Lumières aveuglantes

Depuis la Révolution française le pouvoir politique se veut émancipateur et progressiste. Depuis, dans le monde occidental tous les gouvernements ont plus ou moins emboîté le pas en revendiquant les mêmes ambitions : nous faire vivre tous ensemble dans l’harmonie collective et la bienveillance mutuelle. Non seulement aucun gouvernement n’est jamais parvenu à à inscrire dans la réalité le triptyque « liberté, égalité, fraternité » mais beaucoup ont semé la mort en déclarant la guerre au nom de leurs idées. Aucun pouvoir politique se revendiquant émancipateur et progressiste n’est jamais parvenu à tenir ses promesses car, de manière général, le pouvoir politique n’en a pas les moyens : pourquoi lui en donnerions-nous le mandat ?

Le summum de ce que puisse faire l’État c’est de garantir les conditions de la paix civile, de favoriser les conditions de la prospérité et de tempérer les injustices que nous trouvons les plus insupportables. C’est déjà bien. Ou plutôt ça serait bien qu’il les garantisse effectivement. Tout le monde lui en serait reconnaissant. Si l’État ne faisait « que » cela il gagnerait en crédibilité et donc en légitimité.

Mais en ce qui concerne le règne de l’amour universel l’État ne peut rien car c’est une réalité qui lui échappe complètement. Il n’a tout simplement pas les moyens de répandre l’amour du prochain car la conversion du cœur est une affaire intime entre la créature et son Créateur ou plutôt entre chaque créature et son Créateur. La conversion est, au sens étymologique du terme, un retournement intérieur. Or, un tel mouvement de l’âme ne pourra jamais être déclenché par l’ autorité politique car c’est hors de sa portée : même Dieu qui en aurait les moyens S’abstient de le faire !

La conversion du cœur est un cheminement intérieur qui, par définition, est personnel, mystérieux, intime et aléatoire… Il n’est pas planifiable et, pour cette raison même, est incompatible avec toute forme de volontarisme politique quelle que soit la manière dont il se décline : programme pédagogique de l’Education nationale, grand chantier gouvernemental, politique de « sensibilisation », incitations fiscales ou grand politique interministérielle « ambitieuse ». Une démarche spirituelle a toujours une issue incertaine ici-bas et ce n’est qu’au jour du Jugement que toutes les choses cachées dans le repli de nos cœurs seront révélées. D’ici là il faudra faire avec.

Avec quoi ? Avec la nature humaine telle qu’elle est c’est-à-dire avec des hommes et des femmes dont la conscience et l’inconscient resteront pour eux-mêmes des mystères : « Le cœur de l’homme est compliqué et malade ! Qui peut le connaître ? Moi, le Seigneur, qui pénètre les cœurs et qui scrute les reins, afin de rendre à chacun selon ses actes, selon les fruits qu’il porte » (Jérémie 17,5-10).

L’aspiration à une vie collective harmonieuse, plurielle, bienveillante, purgée de la violence, du mal, des maladies et de la mort est une réalité et porte un nom : le paradis. Mais il ne peut pas constituer l’objectif d’Etats qui usurpent le terme de providence, de gouvernement qui prétendent établir le paradis sur terre en imposant une loi réputée divine ou de multinationales qui promettent, contre rémunération, de tuer la mort et de vous offrir l’immortalité.

Au sein des partis politiques qui se définissent eux-mêmes et de manière unilatérale comme « des partis de gouvernement », « le cercle de raison », les « progressistes » etc. et parmi les élites économiques, administratives et médiatiques tous se revendiquent comme les héritiers des «  Lumières ».

L’hybris de ceux qui pensaient pouvoir réformer la nature humaine par le discours incantatoire (instruction, idéologie), le progrès technique et l’organisation politique a engendré le projet séduisant mais trompeur de réaliser le « vivre ensemble » harmonieux et pacifié au prix d’un effroyable déni de réalité dont les conséquences apparaissent de plus en plus aux yeux de tous.

Ce refus de voir l’humanité telle qu’elle est, est à l’origine de l’intimidation « progressiste » et de la marginalisation culturelle de ceux qui persistaient à voir la racine de tous les maux dans le cœur de l’homme.

La soif de pouvoir viscérale (et jamais ouvertement assumée) des hommes « de progrès » pour la conquête des lieux de pouvoir institutionnels et symboliques est le carburant de leur ambition et du mouvement permanent qu’ils imposent à leurs concitoyens et à leurs administrés.

Paradoxe étonnant de ces «héritiers des Lumières » qui ont aveuglé les hommes sur la réalité de leur condition humaine en leur vendant du rêve.

Paradoxe étonnant que ces «héritiers des Lumières » qui ne comprennent pas que susciter des espoirs insensés puis les décevoir plonge ceux qui y avaient cru dans un désespoir sans fond et nourrit une colère légitime.

Paradoxe étonnant de ces «héritiers des Lumières » aveuglés et non pas éclairés qui ne comprennent pas la colère et la haine dont ils sont l’objet.

Paradoxe étonnant de ces «héritiers des Lumières » qui ne parviennent toujours pas à analyser les ressorts de la montée des « populismes », du wokisme et de l’islamisme dans nos sociétés : parce qu’ils refusent d’éclairer les angles morts de leur propre pensée et les impensés de leur motivation profonde.

Mais au fond est-ce si étonnant ? Après tout en latin « porteur de lumière » se dit Lucifer et c’est le nom que l’on donne à celui qui dans la Genèse qui calomniait Dieu en affirmant qu’Il mentait aux hommes et qui prétendait, lui, apporter la vérité aux hommes. Et c’est en l’écoutant qu’Adam et Eve ont plongé l’humanité dans l’aliénation, le déni de réalité, le mensonge et le malheur.





2 réflexions sur « Lumières aveuglantes »

  1. Pas d’accord avec vous. La Révolution française ne porte pas l’idée de progrès mais de Civilisation. Ce que, durant le 1er Empire, on appellera la ‘Grande Nation’. Les ‘lumières’ dont vous parlez sont d’abord celles de la ´civilisation’, dont la Grande Nation (ie la France napoléonienne) était le porte-étendard. Le progrès vient ensuite. C’est l’industrie qui porte l’idée de progrès, à savoir progrès ´technologique’. C’est l’ingénieur qui porte cette idée-là, pas l’homme d’Etat (encore moins le prêtre). Parfois, le scientifique, mais pas toujours. Le libéralisme est un courant européen de centre gauche qui s’est développé durant tout le 19e siècle et qui promouvait l’idée de République. S’il est juridictionnel, il n’est pas progressiste en-soi. Le ´progressisme’ est un courant politique américain qui a duré une vingtaine d’années à l’oree du 20e siècle, porté par Roosevelt et Wilson, qui avait pour but de contrecarrer l’essor du Parti socialiste américain. Paradoxalement, et contrairement à ce vous posez,l’Eglise s’en est très bien accommodée en son temps. Le mouvement ´progressiste’ américain, que Roosevelt incarnait dans une certaine mesure, a servi après guerre à l’édification du consensus bipartisan qu’en Europe, les leaders appelleront ‘neoliberalisme’. Si l’Eglise a réussit à s’adapter au consensus bipartisan grâce à Vatican II, elle a par contre continué à s’opposer à l’idée de progrès. Il se trouve qu’aujourd’hui, le consensus bipartisan américain n’existe plus, et l’industrie se situe dans une posture post-progrès (Stiegler). On fait de la techno pour faire de la techno et non plus pour le bien des peuples. L’idée de civilisation, elle, est portée par les Etats-Unis qui s’appuient sur leur ‘Destinée manifeste’. Les États européens, à la ramasse, sont à la recherche d’un compromis social hypothétique. L’Eglise, elle, encore une fois, est à la ramasse sur ces questions-là arc-boutée sur une posture anticommuniste caricaturale. Déjà qu’elle s’est toujours opposée à l’idée de progrès, comment peut-elle s’adapter au post-progrès ?
    1. L’idée que l’on pouvait faire du passé table rase et faire de l’ingénierie sociale pour tout sous la houlette bienveillante d’une poignée de prétentieux qui s’étaient autoproclamés gardiens et propriétaires exclusifs de la Raison est à l’origine de nos maux depuis plus de deux siècles.

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