissent ce que l’on appelle aujourd’hui le vivre-ensemble et qu’on appelait jadis le savoir-vivre.
Le retour à la liberté des mœurs reposent sur une valorisation de l’état de nature c’est-à-dire sur la négation même de l’idée de civilisation. Exalter la nature comme modèle des relations se fait toujours au détriment de la culture. Le retour à la loi de la jungle ne profite qu’aux prédateurs et aux nomades. Fort logiquement la « libération » des mœurs se fait au profit des mâles
Faire le mâle c’est à la fois une régression pour la femme, qui se trouve ravalée au rang d’objet, et pour l’homme qui régresse en humanité. Marchandisation des corps et déshumanisation des êtres sont les conséquences inéluctables d’une société où l’on s’autorise à faire le mâle.
Preuve supplémentaire, s’il en fallait encore une, que faire le mâle c’est
vraiment pas bien…
[1] Extrait tiré d’un texte intitulé Humanité, second stade, préface à une réédition du SCUM Manifesto de Valerie Solanas.