Face à l’égorgement récent – car il faut appeler les choses par leurs noms – de Samuel Paty par un islamiste lui reprochant d’avoir montré en classe les caricatures de Mahomet publiées par Charlie Hebdo l’horreur et l’effroi s’y disputent à la colère. Comment faire autrement ?
Ce drame, comme celui quelques jours plus tard, de l’assassinat de trois chrétiens catholiques à l’intérieur de la cathédrale de Nice, vient renforcer notre conviction que la défense de nos libertés fondamentales n’est pas négociable.
L’affrontement longtemps esquivé avec les islamistes qui veulent notre mort ou notre soumission ne peut plus être différé. De ce point de vue, c’est peut-être une bonne chose car c’est en affrontant l’ennemi qu’on peut espérer le vaincre et continuer à vivre libres et c’est en désignant l’ennemi qu’on peut l’affronter. Pas avant.
Mais si on peut supposer que l’ensemble des musulmans en France et surtout l’ensemble des Français musulmans partagent notre effroi, il n’est pas certain qu’ils partagent le point de vue officiel du gouvernement, de nos institutions et de la majorité de la classe médiatique.
Ce point de vue a été bien résumé par le ministre de l’Economie et des Finances Bruno Le Maire : « Moi je n’aime pas ces caricatures mais je les défends, je défends ceux qui les ont faites, je défends ceux qui les diffusent au nom de quelque chose qui est plus important pour moi que ces caricatures, qui est la liberté. La liberté d’expression et la liberté tout court ».
Pourtant l’existence même de lois mémorielles contredit cette déclaration. Pour rappel une loi mémorielle est une loi qui déclare voire impose le point de vue officiel d’un État sur des événements historiques…. et de priver historiens et citoyens de leur liberté de penser et d’exprimer leur pensée.
La position officielle est donc une loi à géométrie variable et c’est bien comme cela qu’elle est comprise par de nombreux musulmans, français ou non, tolérants ou non. C’est pour cela que la doxa officielle n’est pas convaincante, parce que la frontière entre ce que l’on peut dire et ce qu’il faut taire paraît arbitraire.
Pourtant on pourrait définir et donc délimiter la liberté d’expression sur d’autres critères que celui d’une majorité – forcément aléatoire et jamais impartiale – en fonction de son objet : la recherche de la vérité.
1/ La liberté d’expression, condition d’accès à la vérité
La liberté d’expression a en effet pour justification de garantir la possibilité de rechercher la vérité – individuellement et collectivement – et non de conférer l’impunité à n’importe quel comportement.
Si la défense de la liberté d’expression a pour objet un argument ou une idée à défendre alors il faut garantir cette liberté – surtout si la proposition est subversive – car c’est la quête de la vérité qui est en jeu. C’est l’adage attribué, à tort, à Voltaire : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire »
L’homme est fait pour la vérité et le consensus social ne peut lui être opposé. C’est pourquoi, en tant que catholique je dis « oui » à la liberté d’expression de Spinoza, de Voltaire et de Marx. Et quand Charlie Hebdo publie un dessin représentant Mahomet sous-titré : « C’est dur d’être aimé par des cons » je soutiens son droit à le publier.
Pourquoi ? Parce que dans ce dernier cas je dis « oui » à la liberté d’expression car elle exprime une idée et un point de vue sur la réalité. A savoir que les islamistes qui s’abritent derrière la volonté de Mahomet ne sont pas conformes à la volonté de Mahomet.
Vrai ou faux c’est une autre histoire, mais c’est là justement, qu’il y a débat et l’espace de ce débat doit être sanctuarisé contre l’hostilité des islamistes.
2/ La liberté de chercher la vérité, pas le droit à l’impunité
A l’inverse quand Charlie Hebdo publie une caricature de Mahomet nu en exhibant ses organes génitaux on quitte le terrain de la liberté d’expression et on retombe dans le domaine de l’injure. Il n’est plus question d’avancer un argument ou de défendre une idée. La recherche de la vérité n’est pas – n’est plus – en jeu.
On est dans le domaine de l’insulte et de l’humiliation gratuite, pour le plaisir de blesser en toute impunité. Charlie Hebdo l’admet lui-même sans problème puisqu’il s’en vante. Il revendique haut et fort, pour reprendre sa formule, l’humour bête et méchant.
On redescend au niveau de la cour de récréation, lieu des surenchères les plus gratuites, les plus inconscientes… et les plus méchantes. Le tout en déclarant crânement: « je fais ce que je veux ».
Cette logique complètement déconnecté du souci de la vérité, purement nombriliste, délibérément blessante, qui s’exonère de toute responsabilité, qui inverse la charge de la preuve et qui exige en plus des excuses n’est-elle pas celle de Donald Trump ?
Imaginons que Charlie Hebdo publie des caricatures de rabbins avec le nez et les doigts crochus trempant leurs mains dans le sang d’enfants chrétiens : qui l’accepterait au nom de la liberté d’expression ?
Personne à part les antisémites patentés : les nostalgiques du IIIème Reich et surtout les islamo-gauchistes de tous poils qui, eux, sont beaucoup plus nombreux et beaucoup mieux représentés politiquement depuis qu’ils ont mis sur pied des collectifs de lutte contre « l’islamophobie » et qu’ils ont pris le contrôle de La France Insoumise, le parti de Jean-Luc Mélenchon.
Ils invoqueraient la liberté d’expression et on leur opposerait à juste titre que la calomnie et l’injure ne sont pas des opinions. Parce qu’on n’est pas, là non plus, dans le domaine de la recherche de la vérité, sur le terrain des arguments et du raisonnement.
De telles caricatures seraient heureusement sanctionnées par la loi qui réprime non seulement les injures et les calomnies antisémites mais l’injure et la calomnie en général.
3/ La recherche de la vérité : raison d’être et justification de la liberté d’expression
La liberté d’expression est une chose trop sérieuse pour être laissée à Charlie Hebdo ou, pire encore, pour lui laisser le loisir de s’en arroger le monopole.
Les conditions de possibilité d’une recherche de la vérité historique doivent être garanties et protégées contre toutes les formes d’intimidation, des plus subtiles aux plus violentes. Parce que là on est sur le terrain des arguments et de la quête de vérité.
Dans son discours prononcé le 12/09/2008 au collège des Bernardins le pape Benoît XVI avait développé un exposé qui est resté gravé dans les mémoires sur le rôle des monastères dans la préservation de la culture antique et de la création de la culture européenne.
Après la chute de l’empire romain et tout au long des invasions barbares les abbayes ont fleuri sur le continent européen et ont constitué autant d’oasis de paix, de (relative) sécurité et donc de liberté où les hommes qui le souhaitaient pouvaient s’adonner à la quête de l’essentiel : en l’occurrence l’Essentiel.
La liberté était une condition de possibilité indispensable mais en elle-même sans autre objet que la recherche de la vérité et c’est ainsi, sans l’avoir cherché et par surcroît, que les monastères ont été le berceau de l’agriculture et de la culture.
Notre art de vivre, notre liberté et notre culture découlent de cette recherche de la vérité. C’est cette quête de la vérité qui a engendré notre civilisation au milieu de siècles où la barbarie semblait devoir triompher définitivement après avoir détruit la civilisation antique.
C’est cette quête de la vérité qui a engendré notre liberté et notre culture et aujourd’hui encore c’est cette quête de la vérité qui est la raison d’être et la justification de la liberté d’expression que nous revendiquons et que nous défendons contre des fanatiques musulmans qui réclament la liberté au nom de nos principes et nous la refusent au nom des leurs.
C’est ce qui justifie à la fois de dénoncer les lois mémorielles et de défendre Rémi Brague, historien des idées et spécialiste de la philosophie médiévale arabe et juive, quand il est accusé d’être un islamophobe savant sous prétexte qu’il dit des choses désagréables à entendre pour des musulmans, des ignorants ou des islamo-gauchistes.
La quête de la vérité est à la fois le fondement, la destination et la seule justification de la liberté d’expression.
C’est la recherche de la vérité et elle seule qui justifie de tracer une frontière entre ce que l’on a la liberté de dire et de publier et ce que l’Etat a le devoir de proscrire.