Nietzsche reprochait aux chrétiens qu’il voyait de ne pas être vrais et disait qu’il pourrait peut-être croire en Dieu si au moins ils avaient « des gueules de ressuscités ».
Cette remarque est pleine de bon sens : quand on est heureux, quand on est habité par une flamme, une espérance ça se se voit et, à l’inverse, quand on vit dans l’ennui, l’inquiétude, la frustration, l’angoisse ou le malheur ça se voit aussi.
Pourtant quand on fait remarquer cela certains chrétiens ont tendance à répondre «Quoi ma gueule ? Qu’est-ce qu’elle a ma gueule ?» comme dans la chanson éponyme de Johnny Halliday.
1/ «Quoi ma gueule ? Qu’est-ce qu’elle a ma gueule ?»
C’est la tentation de l’identitarisme chrétien. Chez nos frères orthodoxes c’est la tentation de se claquemurer à l’intérieur d’Eglises autocéphales. Chez nos frères réformés c’est la tentation de se scinder en petites sectes protestantes toujours plus exclusives. Chez les catholiques de France, aujourd’hui, c’est la tentation du repli identitaire avec la perspective – espérée ou redoutée – de l’affrontement communautaire : «Quoi, ma gueule ? Qu’est-ce qu’elle a ma gueule ? Si tu veux te la payer, viens je rends la monnaie. T’as rien dit tu l’as déjà dit, On n’va pas y passer la nuit»
Confrontés à l’hostilité, bien réelle, de la société médiatique et des institutions publiques qui ne perdent pas une occasion de nier l’existence et la légitimité de la communauté catholique en France, la tentation est grande pour certains de réagir comme une forteresse assiégée et de défendre une logique de l’honneur : «Quoi ma gueule ? Qu’est-ce qu’elle a ma gueule ? Quelque chose qui ne va pas ? Elle ne te revient pas ?».
Cette logique de l’honneur est héritée de l’aristocratie et du monde féodal, pas de l’évangile. C’est parce que saint Vincent de Paul a fini par en convaincre son bienfaiteur, monsieur de Gondi, que celui-ci a renoncé à se se battre en duel pour laver son honneur. Mais cette mentalité est également celle qui prévaut encore très largement parmi nos frères musulmans et la tentation identitaire, pour les chrétiens, c’est d’adopter une mentalité de musulmans plutôt qu’une mentalité de chrétiens. D’où la surenchère victimaire à laquelle se livrent certains chrétiens en traquant sytématiquement les manifestations de cathophobie, néologisme mimétique de celui d’islamophobie.
Plus profondément encore – et plus gravement – c’est donner tort au Christ quand il dit à saint Pierre qui voulait prendre sa défense : «Remets ton épée à sa place, car tous ceux qui prendront l’épée mourront par l’épée» (Matthieu 26, 52).
C’est la tentation d’oublier que les disciples ne sont pas plus grands que leur maître et que si le Fils de Dieu en personne, l’Amour fait homme n’a pas été aimé et reconnu par les hommes, ses disciples ne doivent pas s’attendre à être mieux traités.
Les persécutions sont le lot des disciples du Christ depuis le début du christianisme et elles ont été annoncées par le Christ lui-même : «Heureux serez-vous lorsqu’on vous insultera, qu’on vous persécutera et qu’on dira faussement de vous toute sorte de mal à cause de moi. Réjouissez-vous et soyez dans l’allégresse, parce que votre récompense sera grande au ciel. En effet, c’est ainsi qu’on a persécuté les prophètes qui vous ont précédés» (Matthieu 5, 11-12).
C’est aussi vouloir substituer la logique des hommes à la logique de Dieu : Dieu se manifeste de manière paradoxale en choisissant ce qu’il y a de plus petit et de plus faible et c’est pour cela que les périodes au cours desquelles les chrétiens sont persécutés sont suivies de périodes de conversions. Comme le disait Tertullien dans sa célèbre formule : « Le sang des martyrs est semence de chrétiens ».
La tentation identitaire c’est la tentation de détourner notre attention de la vie éternelle et de ce qu’il nous faut faire ici bas pour accéder au paradis : « Recherchez d’abord le royaume et la justice de Dieu, et tout cela vous sera donné en plus » (Matthieu 6, 33).
La tentation identitaire, c’est aussi donner tort à saint Paul quand il déclare : « J’estime que les souffrances du moment présent ne sont pas dignes d’être comparées à la gloire qui va être révélée pour nous » (Romains 8, 18). C’est vivre en athée tout en se proclamant catholique.
C’est la tentation de Charles Maurras, positiviste et disciple d’Auguste Comte : transformer la Bonne nouvelle de l’amour de Dieu pour tout homme en une unité de combat : « Quoi, ma gueule? Qu’est-ce qu’elle a ma gueule? De galères en galères, elle a fait toutes mes guerres».
Non seulement on passe de l’espérance de la résurrection et de la vie éternelle au triste et traumatisant spectacle de la méchanceté humaine mais surtout on oublie que la méchanceté humaine passe aussi par nous, individuellement et collectivement.
Individuellement parce que la frontière entre le bien et le mal traverse notre propre cœur et c’est pour cela que nous avons besoin de nous confesser régulièrement et de nous convertir en permanence.
Collectivement, parce que les péchés peuvent aussi être décuplés au sein d’une communauté, même religieuse et c’est pour cette raison que saint Jean-Paul II a officiellement fait acte de repentance en l’an 2000 pour toutes les fautes et les crimes commis et/ou couverts par l’Eglise catholique.
La tentation identitaire consiste, à l’inverse, à refuser tout examen de conscience en faisant primer la solidarité partisane sur la vérité et la justice : «Quoi, ma gueule ? Qu’est-ce qu’elle a ma gueule ? Je m’en fous qu’elle soit belle, au moins elle est fidèle».
Cette tentation apparaît comme une position de repli et une consolation pour les nombreux catholiques qui ont été légitimement traumatisés par l’apostasie d’une grande partie de l’épiscopat et du clergé au cours des années 1970. Des catholiques sincères qui ont parfois été abandonnés et vilipendés par leurs propres pasteurs parce qu’ils voulaient rester fidèles au dépôt de la foi et à la tradition apostolique !
C’est donc souvent d’un amour déçu avec l’Eglise – du moins avec ses dirigeants – que naît cette rancœur. C’est le souvenir jamais effacé d’une injustice commise par ceux là même qui leur demandaient de confesser leurs péchés ! C’est la conscience d’une injustice commise à leur égard et pour laquelle aucune demande de pardon n’a été formulée. Cette la douleur indicible d’un amoureux trompé et bafoué par sa bien-aimée : «C’est pas comme une que je connais, une qui me laisse crever tout seul, mais je n’veux même pas en parler, une qui se fout bien de ma gueule».
2/ Convertir son regard pour convertir son cœur
« A celui qui n’a rien, la Patrie est son seul bien » disait Jean Jaurès.
La colère des identitaires a pour source un profond pessimisme dans lequel ils essaient de ne pas se noyer en se raccrochant à leur identité (réelle ou imaginaire peu importe) . Mais leur désespérance est d’autant plus tragique qu’elle reste clandestine.
Ils ne peuvent pas l’exprimer (trop) ouvertement puisque, officiellement, ils revendiquent la foi et l’espérance, ces deux vertus théologales qui sont le marchepied de la troisième et la plus haute : la charité !
A l’inverse celui qui a eu la chance de recevoir le don de la foi n’a aucune raison de désespérer, au contraire ! Il sait que sa mission ne consiste pas à défendre un contenant (la culture chrétienne) mais son contenu (le Christ) et il sait que Jésus-Christ ne requiert pas des défenseurs mais des témoins.
Il lui incombe donc de manifester son espérance et sa charité : il n’a pas le droit, par paresse, de laisser les soucis du monde ou le poids du jour les submerger.
Il a d’abord le devoir d’être toujours prêt à rendre compte de l’espérance qui est en lui – « Soyez toujours prêts à rendre compte de l’espérance qui est en vous » (1 Pierre 3, 15) – ne serait-ce parce que parce que c’est le minimum syndical ! Mais ensuite il a le devoir d’en rayonner car ce que l’on vit est plus éloquent que ce que l’on dit.
Oui mais concrètement, on fait comment pour avoir une gueule de ressuscité ?
On commence par se réjouir de vivre ici et maintenant car c’est en changeant le regard que nous portons sur la réalité extérieure que nous pouvons commencer à changer nos dispositions intérieures et convertir notre cœur. Et ça, ça se voit !
Mais ce n’est pas un choix léger ou anodin. Habituer notre regard à découvrir et à admirer les merveilles nichées dans les plis de la réalité, discerner ce qui est poétique dans ce qui est prosaïque c’est un exercice spirituel permanent.
C’est une hygiène de vie intérieure qui nourrit l’âme et réjouit le cœur de l’homme. C’est une ascèse qui, comme toute ascèse, est la source d’une joie intime et profonde. Une joie qui dépend moins des circonstances extérieures que des nos dispositions intérieures et qui, à ce titre, est beaucoup moins aléatoire. Bien sûr ce n’est pas un bonheur permanent, c’est encore un bonheur à éclipses mais c’est déjà l’avant-goût du bonheur éternel.
C’est une sorte de discipline sportive comparable aux programmes de préparation physique que suivent les athlètes qui veulent se donner les moyens de gagner les grandes compétitions. C’est un entraînement permanent dont l’objectif est de muscler notre capacité à repérer, voir, contempler, admirer accueillir et goûter ce que ce monde, par ailleurs abîmé par le péché, a conservé d’aimable
Plus nous serons en mesure de nous émerveiller et d’aimer la création et plus nous serons en mesure de bénir et d’aimer son créateur quand nous Le rencontrerons. A l’inverse, moins nous serons capables d’aimer et d’accueillir son amour et plus sa présence nous sera insupportable e traumatisante. Ce que d’autres vivront comme un paradis nous le vivrons – au sens propre du terme – comme un enfer.
Sans compter que c’est en développant dès maintenant notre capacité d’émerveillement et de gratitude que nous rendrons déjà témoignage et justice à Celui qui «a fait toute chose belle en son temps» (Ecclésiaste 3, 11).
En deux mots, le musulman ne vise à rien d’autre qu’à renforcer l’Oumma, la relation à Dieu est accessoire -si on peut dire-
Le chrétien est à la fois sensible à Dieu et fier de l’Histoire qu’il a construite … bref, de son identité !
La preuve, le positivisme actuel n’a d’autres but que de tout déconstruire (« du passé faisons table rase »).
En résumé, je n’ai rien contre le fait d’être fier de mon identité, mais à une condition : que je tâche d’en être digne.
« fier de l’histoire qui l’a construit »
Cela ne signifie pas, bien entendu, que tous ceux qui sont fiers (ou ne faudrait-il pas préférer « admiratifs » ?) de l’histoire qui les a construits s’y engouffrent.