Chasteté, confusion et cléricalisme

La difficulté à gérer ses désirs sexuels se pose pour chacun d’entre nous, laïcs ou consacrés, à partir du moment où nous nous interdisons d’imposer nos désirs à autrui. C’est la base de la vie en société. La continence est donc le lot de tous, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Eglise.

Pourtant il existe au sein de l’Eglise une confusion entre la continence et la chasteté qui me semble lourde de conséquences. Une confusion qui existe dans certains textes mais surtout et plus encore dans les mentalités. Elle repose sur une suspicion vis-à-vis de la sexualité et un mépris du corps qui constitue une ligne de fracture entre laïcs et consacrés.

Ce mépris du corps, étranger au monde biblique mais présent dans le monde grec, est à l’origine d’un rapport au corps parfois tourmenté chez certains chrétiens et chez certains clercs.

Mais, de manière plus sournoise, ce même mépris du corps diffuse dans les mentalités une conception de Eglise à deux vitesses : l’entrée de gamme (les laïcs) et la gamme supérieure : les personnes consacrées tenues pour plus pures puisqu’ayant prononcé le « vœu de chasteté ».
J’ai déjà entendu des personnes de ma génération déclarer que les religieuses étaient censées être meilleures que nous puisqu’elles avaient fait vœu de chasteté. Leur statut attestait de leur vertu et de leur supériorité spirituelle.

De même on louait beaucoup à une époque le « sacrifice du prêtre » comme si la privation de sexualité était un acte héroïque pour lequel on devait lui être reconnaissant au lieu de considérer que c’est un choix de vie librement consenti destiné à lui permettre d’être heureux dans sa vocation.

Les drames et les révélations récentes semblent montrer que les choses étaient malheureusement plus compliquées, que tous ne vivaient pas leur vœu d’abstinence de manière apaisée et surtout que le vœu d’abstinence n’était pas une garantie de pureté c’est-à-dire de chasteté.

Mais surtout cette confusion nourrit une forme de cléricalisme c’est-à-dire une conception inégalitaire de la vie chrétienne et de l’Eglise entre un peuple chrétien et une élite de chrétiens dont la marque de supériorité spirituelle serait justement d’être plus « purs », d’être de meilleurs chrétiens parce qu’ils ont officiellement et solennellement renoncé à la sexualité.


1/ La confusion entre charité et abstinence

La chasteté n’est pas l’abstinence : il existe une manière chaste de faire l’amour à son conjoint et il existe une manière non-chaste de lui faire l’amour : en l’utilisant comme un sex-toy par exemple. C’est-à-dire sans se soucier de ses attentes, de ses envies et ou sa dignité. Le summum de la relation conjugale non chaste reste le viol conjugal…

A l’inverse le conjoint qui se sent bafoué dans la relation conjugale et qui trouve refuge dans une relation extra-conjugale où son amant/amante qui se donne sans s’imposer parce qu’il/elle est prêt(e) à renoncer à passer en force par respect pour lui fait l’expérience d’une relation sexuelle illégitime mais chaste. Paradoxe.

La chasteté n’est pas l’abstinence mais le désintéressement : c’est être prêt à renoncer à ses envies et à ses désirs – momentanément ou définitivement – pour ne pas les imposer à autrui. Pour ne pas s’imposer à autrui. C’est pouvoir renoncer à être présent afin de ne pas être pesant.
Mais la confusion entre la chasteté – qui signifie la pureté – et l’abstinence ou la continence – qui est le fait de se priver de toute pratique sexuelle – est très profondément ancrée dans notre mentalité. Surtout chez les chrétiens et encore plus dans leur clergé et leur épiscopat.

Certes le clergé précise bien que la chasteté ne doit pas être confondue avec la continence en rappelant que l’abstinence elle-même peut-être non-chaste, par exemple quand elle vire au stoïcisme et conduit à l’orgueil. Au XVIIème siècle l’archevêque de Paris aurait dit à propos des religieuses de Port Royal qu’elles étaient « pures comme des anges, orgueilleuses comme des démons ».

Mais on entend beaucoup plus rarement préciser que la chasteté peut être non abstinente. D’où la contradiction implicite qu’il y a, pour devenir prêtre, religieux ou religieuse, à prononcer solennellement un vœu de chasteté qui est censé être celui de tout baptisé. (Catéchisme de l’Église catholique : « Le Christ est le modèle de la chasteté. Tout baptisé est appelé à mener une vie chaste, chacun selon son propre état de vie » numéro 2494).

2/ Mépris du corps et cléricalisme

La justification de cette distinction que j’ai lue est peu convaincante : la chasteté à laquelle le religieux est appelé est la même que celle de tout chrétien (prêtre ou laïque) mais son engagement est plus fort car, du fait de son vœu, tout manquement à la chasteté cause un péché plus grave pour lui que pour un autre chrétien qui n’aurait pas prononcé ce vœu.

La « justification » elle-même n’est pas une explication logique mais une pétition de principe. Une pétition de principe de la pire espèce puisqu’il s’agit d’une forme de cléricalisme chimiquement pur : pécher contre la charité est moins grave quand on est un laïc que quand on est une personne consacrée.

Pourquoi ? Parce que l’on postule que les consacrés sont plus avancés en sainteté que leurs simples frères baptisés. Ce postulat est une présomption qui n’est pas une présomption innocente : on crédite a priori les personnes consacrées d’un équilibre de vie et d’une charité plus développés non pas en raison de leur vie intérieure – que par définition on ne peut pas connaître de l’extérieur – mais en raison de leur statut dans l’Eglise. On attend d’une personne consacrée qu’elle soit plus chrétienne que les simples baptisés laïcs. C’est un parfait exemple de mentalité cléricale et d’orgueil lié au vœu de célibat.

La permanence de la formule « vœu de chasteté » pour désigner en fait le vœu de célibat consacré n’est pas innocente. C’est l’indice d’un mépris du corps sous-jacent qui imbibe et irrigue le clergé. Car enfin peut-on faire autrement que de les prendre au mot si on veut les prendre au sérieux ? Si on suit leur raisonnement et qu’on acquiesce à l’idée que le vœu de chasteté s’identifie au vœu de célibat alors il faut en admettre le corollaire : refuser le célibat c’est renoncer à la chasteté.

Ce mépris du corps dont on ne trouve aucune trace dans la Bible est à mon avis imputable à l’influence très profonde de la philosophie grecque (platonisme) sur notre mentalité catholique. Comme quoi quelque chose peut être très catholique sans être très chrétien.

Ce mépris du corps est profondément enraciné dans la mentalité de « l’Eglise enseignante » alors même que l’enseignement théorique sur la chasteté est très éclairé et très éclairant.

Pour qui veut se donner la peine de lire des ouvrages spirituels rédigés par des prêtres, des religieux ou des religieuses il est assez clair que la chasteté n’est pas l’abstinence mais le désintéressement, le refus de l’accaparement.

C’est un cheminement spirituel, un pèlerinage terrestre avec ses aléas et ses vicissitudes : on avance, on tombe, on se relève, on continue d’avancer, on progresse même… avant de rechuter. On se décourage, on reprend courage. On stagne, on reste à terre et on s’y complait. On se relève encore et on rectifie le tir…jusqu’au jour de notre mort.

La chasteté n’est pas un acquis ou un renoncement mais une disposition du cœur qui se traduit en une discipline de vie. C’est une école de lâcher-prise, un processus de purification de nos relations et donc un processus de conversion du cœur.

La confusion qui existe encore dans les mœurs entre chasteté et abstinence a partie liée avec une pensée cléricale qui considère que l’on est d’autant plus pur que l’on n’a pas de relations sexuelle et donc que l’on est moins pur si l’on en a. Les pères et les mères de familles apprécieront…

L’ampleur des crimes pédophiles commis et couverts de manière systémique par ceux qui avaient fait vœu de chasteté en assimilant leur absence de vie sexuelle à un surcroît de sainteté a transformé la hiérarchie de l’Eglise en structure de péchés.

A l’heure où la décléricalisation est au programme, où l’on veut mettre en œuvre des réformes profondes et où l’on parle de synodalité il serait peut-être opportun d’aborder cette question.

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