Cher Louis Charles,
Qu’est-ce que le christianisme peut apporter aux athées de France ? Les chrétiens ont-ils autre chose à apporter à la France que leur foi en leur Dieu ? De manière plus personnelle, si mes enfants n’embrassent pas la foi chrétienne, existe-t-il des éléments du christianisme qui leur seront utiles pour leur vie, et qu’ils ne trouveraient pas dans la société ?
Au fur et à mesure que la France se déchristianise, les références des gens ne sont plus chrétiennes, on se base sur une morale universelle, d’ailleurs fort sympathique, fondée en son cœur sur la liberté, sur le respect des différences et sur la non-violence. Sur ce socle moral commun, qui n’est pas très dense, certaines personnes y ajoutent des valeurs fortes d’engagement social, d’amitié solide et dynamique ou d’activité culturelle riche ; d’autres personnes y ajoutent des valeurs de défi personnel, d’enrichissement matériel et de progression sociale ; ou d’autres encore, les valeurs du consumérisme et de bien-être personnel. D’autres enfin, y ajoutent leurs valeurs religieuses.
Dans ce terreau composé d’un consensus moral minimum et d’une grande diversité de morales individuelles, les écueils de l’individualisme et des addictions sont nombreux. En effet, nombreux sont ceux n’ont pas saisi l’exigence morale de notre époque : faire cet effort individuel de choisir une morale solide pour mener sa vie de manière cohérente, et finalement heureuse. Car le consensus social ne suffit pas. Il faut une nourriture plus dense. A défaut, il existe un réel risque de tomber dans le non-sens de l’existence, qui se révèle sous forme de désintérêt des autres ou sous forme d’addictions diverses.
Les entrepreneurs, les artistes, les scientifiques, proposent par leur existence même des chemins assurés fondés sur la créativité et la prise de risque. Mais tout le monde n’a pas les compétences ou les moyens pour s’y engager. Les bobos, et toutes les idéologies sympathiques de gauche, proposent une vision de l’existence riche également faite d’ouverture culturelle et d’entretien d’un tissu social riche. Mais tout le monde ne dispose pas d’une richesse matérielle et d’une richesse culturelle qu’elle suppose. Les associations les plus diverses sont également vectrices de sens et de lien social, mais elles ne sont pas nécessairement accessibles à tous, pour des raisons culturelles ou financières.
Bref, malgré la diversité des propositions morales, malgré les choix qui sont ouverts dans notre société, la France est loin d’être saturée en références de vie disponibles facilement. Au contraire, il semble que l’individualisme et la passivité gagnent du terrain. Comment l’expliquer ? Le sujet a dû être maintes fois labouré, mais l’une des explications réside sans doute dans l’absence de formulation d’une morale riche et vivifiante qui soit facilement lisible.
Alors quoi dire au monde, quoi dire à mes enfants s’ils refusent d’embrasser la foi chrétienne. N’ai-je rien à dire qui n’ait de rapport avec la religion ? L’Église n’a-t-elle pas de message moral à adresser à la France pour lui proposer un corpus moral qui aille au-delà des droits de l’homme et qui soit agréable aux incroyants ? Est-elle condamnée à convertir pour se faire entendre, sans espoir de trouver une audience attentive au-delà du cercle des chrétiens ? N’entend-elle pas ces gens qui ont soif de sens, mais qui n’embrasseront jamais la foi chrétienne ? Ne peut-on pas offrir à ceux qui sont en attente de référence morale pour mener leurs vies, ces richesses évangéliques qui édifient ? Je ne parle évidemment pas de cette partie de la morale chrétienne qui est d’emblée rejetée par les athées, c’est-à-dire, tout ce qui concerne la morale familiale et sexuelle. Raisonnablement, il faut admettre que
les chrétiens ne convaincront plus sur ces questions. Je parle de la morale interindividuelle et de la morale politique et économique. Les chrétiens sont si habitués au haut niveau de morale en matière d’attention à l’autre, en matière de justice économique et sociale, qu’ils en ont sans doute oublié qu’il y a là-dedans bien des sources d’enrichissement moral pour nos frères athées. Des sources vivifiantes qu’ils accueilleraient avec plaisir. Relisons le discours de la montagne, le magnificat, les récits de Jésus vis-à-vis des athées et des païens. Donne-moi à boire, dit Jésus à la samaritaine. Certains de nos frères athées ont soif. Certains aspects du discours chrétien, comme la morale sexuelle chrétienne ou la foi elle-même, sont imbuvables pour les athées. Mais d’autres aspects restent si neufs, si stimulants, si modernes, que nos frères athées méritent de les entendre. Essayons de faire cela pour eux, parce que je suis convaincu que ça leur fera plaisir. D’ailleurs, on pourrait également faire la même démarche pour des chrétiens qui aurait perdu le feu sacré.
Alors quoi dire ? Un chrétien est dynamique et créatif, toujours à la recherche de ce qui fait plaisir aux autres, de ce qui soulage, en évitant scrupuleusement les pièges de la richesse et de l’orgueil. Il croit que chaque homme peut progresser, qu’il peut être pardonné. Sa morale est d’abord interindividuelle, l’individu prime, il regarde le monde d’abord au travers des gens concrets, des gens qu’il côtoie, avant de prendre éventuellement de la hauteur. Il vit sa vie comme un engagement pour les autres et s’intéresse à tout ce qui fait l’expérience humaine, il est particulièrement attentif à la souffrance des gens. Il a une conception particulière de l’Homme, être humain souvent moralement et physiquement blessé, qui doit être aidé à se relever, même s’il est tombé de sa propre faute. Lui-même ne vaut pas plus qu’un autre, mais il a conscience de sa dignité sacrée qu’il partage avec tout être humain. Il sait qu’il est limité, et qu’il a beaucoup de défauts, mais cela ne l’empêche pas de vouloir progresser et d’agir, en dépit de son passé et de ses erreurs. Son sens de la justice est très aiguisé, il en fait un combat absolu, même lorsque ce combat est perdu d’avance. Ses armes ne sont pas ni celles de la violence, mais il n’est pas naïf. Les armes à privilégier sont celles de la subtilité, des voies détournées. Il ne s’embarrasse pas de règles inutiles, les règles qui n’ont pas d’utilité pour le bien être de l’Homme, il n’en tient pas compte. Il examine les situations avec ses ressources intérieures, et ne suit pas aveuglément les maitres, même si ceux-ci sont légitimes. La joie et la fête sont importantes pour lui. Face à la souffrance et la haine, il place l’amour, au cœur de toute son existence. Il sait vivre sans filet de sécurité, et ne s’inquiète pas de son sort pour l’avenir, car il a confiance en la vie. Ses ennemis sont ses frères, à qui il doit le respect et à qui il tend la main à chaque, mais contre lequel il combat sans haine leurs actes destructeurs. Mais il prépare l’avenir sur des bases solides, car il sait que le monde est en partie géré par des mauvaises structures qui mettront du temps à tomber. Les règles sociales peuvent éventuellement être suspendues. Sa morale de vie est simple à comprendre. Elle est accessible aux plus humbles.
Bien à toi,
Basilon
________________________________________________________________________
Cher Basilon,
Merci pour le texte que tu m’as proposé. Ta réflexion tourne autour d’une question : Les chrétiens ont-ils autre chose à apporter à la France que leur foi en leur Dieu ? Je te livre les réflexions qu’elle m’inspire.
Annoncer le Christ c’est ce que les chrétiens sont les seuls à pouvoir faire – ce qui ne signifie pas nécessairement qu’ils le font bien ou qu’ils le font tout court – mais c’est la seule plus-value qui leur soit spécifique.
Toute autre prétention ne serait-elle pas de la présomption ? Car comme tu l’as écrit toi-même le chrétien lui-même ne vaut pas plus qu’un autre.
Tu brosses le portrait du chrétien tel qu’il devrait être c’est-à-dire d’un chrétien qui est le reflet du Christ. Mais si tu exclus d’entrée de jeu de parler du Christ alors le reflet que tu proposes ne pourra pas être accueilli autrement que comme une chimère. Une belle chimère, sans doute, mais à ce compte-là ce ne sera pas différent des utopies que le XXème siècle a proposées, qui ont débouché sur des catastrophes et qui ont détourné nos contemporains de rechercher la vérité.
Tu écris que le chrétien « croit que chaque homme peut progresser ». Mais s’il n’y a pas quelque chose ou Quelqu’un vers lequel tendre c’est l’idée même de progression qui n’a plus de sens. Au deux sens du terme : elle n’a plus de signification (c’est l’absurde) et elle n’a plus aucune direction (progresser mais vers où?).
Tu dis que le chrétien a « une conception particulière de l’Homme » mais c’est justement par ce que sa conception de l’homme est une conception qui ne vient pas des hommes qu’elle est particulière. La conception que l’homme se fait de lui-même c’est soit celle d’un sous-homme (l’humain est réduit à une marchandise) soit à un sur-homme (le transhumanisme).
Mais l’idée qu’un homme a une dignité sacrée et inaliénable même si individuellement il n’est pas particulièrement aimable c’est une idée qui n’a de sens que si l’on considère qu’il est créé à l’image de Dieu et qu’il a tellement de prix aux yeux de Dieu que Dieu lui-même a accepté de descendre de son piédestal divin pour s’incarner et mourir afin de le sauver.
Tu dis qu’un vrai chrétien combat l’injustice même lorsque le combat est perdu d’avance. Si tu supprimes la perspective de la vie éternelle alors le combat du chrétien n’a plus de sens et devient suicidaire.
Là où je suis d’accord avec toi, en revanche, c’est que la bonne manière d’annoncer le Christ c’est d’annoncer la Bonne nouvelle et pas la morale. Pour rendre crédible l’amour de Dieu pour nous il faut commencer par rayonner soi-même de cette tendresse, de cette bienveillance, de cette espérance qu’il nous insuffle.
Si on prétend vendre des produits de beauté et qu’on est soi-même laid comme un pou la démarche est vouée à l’échec.
Si on prétend vendre quoi que ce soit et qu’on n’en a même pas un échantillon sur soi c’est foutu d’avance.
Si on prétend enseigner l’anglais et qu’on a besoin d’un traducteur on est un imposteur.
Le Christ c’est la manière d’être homme de Dieu.
Le Christ nous a révélé que Dieu était tellement mieux que toutes les images que nous nous faisons de lui que c’est une bonne nouvelle extraordinaire.
C’est ça que nous avons à transmettre.
Et l’annonce de la foi doit être sans cesse reprise en fonction de l’évolution des cultures et des nouveaux défis qui se posent à la foi vivante. Vivante parce que vécue, incarnée dans la vie des hommes de toutes races, langues, peuples et nations. La tradition chrétienne ne consiste pas à répéter toujours les mêmes choses mais à faire toujours des choses qui tendent au même but.
Et nous n’avons toujours pas fini de comprendre les implications qui en découlent. Vivre en cohérence avec l’Évangile est une activité à temps plein et la foi n’est pas une tradition monolithique mais une conversion permanente. C’est le miracle permanent qui fait découvrir aux hommes la vérité. En dépit de leurs traditions et parfois même au mépris de tout ancrage culturel.
Mais si nous renonçons d’entrée de jeu à annoncer le Christ que faisons-nous si ce n’est parler de nos convictions personnelles c’est-à-dire de nous-mêmes ?
Amitiés,
Louis Charles