Le débat lancé par le livre d’Erwan Le Morhedec Identitaires : Le mauvais génie du christianisme, a pu surprendre un certain nombre de chrétiens et d’observateurs pour qui le mot même d’identitaire n’évoque rien de précis.
De fait la tendance identitaire est davantage présente sur les réseaux sociaux c’est-à-dire dans un univers encore largement parallèle au monde ecclésial et institutionnel classique. Certaines générations et certains milieux n’ont pas le réflexe de surfer sur Internet et les débats sur la tentation identitaire leur paraissent étranges et leur sont largement étrangers.
Pourtant la tentation identitaire décrite par Erwan Le Morhedec est loin d’être une chimère. C’est au contraire la résurgence d’une vieille tentation qui était celle de l’Action française : annexer la foi catholique et l’instrumentaliser au service d’ambitions politiques mondaines. C’était le fameux slogan « Politique d’abord ». D’où la condamnation de l’Action française par Rome et le tombereau d’insultes et de haines que les militants de l’Action française qui, déjà, se prétendaient plus catholiques que le pape ont déversé sur Pie XI.
La tentation identitaire est réelle mais pas nouvelle. Il s’agit de nier la volonté de Dieu, son projet de rédemption pour l’humanité et le salut apporté par Jésus Christ à tout homme pourvu qu’il accepte de convertir son cœur en profondeur pour que Dieu puisse, comme le disait le prophète Ezéchiel, remplacer les cœurs de pierre par des cœurs de chair (Ezéchiel 36, 25-26).
C’est une manière de remodeler Dieu à notre image et donc de lui substituer une idole. La tentation identitaire qui plane sur certains catholiques n’est pas autre chose que la bonne vieille tentation de l’idolâtrie qui travaillait déjà le peuple d’Israël et dont l’Ancien testament fournit tant d’exemples. Rien de nouveau sous le soleil donc.
Mais il est impossible de comprendre la résurgence d’une telle tendance aujourd’hui dans l’Eglise de France – car l’Eglise c’est l’ensemble des baptisés et pas seulement le clergé – si l’on ne tient pas compte de la déchéance de l’autorité morale et spirituelle de l’épiscopat français depuis les années 1970.
La responsabilité de l’épiscopat dans la dérive identitaire
La perte de confiance du peuple catholique dans ses pasteurs date en effet des années 1970 et la fracture n’a jamais été résorbée depuis. Au cours de ces années l’épiscopat et le clergé français avaient pris prétexte de Vatican II pour justifier leurs propres fantaisies (pastorales théologiques, liturgiques et morales) et in fine leur propre apostasie. Depuis, et sous l’influence de Jean-Paul II notamment, l’épiscopat français est revenu dans les clous mais ce dernier n’a jamais reconquis depuis la confiance qu’il avait perdue. Les bergers ont perdu la confiance de leur troupeau.
Certes tout le clergé et tout l’épiscopat français n’ont pas dérapé dans les années 1970 mais une bonne partie. Pas tous heureusement. Mgr Maxime Charles à la Basilique du Sacré Cœur de Montmartre a formé, entre autres, Jean-Marie Lustiger et le père Gitton. Il a surtout œuvré pour la formation spirituelle des laïcs (adoration du saint sacrement, étude théologique et biblique) afin de les rendre adultes spirituellement… et donc les vacciner contre les mauvais pasteurs.
Mais il leur a aussi confié la responsabilité de la revue Résurrection. C’est à son école qu’a été formée l’équipe française de Communio : Rémi Brague, Jean-Luc Marion, Jean Duchesne, le père Jean-Robert Armogathe, le cardinal Philippe Barbarin etc. Il travaillait en bonne intelligence avec le père Louis Bouyer et était dans la droite ligne de Karol Wojtyla et Joseph Ratzinger.
Il avait pourtant l’habitude de dire : « Dans le domaine politique les évêques français ont reçu une grâce spéciale, une sorte d’infaillibilité qui impose aux laïcs de devoir toujours prendre très au sérieux leurs déclarations et leurs prises de position…car c’est toujours le contraire de ce qu’ils préconisent qui est vrai ».
Des notables plutôt que des pasteurs
La pusillanimité de l’épiscopat est à l’origine de sa démission. Partout où l’on attendrait que les successeurs des apôtres désignés pour être les pasteurs du troupeau soient à l’avant-garde du témoignage et des exemples de courage on les retrouve aux abonnés absents.
Toujours dans le sens du vent, jamais à contre-courant, en décalage permanent avec les attentes et les besoins du peuple chrétien la plupart de nos évêques ont des réflexes de notables plutôt que de pasteurs. Pire, ils maltraitent les prêtres qui agissent en vrais pasteurs : quand on pense que le père Michel-Marie Zanotti-Sorkine a été refusé à la Chapelle de la rue du Bac, officiellement parce que l’engouement que suscitait sa venue a « inquiété » en haut-lieu…. Bien sûr on pourra opposer quelques exemples d’évêques courageux. Bien sûr il y avait Jean-Marie Lustiger, bien sûr il y a encore Philippe Barbarin, Dominique Rey ou Jean-Pierre Cattenoz. Bien sûr il existe des poissons volants mais, objectivement, ce n’est pas la majorité de l’espèce !
Cette lâcheté molle explique qu’ils limitent leurs discours à l’accueil de l’immigré musulman tout en s’abstenant de lui proposer l’évangile et la Bonne nouvelle. L’évangélisation de nos frères musulmans est le fait d’initiatives isolées (la communauté Eïn Karem, Anuncio) mais ne fait pas partie de la priorité de l’épiscopat. De même la défense de la vie est le combat d’Alliance Vita ou de la Fondation Jérôme Lejeune.
Mais le pire c’est sans doute le refus obstiné de dénoncer les méfaits du capitalisme et de l’exploitation de l’homme par l’homme au nom du dieu Argent dès lors que ces méfaits sont organisés par et dans le cadre de l’Union européenne. L’explication, inavouée et inavouable, est pourtant simple : la Communauté européenne a initialement été créée par des chrétiens authentiques (Alcide de Gasperi ou Robert Schuman) et nos évêques ont toujours encensé la construction européenne quelle qu’en aient été l’orientation et l’évolution. La peur de se dédire pèse plus lourd que l’option préférentielle pour les pauvres quand il s’agit de l’Europe….
Conséquence logique de cette désertion des pasteurs, le troupeau perd confiance, se disperse ou se rebelle. La tentation identitaire relève de la rébellion contre ceux qui disent mais ne font pas et qui décrédibilisent ainsi tout ce qui sort de leur bouche.
Or, c’est là le drame car ce qu’ils doivent transmettre ce n’est ni plus ni moins que la Parole de Dieu.
La tentation identitaire : faire la volonté de Dieu, que Dieu le veuille ou pas.
Tout croyant est en effet exposé en permanence au risque de réduire Dieu et sa parole à ce qu’il en comprend, à ce qu’il croit en comprendre et surtout à ce qu’il veut en comprendre. Entre l’autosuggestion et le mensonge délibéré la frontière est souvent floue. C’est là que resurgit la tentation identitaire.
Aucun d’entre nous ne veut spontanément entendre que la foi chrétienne est la foi en un Dieu tout-puissant qui a décidé d’avoir besoin de nous pour réaliser le salut de l’humanité.
Tous nous lui préférerions un Dieu musulman qui nous commanderait d’utiliser la force que nous avons spontanément envie d’utiliser.
Tous nous regrettons au fond de nous-mêmes de ne pouvoir exalter notre propre volonté de puissance, sous couvert de faire la volonté de Dieu.
Tous nous préférerions spontanément que la volonté de Dieu se glisse dans le moule de l’identité nationale que nous avons héritée de l’histoire et qu’elle s’identifie à la somme des habitudes de nos familles et de nos milieux. Tous nous préférerions dire à Dieu « que notre volonté soit faite » plutôt que « ta volonté soit faite ».
Tous, moi y compris, préférerions enrôler Dieu derrière notre bannière à l’image de la Wehrmacht qui avait fait graver sur la boucle de ceinturon de ses soldats : « Gott mit uns » (« Dieu avec nous »).
Spontanément je partage cette aspiration et je la comprends puisque je l’éprouve.
Mais c’est également pour cette raison que je peux confesser qu’il s’agit d’une tentation et que, comme toute tentation, elle doit être combattue.
Parce que c’est une tentation c’est une trahison de la volonté de Dieu telle qu’elle nous est révélée dans la Bible et surtout dans la personne de Jésus Christ qui est Dieu fait homme. Nul homme ne peut décemment le contester à moins de se prendre pour Dieu et/ou de contester que Jésus Christ soit vrai homme et vrai Dieu. Ces considérations théologiques sont souvent très étrangères aux identitaires mais si ces considérations leur sont étrangères c’est parce qu’au fond ils n’en ont rien à faire.
Notre fidélité au Christ est toujours partielle et n’est jamais acquise. La conversion de notre cœur est à la fois une activité à plein temps et une activité de chaque instant puisque nous sommes soumis en permanence à la force d’attraction terrestre du Prince de ce monde et que la lutte pour s’arracher définitivement de son orbite ne prendra fin qu’à la dernière seconde de notre dernière heure. Quand on cherche à convertir au Christ son cœur, sa volonté et son esprit, on découvre ce qu’est le mouvement perpétuel…
L’amour du prochain n’est pas la solidarité ethnique
Il est parfaitement légitime de vouloir restreindre la pompe aspirante de l’immigration dans un pays comme la France qui ne parvient déjà plus à garantir la sécurité de son territoire et la prospérité de son peuple. L’immigration de masse n’est pas un phénomène spontané : c’est parfois une arme géopolitique et le plus souvent un phénomène organisé au bénéfice d’un petit nombre d’intérêts économiques. C’est un phénomène organisé mais pas en vue du bien commun. Tarir les flux est une opération de charité universelle tant pour les immigrés que pour les Français. Pour cela il faut réhabiliter l’Etat et ses prérogatives régaliennes.
Tarir le flux est une chose mais que fait-on du stock ? Que faire de tous ces immigrés qui vivent et travaillent déjà chez nous ? Que faire de ces réfugiés qui ne peuvent pas rentrer chez eux sous peine de se faire massacrer ou exploiter ?
Certains identitaires, que l’on n’avait jamais entendus sur les questions de pauvreté et de précarité sociale, se sont récemment signalés médiatiquement en versant des larmes de crocodiles sur le sort de SDF français négligés au profit de réfugiés de fraîche date.
Mais la comparaison est fausse parce que faussée et donc mensongère. Le problème des SDF est beaucoup plus complexe qu’un problème de logement. Le problème est plus profond : il s’agit de gens tellement désocialisés qu’ils ont perdu le contact même avec leurs familles. Ce n’est pas des associations ou, pire encore, des administrations qui ont les moyens de résoudre en profondeur de tels drames humains. A l’inverse aider matériellement des familles est davantage à leur portée. La tentative de mise en concurrence des SDF et des familles de réfugiés vise à comparer deux réalités qui ne sont pas comparables.
Mais surtout elle trahit une conception faussement chrétienne et vraiment païenne de la solidarité car aimer son prochain c’est aimer celui qui est nous est proche, pas celui dont on se sent proche. C’est choisir de chercher à aimer celui que l’Esprit saint a placé sur notre chemin, pas suivre nos affinités électives.
« Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense méritez-vous? Les publicains aussi n’agissent-ils pas de même? Et si vous saluez seulement vos frères, que faites-vous d’extraordinaire? Les païens aussi n’agissent-ils pas de même? » (Matthieu 5, 46)
Aimer son prochain c’est aimer celui que Dieu a placé sur notre chemin, pas celui qu’on aurait spontanément choisi.
Aimer son prochain comme Dieu nous aime, c’est aimer autrui non parce qu’il le mérite – je ne mérite pas l’amour de Dieu – mais aimer l’autre parce qu’il en a besoin.
Aimer comme Dieu aime c’est prendre l’initiative d’aimer.
Sinon il ne s’agit pas de l’amour de Dieu mais de nos propres affinités et nous n’agissons pas conformément à la volonté de Dieu mais conformément à la nôtre. Dans la prière du Notre Père que le Christ nous a apprise on dit au Seigneur « que ta volonté soit faite »et non pas « que ma volonté soit faite ».
Tel est le cœur de la foi chrétienne : un Dieu d’amour qui par amour a accepté de se faire crucifier pour nous et pour nous sauver. Il s’appelle Jésus Christ et les chrétiens n’en ont pas d’autres.
« Nous, nous prêchons Christ crucifié; scandale pour les Juifs et folie pour les païens, mais puissance de Dieu et sagesse de Dieu pour ceux qui sont appelés, tant Juifs que Grecs » (1 Corinthiens 1, 23-24)
On comprend que les identitaires païens comme Alain de Benoist s’adressent aux chrétiens qu’ils veulent rallier en commençant par leur dire : « Mettons de côté ce qui nous sépare ».
Le Christ est notre seule identité
Il est absolument vital pour annoncer l’évangile à nos compatriotes et à nos contemporains de ne pas assimiler la société française actuelle au christianisme.
C’est pour cela qu’il est non seulement faux de soutenir que la France est une terre chrétienne alors que 90% de la population est composé d’athées, d’agnostiques ou de musulmans mais il est encore plus faux de soutenir que nos mœurs sont chrétiennes.
Les mœurs françaises contemporaines reposent sur un déni de réalité et donc un mensonge : la négation du péché originel. Cela consiste à ne pas vouloir admettre que le mal jaillit d’abord du cœur de l’homme et que c’est seulement ensuite qu’il se matérialise sous la forme de l’exploitation de l’homme par l’homme, de l’égoïsme consumériste, de l’exploitation sexuelle des femmes et des enfants, du trafic des migrants, de la mise à mort des plus faibles (enfants à naître, personnes âgées), de la marchandisation du corps des plus pauvres (trafic d’organes, GPA-PMA), du saccage de l’environnement et du cadre de vie de nos descendants pour la jouissance de quelques-uns. Ce refus d’admettre la rélité du péché originel est un déni de réalité également partagé par les post-modernes et par les identitaires.
La vérité c’est que nos mœurs collectives ne sont pas chrétiennes parce qu’elles sont marquées du sceau du péché à l’échelle individuelle et collective. Pour que la France change de mœurs il faut qu’un maximum de Français change leurs cœurs pour tarir la source du mal.
Pour cela il faut se convertir au Christ : accueillir son amour, confesser nos péchés et marcher à sa suite en obéissant à son commandement d’amour avec la certitude qu’en cherchant d’abord le royaume et la justice de Dieu tous les biens que nous pouvons espérer ici bas nous serons donnés de surcroît (Matthieu 6, 33).
Or, en soutenant que la France est encore chrétienne, les identitaires signifient implicitement qu’il est inutile d’évangéliser la majorité des Français qui ne sont pas chrétiens et d’appeler à la conversion la petite minorité de ceux qui sont censés l’être.
Dans le livre-entretien intitulé Le sel de la terre, le cardinal Joseph Ratzinger expliquait au journaliste qui l’interrogeait que le temps d’une chrétienté où l’Eglise était l’épicentre de la société européenne était définitivement révolu et que l’avenir du christianisme en Europe passerait de plus en plus par des foyers spirituels à fort rayonnement situés dans les grandes villes…comme il en était au début du christianisme.
En ce sens il prédisait un retour aux sources et un appel à la réévangélisation de l’Europe. Un peu à l’image de ces moins irlandais qui, fraîchement convertis par saint Patrick, se sont répandus dans toute l’Europe continentale pour réévangéliser un continent entièrement ravagé par l’arianisme.
Au fond c’est normal puisque le Christ est notre seule identité, lui qui est « la voie, la vérité et la vie »(Jean 14, 6).
Aucun de nous ne peut en effet se dire exempt d’une tentation identitaire, sous diverses formes. Cette tentation peut inciter à s’arrêter, satisfait de soi, sur le chemin (permanent) de la conversion.
« Les bergers ont perdu la confiance de leur troupeau » : de là le risque, de la part du troupeau, de se croire propriétaire de l’Eglise, dérive qui existe d’ailleurs aussi bien chez les « modernistes » que chez les « identitaires ». Rapprocher « modernistes » et « identitaires » peut paraître une figure de rhétorique, mais je ne le crois pas : chez les deux, l’évangélisation ne semble pas un souci de premier ordre.
Sur le « Mettons de côté ce qui nous sépare », il est utile de rappeler que « ce qui nous sépare » de païens, identitaires ou non, est quand même assez profond. Un peu comme si nous étions par de tels propos invités à mettre de côté l’essentiel.
Un aveugle qui guidant des aveugles les emmène dans le gouffre, et les mauvais pasteurs sont bien décrits; il suffit de les reconnaître.
A 78 ans, le cardinal Caffarra est l’archevêque émérite de Bologne et est reconnu comme un théologien de valeur. Il est précisément spécialisé dans la matière des questions soulevées par les dubia. Entre 1981 et 1995, il a été président de l’Institut Pontificat Jean-Paul II pour les études sur le mariage et la famille.
L’interview vaut la peine d’être lue dans son intégralité, notamment parce qu’elle pourrait être le signal d’un retournement dans la controverse en cours au sein de l’Eglise entre les interprétations différentes et parfois contradictoires d’Amoris laetitia, peut-être jusqu’à inciter le pape François à rompre le silence qu’il a choisi de garder jusqu’à présent.
Ce qui suit est un florilège de ce que le cardinal a déclaré dans cette interview qui est cinq fois plus longue.
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CAFFARRA: « POURQUOI NOUS AVONS ÉCRIT AU PAPE »
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Nous autres cardinaux, avons le grave devoir de conseiller le pape dans son gouvernement de l’Eglise. C’est un devoir auquel nous ne pouvons pas nous soustraire.
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Seul un aveugle peut nier qu’il y a dans l’Eglise une grande confusion, de l’incertitude, de l’insécurité causées par certains paragraphes d’Amoris laetitia. Ces derniers mois, sur les mêmes questions fondamentales concernant l’économie sacramentelle – le mariage, la confession et l’eucharistie – et la vie chrétienne, certains évêques ont dit A et d’autres ont dit le contraire de A. Avec l’intention de bien interpréter les mêmes textes.
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Il n’y avait qu’un seul moyen d’en venir à bout: demander à l’auteur du texte interprété de deux façons contradictoires quelle était l’interprétation correcte. Il n’y avait pas d’autre moyen. Se posait ensuite le problème de la façon de s’adresser au Pontife. Nous avons opté pour une manière de faire traditionnelle dans l’Eglise, ce qu’on appelle des « dubia ». […] Nous avons donc procédé de façon privée et ce n’est que lorsque nous avons eu la certitude que le Saint-Père ne répondrait pas que nous avons décidé de les publier.
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Le problème est exactement celui-ci : sur plusieurs points fondamentaux, on ne comprend pas ce que le Pape enseigne, comme le montrent les interprétations divergentes d’un évêque à l’autre. Nous voulons être fidèles au magistère du Pape mais pour cela, il faut que le magistère du pape soit clair.
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La division qui règne dans l’Eglise est la cause de la lettre [des quatre cardinaux au pape] et non pas son effet.
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Imaginer une pratique pastorale qui ne soit pas fondée et enracinée dans la doctrine revient à fonder et enraciner la pratique pastorale sur le choix personnel. Une Eglise qui néglige la doctrine n’est pas une Eglise plus pastorale mais une Eglise plus ignorante.
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L’évolution de la doctrine a accompagné depuis toujours la pensée chrétienne. [Mais] s’il y a bien un point qui est clair, c’est qu’il n’y a jamais d’évolution là où il y a contradiction. Si je dis que S est P et ensuite que S n’est pas P, la seconde proposition ne développe pas la première, elle la contredit. Aristote déjà enseignant en son temps qu’en énonçant une proposition universelle affirmative (par exemple : tous les adultères sont injustes) et en même temps une proposition particulière négative ayant le même sujet et le même prédicat (par exemple : certains adultères ne sont pas injustes), on ne crée pas une exception à la première règle. On la contredit.
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Le ministre de l’eucharistie (généralement le prêtre) peut-il donner l’eucharistie à une personne qui vit « more uxorio » avec une femme ou avec un homme qui n’est pas sa femme ou son mari et qui n’a pas l’intention de vivre dans la continence ? […] Amoris laetitia a-t-elle enseigné que, dans certaines circonstances précises et après un certain parcours, le fidèle pourrait s’approcher de l’eucharistie sans s’engager à la continence ? Certains évêques ont enseigné que c’était possible. En toute logique, il faut donc également enseigner que l’adultère n’est pas un mal en soi.
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La conscience est le lieu où nous rencontrons et nous affrontons le pilier de la modernité. […] Un homme a perçu cela avec beaucoup de lucidité, il s’agit du bienheureux John Henry Newmann. Dans sa fameuse Lettre au duc de Norflok, il écrivait : […] « Une guerre impitoyable ravage notre époque, je dirais presque qu’il s’agit d’une conspiration contre les droits de la conscience ». Plus loin, il ajoute que « au nom de la conscience, on détruit la véritable conscience ».
Voilà pourquoi dans les cinq dubia, c’est le cinquième [celui sur la conscience – ndr] qui est le plus important. Il y a un passage d’Amoris laetitia, au numéro 303 qui n’est pas clair. Il semble – et je répète : il semble – admettre la possibilité qu’il puisse y avoir un jugement vrai de la conscience (et non pas invinciblement erroné ; cela a toujours été admis par l’Eglise) qui soit en contradiction avec ce que l’Eglise considère comme faisant partie du dépôt de la Révélation divine. Il semble. Et c’est pourquoi nous avons soumis ce doute au Pape.
John-Henry-Newman.jpgNewmann déclare que « si le Pape parlait contre la conscience prise dans le vrai sens du mot, il commettrait un véritable suicide, il scierait la branche sur laquelle il est assis ». Ce sont des choses d’une gravité bouleversante. On ferait du jugement individuel le critère ultime de la vérité morale. Il ne faut jamais dire à quelqu’un : « Agit toujours selon ta conscience » sans systématiquement ajouter toute de suite après : « Aime et cherche la vérité de ce qui est bien ». Sans quoi, on lui mettrait entre les mains l’arme la plus destructrice de sa propre humanité.
La première est que si, comme vous le soutenez, il y avait « une opposition totale entre le 1er et le 2ème Vatican » cela signifierait que les promesses du Christ faites à son vicaire (« Et moi, je te dis que tu es Pierre, et que sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, et que les portes du séjour des morts ne prévaudront point contre elle. 19Je te donnerai les clefs du royaume des cieux: ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux, et ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les cieux… » Matthieu 16, 18) sont des promesses non tenues. Dès lors on ne pourrait plus faire confiance à l’Eglise ou du moins il faudrait prendre partie contre des papes et des cardinaux contre d’autres papes et d’autres cardinaux. Bref chacun prendrait position en fonction de ses convictions et de sa propre compréhension des débats. Ce serait la négation de l’idée même de magistère de l’Eglise. C’est d’ailleurs ce que vous faites en vous appuyant sur les déclarations du cardinal Caffara dont vous précisez qu’il est « reconnu comme un théologien de valeur ». On pourrait tout aussi bien lui opposer un cardinal en désaccord avec lui qui soit lui aussi reconnu comme un théologien de valeur.C’est la fin de l’idée même de magistère et c’est l’ère du subjectivisme que vous dénoncez. Curieux paradoxe.
Deuxième remarque vous citez abondamment le bienheureux cardinal John Henry Newman , notamment en dégageant la notion de « développement organique du dogme » et de « grammaire de l’assentiment ». Or, c’est l’un des grands inspirateurs du concile Vatican II….
Je vous renvoie sur un précédent article susceptible de vous intéresser, notamment en ce qui concerne le statut de la conscience individuelle – inviolable mais pas infaillible – et sur les limites inhérentes à la conscience individuelle : http://www.letempsdypenser.fr/jai-besoin-que-quelquun-me-montre-le-chemin/
Par exemple, je suppose que vous serez que lorsqu’il y eut 2 voire 3 papes, un seul était réellement pape.
Lorsque le dogme s’oppose en de nombreux points à la tradition, les causes peuvent être multiples et sont détaillées dans les codes de droit canonique précédents, qui étaient des sommes (précisions, affinages, et non contradictions avec ce qui préexistait). On peut toutes les envisager, et il FAUT les envisager, tant cela saute aux yeux; je n’ai pas tranché pour ma part, néanmoins, éduquée totalement dans VII, lorsque j’ai lu les Evangiles à 14 ans avant de faire ma confirmation, j’ai eu un énorme malaise vis-à-vis des enseignements reçus, que je n’avais pas vis-à-vis de textes antérieurs, et ce alors que je ne connaissais même pas l’existence de VII.
La majeure partie de ces hypothèses paraît bien farfelue pour qui n’a pas lu l’Ancien Testament; aucune ne semble folle à la lecture des textes. En revanche il est certain qu’il faut creuser la réalité visible, à la lecture de ces mêmes textes. Je vous incite fortement à lire les encycliques de Léon XIII et après 🙂
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