Les violences commises par certains gilets jaunes comme les violences policières sont relayées en boucle par les chaînes d’information continue et choquent légitimement les téléspectateurs.
Parmi ces derniers certains sont davantage choqués par les premières, d’autres par les secondes. Les sensibilités et les affects prennent alors facilement le pas sur la réflexion. L’indignation est en effet une activité grisante, valorisante et addictive.
Le problème c’est qu’elle nous détourne des problèmes concrets et des situations tragiques qui font le quotidien de nos concitoyens.
Dans ce phénomène de folie collective les chaînes d’information continue comme BFM TV, CNews ou LCI jouent un rôle d’incubateur. Leur influence (néfaste) est à la mesure de leur responsabilité morale : énorme !
Tirant prétexte de la liberté d’expression elles se livrent à une entreprise de désinformation pour des raisons structurelles et non accidentelles en offensant à la fois la vérité et la charité…dans le silence assourdissant de nombreux baptisés.
1/ Un business model consistant à contrefaire l’actualité plutôt que de la décrire
Leur business model impliquant de maintenir en haleine les téléspectateurs pour faire de l’audimat et pouvoir facturer au prix le plus élevé leurs encarts de publicité, ils approvisionnent les téléspectateurs – volontaires ou pas puisque les écrans sont déployés dans les lieux publics désormais (café, salons de coiffure, halls d’hôtel etc.) – en images choquantes qui nourrissent à leur tour les passions partisanes.
Mais surtout les chaînes d’information continue ont opéré une mutation en se transformant en chaînes de désinformation continue dans la mesure où elles s’arrogent désormais le droit de faire l’actualité en contrefaisant la réalité.
Le procédé est connu : c’est le mensonge par omission. Cela consiste à occulter une partie de la réalité en s’abstenant systématiquement et consciencieusement de replacer dans le contexte politique et social les événements que l’on rapporte. Car seul le contexte peut leur donner leur sens et permettre un débat rationnel sur les solutions à apporter et les choix politiques à consentir pour y parvenir.
Le principe est pourtant simple et connu des exégètes comme des historiens ou des services de renseignement : pas de texte sans contexte sinon l’information vire à la propagande.
Les mêmes images de violence présentées en-dehors de tout contexte tournent en boucle toute la journée sans qu’aucun journaliste ne vienne préciser, par exemple si les scènes de violences sont sporadiques et ponctuelles ou au contraire durables et représentatives de l’ensemble des manifestants à l’échelle du pays.
Les chaînes d’information continue présentent des images de violence mais passent sous silence leurs causes profondes. Le poids de leurs mots ne fait plus contrepoids au choc de leurs photos. Elles s’en tiennent à un discours légaliste sur le respect des institutions démocratiques ce qui, malgré les apparences, est un choix qui n’est pas neutre.
Ce choix n’est ni anodin ni innocent.
D’abord parce que c’est une manière de focaliser l’attention sur les symptômes des problèmes plutôt que sur leurs causes profondes alors que cette question est la seule qui mérite de retenir l’attention.
Ensuite et surtout parce que c’est une manière d’occulter le fait que précisément les institutions démocratiques ne fonctionnent plus comme des institutions démocratiques depuis longtemps et que c’est exactement cela qui est dénoncé depuis des années.
L’imposition du traité de Lisbonne en violation du verdict du référendum, la législation décidée à Bruxelles ou le renoncement volontaire aux compétences relevant de la souveraineté populaire sont autant d’atteintes au principe de souveraineté populaire et donc de démocratie.
Pourtant on ne les a jamais entendus les dénoncer au nom du devoir d’informer. Deux poids, deux mesures. Le pire c’est qu’ils semblent être les seuls à ne pas s’en apercevoir.
2/ Le parti pris du déni
Du point de vue de l’analyse c’est un manque de justesse, du point de vue moral c’est un manque de justice.
En agissant comme elles le font les chaînes d’information continue ajoutent au déni de souffrance d’une partie de nos concitoyens un déni d’urgence.
Elles font comme si leurs souffrances pouvaient (encore) patienter et attendre les résultats improbables de processus institutionnels, processus par nature consultatifs et itératifs qui ne peuvent déboucher que sur des propositions de compromis. Bref, des processus qui, par définition, ne peuvent être des procédures d’urgence.
Mais surtout elles laissent suggèrent que les problèmes politiques dénoncés par les gilets jaunes pourraient être réglés par la logique institutionnelle qui les a engendrés et par le personnel politique qui les a cautionnés.
Du pur point de vue intellectuel c’est une absurdité. Comme le disait Albert Einstein « On ne peut pas résoudre un problème avec le même niveau de pensée que celle qui l’a créé ».
Du point de vue de l’expérience humaine c’est exactement la même chose : il ne faut pas compter sur ceux qui ont créé les problèmes pour les résoudre. Surtout si cela suppose qu’ils se remettent eux-mêmes en cause.
Un parti pris qui n’est pas assumé est un mensonge : en exhibant ad nauseam des images de violence et en les tirant de leur contexte les chaînes d’information continue prennent objectivement parti contre les gilets jaunes et, implicitement, pour le gouvernement dont jamais elles ne soulignent les contradictions, les mensonges, les postures ou les impostures.
Elles semblent croire qu’en cassant le thermomètre – en l’occurrence en passant sous silence les problèmes de fond – on pourrait faire baisser la fièvre. En se contentant d’arguments biaisés elles convainquent que ceux ont déjà choisi de détourner le regard par peur ou par commodité.
Mais elles ne feront jamais qu’exacerber la colère légitime de ceux qui constateront une nouvelle fois que leur sort et leurs souffrances n’intéressent pas le gouvernement – ils le savaient déjà – mais également tous ceux qui se sentiront solidaires de leurs revendications.
Hormis le témoignage sur les réseaux sociaux des quelques baptisés solidaires des gilets jaunes, l’attitude de l’ensemble des baptisés est assez accablante. Dans le meilleur des cas ils brillent par leur absence dans les rues et les manifestations et dans le pire des cas manifestent sur les réseaux sociaux leur absence de solidarité quand ce n’est pas un mépris de classe anti-évangélique.
3/ Le silence assourdissant de nombreux baptisés
L’option préférentielle pour les petits, les pauvres, ceux qui souffrent est celle de Jésus-Christ et de ses disciples fidèles. De ce point de vue le silence des catholiques pourtant prompts à dénoncer les mensonges des chaînes de désinformation continue est assourdissant. La défense des enfants condamnés à ne pas avoir de pères et de mères les a mobilisés en masse à l’occasion de la Manif pour tous mais le sort de leurs concitoyens qui ne peuvent plus joindre les deux bouts ne les mobilise pas.
Non seulement il ne les mobilise pas mais il suscite parfois – et trop souvent – sur les réseaux sociaux des réactions de rejets, des réflexes de castes incompatibles avec la notion de Bien commun qui est si souvent invoquée, avec la doctrine sociale de l’Eglise et plus radicalement avec l’évangile.
On touche du doigt là l’effet de rétrécissement du catholicisme français qui se superpose globalement à la carte électorale du vote de la bourgeoisie catholique (vote Fillon). L’appartenance majoritaire à cette classe sociale particulière explique que de nombreux catholiques en aient les réflexes et les œillères.
Difficile en effet de penser contre son pain.
Surtout quand on a orienté délibérément ses enfants vers les métiers de l’argent. Pour bien des baptisés malheureusement seuls comptent les métiers qui comptent : quand on a envoyé ses enfants dans des écoles de commerce et qu’ils ont ensuite fait carrière dans la banque ou les compagnies d’assurance, difficile de remettre en cause les méfaits de la financiarisation de l’économie et de regarder en face le sort des perdants de la dérégulation mondialisée.
C’est d’autant plus difficile de comprendre le désarroi de ses concitoyens qu’on a soigneusement évité de choisir des métiers qui ont du sens mais qui rapportent moins comme ceux de la formation ou de l’information (dont on se plaint après qu’ils soient hostiles au christianisme), des métiers artisanaux (alors même qu’on déplore le manque de techniciens formés et spécialisés contrairement à ce qui se fait en Allemagne) ou les métiers artistiques (et on se lamente que la société dans laquelle nous vivons fasse la promotion du laid et du sordide).
C’est d’autant plus difficile d’éprouver de la compassion et de la solidarité pour ceux qui se sentent partir à la dérive et invoquent la solidarité nationale qu’on a soi-même été scolarisé dans des établissements « catholiques » où l’on a été éduqué dès son plus jeune âge à la sélection sociale par l’exclusion scolaire… sous prétexte de former l’élite chrétienne de demain.
4/ Témoignage et contre-témoignage
Le drame c’est quand les chrétiens qui normalement sont dans le monde sans être du monde agissent et réagissent en fait comme des mondains plutôt que comme des chrétiens.
Cela ne signifie pas que les baptisés doivent nécessairement approuver toutes les revendications – par ailleurs contradictoires – exprimées par les gilets jaunes.
Cela n’implique pas de considérer que toute revendication qui accompagne une souffrance est ipso facto légitime, opportune ou réalisable.
En revanche le baptême nous oblige à entendre la souffrance qui s’exprime et de regarder en face ses causes objectives plutôt que de détourner le regard ou de se réfugier dans l’ironie quand ce n’est pas dans la moquerie et le mépris.
Il nous oblige également à ne pas rester dans la cabine du commentateur qui, du haut des gradins, commente le match qui se déroule sur le terrain, décernant bons et mauvais points dans une indifférence totale au sort et aux souffrances de leurs frères.
L’hostilité à peine voilée et parfois carrément affichée de certains baptisés au sort des gilets jaunes et de tous ceux pour lesquels défilent les gilets jaunes ne sont pas le résultat d’une réflexion honnête et pondérée mais l’expression décomplexée de réflexes de castes, l’expression d’un parti pris, l’affirmation tranquille d’une indifférence au sort de prochains dont on refuse de se sentir proches parce qu’on ne les fréquente pas et qu’on ne veut pas avoir à les fréquenter.
Le pire des arguments qu’il m’ait été donné de lire était que les gilets jaunes n’étaient pas les plus pauvres et que les « vrais » pauvres étaient trop pauvres pour se permettre de défiler.
Ce constat sociologique est parfaitement vrai était mais constitue le pire des arguments puisqu’il ne servait qu’à délégitimer la détresse, bien réelle, de ceux qui avaient encore la force et les moyens de descendre dans la rue pour dénoncer leur abandon progressif et programmé par les pouvoirs publics, les institutions et plus généralement la solidarité nationale.
C’est l’argument du déni de souffrance et de l’indifférence. Un peu comme ces victimes de harcèlement sexuel auxquelles dont on refuse d’enregistrer la plainte sous prétexte qu’elles n’ont pas été violées…
Faute de souffrir dans leur chair les souffrances de ceux qui défilent dans la rue certains chrétiens présents sur les réseaux sociaux refusent de réfléchir et de regarder en face la réalité tragique que vivent une partie de leurs concitoyens.
Comme l’écrivait Charles Péguy dans Notre jeunesse : « Il faut toujours dire ce que l’on voit : surtout il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit ».
Là encore rien de nouveau – le refus d’agir engendre le refus de savoir – mais ce contre-témoignage là aura des conséquences bien plus durables et incommensurables auprès de la population française déjà passablement déchristianisée.
Beaucoup plus graves en tout cas que les conséquences pourtant déjà très graves des abus sexuels commis par certains prêtres et couverts par des évêques ou par des cardinaux.
Pourquoi ?
Parce que dans le cas des gilets jaunes ce ne sont pas seulement les clercs qui sont en cause mais également les laïcs.
Et là c’est bien l’Eglise de France en tant que communauté chrétienne – et non plus seulement la hiérarchie ecclésiastique – qui répond majoritairement aux abonnés absents.
« Voici comment on distingue les enfants de Dieu et les enfants du diable : celui qui ne vit pas selon la justice n’appartient pas à Dieu, et pas davantage celui qui n’aime pas son frère » (1 Jean 3,10).
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