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Noël ou la preuve que ce qui nous est impensable n’est pas forcément impossible.

Un Dieu qui va aux toilettes trois fois par jour ? Inconcevable. Une telle idée est en elle-même une atteinte à la Seigneurie de Dieu, un blasphème. Tel est le point de vue de nos frères musulmans. Dieu ne peut se faire homme sous peine de se renier en reniant sa dignité. Fort logiquement il ne peut pas non plus mourir sur la croix : « scandale pour les Juifs et folie pour les païens » (1 Corinthiens, 22)… et pour les musulmans. Le scandale de la crèche précède le scandale de la croix : chronologiquement et logiquement.

Même à certains chrétiens un tel Dieu apparaît spontanément assez scandaleux – même s’ils n’osent pas l’avouer ouvertement – car il ne correspond pas à la représentation que l’homme se fait spontanément de Dieu à laquelle il reste bien souvent cramponné.

Un Dieu à l’image d’Emmanuel Macron

Au fond de nous-mêmes nous sommes tous plus à l’aise avec un Dieu conforme à nos attentes qu’avec un Dieu qui nous désarçonne. Nous accueillerions bien plus facilement un Dieu qui tiendrait son rang et n’abaisserait pas la fonction qui est la sienne en se montrant trop familier avec ses sujets. Un Dieu qui ne renoncerait pas aux attributs et aux prérogatives que nous lui reconnaissons sans nous faire prier nous mettrait plus à l’aise.

Un Dieu qui afficherait sans complexe et sans fausse pudeur les signes extérieurs de sa divinité : un Dieu tout puissant- noblesse oblige – et qui se montre miséricordieux à l’occasion mais pas de manière systématique afin de ne pas donner aux hommes de mauvaises habitudes.

Un Dieu à l’image d’Emmanuel Macron : plus malin que le commun des mortels, dont on ne sait pas ce qu’il a en tête et prend parfois des décisions arbitraires ou incompréhensibles pour rappeler qu’il est le seul souverain. On s’en émeut sur le moment mais ça nous rassure rapidement. Un despote éclairé dont la légitimité serait absolue puisque serait « lumière né de la lumière ».

Bref, un Dieu à notre image mais en plus fort encore.

D’où notre déconvenue : nous attendions un Emmanuel Macron souriant, décomplexé et assumant pleinement l’exercice de son autorité et voilà qu’est apparu un Dieu qui renonce à ses attributs divin pour venir à nous.

« Le Christ Jésus, lui qui était dans la condition de Dieu, n’a pas jugé bon de revendiquer son droit d’être traité à l’égal de Dieu » (Philippiens 2, 6).

Le protocole était prêt, tout était en place quand soudain le Dieu de l’univers décide de descendre de son piédestal divin pour prendre un bain de foule dans notre condition humaine en s’incarnant. Malheur des malheurs : le despote éclairé attendu veut devenir notre ami et souhaite établir entre lui et nous une relation d’égal à égal.

« Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ; je vous appelle mes amis, car tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître ». Jean 15, 15

Catastrophe : le divin despote s’est mis en tête de devenir notre pote !

Nous préférons tenir pou impossible ce qui est impensable

Voilà pourquoi la naissance de Dieu sur terre est un événement qui bouleverse tout parce qu’il bouleverse tout en nous. Il impose de consentir à une révolution copernicienne au plus profond de notre être. Car autant il nous était assez aisé de concevoir que Dieu existe autant il est très malaisé de concevoir que j’existe pour Dieu… et donc très difficile à admettre.

Que le Dieu de l’univers, créateur du ciel et de la terre, maître du temps et auteur de toute vie se présente à nous comme un mendiant quémandant notre amour c’est plus que ce que nous pouvons tolérer.

Qu’il s’humilie comme un amoureux déclarant sa flamme et s’expose au risque douloureux d’être éconduit ou pire, d’être trahi voilà qui dépasse notre entendement et pose trop de questions sans réponses.

Noël nous dévoile un Dieu qui dépasse tellement ce que nous pouvions imaginer de lui que nous n’osons pas y croire. Nous sommes tentés d’hurler au mirage plutôt que de crier au miracle. C’est tellement inespéré que cela ne peut pas être vrai. Ce Dieu qui excède tout ce que nous avions pu supposer de lui nous le jugeons excessif. Nous préférons tenir pour impossible ce qui nous est impensable. Mais n’est-ce pas ce que font les hommes jusqu’à ce qu’un grand bouleversement vienne démentir leurs certitudes

Léon Bloy avait écrit qu’il n’acceptait de croire quelqu’un qui prétendait l’aimer que dans la mesure où cette personne acceptait de souffrir pour lui et par lui. C’est exactement ce que fait Dieu en prenant chair et en vivant parmi nous sachant qu’il aurait à endurer non seulement les maux de la condition humaine (la fatigue, la maladie, la souffrance physiques, les tribulations, les peines, les déceptions) mais également ceux de sa Passion (mauvais traitements, tortures et crucifixion).

« Méprisé, abandonné des hommes, homme de douleurs, familier de la souffrance, il était pareil à celui devant qui on se voile la face ; et nous l’avons méprisé, compté pour rien. En fait, c’étaient nos souffrances qu’il portait, nos douleurs dont il était chargé. Et nous, nous pensions qu’il était frappé, meurtri par Dieu, humilié.  Or, c’est à cause de nos révoltes qu’il a été transpercé, à cause de nos fautes qu’il a été broyé. Le châtiment qui nous donne la paix a pesé sur lui : par ses blessures, nous sommes guéris » (Isaïe 53, 3-5).

Noël est l’événement qui manifeste l’amour inimaginable de Dieu pour chacun de nous. D’ailleurs il porte la signature qui est celle de toutes les manifestations de Dieu dans l’histoire des hommes. C’est en en effet en choisissant ce qu’il y a de plus faible et de plus méprisé qu’il se manifeste : en l’occurrence un enfant conçu hors mariage et né parmi les animaux.  L’amour de Dieu pour chacun d’entre nous est à la mesure de l’humiliation qu’il a consentie en naissant d’une femme dans une crèche.

C’est ça la Bonne nouvelle de Noël.

 

Les musulmans sont-ils des chrétiens d’Orient ?

Basilon nous propose de partager sa réflexion sur l’origine et la nature de l’Islam en adoptant un point de vue historique.  La voici.

Je voudrais partager une expérience que j’ai eue dans une bibliothèque. Je recherchais des livres concernant l’Islam, pour en savoir plus sur cette religion. Je tombe sur des livres pour adolescents, avec plein d’illustrations, édités chez des maisons bien connues, et j’y trouve non seulement des contre-vérités mais aussi des édulcorations de ce qu’est l’Islam. Je m’en suis rendu compte car ce ne sont pas les premiers documents que je lis sur l’Islam. Je m’étais déjà intéressé à des travaux d’historiens ou à la lecture du Coran lui-même mais en entrant dans cette bibliothèque, je souhaitais avoir une vision d’ensemble, simple et accessible à tous.

1/ Quand on raconte des histoires sur l’Islam…

J’étais tombé sur trois livres différents mais aucun n’évoquait ce qui fait polémique du point de vue de la pensée occidentale, c’est-à-dire, le contexte de violence dans lequel est née cette religion, la position de la femme, la liberté individuelle ou le statut d’infériorité des autres religions.

On y parlait de l’expansion fulgurante de l’Islam sans fournir la moindre explication historique et en invoquant seulement, en guise d’explication, la supériorité militaire des combattants musulmans. On y parlait des droits des femmes plus étendus en Islam au Moyen-âge qu’en Occident puisqu’elles avaient le droit d’être propriétaires. On y parlait également de l’avance scientifique du monde musulman au Moyen-âge et de l’attachement de cette religion à la science: école primaire à passer à apprendre par cœur le Coran, puis études supérieures en madrasa pour l’apprentissage des sciences et des arts. On y parlait de relation directe entre Allah et les croyants. On y parlait aussi de l’ouverture du monde musulman sur les autres religions qui étaient tolérées sous le statut de dhimmi, moyennant une modeste obole. Bref, beaucoup de sucre.

Evidemment, j’ai été très déçu car j’aurais voulu en savoir plus sur les dogmes de l’Islam, sur la spiritualité islamique, au-delà des rites des cinq piliers de l’Islam et de la croyance en un Dieu unique, créateur de tout, omniscient et juge des hommes à la fin de leur vie. J’aurais voulu avoir plus de détails sans, pour cela, être obligé de me plonger dans des livres de théologiens musulmans.

Mais ma déception s’est transformée en agacement – triple agacement puisque j’avais trois livres sous les yeux – quand j’ai découvert une véritable falsification de l’Histoire. Les trois livres racontaient des choses fausses sur les conditions historiques de la naissance de l’Islam.

A l’unisson, ils affirmaient que le monde arabe du VIème siècle était principalement polythéiste (avec un sanctuaire à la Mecque), que conformément au dogme musulman Mahomet avait bénéficié par l’intermédiaire de l’archange Gabriel, de la connaissance exclusive d’un nouveau livre sacré (le Coran) au fil de conversations qui s’étaient étalées sur une vingtaine d’années et que ce dernier avait proclamé la nouvelle religion et converti l’Arabie.

2/… au lieu de raconter son histoire

Selon les historiens, ce n’est pas ce qui s’est passé; ou si l’on préfère, cette présentation de l’origine de l’Islam omet tellement d’éléments que la vision qu’on en retient est complètement altérée. Si l’on se penche sur les publications des historiens, voilà plutôt ce qui se serait passé et que j’aurais aimé trouver dans ces trois livres de vulgarisation sur l’Islam.

A la fin du VIème siècle, l’empire byzantin entame son déclin, sous les assauts conjugués de l’empire perse à Est et des attaques venues du Nord. La situation financière de l’empire byzantin est de plus en plus catastrophique. Les militaires sont mal payés. La Syrie est une zone tampon, sous influence byzantine, dont la défense militaire est assurée par une tribu arabe, les Ghassanides. Les Ghassanides constituent un royaume vassal de l’empire byzantin et sont chrétiens monophysites, c’est-à-dire que leur conception de la Trinité tient plus du trithéisme, Jésus n’ayant qu’une nature divine. Ce royaume s’étend de Damas à Médine, ville frontalière qui sera plus tard le refuge de Mahomet…

L’empire byzantin de son côté est chrétien également, mais trinitaire. Il considère ces chrétiens d’Orient comme des hérétiques et les méprisent bien qu’ils le défendent des Perses. Les rapports entre Byzantins et Ghassanides sont d’autant plus tendus que, l’empire byzantin étant budgétairement en grande difficulté, il n’assume plus ses obligations financières vis-à-vis des Ghassanides. Les Ghassanides monophysites ont le sentiment d’être abandonnés par les Byzantins trinitaires.

En 610, l’empire byzantin est mis en déroute au Nord et par les Perses à l’Est. La même année la partie de la Syrie tenue par les Ghassanides n’est pas encore envahie par les Perses mais fait sécession, au même titre que d’autres régions de l’empire byzantin. L’empereur Phocas, ancien centurion devenu empereur en 602 à la suite d’un coup d’Etat est tué, la capitale sombre dans une situation d’anarchie qui durera de longues années tandis qu’Héraclius, un général byzantin, devient empereur. Les Perses, eux, continuent leur progression. En 610 débutent les révélations de Mahomet, âgé de 40 ans, à La Mecque. En 613 Damas tombe au profit des Perses puis en 614 Jérusalem est, à son tour, prise par les Perses, ce qui est un traumatisme pour l’ensemble des mondes chrétiens, d’Occident et d’Orient.

Les Ghassanides, particulièrement menacés, sont pris en étau à l’Est par l’avancée inexorable des Perses, au Nord par les peuples du Caucase et au Sud par les riches tribus arabes qui s’affrontent pour la suprématie des routes commerciales. A l’Ouest les Byzantins trinitaires les abandonnent. De 602 à 629, l’empire perse des Sassanides a conquis l’Irak, la Syrie, la Jordanie, l’Egypte, le Yémen et la côte Ouest de l’Arabie. Les Ghassanides sont complètement absorbés par les Perses.

3/ La Mecque avant l’émergence de l’Islam

Les guerres qui durent depuis des décennies entre les Byzantins et les Perses, ont permis aux routes commerciales situées au sud de ces empires de prospérer, mais, en ce début du VIIème siècle, l’expansion des Perses menace de plus en plus l’autonomie des tribus arabes et notamment le sanctuaire de La Mecque où l’on adore une triade de trois déesses d’inspiration matriarcale : Al-lât, Al-Uzza et Manat.

Al-hât, on la connait bien, c’est Aphrodite, vieille déesse sémitique récupérée par les Grecs. Sa présence est située à la Kaaba, symbolisée par un édifice cubique et sur laquelle est flanquée la sculpture de sa vulve, utilisée jadis pour les rites de fécondité (on peut en voir les photos sur Internet, rien n’a été détruit). Saint Jean Damascène (de Damas donc !), qui est contemporain de la première génération de musulmans, décrira l’Islam dans son livre Des hérésies comme une hérésie du christianisme dont les adeptes se frottent à une pierre, la Kaaba, qui est la tête d’Aphrodite. Al-Uzza est aussi une déesse de la fécondité, associée à la planète Vénus qu’on représentait par un astre, près d’un croissant de lune tandis que Manat est la sœur des deux autres, déesse du destin.

Ces trois déesses, dont les cultes sont issus du vieux fond matriarcal, bénéficiaient des cultes de la fécondité. On se frotte, souvent nu ou habillés tout en blanc, contre les pierres qui les représentent pour une meilleure fécondité. On jeûne le neuvième mois de l’année qui correspond au mois de l’accouchement de la déesse et qui commence dès l’apparition du croissant de lune : c’est le mois de ramadan. Les femmes dansent de manière lascive, à moitié nues, pour implorer les déesses afin qu’elles leur accordent la fécondité : c’est la danse du ventre.

Au sanctuaire de La Mecque, ces trois divinités sont des sœurs, filles d’un Dieu masculin, Houbal, vénéré aussi à la Kaaba et qu’on appelle aussi Allah, ce qui signifie tout simplement « dieu ».

A cette époque, les rites matriarcaux de La Mecque sont encore actifs mais les exemples du grand empire byzantin chrétien et du grand empire perse zoroastrien, qui ont adopté des religions viriles, patriarcales, donnent des arguments à ceux qui voyaient la vieille religion polythéiste un peu démodée. Houbal, l’Allah suprême, est de plus en plus vénéré directement.

5/ Mahomet, un chrétien de la tendance des judéo-nazaréens

Un clan gère le sanctuaire de La Mecque, les Quraichites (ou Quraich), de riches marchands, dont est issu Mahomet. Mais Mahomet, contrairement à de nombreux membres de son clan, n’est pas polythéiste.

En effet, il s’est marié à 25 ans avec Kadidja – nous sommes en l’an 595 – , une riche marchande de 40 ans, issu d’une branche des Quraich qui est chrétienne, la plus riche de La Mecque dit le commentateur Ibn Ishaq. Celui qui les marie est un prêtre chrétien, plus exactement un prêtre judéo-nazaréen, Waraqa ibn Nawfal, cousin de Kadidja. En 610, on l’a dit, Mahomet entend ses premières voix, que Kadija interprète comme étant celles de l’archange Gabriel. Kadidja en parle à son cousin, le prêtre qui les a mariés. Il faut en conclure qu’au moins entre 595 et 610, Mahomet est chrétien, mais pas chrétien trinitaire : un chrétien appartenant à la tendance des judéo-nazaréens.

Il s’agit d’une forme de christianisme d’Orient, qui avait conservé certains rites et interdits juifs: interdiction de manger du porc, circoncision etc… Ces judéo-chrétiens sont issus de la première génération des chrétiens au premier siècle. Souvenons-nous du premier concile de Jérusalem qui opposa Paul, lequel plaidait en faveur de l’abolition de tous les rites juifs, à Jacques, « frère du Seigneur », qui voulait que les chrétiens conservent tous les rites juifs. On a appelé ces chrétiens les judéo-chrétiens. L’une de leurs branches était constituée des judéo-nazaréens qui se sont installés après le premier siècle en Orient et dont l’un des principaux foyers se situait à Damas. Damas qui est tombée en 613 aux mains des Perses.

Cette religion, ou plutôt cette hérésie chrétienne selon les termes des Pères de l’Eglise chrétienne trinitaire, avait repris la tradition des zélotes, ces Juifs qui voulaient en découdre militairement avec les Romains. Ces judéo-chrétiens considéraient que le Christ, dont l’ensemble du monde chrétien attendait le retour, ne pourrait revenir qu’à condition de libérer militairement Jérusalem. Mais Jérusalem est tombée en 614 aux mains des Perses avec la complicité des Juifs, lassés du comportement des Byzantins. Imaginons un instant les traumatismes à répétition endurés par ces croyants qui voyaient leurs les villes principales tomber une à une entre les mains des Perses païens !

Ces Ebionites – beaucoup d’historiens pensent que les Ebionites et les judéo-chrétiens sont de la même religion – ne croyaient pas que Jésus était Dieu, mais croyaient qu’il était le dernier prophète, dont le retour était attendu. Théologiquement, les dogmes ébionites sont très proches des dogmes de l’Islam. Et pour cause : Mahomet était ébionite.

Dans le Coran, cette religion est appelée les Nazaréens (Sourate 2, v.62) et reçoit les bénédictions de Mahomet. Cela est cohérent, si on considère que Mahomet est un prophète de cette religion. Le Coran appelle « chrétiens » les trinitaires et ne leur réserve pas le même traitement. Dans le Coran, les Juifs et les Chrétiens trinitaires sont appelés, « gens du Livre », c’est-à-dire, « gens de la Bible ». Les infidèles parmi les gens du Livre, ainsi que les Associateurs iront au feu de l’Enfer (Sourate 89, v.6).

Les associateurs justement, ne sont pas les gens du Livre. Le Coran fait ici référence à ceux qui, au sanctuaire de la Mecque, associaient des divinités féminines à Houbal, le dieu (Allah) suprême. Mahomet va donc dire aux adorateurs polythéistes de la Mecque que le Dieu suprême est en fait le dieu des Ebionites, héritiers de la tradition des prophètes qui vont d’Adam à Jésus et que ce Dieu est unique.

Rappelons-nous, nous avons dit que les révélations à Mahomet ont commencé en 610 et qu’elles ont duré 23 ans. Mahomet n’a donc eu une vision d’ensemble du Coran qu’en 633. Or, les raids militaires qu’il a lancés ont commencé dès 623. Si l’on s’en tient à l’hypothèse que l’Islam est né de rien, on aboutit à une impasse logique et chronologique :  la révélation en est à peine à la moitié que Mahomet se mettrait déjà à convertir les gens ? Mais les convertir à quoi ? A quelle révélation ? A une religion à moitié achevée ?

Non! A une religion existante depuis des siècles, celle des judéo-nazaréens, dont Mahomet s’érige en sauveur. Car cette religion est bel et bien menacée de disparition. Il faut réagir tout de suite. Le Coran est une arme de propagande pour la sauvegarde des Ebionites qui n’apporte dailleurs pas de réformes théologiques majeures, à leurs croyances.

6/ La conquête de La Mecque : victoire des Quraichites judéo-nazaréens sur les Quraichites païens

Les Quraichites avaient déjà mené des guerres dans la région contre des tribus rivales. Ainsi, en 590, ils vainquirent les tribus de Kénan (Canaan) et de Hawazan. Mahomet se distingue militairement lors de cette bataille quand il avait 20 ans. Bien avant donc les révélations de l’archange Gabriel. On n’était donc pas dans une guerre sainte mais dans une lutte pour la suprématie des Quraichites.

Jusqu’en 619, Mahomet est relativement protégé des maitres de la Mecque, grâce à la puissance financière de sa femme et de certains membres de sa famille. Mais en 619 Kadidja meurt ainsi qu’un des riches oncles de Mahomet qui perd ainsi ses riches soutiens. Or, Mahomet est un Quraichite chrétien, et non un Quraichite païen. Comment dans ces conditions développer sa puissance, alors que ce sont les Quraichites païens qui tiennent le sanctuaire ? Comment entrevoir l’avenir des Ebionites, sans plus d’influence économique et alors que les judéo-nazoréens dont Mahomet fait parti passent progressivement sous la tutelle des Perses à mesure qu’ils conquièrent toutes les villes judéo-chrétiennes.

Une réponse à ce problème est de faire de l’Arabie le territoire des Ebionites ce qui suppose au préalable de s’emparer de la Mecque. Dans ce contexte, Mahomet, n’est-il pas l’homme de la situation ? En tant que Quraichite, il possède la légitimité pour revendiquer le contrôle du sanctuaire de la Mecque aux mains de son clan depuis bien longtemps. D’ailleurs, la vieille religion matriarcale du sanctuaire mecquois ne décline-t-elle pas ? Ne faut-il pas plutôt adorer Allah, dieu masculin, le père des trois divinités féminines ? Un dieu viril et masculin ne serait-il pas plus approprié pour résister à l’envahisseur perse ?

Mais les Quraichites païens refusent de croire que Mahomet est un prophète qui communique avec le Divin… et on peut les comprendre. D’abord parce que cela signifiait pour eux perdre la maîtrise du sanctuaire de la Kaaba au profit de Mahomet. Ensuite et surtout parce que cela signifiait accorder foi aux révélations d’un chrétien nazaréen : pourquoi croire en lui ? Ne voyant en lui qu’un rival désireux de prendre le contrôle du clan des Quraichites, ils le menacent de mort et le contraignent à fuir à Médine, ville chrétienne la plus proche.

Médine, on l’a dit, est une ville du royaume – ou ce qu’il en reste – des Ghassanides, chrétiens monophysites, pas comme Mahomet, mais des chrétiens quand même, qui sauront le protéger. C’est l’Hégire, l’an zéro de l’ère musulmane. Mahomet est riche, et les Ghassanides sont à terre financièrement. Les Byzantins les ont lâchés économiquement, les soldats ghassanides, qui s’étaient tant battus contre les Perses pour protéger les Byzantins, ne reçoivent plus aucune solde de ces derniers. Mahomet, lui, est en mesure de les payer. Une alliance se crée. Une alliance chrétienne monophysite/nazaréenne se crée contre les païens de la Mecque. Les partisans de Mahomet vont pouvoir lancer des raids militaires contre les Quraichites de la Mecque. Mahomet, puissant militairement, gagne des batailles. La Mecque est prise. Mais la population n’acceptera jamais que le sanctuaire soit rasé. Les rites de l’ancien sanctuaire mecquois sont alors carrément intégrés dans le judéo-nazaréisme. Au passage, le Destin devient un principe fondamental de cette nouvelle religion, signe de l’intégration de la déesse du Destin, tandis qu’Aphrodite laisse une part de ses rites matriarcaux: le ramadan, la Kaaba.

On rêve au début de prendre Jérusalem militairement, afin que le Christ puisse enfin régner sur terre mais bien vite la victoire paraît hors de portée – Jérusalem reste aux mains des Perses –  et on renonce à cet espoir de reconquête. La Mecque, devenue un site religieux judéo-nazaréen, conserve son rayonnement. On se tourne alors vers la Mecque et non plus vers Jérusalem.

Hors de l’Arabie, le conflit entre les Perses et les Byzantins a affaibli considérablement les deux grandes puissances. Les richesses accumulées par les Arabes, concentrées désormais entre les mains de Mahomet et de son armée, permettent de payer les soldats ghassanides en Syrie. Dans ces conditions, la conquête de la Syrie se fait sans difficulté. Les Perses sont repoussés.

Pour autant, les rivalités fratricides au sein des clans arabes n’ont pas disparu avec Mahomet. En effet, sur les quatre premiers califes, trois sont assassinés. Damas est prise par les conquérants musulmans en 635. Les conquêtes militaires permettent au jeune royaume musulman de déménager sa capitale de Médine à Damas. Une belle revanche pour ce vieux foyer judéo-chrétien, qui devient la capitale de l’empire arabe pour quelques siècles. Jérusalem, est prise aux Byzantins en 638, qui avaient repris la ville aux Perses en 629.

Les judéo-nazaréens ont donc gagné la guerre de la puissance et il est hors de question qu’ils se placent sous la tutelle de l’empire byzantin, qui avait si mal traité les chrétiens d’Orient…et les Juifs qui s’allièrent même aux Perses pour la prise de Jérusalem. Après avoir failli disparaitre au début du VIIème siècle, ils ont réussi, grâce à l’un des leurs, riche marchand à faire de l’Arabie leur base arrière en conquérant une riche ville païenne, à s’y maintenir, mais également à se développer au delà de leurs espérances en prenant des territoires aux Byzantins et aux Perses.

Bien sûr, cette belle histoire pour ces chrétiens d’Orient qui s’ignorent, c’est-à-dire, les musulmans-ébionites, ne s’est pas faites sans crime. Mais, au moins, cette histoire violente des débuts de l’Islam s’explique autrement que par le supposé fanatisme d’un homme proclamé prophète d’une religion nouvelle. Cette histoire violente des débuts de l’Islam s’explique en effet par la volonté d’une religion de survivre à l’expansion d’une autre religion, en l’occurrence celle des Perses.

Dans ce contexte l’absorption d’une antique religion polythéiste, qui dans la perspective historique que nous avons décrite est un dommage collatéral, une étape de la stratégie des troupes nazaréennes de Mahomet. Ce passage par la Mecque marqua les rituels musulmans à tout jamais.

7/ Substituer une approche historique à une approche hystérique de l’Islam

J’aurais aimé trouvé cette histoire dans les livres à la bibliothèque pour plusieurs raisons. En premier lieu, parce que c’est une histoire assez passionnante en tant que telle. En second lieu, parce que la plupart des musulmans eux-mêmes l’ignorent. Enfin et surtout parce qu’elle ouvre une voix de dialogue et d’apaisement entre les musulmans et les autres. Permettez que je partage ce que cette histoire m’inspire.

La violence, parfois extrême, des débuts de l’islam, s’explique par une stratégie défensive. Cela rend crédible le discours selon lequel l’islam n’est pas une religion offensive par nature. C’est tellement plus agréable de le montrer par l’histoire, plutôt que par une affirmation lapidaire du style Mais si, mais si, c’est une religion de paix, les musulmans violents n’ont rien compris!

Ça donne surtout aux musulmans un argument à opposer aux fous furieux qui justifient leur  propre violence par référence au passé car leur religion n’est pas menacée comme elle a pu l’être du temps de Mahomet. Cela donne également un autre argument à opposer aux fous furieux qui se prétendent être fous de Dieu : eux-mêmes sont en fait des chrétiens d’Orient, qu’ils le veulent ou non, et à ce titre, il serait mal venu de malmener les autres catégories de chrétiens d’Orient.

Au niveau identitaire et diplomatique, cette histoire démontre une certaine proximité entre le christianisme (trinitaire) et l’islam (ébionite). Au niveau théologique, la nature chrétienne de l’islam pourrait pousser les musulmans à s’interroger sur ce qui fait le cœur de leur religion, et de raviver un peu la figure du Christ.

L’idée de Destin ou de Prédestination, récupérée d’une déesse antique, ne peut-elle pas être un peu reconsidérée ? Cela rapprocherait sans doute la vision musulmane de la condition humaine de la conception chrétienne/occidentale de la liberté. Considérer l’origine chrétienne de l’Islam ne pourrait-elle pas rendre moins rigoriste l’interprétation que les plus radicaux d’entre eux en font ?

Le Coran lui même mentionne que Jésus a assoupli un certain nombre d’obligations religieuses. La tendance du monde musulman à souffler sur les antagonismes à l’égard du monde occidental ne peut-elle pas être inversée s’il prend conscience qu’il fait partie de l’histoire du christianisme ?

L’histoire viendrait ainsi au secours de ceux qui expriment le désir d’un Islam modéré. Certes le Coran contient des choses qui heurtent la conscience contemporaine comme le fait de pouvoir battre sa femme par exemple. Mais, le dialogue interreligieux, sur des conceptions de fond, ne doit pas être méprisé, au prétexte d’arguments négatifs à l’encontre de l’Islam. Je crois que l’Islam lui-même ne doit pas être méprisé et qu’il n’est pas incompatible avec les valeurs occidentales. Plus je lis le Coran, plus j’en ai la conviction.

Sur le statut de la femme, par exemple, le Coran indique que les épouses doivent être libres de divorcer (sourate n°2). Imaginons une femme mariée musulmane qui raconte à son imam qu’elle est battue, celui-ci pourra toujours lui conseiller de divorcer. Imaginons une femme catholique qui fait la même confidence à un prêtre, celui-ci ne pourra que lui souhaiter bon courage, même si les évangiles ne mentionnent aucun droit à battre son épouse. Laquelle des deux religions est alors la plus favorable à la protection des femmes, celle qui permet aux épouses de fuit leur bourreau, ou celle qui conseille de rester ?

Mieux, le Conseil constitutionnel français a reconnu la liberté de divorcer comme un droit constitutionnel (CC, 29 juillet 2016) tandis que la Cour européenne des droits de l’homme reconnaissait le droit de se remarier après un divorce. Laquelle des deux religions est la plus compatibles avec les valeurs occidentales ? Après des siècles d’affrontement, les deux grandes religions chrétiennes d’importance, l’une trinitaire, l’autre nazaréenne, devraient sûrement avoir beaucoup de choses à se raconter après des siècles de divorce. Espérons une réconciliation, à l’image de Saint Paul et de Saint Jacques.

 

 

Basilon

Noblet oblige

L’adaptation au théâtre du roman Réparer les vivants de Maylis de Kerangal par l’acteur Emmanuel Noblet est une réussite qui a été légitimement saluée par la critique et qui lui a valu notamment [1] le Molière 2017 dans la catégorie Seul en scène.

En effet adapter au théâtre un roman qui est déjà un OVNI littéraire – en l’occurrence un roman qui a pour objet le don d’organes – est déjà en soi un choix courageux.

Mais choisir en plus d’adapter un roman qui soulève les implications éthiques du progrès technique et rappelle le caractère irremplaçable de chaque être humain n’est pas non plus à notre époque, un choix anodin. C’est donc un choix doublement courageux.

Et choisir de le faire en incarnant successivement et parfois alternativement tous les rôles comme le fait Emmanuel Noblet relève de l’exploit. C’est donc un choix triplement courageux.

Mais la réussite d’Emmanuel Noblet vient couronner une série de choix artistiques et de choix de vie qui sont extraordinaires au sens propre du terme : ils sortent de l’ordinaire.

A ce titre ils témoignent d’une vraie liberté intérieure et sont d’autant plus salutaires que, pour reprendre le mot de Georges Bernanos, la société contemporaine est un gigantesque complot contre toute forme de vie intérieure.

Une réussite artistique

Ce n’est pas faire injure aux techniciens qui rendent possible la mise en scène (voix off, le jeu de lumière et la bande sonore) que de rendre hommage à la sobriété de cette pièce, résolument conçue selon un principe d’économie de moyens.

Deux chaises, un drap, une planche de surf, une blouse blanche, un téléphone portable, un écran d’ordinateur, portable lui aussi, et une paire de lunettes de soleil suffisent à restituer l’intensité des émotions, la complexité du drame intérieur que vivent les proches, les cas de conscience et les angoisses du corps médical engagé dans une course contre la montre.

Cette sobriété assumée est une garantie contre le pathos, la facilité et l’exhibitionnisme émotionnel. La mise en scène ressemble au langage succinct des médecins qui décrivent en termes cliniques la réalité pourtant tragique du passage de la vie à la mort.

L’unité de temps – moins de 24h séparent l’accident mortel de la fin de l’opération de transplantation – ajoute également à cette intensité à la fois sobre et crue. De ce point de vue on dirait une tragédie classique.

Un acteur qui a du métier et dont le métier est un choix de vie

Les critiques théâtrales ont toutes célébré, à juste titre, le talent d’Emmanuel Noblet (ainsi que son physique avantageux) mais ce qui est le plus impressionnant c’est la somme de travail que son talent révèle. Comme disait un autre Georges, Brassens celui-là, « sans travail le talent n’est rien qu’une sale manie ».

Le choix de la mise en scène n’a été rendu possible que parce qu’Emmanuel Noblet est un acteur dont on peut dire qu’il a du métier : c’est parce qu’il possède réellement son métier d’acteur qu’il peut, avec trois fois rien, faire surgir sous nos yeux une galerie de personnages tous plus vrais que nature.

Par ailleurs l’histoire du succès de la pièce qu’il a mise en scène est aussi une belle histoire au sens propre du terme puisqu’elle a commencé à un moment où la carrière d’Emmanuel Noblet était au creux de la vague et où les contingences pesaient de plus en plus lourd. A la lecture du roman de Maylis de Kerangal il rachète les droits d’adaptation, écrit la pièce, conçoit la mise en scène et file en voiture se produire au festival off d’Avignon…sans savoir que le succès l’y attendait.

Le choix d’adapter cette pièce sous cette forme précise est une décision courageuse prise et assumée de bout-en-bout par Emmanuel Noblet. Sa réussite artistique est donc le fruit d’un choix de vie courageux et authentique et d’une persévérance dans une voie notoirement difficile.

La joie de vivre sa vocation

Emmanuel Noblet est quelqu’un qui a trouvé sa vocation parce qu’il a eu le courage de la chercher. Quand il parle de son métier il parle spontanément de son bonheur de jouer et d’être acteur et sa joie est visible à l’œil nu.

Ce témoignage est d’autant plus précieux que la carrière qu’il a choisie – ou plutôt qu’il s’est choisie – suppose d’accepter un mode de vie aléatoire et incertain.

Il fait penser à d’autres exemples contemporains de personnes qui sont des personnalités à part entière parce qu’elles se donnent les moyens de chercher et de vivre leur vocations particulières… en assumant le risque de ramer parfois à contre-courant et de vivre d’une manière plus aléatoire – mais également plus détachée – que s’ils s’étaient laissé porter par les courants dominants d’une société consumériste.

L’exemple qu’il donne – peut-être même de manière involontaire – fait écho à ce qu’écrivent des auteurs contemporains comme l’essayiste américain Rod Dreher (Le pari bénédictin), le romancier canadien Micheal O’Brien (Père Elijah : une apocalypse) ou le couple de voyageurs français Alexandre et Sonia Poussin (Africatrek, Madatrek) : ils nous invitent à accepter le risque de vivre à contre-courant pour rester fidèles à notre vocation c’est-à-dire à nous-mêmes.

La joie d’Emmanuel Noblet rappelle qu’être heureux n’est pas nécessairement une chose confortable et que ce n’est pas en faisant comme tout le monde que l’on devient soi-même.

Cela suppose une culture de la liberté intérieure qui, sous l’ancien régime, était censée être celle de la noblesse et que l’on transmettait dans la famille. C’est visiblement la sienne.

Noblet oblige ?

[1] Réparer les vivants, théâtre du Petit Saint Martin (01 42 08 00 32) ; petitstmartin.com

Impressions de lecture

Avez-vous déjà fait l’expérience lors d’une soirée de suivre un dialogue intéressant entre deux personnes qui ne s’adressaient pas particulièrement à vous et qui ne cherchaient pas à vous convaincre mais dont les échanges vous semblaient suffisamment intéressants pour les écouter et pour y réfléchir après coup ?

C’est l’expérience que j’ai faite à la lecture d’un dialogue entre Dominique Wolton et le pape François intitulé Politique et société. Ce n’est pas à proprement parler un livre d’entretiens au sens où il s’agirait d’une longue interview sur le modèle du Choix de Dieu réalisé par le même Dominique Wolton et Jean-Louis Missika avec Jean-Marie Lustiger en 1989.

C’est d’abord une conversation à bâtons rompus entre deux individus qui échangent dans un climat de confiance et de bienveillance. D’où quelques redites, une discussion part parfois dans toutes les directions et un Dominique Wolton qui s’exprime autant que le pape François voire plus par endroits. Ce n’est donc pas un travail de journaliste : Dominique Wolton n’a jamais été journaliste et n’a jamais prétendu l’être.

Une fois admis ces prémisses je pense qu’on peut se plonger avec profit dans la lecture de ce dialogue. Je livre ci-dessous mes impressions de lecture dans l’espoir que cela incitera les lecteurs de cet article à devenir des lecteurs de Politique et société.

1/ Mettre l’accent sur la pédagogie et le discernement

Toutes les personnes qui ont eu la chance de s’entretenir en privé avec le pape émérite Benoît XVI s’accordaient à dire que, lorsqu’on avait une discussion avec lui on en ressortait plus intelligent… et donc plus libre.

Le cardinal Ratzinger, dont la culture théologique et l’intelligence dépassaient largement celle de la plupart de ses interlocuteurs même les plus brillants, se mettait toujours à l’écoute et au niveau de celui ou de celle qui lui parlait. Il reformulait positivement l’objection qui lui était faite ou la question qui lui était posée, puis complétait, élargissait et, le cas échéant, corrigeait parfois ce qui devait l’être mais toujours avec délicatesse et en explicitant. Il amenait ainsi son interlocuteur à un niveau supérieur de compréhension (à moins que ce ne soit à un niveau plus profond ?).

 Il était toujours animé du souci de l’accompagner en marchant à ses cotés et surtout à son rythme afin de l’éclairer pour le rendre plus libre. Chez Joseph Ratzinger l’amour de la vérité était indissociable de la vérité de l’amour qui s’incarnait dans une pédagogie sur-mesure.

C’est la même attitude que l’on retrouve chez le pape François. En bon jésuite, il conçoit son pontificat en jésuite c’est-à-dire qu’il cherche à se comporter comme directeur spirituel universel et, comme tout bon directeur spirituel, il invite ceux auxquels il s’adresse à exercer leur propre discernement. Il les invite à discerner ce qui est bon dans leur vie non seulement pour s’y tenir mais surtout pour en faire le point de départ d’un cheminement au cours duquel ils pourront faire ou approfondir l’expérience de Dieu.

Cette attitude n’a rien de nouveau en elle-même mais il faut croire que, compte tenu du poids des mauvaises habitudes accumulées, ce programme de conversion intérieure et de changement d’attitude constitue une vraie révolution culturelle.

Elle explique également le malaise de ceux qui souhaitaient une réponse catégorique – dans un sens ou dans un autre – à la question de l’accès à la communion des divorcés-remariés. La réponse pontificale était en effet de discerner avec les intéressés.

Comme à son habitude le pape le dit avec une simplicité désarmante: « Hélas, nous les prêtres, nous sommes habitués aux normes figées. Aux normes fixes. Et c’est difficile pour nous, cet accompagner sur le chemin, intégrer, discerner, dire du bien. Mais ma proposition, c’est bien ça ».

D’où les réticences du pape François vis-à-vis, non pas de la doctrine ou de la morale, mais d’une approche doctrinale ou simplement morale des problèmes et des drames contemporains. D’où l’incompréhension et l’exaspération de ceux qui n’attendent pas autre chose du pape et qui, pour cette raison, ne peuvent pas ou ne veulent pas écouter des propos qui ne correspondent pas à leurs attentes.

Mais si sa proposition est typiquement jésuite elle est surtout typique de Jésus qui accompagne les pèlerins d’Emmaüs sur le chemin, les interroge et les éclaire sur le sens des Ecritures avant de se révéler à eux dans la fraction du pain. Ou de Jésus qui s’adresse à la Samaritaine en partant de sa préoccupation concrète (elle veut puiser de l’eau) et non de sa situation maritale illégitime (l’homme avec lequel elle vit n’est pas son mari[1]) ou de son appartenance aux Samaritains, les hérétiques irrécupérables aux yeux de juifs pieux.

Dieu, quand il se fait homme en Jésus Christ, s’adresse à chaque personne individuellement, sans l’enfermer dans ses erreurs ou ses fautes, mais en faisant du sur-mesure.

2/ La communication comme acte d’humilité et de charité

C’est sans doute pour cela que le pape François insiste beaucoup sur la communication authentique qui n’est pas d’abord une transmission d’informations mais d’abord un acte relationnel c’est-à-dire un acte d’humilité et de charité.

C’est un acte de charité dans la mesure où il consiste à sortir de soi-même pour aller chercher l’autre là où il est et là où il en est. C’est un acte d’humilité dans la mesure où il consiste à faire le premier pas vers l’autre et à s’ajuster à lui plutôt que d’attendre de lui qu’il fasse l’effort de s’adapter à moi. C’est un acte relationnel qui consiste à apprivoiser autrui et à se laisser apprivoiser par lui pour pouvoir cheminer à ses côtés et aller à son pas au lieu de lui imposer le nôtre.

L’attitude que le pape François développe et explicite n’est pas nouvelle puisqu’elle est celle de Dieu le Père qui fait le premier pas vers Abraham et celle de Dieu le Fils qui s’incarne – dans une étable qui plus est ! – pour rejoindre l’humanité.

C’est ce que nous rappelle saint Paul : « Le Christ Jésus ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes. Reconnu homme à son aspect, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix » (2, Philippiens 6-8).

C’est ce qui explique la sévérité du pape François vis-à-vis du cléricalisme car il y voit un contre-témoignage inadmissible car trop lourd de conséquences : « Les voici, les deux faiblesses graves que je connais : le cléricalisme et la rigidité (…) Je n’aime pas quand je tombe sur un prêtre qui dans sa paroisse a affiché ses disponibilités de telle heure à telle heure. Et quand le fidèle dit d’accord, qu’il y va à l’heure indiquée et qu’au lieu de trouver un prêtre, il tombe sur une secrétaire, parfois un peu revêche, qui lui a dit que le père est trop occupé ! Ça c’est l’anti-communication et l’anti-évangile… »

Le pape François ne concevant pas autrement la communication que comme un acte de charité, il considère logiquement le refus de la communication ou sa contrefaçon (ce qui revient au même) comme un refus de la charité et donc un refus de Dieu : « Communiquer c’est s’abaisser comme le fait le Christ avec l’homme ».

Sa dénonciation du cléricalisme n’est pas une concession démagogique à l’air du temps. Sa préférence pour les pécheurs qui se reconnaissent comme tels a pour corollaire l’inquiétude que suscite chez lui la rigidité parce qu’elle est facteur de stagnation voire de régression spirituelle et donc humaine. C’est la version inquiète du fameux adage « Heureux les fêlés car ils laissent passer la lumière ».

3/ Reconnaître son propre péché pour pouvoir accueillir la grâce.

Là encore rien de superficiel ou de futile dans ses propos mais la vive conscience que le Christ est venu pour les pécheurs et non pour ceux qui se croient bien portants : « derrière chaque rigidité il y a une incapacité à communiquer. Quand je tombe sur une personne rigide, surtout un jeune, je me dis aussitôt qu’il est malade. Le danger est qu’il cherche la sécurité ».

A l’inverse les faiblesses et les péchés qui sont assumés et reconnus comme tels l’inquiètent peu : « La richesse de l’Eglise se trouve là : chez les pécheurs. Pourquoi ? Parce que quand tu te sens pécheur, tu demandes pardon, et ce faisant, tu lances un pont ».

Les péchés et les faiblesses assumés et reconnus peuvent constituer le point de départ d’un cheminement et d’un itinéraire spirituel, à l’image de celui de saint Augustin ou du bienheureux Charles de Foucauld. C’est pourquoi le pape François dit explicitement : « Moi j’ai peur de la rigidité. Je préfère un jeune désordonné, avec des problèmes normaux, qui s’énerve…car toutes ces contradictions vont l’aider à grandir ».

Quant aux stratégies d’évitement et aux dénis de réalités qu’inspire la rigidité à ceux qui en sont atteints il est d’une lucidité à la fois sereine et sans complaisance : « Les hommes qui sont malades psychologiquement le pressentent inconsciemment. Ils ne le savent pas mais ils le sentent et vont chercher des structures fortes qui les défendent dans la vie. Ils deviennent policiers, ils s’engagent dans l’armée ou dans l’Eglise. Des institutions fortes pour se défendre. Ils font bien leur travail, mais une fois qu’ils se sentent en sûreté, inconsciemment, la maladie se manifeste. Et là surviennent les problèmes ».

Quand il parle de ceux qui fuient leurs faiblesses en entrant dans l’Eglise, on ne peut que penser aux invectives de Jésus contre les pharisiens : «  Malheur à vous, spécialistes de la loi et pharisiens hypocrites, parce que vous ressemblez à des tombeaux blanchis qui paraissent beaux de l’extérieur et qui, à l’intérieur, sont pleins d’ossements de morts et de toutes sortes d’impuretés » (Matthieu 23, 27).

4/ Partir du concret

Un aspect très intéressant de ce dialogue est qu’il permet de constater que le pape François ne raisonne pas à partir de principes abstraits mais qu’au contraire il part toujours de la complexité du réel avec toutes ses contradictions : la personne telle qu’elle est et dans la situation qui est la sienne au moment où on la rencontre ; mais aussi les données politiques complexes et la réalité intime du peuple.

Il ne prône absolument pas la disparition des identités, au contraire : « Concernant le dialogue interreligieux, il doit exister mais, on ne peut pas établir un dialogue sincère entre les religions si l’on ne part pas de sa propre identité. J’ai mon identité et je parle avec la mienne ».

A Dominique Wolton qui lui parle des migrants il répond : « Oui on peut en parler, toutes les religions parlent des réfugiés. Mais il y a des problèmes politique, et certains pays n’ont pas assez de place, d’autres n’ont pas le courage nécessaire, et d’autres ont peur. D’autres n’ont pas su intégrer les immigrés et ils les ont ghettoïsés. C’est très complexe. Considérons le problème des Africains, par exemple. Ils fuient la guerre et la faim. Et quand il y a la guerre et la faim chez eux, le problème arrive ici ensuite. On doit aussi se demander : pourquoi y a-t-il une guerre là-bas ? Qui donne les armes ? »

L’intérêt des propos du pape François est de partir de la complexité du réel sans en tirer argument pour escamoter les questions qui fâchent. En partant des situations concrètes il pose des questions concrètes qui sont souvent des questions tabou c’est-à-dire, au sens littéral du terme, des questions dont on ne parle pas parce qu’elles sont trop embarrassantes.

« Le problème commence dans les pays d’où viennent les migrants. Pourquoi quittent-ils leurs terres ? Par manque de travail ou à cause de la guerre. Ce sont les deux principales raisons. Le manque de travail, parce qu’ils ont été exploités – je pense aux Africains. L’Europe a exploité l’Afrique… Je ne sais pas si l’on peut le dire ! Mais certaines colonisations européennes… oui, elles l’ont exploitées (…) la première chose que l’on doit faire, et je l’ai dit devant les Nations Unies, au Conseil de l’Europe et partout, c’est de trouver, là-bas des sources de création d’emplois, et d’y investir ; il est vrai que l’Europe doit investir également chez elle. Car ici aussi, il y a un problème de chômage. L’autre raison des migrations, ce sont les guerres. On peut investir, les gens auront une source de travail et n’auront plus besoin de partir, mais s’il y a la guerre, ils devront tout de même fuir. Or, qui fait la guerre ? Qui fournit les armes ? Nous ».

En braquant les projecteurs sur la question du trafic d’armes il soulève une question très intéressante mais également très embarrassante pour les pays occidentaux. Une question qui n’est pas récente et qui est même récurrente.

Déjà dans l’album de Tintin L’oreille cassée – publié en album de 1935 à 1937  dans les pages du Petit Vingtième – Hergé dénonçait cette réalité en mettant en scène le personnage de Basil Bazaroff, qui fait fortune en vendant les mêmes armes à deux pays belligérants. Ce personnage fictif était inspiré d’un personnage bien réel celui-là : Basil Zaharoff (1849-1936). C’était un marchand d’armes et financier d’origine grecque détenant plusieurs passeports, familier des grands de ce monde et dont la spécialité était d’alimenter tous les conflits en cours en vendant des armes à tous les camps en même temps. Son immense fortune lui permit même de se lancer dans des actions philanthropiques….

Le pape ne fait donc pas œuvre d’originalité quand il déclare : «  nous les leur fournissons pour qu’ils se détruisent, finalement. On se plaint que leurs migrants viennent nous détruire (…) Nous provoquons le chaos, les gens fuient, et nous, que faisons-nous ? Nous disons : Ah non, débrouillez-vous ! Je ne voudrais pas utiliser de mots trop durs, mais on n’a pas le droit de ne pas aider les gens qui arrivent. Ce sont des êtres humains ».

5/Une conception du peuple qui rejoint celle de Georges Bernanos

Partant des réalités concrètes et de la complexité du réel le pape François part et parle beaucoup de la spiritualité du peuple. Non seulement de la piété populaire mais même, de manière plus étonnante, sa théologie : « Le peuple a sa piété, sa théologie. Elles sont saines et concrètes. Fondées sur les valeurs de la famille, du travail. Même les péchés du peuple sont des péchés concrets ». En revanche les péchés de ces théologies idéologiques ont trop d’angélicalité. Les péchés les plus graves sont ceux qui ont beaucoup d’angélisme ».

C’est aussi pour cela qu’il se méfie des contrefaçons du peuple comme la théologie de la libération inventée par des intellectuels coupés du peuple : «  Le peuple n’a jamais accepté ces petits groupes ».

La partie la plus intéressante de son propos sur le peuple c’est justement son refus des contrefaçons idéologiques du peuple, qu’elles soient marxistes ou nationalistes. Il le justifie au nom de la réalité vivante du peuple qu’il distingue toujours de son travestissement en une catégorie intellectuelle, en une construction idéologique, un pur produit de l’esprit de système qui cherche à mettre la réalité au service d’un projet politique arbitraire puisque ne respectant pas la vérité.

 « Le peuple n’est pas une catégorie logique. C’est une catégorie mythique. C’est un mythos. Pour comprendre le peuple, il faut aller dans un village de France, d’Italie ou d’Amérique. Ce sont les mêmes. Et là, on vit la vie du peuple. Mais on ne peut pas l’expliquer (…) pour comprendre le peuple, tu dois vivre avec le peuple. Et seuls ceux qui ont vécu avec le peuple le comprennent ».

Cette idée de catégorie mythique plus que logique c’est un continuum de manières d’être et de se comporter qui se transmet de génération en génération sans forcément être théorisé et qui ne peut être instrumentalisé par le pouvoir politique en place le rapproche naturellement Charles Péguy – «Il a compris le peuple, et très bien » –  mais surtout de  Georges Bernanos  : « Et il y a un autre Français remarquable : Bernanos. Lui, il a compris le peuple, il a compris cette catégorie mythique ».

Bernanos en effet dénonce la réduction de la Patrie à la catégorie juridique de Nation, elle-même réduite à la notion d’Etat pour aboutir à l’appareil d’Etat, sorte de Moloch moderne qui exige des sacrifices humains sous forme de conscription obligatoire au nom d’une raison d’Etat aussi arbitraire que non négociable : « Je sais bien que formulé ainsi mon raisonnement semble paradoxal ; on jugerait aujourd’hui très difficile d’opposer la Patrie à l’État. Cette opposition eût paru pourtant naturelle à nos pères ». Et d’ajouter : «  La Patrie c’était (…) tout ce qu’il avait reçu, tout ce qu’il pouvait transmettre à sa famille, tout ce qui assurait cette transmission – c’était sa famille elle-même, immensément agrandie, mais toujours reconnaissable » (La France contre les robots).

De même le pape François dénonce l’aliénation des peuples en Amérique latine : « Nous sommes sous-développés, mais également sous domination, soumis à la puissance des colonisations idéologiques et économiques. Nous ne sommes pas libres. Certes, nous avons notre façon d’être, mais les multinationales ont fait leur œuvre ! »

Là encore le parallèle avec Bernanos dénonçant l’aliénation du peuple par les puissances de l’argent est saisissant : « D’une manière générale, il est juste d’écrire que la Bourgeoisie, depuis cent cinquante ans, peut être définie : la classe française dont le sort, dès l’origine, s’est trouvé lié à l’économie libérale, qui a défendu pied à pied le régime inhumain de l’économie libérale, qui s’est laissé arracher un par un, ainsi que des concessions gratuites, les réformes indispensables ».

Ou encore quand il écrit :  « Les gens du peuple ont un mot très profond lorsqu’ils s’encouragent à la sympathie. Mettons-nous à sa place, disent-ils. On ne se met aisément qu’à la place de ses égaux. À un certain degré d’infériorité, réelle ou imaginaire, cette substitution n’est plus possible. Les délicats du XVIIème siècle ne se mettaient nullement à la place des nègres dont la traite enrichissait leurs familles » (Les Grands cimetières sous la lune).

Le fait que la vision qu’a le pape François du peuple corresponde à celle de Georges Bernanos devrait rassurer tous ceux qui craignaient que le souverain pontife ne prône le grand remplacement.

Le pape François est le premier à déplorer l’aliénation des peuples par les forces de l’argent et le déracinement forcé auquel les migrants sont acculés. Il n’est pas plus responsable des vagues migratoires que le SAMU n’est responsable des accidents de la route.

Il conçoit l’Eglise comme l’ensemble des baptisés et non simplement comme la hiérarchie ecclésiastique. Il considère également que l’Eglise doit être un hôpital de campagne dans un monde régi par le Prince de ce monde et soumis à l’idole de l’argent. Il rappelle à temps et à contre temps que les migrants doivent être toujours regardés d’abord et avant tout comme des personnes humaines c’est-à-dire comme nos frères. Il joue son rôle de vicaire du Christ sur terre.

De ce point de vue la lecture de Politique et société est un bon moyen de découvrir ce que dit et ce que pense réellement le pape. C’est aussi un moyen salutaire d’échapper aux commentaires malveillants des journalistes spécialisés qui répétaient inlassablement sous Jean-Paul II et Benoît XVI que les catégories droite/gauche ne permettaient pas de comprendre l’action du pape mais qui aujourd’hui suggèrent en couverture de leur publication que le pape François serait partisan puisque de gauche.

Mais peut-être que l’explication de ce mystère réside justement dans le fait que, à l’image des écrivains catholiques français Charles Péguy, Georges Bernanos et Léon Bloy qu’il cite régulièrement, il dénonce l’idole de l’argent…

 

[1]  « Tu as bien fait de dire : Je n’ai pas de mari, car tu as eu cinq maris et l’homme que tu as maintenant n’est pas ton mari. En cela tu as dit la vérité. » Jean 4, 17-18

Vous y croyez VRAIMENT ? Réponse à Jean-Pascal

Je reproduis ci-après le commentaire que m’a laissé Jean-Pascal après avoir lu l’article intitulé Le puritanisme est une invention du démon.

« Je profite de votre blog, que je trouve intéressant et intelligent, pour vous poser une question sur le catholicisme. Vous croyez VRAIMENT à Adam et Eve, l’existence du Démon, la virginité de Marie, son apparition à Lourde, les miracles, la transformation de l’hostie en corps du Christ, etc? Vous considérez que ce sont des réalités, ou vous y voyez juste des symboles et allégories? Aucune provocation de ma part, juste des questions que je me pose sur la nature exacte de la foi catholique ».

J’ai énormément apprécié sa franchise et j’ai souhaité lui répondre du mieux que je pouvais. Au fur et à mesure que j’écrivais ma réponse le texte prenait des proportions telles qu’il ne pouvait pas tenir dans la rubrique prévue pour les commentaires. Cet article est ma réponse aux questions de Jean-Pascal.

A propos d’Adam et Eve

Certains livres de la Bible expriment des vérités de manière allégorique et symbolique, d’autres de manière factuelle et historique. C’est tout le travail de l’exégèse et ça n’a pas commencé au XIXème siècle (cf les quatre niveaux de lecture de la Bible dégagés par le juif hellénisé Philon d’Alexandrie et repris par Origène, père de l’Eglise du IIème siècle après Jésus Christ).

Ce petit préambule pour clarifier mon propos : je ne crois pas que l’humanité ait été engendrée par un homme seul et une femme seule qui serait tirée de son côté au sens biologique du terme. Tout simplement parce que le récit de la Genèse dans lequel apparaissent Adam et Eve n’a jamais prétendu être un manuel scientifique ou historique sur l’apparition de l’espèce humaine.

Il prétend expliquer les fondamentaux de la condition humaine et répondre à la question du mal qui est sans doute l’objection la plus classique et la plus légitime que les non-croyants font aux chrétiens : « Si votre Dieu est bon et s’il est le créateur de toutes choses pourquoi le mal existe-t-il ? ».

A cela la Genèse répond par l’histoire d’Adam et Eve : le péché n’a pas été voulu par Dieu il a été introduit par le démon. Dieu a fait la création, le Démon l’a contrefaite.

De même quand la Genèse raconte qu’Eve a été tirée de la côte d’Adam, cela n’a pas de valeur biologique mais cela dit une vérité très profonde : l’homme et la femme sont d’égale dignité parce que de même nature.

Ce n’est pas du tout quelque chose d’anodin ni même d’évident aujourd’hui encore. Entre ceux qui théorisent l’infériorité constitutive de la femme au nom du Coran et ceux qui l’infériorisent sans la théoriser en promouvant une culture de la pornographie et de la femme objet au nom de la liberté on voit bien que l’égale dignité de l’homme et de la femme n’est pas ce qui vient spontanément à l’esprit des hommes. Que ce récit soit apparu dans une culture patriarcale et résolument machiste est pour moi un indice de son inspiration divine…

De même la dignité éminente de l’être humain est exprimée par l’ordre même dans le quel Dieu crée l’univers : les minéraux d’abord, les végétaux ensuite puis les animaux et enfin l’homme. L’humanité couronne la création et la femme couronne l’humanité (puisqu’elle est créée en dernier à partir de l’homme). C’est un crescendo continu qui dit la place éminente de l’homme et donc sa responsabilité dans la création et la place éminente de la femme dans l’humanité.

Je crois à toutes ces vérités exprimées dans un langage symbolique. Il me semblerait aussi absurde de nier la vérité de la Genèse que de nier la vérité des Fables de La Fontaine (« Tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute ») au motif que les animaux ne parlent pas et que ni les corbeaux ni les renards ne se nourrissent de camembert.

A propos du Démon

Oui, j’y crois absolument et sans le moindre problème. D’abord parce que son existence n’est pas plus inacceptable que l’existence de Dieu.

Ensuite parce que l’existence du Démon qui explique l’existence du mal dans un monde par ailleurs créé par un Dieu bon (cf ci-dessus).
Par ailleurs le Christ nous en parle régulièrement : donc soit il est le sauveur et il sait ce qu’il dit, soit c’est un imposteur et il faut passer à autre chose.

Et puis les manifestations sataniques existent bel et bien. C’est une réalité assez attestée dans l’histoire du christianisme et dans d’autres religions.

Mais si Satan se manifeste dans des sommets d’inhumanité il n’apparaît pas toujours ès qualités : songeons à Auschwitz ou à DAESH par exemple.

De manière plus ordinaire le Démon se manifeste par ses effets quotidiens dans notre intimité même comme le constatait amèrement saint Paul :

« mais moi, je suis marqué par ma nature, vendu au péché. Je ne comprends pas ce que je fais : je ne fais pas ce que je veux et je fais ce que je déteste. Or, si je fais ce que je ne veux pas, je reconnais par là que la loi est bonne. En réalité, ce n’est plus moi qui agis ainsi, mais le péché qui habite en moi. En effet, je sais que le bien n’habite pas en moi, c’est-à-dire dans ma nature propre : j’ai la volonté de faire le bien, mais je ne parviens pas à l’accomplir. En effet, je ne fais pas le bien que je veux mais je fais au contraire le mal que je ne veux pas. Or, si je fais ce que je ne veux pas, ce n’est plus moi qui le fais, mais le péché qui habite en moi » (Romains 7, 14-20).

De manière générale ne dit-on pas lorsque des comportements sont tellement marqués par le mal que ce sont des comportements inhumains ?

Moi je crois qu’il existe une puissance maléfique qui n’a de cesse de détruire l’humanité de l’homme en l’éloignant de Dieu.

A propos de la virginité de Marie

C’est la conséquence logique du fait qu’elle ait porté Dieu en son sein (d’où son nom de Theotokos mère de Dieu). Que Marie n’ait pas connu sexuellement d’autres hommes avant de s’être mariée ne m’étonne pas. C’était la norme à l’époque. Qu’elle le soit restée aussi après la naissance du Christ non plus. Sauf que là, la question m’est parfaitement indifférente : ça ne change et ça ne retranche rien à ma foi.

A propos des apparitions mariales à Lourdes

Là encore je ne vois pas pourquoi je n’y croirais pas. Je ne dispose pas d’éléments m’incitant à douter des témoignages et de la vie ultérieure de Bernadette Soubirous.

Quand Bernadette Soubirous affirme le 25 mars 1858 qu’une dame lui est apparue et s’est présentée en disant en gascon : « Que soy era immaculada councepciou » (« Je suis l’immaculée conception ») elle répète des paroles qu’elle ne comprend pas et qu’elle s’est répétées pendant tout le trajet jusqu’à son curé de peur de les oublier.

Face à l’incrédulité de ce dernier elle s’est contentée de répondre qu’elle n’avait pas été chargée de le convaincre mais de le lui dire ce que la dame (qu’elle n’identifie pas à la Vierge) l’avait chargé de dire. C’était quatre ans après la promulgation du dogme de l’immaculée conception. Puis elle a dû affronter le scepticisme et l’hostilité de tout le monde : l’Eglise, l’administration préfectorale, la police, son entourage immédiat…

La disproportion entre la cause apparente (Bernadette Soubirous, 14 ans, peu instruite) et l’effet produit (rayonnement spirituel planétaire ininterrompu, guérisons miraculeuses et conversions) m’incite à penser qu’il s’est vraiment passé quelque chose hors du commun même si cela ne fait pas partie du credo. On peut très bien ne pas y croire tout en étant parfaitement catholique.

Mais en ce qui me concerne, je considère que postuler le contraire serait de ma part un acte arbitraire et absurde : quelle cause plus raisonnable pourrais-je trouver comme explication ? Mais surtout ce serait un bon indicateur non pas de la réalité extérieure mais de mes dispositions intérieures. Cela signifierait que j’aurais décidé de favoriser l’hypothèse négative plutôt que l’hypothèse positive en l’absence de critères ou d’indices.

A propose de la transformation de l’hostie en corps du Christ

Ce que l’on appelle la transsubstantiation en théologie est le point le plus difficile non pas à accepter mais à comprendre.

Là encore le fait que je ne comprenne pas tout n’est pas pour moi une objection. Certes ce n’est pas non plus une raison de croire aveuglément pour autant. Mais le fait qu’il existe des mystères ne m’effraie pas : après tout le monde physique ne m’a pas attendu pour commencer d’exister. C’est ce que constatent dans leur domaine tous ceux qui font de la recherche scientifique. Alors pourquoi douter qu’il en soit de même pour le monde métaphysique ?

Je constate chaque jour dans des domaines très différents qu’il existe des phénomènes, des comportements et des gens que je ne comprends pas. Il n’est écrit nulle par que mon entendement doive-t-être la mesure de toute chose.

Et puis par quel « miracle » la réalité matérielle et spirituelle serait-elle nécessairement ajustée à mon entendement ? Ce serait une présomption délirante et certainement pas innocente.

Ceci dit je n’ai pas de mal à croire à la transformation de l’hostie en corps du Christ.

Deux raisons à cela.

La première est que les plus grands saints ont tous manifesté un attachement viscéral à la communion et lui ont accordé la priorité. Je pense notamment à mère Teresa de Calcutta. Mais on pourrait penser à tous les saints qui ont vécu de manière extraordinaire et ont eu un rayonnement qui dépassait leurs vertus et leurs capacités : tous ont attesté de l’importance vitale de l’eucharistie dans leur vie. A défaut de savoir comment ça fonctionne dans le détail je ne peux que constater que ça fonctionne. Plusieurs prêtres extraordinaires comme Nicolas Buttet en Suisse ou le père Guy Gilbert en France en attestent.

La deuxième est que les sectes satanistes n’hésitent pas à profaner des hosties consacrées alors que cela n’aurait aucun sens hors de la présence réelle de Jésus. Or s’il existe quelqu’un qui est bien conscient de la présence de Dieu c’est Satan lui-même : « Tu crois qu’il y a un seul Dieu ? Tu fais bien ; les démons aussi le croient, et ils tremblent » (Jacques 2, 9).

La question pour moi n’est pas de tout comprendre de la transsubstantiation mais d’accueillir le corps du Christ dans l’hostie pour qu’il me transforme. C’est l’application théologique du principe diététique : « On est ce que l’on mange » (en allemand « Man ist was man isst »).  Je n’ai pas besoin de comprendre comment fait mon estomac pour digérer ce que j’avale mais il est essentiel que je me nourrisse.

J’espère avoir répondu à vos questions, cher Jean-Pascal. N’hésitez pas à m’en poser d’autres si vous le souhaitez.

Avec toute mon amitié.

Louis Charles

Le puritanisme est une invention du démon

La Bible nous présente dès l’Ancien Testament un Dieu « lent à la colère et plein d’amour » (Psaume 144). Un Dieu qui ne désire pas la mort du pécheur mais au contraire sa conversion afin qu’il vive (Ezéchiel 18, 23). Un Dieu qui fait toujours le premier pas pour aller vers l’homme (Jean 4,7) ou pour se réconcilier avec lui après chaque rupture (Zacharie 1, 3).

Pourtant c’est trop souvent (encore) avec l’image d’un Dieu sévère, inflexible, désespérant et donc culpabilisant que vivent, hélas, de très nombreux chrétiens…y compris ceux qui théoriquement savent que tel n’est pas le Dieu biblique, le Dieu des chrétiens et celui de l’Eglise catholique.

Et c’est souvent parce qu’ils en ont adopté la même image que de nombreux chrétiens sont devenus non-chrétiens et que de nombreux non-chrétiens manifestent des réactions épidermiques au seul nom de Dieu (la fameuse laïcité à la française).

1/ Une image de Dieu difforme parce que déformée

Si l’image qu’ils ont de Dieu ne correspond pas à ce que Dieu dit de lui-même d’où vient cette image déformée et donc difforme ? S’il s’agit d’une contrefaçon qui est le faussaire ?

L’homme lui-même.

Pourquoi ?

Parce que l’être humain est ainsi fait qu’il ne peut faire autrement lorsqu’il se regarde en face que de constater sa propre misère : « Je ne comprends pas ce que je fais : je ne fais pas ce que je veux et je fais ce que je déteste » (Romains 7, 15).

La seule solution pour un chrétien cohérent c’est de se jeter dans les bras de son Père comme un enfant faible mais plein de confiance dans sa miséricorde. On appelle ça la conversion du cœur. C’est la parabole du fils prodigue.

Mais que se passe-t-il si l’homme refuse – par ignorance ou en pleine conscience cela ne change rien en l’occurrence – la solution que Dieu nous propose et que l’on appelle l’offre de salut ?

La première (fausse) solution et (vraie) tentation consiste à fuir la réalité désespérante avec l’énergie du désespoir en se perdant dans ce que Blaise Pascal appelait « les divertissements mondains ». C’est la tentation de notre société contemporaine. Cette tentation porte un nom que, tous, nous connaissons : la société de consommation.

La seconde tentation consiste à affubler Dieu de nos propres turpitudes et de lui en attribuer l’origine et donc la responsabilité. Nous nous décevons lorsque nous nous contemplons ? Nous projetons sur lui et nous ui attribuons notre désir de punition.

Ne trouvant d’explication ni à ses propres turpitudes, ni à ses contradictions les plus intimes l’être humain est souvent tenté de chercher un coupable. Ce peut-être un bouc émissaire qui est sacrifié pour rétablir une harmonie provisoire au sein d’un groupe humain. Quitte à passer du bouc émissaire symbolique au sacrifice humain sanglant.

Cela peut aussi aller jusqu’à une forme déguisée d’auto-punition par procuration consistant à se désigner coupable soi-même en attribuant la rigueur de ce jugement à Dieu.

Parce qu’au fond nous trouvons, sans oser nous l’avouer explicitement, plus juste et plus conforme au Bien la réaction du fils aîné que celle du père dans la parabole du fils prodigue.

Parce qu’au fond de nous-mêmes nous préférons anticiper une fin effroyable que de vivre dans un effroi sans fin. Parce que nous nous aimons tellement peu qu’il nous semble non seulement improbable mais même obscène que Dieu puisse nous aimer quand même. Quant à accepter réellement qu’il nous aime au point d’avoir accepté de mourir pour que nous vivions c’est tout bonnement scandaleux à vue humaine. : « scandale pour les juifs folie pour les grecs »(1 Corinthiens 1, 23).  C’est une pierre d’achoppement aujourd’hui encore pour nos frères musulmans.

Parce que nous nous faisons spontanément de Dieu l’image d’un super-despote éclairé et qu’à l’inverse nous sommes extrêmement désemparés face à un Dieu qui met sa toute-puissance dans son amour et accepte de se rendre vulnérable. Un tel Dieu nous prend à contre-pied, nous prend au dépourvu, dépasse notre entendement, renverse nos évidences et dépasse tout ce que nous aurions pu imaginer.

Difficile d’admettre un Dieu qui ne punit pas nécessairement les méchants et ne récompense pas nécessairement le juste ici bas. : « il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et il fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes » (Matthieu 5, 45).

Difficile d’admettre un Dieu qui refuse d’utiliser sa puissance pour se sauver lui-même : « Penses-tu que je ne puisse pas invoquer mon Père, qui me donnerait à l’instant plus de douze légions d’anges? » (Matthieu 26, 53).

2/ Le puritanisme est une invention du Diable

Cette tentation puritaine n’est pas nouvelle. Elle est même récurrente dans l’histoire de l’humanité et est toujours actuelle. Y compris au sein de l’Eglise.

La doctrine du jansénisme a peut-être disparu en tant que doctrine mais a empoisonné et continue encore d’empoisonner la vie de nombreux chrétiens en hantant leurs représentations et leurs inconscients. De ce point de vue les romans de l’écrivain anglais David Lodge sont très cruellement instructifs (je pense notamment à Jeux de maux).

La tentation du puritanisme est une tentation non seulement récurrente mais c’est la plus diabolique de toutes parce qu’elle détourne de Dieu non seulement ceux qui y cèdent mais, par réaction, ceux qui sont témoins de leurs comportements.

Cette tentation est diabolique parce qu’elle repose sur un triple blasphème.

Premier blasphème : usurper les prérogatives du juge suprême pour se condamner soi-même et l’humanité avec. C’est prétendre se faire prescripteur du Bien et du Mal. C’est le péché originel d’Adam et Eve. Vouloir goûter du fruit de l’arbre de la connaissance du Bien et du Mal. Contester les prérogatives de Dieu, lui disputer son rôle pour s’affranchir de lui.

Deuxième blasphème : le calomnier en lui attribuant la responsabilité de jugements qui sont les nôtres et non les siens. Lui attribuer la responsabilité de jugements marqués du sceau de notre propre péché alors que seuls ses jugements sont vrais et justes.

« Moi dit le Seigneur, je vois jusqu’au fond du cœur, je perce le secret des consciences. Ainsi je peux traiter chacun selon sa conduite et le résultat de ses actes » (Jérémie 17,9-10).

Troisième blasphème : l’idolâtrie. En nous façonnant un Dieu à notre image, un Dieu qui nous accuse pour soulager le poids de l’angoisse existentielle qui nous accable et qui nous refuse la dignité inaliénable que nous a conféré le vrai Dieu en nous créant à son image, nous commettons le péché d’idolâtrie.

Nous refusons Dieu tel qu’il est, à savoir un Dieu qui est amour : « Celui qui n’aime pas n’a pas connu Dieu, car Dieu est amour » (1, Jean 4,8). C’est ce manque de foi qui nous pousse à nous confectionner de toutes pièces un Dieu à notre mesure en adorant nos propres désirs c’est-à-dire à nous adorer nous-mêmes, fût-ce en nous enfermant dans le cercle vicieux de notre propre condamnation.

Une idolâtrie qui substitue un Dieu vengeur au Dieu d’amour, qui travestit l’Eternel en lui attribuant des turpitudes humaines.

Voltaire a fait un mot d’esprit célèbre en disant que si Dieu avait créé l’homme à son image, celui-ci le lui avait bien rendu depuis. Ce trait d’esprit est plus profond qu’il y paraît. La tentation de l’anthropomorphisme – se façonner un Dieu à l’image de l’homme – est en fait la tentation la plus sacrilège : celle de l’idolâtrie.

Une idolâtrie qui conduit l’homme à s’accuser lui-même et à refuser la main secourable que Dieu lui tend.

Une idolâtrie qui éloigne de Dieu les bonnes volontés tout en proclamant rester fidèle à la volonté de Dieu n’est-ce pas la marque de celui que la Bible appelle l’accusateur et qui en grec se dit diabolos ?

Le FN ou l’épouvantail providentiel des pharisiens contemporains

Les souverainistes parlent de la situation de la France, de ses maux et des remèdes à apporter à la souffrance de ses habitants. Leurs adversaires politiques et médiatiques préfèrent parler du FN, des turpitudes morales de ses dirigeants, de ses membres, de ses sympathisants et de ses électeurs. Ou ridiculiser François Asselineau. Ou encore organiser la coalition du silence autour des propos et des propositions Nicolas Dupont-Aignan ou encore de Jean-Frédéric Poisson.

Les souverainistes proposent une analyse politique (et donc économique) de la situation de la France qui, à ce titre, est discutable mais qui surtout appelle la discussion pour nourrir le débat démocratique devant précéder l’adoption de mesures politiques.

Leurs adversaires politiques et médiatiques préfèrent se cantonner à un discours relevant moins de la politique que de la démonologie et prennent une posture d’exorcistes. Pourquoi un tel refus du débat politique si ce n’est pour ne pas avoir à rendre de comptes sur les responsabilités qu’ils ont exercées pendant tant d’années ?

La coalition des partis de gouvernement est une réalité qu’ils ont eux-mêmes officialisée depuis les dernières élections régionales en pratiquant le désistement réciproque pour faire barrage au FN. Leur seul objectif n’est pas de nature politique mais électoral. C’est leur seul argument de campagne. Comment croire que ce n’est pas non plus leur seule ambition ?

Visiblement la perspective de voir de nouveaux venus, en l’occurrence de nouveaux élus, prendre des places de députés ou d’élus de la République suffit à les rendre fébriles alors qu’à l’inverse le sort de leurs compatriotes, qui dépend pourtant d’eux depuis des années, n’y parvient pas.

Qui les a vus trembler et s’agiter de la même manière sur les plateaux télévisés en évoquant les ravages du chômage, la montée de la délinquance, la fragilisation des familles en difficulté, le naufrage du système scolaire et les injustices sociales qui en découlent ou le développement ininterrompu de l’immigration illégale qui est pourtant la forme contemporaine de la traite humaine ?

Comment ne pas voir que les postures morales sont adoptées (front républicain) pour cacher des intérêts corporatistes qui n’ont rien à voir avec le bien du pays ?

Comment ne pas voir que les postures morales sont adoptées par des responsables politiques bien plus immoraux que ceux qu’ils dénoncent puisqu’ils bradent depuis des années le bien commun au profit de leur carrière ?

Car on ne peut pas à la fois se prétendre compétents et s’exonérer de ses responsabilités si la France va mal depuis tant d’années, c’est en grande partie à cause des décisions qui ont été prises et de celle qui n’ont pas été prises par ceux qui se sont succédé aux responsabilités depuis 40 ans.

Si vraiment le FN était le danger qu’ils décrivaient ils l’auraient interdit depuis des années lors d’un de leur passage à l’Elysée. Ils se sont bien gardés de le faire. Ils savent qu’il ne représente pas un danger mais au contraire un épouvantail bien commode en période pré-électorale pour noyer le(s) poisson(s) ?

Si l’origine idéologique du FN était vraiment le problème ils n’éprouveraient aucune difficulté à discuter avec les autres candidats souverainistes : ils s’en gardent bien, faute de pouvoir les anathématiser aussi facilement.

Heureusement pour eux qu’il reste au FN quelques militants issus de la première génération représentant ce qu’il a de plus honteux. Mais là encore c’et deux poids, deux mesures. Qui oserait reprocher les accointances des élus socialistes ou LR avec la grande délinquance organisée à Marseille ? Les protections accordées à des voyous en échange de services rendus est une constante dans l’histoire du PS (Gaston Defferre et les frères Guérini) comme à droite (le SAC pour les gaullistes). Deux poids, deux mesures.

Cela n’a jamais été invoqué pour constituer autour d’eux le moindre cordon sanitaire. Et pourtant c’est autrement plus dangereux pour la démocratie et les libertés publiques que quelques vieux révisionnistes qui n’exerceront jamais aucune influence ni morale, ni politique.

A l’inverse la dernière élue qui a commencé à vouloir dénoncer les arrangements entre la classe politique et la voyoucratie dans le sud-est l’a payé de sa vie : elle s’appelait Yann Piat et était un récent transfuge du FN. Mais ça personne ne le rappellera…

Ce n’est pas un hasard si la carte du vote souverainiste se confond avec celle des zones les plus pauvres et les plus frappées par les crises. Pas plus que ce n’est un hasard si leurs adversaires politiques, médiatiques et financiers sont localisés à Paris et dans les grandes villes mondialisées.

Ceux qui profitent de la situation ne veulent pas savoir ce que vivent les autres et, pour étouffer leur contestation, leur font la morale quand ils ne les ignorent pas purement et simplement. Heureusement que le FN leur fournit un repoussoir commode pour détourner le regard de la réalité.

Mais n’est pas là, précisément, ce que le Christ reprochait aux pharisiens ?

« Ils lient des fardeaux pesants, et les mettent sur les épaules des hommes, mais ils ne veulent pas les remuer du doigt ».
(Matthieu 23, 5)

Catholiques et musulmans : un rapprochement dicté par la nécessité ?

« Bon carême » m’a dit un jour avec un grand sourire une collègue musulmane visiblement ravie de découvrir qu’un Gaulois pouvait s’astreindre lui-aussi à ce qui ressemblait pour elle à un ramadan chrétien. « Bonne Pâque » m’a dit une autre un peu après qui, à défaut d’en connaître la signification, l’avait identifié comme l’équivalent de l’Aïd el Fitr, la fête de clôture du ramadan. Et quand elles ont découvert que je faisais le pèlerinage des maris et des pères de famille, là aussi ça leur a parlé !

Depuis cet épisode ces signes d’empathie se sont multipliés à chaque fois que, dans mon milieu professionnel, mes collègues découvrent que je suis catholique pratiquant et heureux de l’être.

Ces petits signes de connivence, discrets dans un univers professionnel hostile à toute expression du fait religieux et influencé par une conception de la laïcité dévoyée que promeuvent certaines loges sans concierge, sont révélateurs d’une recomposition des clivages au sein de notre société qui, pour être discrète n’en est pas moins irréversible. Comme la tectonique de plaques.

Face aux nihilistes et aux désespérés de la vie on trouvera le camp des croyants qui, malgré leurs différences confessionnelles, se sentiront davantage solidaires parce qu’ils se retrouveront confrontés à même climat d’hostilité au phénomène religieux et à la notion même de morale.

Cela ne signifie pas que le christianisme et l’islam soient des doctrines interchangeables ou qu’ils professent la même morale.

Mais les croyants des deux religions ont en commun de ne pas souscrire à une civilisation qui cantonne le domaine de la foi à une activité relevant purement de la sphère privée au même titre que l’équitation ou la philatélie.

Ce qui les réunit c’est la conviction ferme qu’il existe un Dieu qui est la vérité et que toute notre existence doit s’organiser en fonction de cette conviction. Ne serait-ce parce que l’existence que nous menons ici bas détermine celle que nous mènerons après notre mort.

De même ils croient qu’il existe une différence de nature entre le bien et le mal, que tout ne se vaut pas, que tout ne relève pas de l’opinion majoritaire – même exprimée dans les formes régulières et légales du suffrage universel – et que les comportements privés ont des conséquences sociales.

Un tel rapprochement n’est possible que parce que nous sommes un pays dont les racines sont chrétiennes et non-musulmanes. Il serait impossible et impensable au sein de sociétés majoritairement musulmanes.

Là-bas le droit positif comme les mentalités profondes sont marqués par la charia qui réserve aux non-musulmans un régime d’apartheid en les affublant d’un statut de citoyens de seconde classe appelé dhimmi.

Mais, paradoxalement, un tel rapprochement témoigne aussi de la déchristianisation profonde de notre pays. C’est parce que le nihilisme y est triomphant que des croyants de religions différentes s’y sentent marginalisés et minoritaires. C’est parce que la notion même de bien et de mal est remise en cause que certains prennent le maquis.

L’esprit religieux est par nature assez peu compatible avec le culte du court terme, de l’immédiat, de la pulsion et de la volonté de puissance. Celui qui aspire à se recueillir, ne cherche pas à s’éclater.

Celui qui aspire à mûrir avant de mourir et de renaître à la vie éternelle, ne cherche pas prioritairement à obtenir la satisfaction immédiate et inconditionnelle de ses pulsions. Celui qui cherche à vivre selon le plan de Dieu ne cherche pas à exalter sa volonté de puissance.

Le rapprochement que j’entrevois entre catholiques et musulmans est davantage une alliance contre un monde perçu comme inacceptable qu’un syncrétisme. Il se fera sur une base individuelle et non communautaire.

Il ne concernera que ceux qui cherchent à nourrir leur foi et à en vivre et non ceux qui, croyants sociologiques, se conforment à l’usage majoritaire du moment. Il se fera au nom de la conviction qu’on ne peut séparer les créatures de leur créateur.

Ce ne sera pas l’application de préceptes du Coran que la plupart des musulmans ne connaissent pas voire pas du tout, faute d’être capables de le lire. Et tant mieux car il existe fort heureusement beaucoup de musulmans qui valent mieux que le Coran.

Ce sera l’expression de la religiosité naturelle à l’être humain contre le déferlement de non-sens que nous impose une société de plus en plus nihiliste, la résistance de la conscience humaine contre ce qui contrefait l’homme.

C’est donc une occasion providentielle pour leur annoncer la Bonne nouvelle !

La tentation identitaire ou la tentation de l’idolâtrie

Le débat lancé par le livre d’Erwan Le Morhedec Identitaires : Le mauvais génie du christianisme, a pu surprendre un certain nombre de chrétiens et d’observateurs pour qui le mot même d’identitaire n’évoque rien de précis.

De fait la tendance identitaire est davantage présente sur les réseaux sociaux c’est-à-dire dans un univers encore largement parallèle au monde ecclésial et institutionnel classique. Certaines générations et certains milieux n’ont pas le réflexe de surfer sur Internet et les débats sur la tentation identitaire leur paraissent étranges et leur sont largement étrangers.

Pourtant la tentation identitaire décrite par Erwan Le Morhedec est loin d’être une chimère. C’est au contraire la résurgence d’une vieille tentation qui était celle de l’Action française : annexer la foi catholique et l’instrumentaliser au service d’ambitions politiques mondaines. C’était le fameux slogan « Politique d’abord ». D’où la condamnation de l’Action française par Rome et le tombereau d’insultes et de haines que les militants de l’Action française qui, déjà, se prétendaient plus catholiques que le pape ont déversé sur Pie XI.

La tentation identitaire est réelle mais pas nouvelle. Il s’agit de nier la volonté de Dieu, son projet de rédemption pour l’humanité et le salut apporté par Jésus Christ à tout homme pourvu qu’il accepte de convertir son cœur en profondeur pour que Dieu puisse, comme le disait le prophète Ezéchiel, remplacer les cœurs de pierre par des cœurs de chair (Ezéchiel 36, 25-26).

C’est une manière de remodeler Dieu à notre image et donc de lui substituer une idole. La tentation identitaire qui plane sur certains catholiques n’est pas autre chose que la bonne vieille tentation de l’idolâtrie qui travaillait déjà le peuple d’Israël et dont l’Ancien testament fournit tant d’exemples. Rien de nouveau sous le soleil donc.

Mais il est impossible de comprendre la résurgence d’une telle tendance aujourd’hui dans l’Eglise de France – car l’Eglise c’est l’ensemble des baptisés et pas seulement le clergé – si l’on ne tient pas compte de la déchéance de l’autorité morale et spirituelle de l’épiscopat français depuis les années 1970.

La responsabilité de l’épiscopat dans la dérive identitaire

La perte de confiance du peuple catholique dans ses pasteurs date en effet des années 1970 et la fracture n’a jamais été résorbée depuis. Au cours de ces années l’épiscopat et le clergé français avaient pris prétexte de Vatican II pour justifier leurs propres fantaisies (pastorales théologiques, liturgiques et morales) et in fine leur propre apostasie. Depuis, et sous l’influence de Jean-Paul II notamment, l’épiscopat français est revenu dans les clous mais ce dernier n’a jamais reconquis depuis la confiance qu’il avait perdue. Les bergers ont perdu la confiance de leur troupeau.

Certes tout le clergé et tout l’épiscopat français n’ont pas dérapé dans les années 1970 mais une bonne partie. Pas tous heureusement. Mgr Maxime Charles à la Basilique du Sacré Cœur de Montmartre a formé, entre autres, Jean-Marie Lustiger et le père Gitton. Il a surtout œuvré pour la formation spirituelle des laïcs (adoration du saint sacrement, étude théologique et biblique) afin de les rendre adultes spirituellement… et donc les vacciner contre les mauvais pasteurs.

Mais il leur a aussi confié la responsabilité de la revue Résurrection. C’est à son école qu’a été formée l’équipe française de Communio : Rémi Brague, Jean-Luc Marion, Jean Duchesne, le père Jean-Robert Armogathe, le cardinal Philippe Barbarin etc. Il travaillait en bonne intelligence avec le père Louis Bouyer et était dans la droite ligne de Karol Wojtyla et Joseph Ratzinger.

Il avait pourtant l’habitude de dire : « Dans le domaine politique les évêques français ont reçu une grâce spéciale, une sorte d’infaillibilité qui impose aux laïcs de devoir toujours prendre très au sérieux leurs déclarations et leurs prises de position…car c’est toujours le contraire de ce qu’ils préconisent qui est vrai ».

Des notables plutôt que des pasteurs

La pusillanimité de l’épiscopat est à l’origine de sa démission. Partout où l’on attendrait que les successeurs des apôtres désignés pour être les pasteurs du troupeau soient à l’avant-garde du témoignage et des exemples de courage on les retrouve aux abonnés absents.

Toujours dans le sens du vent, jamais à contre-courant, en décalage permanent avec les attentes et les besoins du peuple chrétien la plupart de nos évêques ont des réflexes de notables plutôt que de pasteurs. Pire, ils maltraitent les prêtres qui agissent en vrais pasteurs : quand on pense que le père Michel-Marie Zanotti-Sorkine a été refusé à la Chapelle de la rue du Bac, officiellement parce que l’engouement que suscitait sa venue a « inquiété » en haut-lieu…. Bien sûr on pourra opposer quelques exemples d’évêques courageux. Bien sûr il y avait Jean-Marie Lustiger, bien sûr il y a encore Philippe Barbarin, Dominique Rey ou Jean-Pierre Cattenoz. Bien sûr il existe des poissons volants mais, objectivement, ce n’est pas la majorité de l’espèce !

Cette lâcheté molle explique qu’ils limitent leurs discours à l’accueil de l’immigré musulman tout en s’abstenant de lui proposer l’évangile et la Bonne nouvelle. L’évangélisation de nos frères musulmans est le fait d’initiatives isolées (la communauté Eïn Karem, Anuncio) mais ne fait pas partie de la priorité de l’épiscopat. De même la défense de la vie est le combat d’Alliance Vita ou de la Fondation Jérôme Lejeune.

Mais le pire c’est sans doute le refus obstiné de dénoncer les méfaits du capitalisme et de l’exploitation de l’homme par l’homme au nom du dieu Argent dès lors que ces méfaits sont organisés par et dans le cadre de l’Union européenne. L’explication, inavouée et inavouable, est pourtant simple : la Communauté européenne a initialement été créée par des chrétiens authentiques (Alcide de Gasperi ou Robert Schuman) et nos évêques ont toujours encensé la construction européenne quelle qu’en aient été  l’orientation et l’évolution. La peur de se dédire pèse plus lourd que l’option préférentielle pour les pauvres quand il s’agit de l’Europe….

Conséquence logique de cette désertion des pasteurs, le troupeau perd confiance, se disperse ou se rebelle. La tentation identitaire relève de la rébellion contre ceux qui disent mais ne font pas et qui décrédibilisent ainsi tout ce qui sort de leur bouche.

Or, c’est là le drame car ce qu’ils doivent transmettre ce n’est ni plus ni moins que la Parole de Dieu.

La tentation identitaire : faire la volonté de Dieu, que Dieu le veuille ou pas.

Tout croyant est en effet exposé en permanence au risque de réduire Dieu et sa parole à ce qu’il en comprend, à ce qu’il croit en comprendre et surtout à ce qu’il veut en comprendre. Entre l’autosuggestion et le mensonge délibéré la frontière est souvent floue. C’est là que resurgit la tentation identitaire.

Aucun d’entre nous ne veut spontanément entendre que la foi chrétienne est la foi en un Dieu tout-puissant qui a décidé d’avoir besoin de nous pour réaliser le salut de l’humanité.

Tous nous lui préférerions un Dieu musulman qui nous commanderait d’utiliser la force que nous avons spontanément envie d’utiliser.

Tous nous regrettons au fond de nous-mêmes de ne pouvoir exalter notre propre volonté de puissance, sous couvert de faire la volonté de Dieu.

Tous nous préférerions spontanément que la volonté de Dieu se glisse dans le moule de l’identité nationale que nous avons héritée de l’histoire et qu’elle s’identifie à la somme des habitudes de nos familles et de nos milieux. Tous nous préférerions dire à Dieu « que notre volonté soit faite » plutôt que « ta volonté soit faite ».

Tous, moi y compris, préférerions enrôler Dieu derrière notre bannière à l’image de la Wehrmacht qui avait fait graver sur la boucle de ceinturon de ses soldats : « Gott mit uns » (« Dieu avec nous »).

Spontanément je partage cette aspiration et je la comprends puisque je l’éprouve.

Mais c’est également pour cette raison que je peux confesser qu’il s’agit d’une tentation et que, comme toute tentation, elle doit être combattue.

Parce que c’est une tentation c’est une trahison de la volonté de Dieu telle qu’elle nous est révélée dans la Bible et surtout dans la personne de Jésus Christ qui est Dieu fait homme. Nul homme ne peut décemment le contester à moins de se prendre pour Dieu et/ou de contester que Jésus Christ soit vrai homme et vrai Dieu. Ces considérations théologiques sont souvent très étrangères aux identitaires mais si ces considérations leur sont étrangères c’est parce qu’au fond ils n’en ont rien à faire.

Notre fidélité au Christ est toujours partielle et n’est jamais acquise. La conversion de notre cœur est à la fois une activité à plein temps et une activité de chaque instant puisque nous sommes soumis en permanence à la force d’attraction terrestre du Prince de ce monde et que la lutte pour s’arracher définitivement de son orbite ne prendra fin qu’à la dernière seconde de notre dernière heure. Quand on cherche à convertir au Christ son cœur, sa volonté et son esprit, on découvre ce qu’est le mouvement perpétuel…

L’amour du prochain n’est pas la solidarité ethnique

Il est parfaitement légitime de vouloir restreindre la pompe aspirante de l’immigration dans un pays comme la France qui ne parvient déjà plus à garantir la sécurité de son territoire et la prospérité de son peuple. L’immigration de masse n’est pas un phénomène spontané : c’est parfois une arme géopolitique et le plus souvent un phénomène organisé au bénéfice d’un petit nombre d’intérêts économiques. C’est un phénomène organisé mais pas en vue du bien commun. Tarir les flux est une opération de charité universelle tant pour les immigrés que pour les Français. Pour cela il faut réhabiliter l’Etat et ses prérogatives régaliennes.

Tarir le flux est une chose mais que fait-on du stock ? Que faire de tous ces immigrés qui vivent et travaillent déjà chez nous ? Que faire de ces réfugiés qui ne peuvent pas rentrer chez eux sous peine de se faire massacrer ou exploiter ?

Certains identitaires, que l’on n’avait jamais entendus sur les questions de pauvreté et de précarité sociale, se sont récemment signalés médiatiquement en versant des larmes de crocodiles sur le sort de SDF français négligés au profit de réfugiés de fraîche date.

Mais la comparaison est fausse parce que faussée et donc mensongère. Le problème des SDF est beaucoup plus complexe qu’un problème de logement. Le problème est plus profond : il s’agit de gens tellement désocialisés qu’ils ont perdu le contact même avec leurs familles. Ce n’est pas des associations ou, pire encore, des administrations qui ont les moyens de résoudre en profondeur de tels drames humains. A l’inverse aider matériellement des familles est davantage à leur portée. La tentative de mise en concurrence des SDF et des familles de réfugiés vise à comparer deux réalités qui ne sont pas comparables.

Mais surtout elle trahit une conception faussement chrétienne et vraiment païenne de la solidarité car aimer son prochain c’est aimer celui qui est nous est proche, pas celui dont on se sent proche. C’est choisir de chercher à aimer celui que l’Esprit saint a placé sur notre chemin, pas suivre nos affinités électives.

« Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense méritez-vous? Les publicains aussi n’agissent-ils pas de même? Et si vous saluez seulement vos frères, que faites-vous d’extraordinaire? Les païens aussi n’agissent-ils pas de même? » (Matthieu 5, 46)

Aimer son prochain c’est aimer celui que Dieu a placé sur notre chemin, pas celui qu’on aurait spontanément choisi.

Aimer son prochain comme Dieu nous aime, c’est aimer autrui non parce qu’il le mérite – je ne mérite pas l’amour de Dieu – mais aimer l’autre parce qu’il en a besoin.

Aimer comme Dieu aime c’est prendre l’initiative d’aimer.

Sinon il ne s’agit pas de l’amour de Dieu mais de nos propres affinités et nous n’agissons pas conformément à la volonté de Dieu mais conformément à la nôtre. Dans la prière du Notre Père que le Christ nous a apprise on dit au Seigneur « que ta volonté soit faite »et non pas « que ma volonté soit faite ».

Tel est le cœur de la foi chrétienne : un Dieu d’amour qui par amour a accepté de se faire crucifier pour nous et pour nous sauver. Il s’appelle Jésus Christ et les chrétiens n’en ont pas d’autres.

« Nous, nous prêchons Christ crucifié; scandale pour les Juifs et folie pour les païens, mais puissance de Dieu et sagesse de Dieu pour ceux qui sont appelés, tant Juifs que Grecs » (1 Corinthiens 1, 23-24)

On comprend que les identitaires païens comme Alain de Benoist s’adressent aux chrétiens qu’ils veulent rallier en commençant par leur dire : « Mettons de côté ce qui nous sépare ».

Le Christ est notre seule identité

Il est absolument vital pour annoncer l’évangile à nos compatriotes et à nos contemporains de ne pas assimiler la société française actuelle au christianisme.

C’est pour cela qu’il est non seulement faux de soutenir que la France est une terre chrétienne alors que 90% de la population est composé d’athées, d’agnostiques ou de musulmans mais il est encore plus faux de soutenir que nos mœurs sont chrétiennes.

Les mœurs françaises contemporaines reposent sur un déni de réalité et donc un mensonge : la négation du péché originel. Cela consiste à ne pas vouloir admettre que le mal jaillit d’abord du cœur de l’homme et que c’est seulement ensuite qu’il se matérialise sous la forme de l’exploitation de l’homme par l’homme, de l’égoïsme consumériste, de l’exploitation sexuelle des femmes et des enfants, du trafic des migrants, de la mise à mort des plus faibles (enfants à naître, personnes âgées), de la marchandisation du corps des plus pauvres (trafic d’organes, GPA-PMA), du saccage de l’environnement et du cadre de vie de nos descendants pour la jouissance de quelques-uns. Ce refus d’admettre la rélité du péché originel est un déni de réalité également partagé par les post-modernes et par les identitaires.

La vérité c’est que nos mœurs collectives ne sont pas chrétiennes parce qu’elles sont marquées du sceau du péché à l’échelle individuelle et collective. Pour que la France change de mœurs il faut qu’un maximum de Français change leurs cœurs pour tarir la source du mal.

Pour cela il faut se convertir au Christ : accueillir son amour, confesser nos péchés et marcher à sa suite en obéissant à son commandement d’amour avec la certitude qu’en cherchant d’abord le royaume et la justice de Dieu tous les biens que nous pouvons espérer ici bas nous serons donnés de surcroît (Matthieu 6, 33).

Or, en soutenant que la France est encore chrétienne, les identitaires signifient implicitement qu’il est inutile d’évangéliser la majorité des Français qui ne sont pas chrétiens et d’appeler à la conversion la petite minorité de ceux qui sont censés l’être.

Dans le livre-entretien intitulé Le sel de la terre, le cardinal Joseph Ratzinger expliquait au journaliste qui l’interrogeait que le temps d’une chrétienté où l’Eglise était l’épicentre de la société européenne était définitivement révolu et que l’avenir du christianisme en Europe passerait de plus en plus par des foyers spirituels à fort rayonnement situés dans les grandes villes…comme il en était au début du christianisme.

En ce sens il prédisait un retour aux sources et un appel à la réévangélisation de l’Europe. Un peu à l’image de ces moins irlandais qui, fraîchement convertis par saint Patrick, se sont répandus dans toute l’Europe continentale pour réévangéliser un continent entièrement ravagé par l’arianisme.

Au fond c’est normal puisque le Christ est notre seule identité, lui qui est « la voie, la vérité et la vie »(Jean 14, 6).

Selon quels critères voter ?

Actuellement, aux Etats-Unis comme en France les campagnes électorales ont davantage tendance à semer la confusion dans l’esprit des électeurs indécis qu’à les éclairer.

Au jeu des petites phrases, de la communication, du story telling, de la diabolisation de l’adversaire et des promesses qui n’engagent que ceux qui les croient les citoyens qui n’ont pas encore cédé aux démons de l’abstention sont le plus souvent désorientés.

Certes, on n’a pas souvent le choix de voter pour un candidat dans lequel on croit vraiment et on se rabat souvent sur le moindre mal : après tout la politique n’est-elle pas l’art du possible ?

Mais là encore,l’électeur déboussolé que je suis est perplexe. Quand je discute avec des amis par ailleurs aussi sincères et instruits que moi, nous aboutissons à des conclusions souvent très éloignées : le moindre mal de l’un est rarement le moindre mal de l’autre.

1/ Le vote, une question de confiance plus que d’expertise

Pourtant l’élection présidentielle est moins le choix d’un programme – qui ne sera jamais de toute manière et dans le meilleur des cas que partiellement appliqué – que le choix d’un homme ou d’une femme auquel ou à laquelle on décide d’accorder sa confiance.

D’abord parce qu’on n’a pas toutes les compétences requises pour juger de la pertinence de tous les articles de son programme : il faudrait réunir des compétences que même aucun candidat ne réunit à lui seul et que seule une équipe de spécialistes particulièrement affûtés est susceptible d’avoir. Tout ce que l’on peut espérer c’est que le ou la futur(e) élu(e) connaisse les enjeux, leurs tenants et leurs aboutissants ainsi que ce qu’impliquent et ce que présupposent les décisions politiques à prendre.

Ensuite parce que dans le domaine politique comme dans la vie en générale tout se résume in fine à une question de confiance c’est-à-dire de foi : à un moment on décide d’accorder ou de refuser sa confiance à son médecin, à son potentiel conjoint, à son employeur, à son employé et à Dieu lui-même : on décide non pas seulement de croire qu’Il existe mais de croire ce qu’Il me dit…ou pas.

Le choix d’un candidat c’est LA question de confiance. Oui mais on ne fait pas confiance à l’aveugle. Alors selon quels critères accorder sa confiance ?

2/ Ne pas accorder sa confiance au hasard

Les recommandations de mes proches reflètent souvent celles de mon milieu d’origine avec tout ce que cela comporte de représentations et d’idées arbitraires et de préjugés plus ou moins conscients. Pour la même raison prendre systématiquement le contrepied de mon milieu d’origine n’est pas moins arbitraire. Il faut exercer son discernement.

Certes mais sur quels fondements ? Dans ce domaine les recommandations de l’épiscopat français sont tellement vagues qu’elles sont nulles au sens premier du terme : elles sont nulles et non avenues parce qu’elles ne proposent rien de concret et de clair. Par peur de se fâcher avec une partie de leurs ouailles ? Par peur de voir la foi catholique instrumentalisée au service de causes et d’ambitions mondaines ? Parce que notre épiscopat n’y voit pas plus clair que le reste de la société ?
Quelle que soit la réponse que l’on donne à cette question le constat s’impose à moi : je ne peux pas compter sur l’épiscopat pour éclairer mon choix.

C’est pourquoi je me suis interrogé sur les critères qui me permettraient de propose de déterminer mon choix et j’en ai trouvé trois. Je ne sais ce qu’ils valent mais je les mets au pot commun en me disant que dans le pire des cas ils ne serviront à rien et n’éclaireront personne – et que ça me mettra au moins au même niveau que les journalistes politiques – et que dans le meilleur des cas cela servira peut-être à quelque chose.

3/ Quel est son programme ?

La question est moins de savoir les promesses qu’il fait ou ses déclarations d’intention que la philosophie qui sous-tend et que sous-entend sa vision du monde, qui détermine ses priorités et qui définit sa méthode.

Cette question est essentielle et pourtant elle n’est jamais clairement assumée. Elle porte en effet sur la question du bien commun ? Aborder la question revient à poser au candidat la question suivante : “Avez-vous une conception du bien commun” ?

Considère-t-il qu’il existe des objectifs à atteindre qui soient bons en eux-mêmes ou considère-t-il que le bien se définit exclusivement de manière négative en laissant les uns et les autres interagir dans le cadre de la loi positive ?

Considère-t-il avoir la responsabilité prioritaire du bien de son pays ou considère-t-il qu’il est comptable de ses actes à la communauté internationale prioritairement ? Fait-il une différence entre ce qui est moral et ce qui est légal ou bien le respect de la loi et du droit se confond-il pour lui avec le bien ?

Sa conception du bien commun est-elle celle d’un bien commun concret et effectif ou le respect de principes abstraits ?

Tient-il compte des besoins spécifiques et des aspirations de son peuple ou bien considère-t-il que le peuple ne sait pas ce qui est bon pour lui et qu’il a pour mission de lui imposer ce qu’il estime être bon ?

Quand le peuple s’exprime par référendum, respecte-t-il son choix au nom de la souveraineté du peuple et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ?

4/ Quel est son bilan ?

La plupart des candidats et des candidates ne sont pas des novices. Ils ont exercé des responsabilités politiques locales et le plus souvent nationales.

Le candidat pour lequel on envisage de voter a-t-il fait un bilan critique de son action politique passée ? A-t-il reconnu ses fautes éventuelles et ses responsabilités ? A-t-il fait un retour d’expérience comme on dit chez les militaires pour tirer les erreurs à ne plus reproduire à l’avenir ? Cet examen critique porte-t-il uniquement sur des choix tactiques ou sur sa conception des fins et des moyens ?

Les réussites qu’il revendique les attribue-t-il à ses propres mérites ou admet-il aussi avoir bénéficié d’une conjoncture favorable ? A l’inverse quand il a échoué ou renoncé en imputent-il systématiquement la responsabilité à des circonstances extérieures défavorables ?

S’il dénonce l’immobilisme des quarante dernières années, la déliquescence de l’Etat et la décrédibilisation de la classe politique que dit-il du rôle qu’il a joué pendant cette période ? Fournit-il des raisons de croire qu’il a changé depuis et qu’il ferai cette dois-ci  ce qu’il n’avait pas fait précédemment ?

S’il a fait hier des promesses qu’il n’avait pas les moyens de tenir, existe-il aujourd’hui des raisons concrètes – c’est-à-dire vérifiables – de penser que désormais il aurait les moyens et la volonté d’appliquer les mesures qu’il préconise ?

Ces mesures sont elles cohérentes ou contradictoires avec celles qu’ils préconisaient précédemment ? Incrimine-t-il le manque d’expérience de ses adversaires politiques pour contester la légitimité de leur candidature ?

5/ Quels sont ses soutiens ?

La question est d’une simplicité biblique : quels sont les groupes intérêts qui le soutiennent et qui, s’il est élu, exigeront un ou des renvois d’ascenseur ?

Il peut s’agir de son propre parti et des partis coalisés avec lui pour le faire gagner qui, en cas de victoire, réclameront leur dû sous forme de maroquins ministériels et/ou d’infléchissements politiques et idéologiques.

Il peut s’agir du soutien financier et médiatique de grands groupes qui considéreront leur soutien, discret mais d’autant plus efficace, comme un investissement et dont ils attendront naturellement un retour sur investissement.

Il peut s’agir de clientèles qui monnayent leur soutien électoral en l’échange du maintien d’équilibres fiscaux qui les exonèrent de charges communes ou qui leur garantit des privilèges que rien ne justifie au regard du bien commun.

Il peut s’agir de puissances étrangères qui financent le parti, les campagnes voire le train de vie du candidat – c’est parfois la triste réalité – et qui en fait dans une certaine mesure ce que la rhétorique communiste appelait “un agent stipendié de l’étranger”. Cela détermine les choix diplomatiques et géostratégiques mais aussi les choix de politique intérieure. Ces choix sont souvent davantage des choix implicites – donc non soumis au débat public et au vote – que des choix explicites.

Cette dernière question est très importante car elle explique en partie que certaines décisions traversent les clivages politiques apparents au mépris des choix exprimés par les électeurs dont les élus ne sont pourtant que les mandants..

Le poids des lobbies, les intérêts catégoriels et les acteurs non-officiels font de nos candidats des victimes consentantes de groupes de pression qu’il faut avoir préalablement identifier pour pouvoir évaluer la marge de manœuvre qui sera la leur en cas de victoire électorale.

Car si, même en les créditant d’une totale bonne foi et de la meilleure volonté du monde, ils n’ont pas les moyens de viser le bien commun au nom duquel ils sollicitent nos voix alors mieux vaut voter blanc et exprimer ainsi un désaveu qui est le dernier argument auquel ils restent sensibles.

Comme l’écrivait Bossuet : « Dieu se rit des créatures qui déplorent les effets dont elles chérissent les causes. »