Lors des assises du mouvement Ecologie Humaine, le philosophe François-Xavier Bellamy – auteur du remarquable essai sur la rupture de la transmission intitulé Les Déshérités – faisait observer que le petit de l’homme était sans doute le plus vulnérable de toutes les espèces vivantes.
Contrairement aux petits des animaux il reste vulnérable pendant de très nombreuses années après sa naissance et ne peut devenir viable que grâce à une organisation sociale construite sur ses besoins fondamentaux c’est-à-dire autour de sa vulnérabilité intrinsèque.
Tenir compte de notre propre vulnérabilité est donc la condition sine qua non pour pouvoir tenir compte de la vulnérabilité d’autrui. C’est le fondement de la protection de la vie humaine de la conception à la mort naturelle.
Mais si nous croyons vraiment cela alors ne sommes-nous pas tenus de défendre la vie jusqu’au bout et pour de bon ?
Si la défense de la vie doit aller de la conception à la mort naturelle, alors ne passe-t-elle pas également et inévitablement par la défense de la vie après la naissance et avant la maladie conduisant à la mort ?
Si nous prétendons défendre la vie jusqu’au bout et pour de bon alors l’organisation de la vie collective à partir des besoins fondamentaux des plus fragiles et de nos vulnérabilités communes n’est pas plus négociable que dans le cas des nouveaux-nés ou des enfants à naître.
En d’autres termes la défense de la vie passe inévitablement par l’adoption, la défense et la promotion de mesures qui limitent la volonté, les intérêts et les appétits des plus forts et des plus habiles pour protéger les intérêts vitaux des plus fragiles.
Si l’on veut rendre viable la vie des plus vulnérables alors il faut assumer le choix politique que constitue l’adoption de mesures régulatrices. Il faut alors être cohérent jusque dans son bulletin de vote.
On peut poser la question autrement : la dérégulation par principe – c’est-à-dire sans discernement prélable sur ses conséquences – est-elle compatible avec la défense de la vie ?
La dérégulation a priori c’est, par exemple, le refus a priori d’accorder des aides publiques à ceux qui ont fait le choix de fonder une famille – cellule de base de la société – et aux mères célibataires qui ont eu le courage de garder leur enfant malgré le départ de leur compagnon.
La dérégulation au nom de la liberté c’est aussi celle qui démantèle les systèmes de santé publics déjà existants ou qui s’oppose à la mise en place de tels systèmes afin de garantir que la santé soit un marché comme les autres. Un marché libre, régi par la seule loi de l’offre et de la demande. Un marché donc où les institutions prodiguant des soins médicaux n’auraient aucune obligation (ou le moins possible) de pratiquer des soins accessibles à toutes les familles qui en ont besoin sans pour autant en avoir les moyens.
La dérégulation à l’exclusion de toute autre considération c’est la suppression ou l’affaiblissement des réglementations qui protègent les droits des particuliers face aux intérêts des grands groupes. C’est la déréglementation qui donne à la grande distribution la possibilité d’étrangler les agriculteurs (quitte à les pousser au suicide), d’empoisonner les consommateurs (production agricole traitée aux pesticides et aux insecticides) et de laisser un environnement impropre à la vie (nappes phréatiques polluées par l’élevage intensif des porcs). La déréglementation dans ce cas n’est que la traduction d’un rapport de forces favorable aux grands groupes et aux normes communautaires. Un rapport de forces qui leur permet d’imposer à l’Etat des règles du jeu plus lâches pour favoriser leurs intérêts
La dérégulation comme seul horizon politique c’est l’abandon de toute barrière de protection qui prive les travailleurs français de leur moyen de subsistance (leur emploi) pour que des travailleurs étrangers puissent être exploités dans des ateliers de misère et vivre, en famille, dans la misère.
La dérégulation au nom d’un avenir meilleur est toujours réclamée par le loup au nom de la liberté de croquer et elle est toujours dénoncée, mais d’une voix beaucoup moins audible, par les agneaux au nom du droit à exister.
Entre le fort et le faible, c’est la liberté qui opprime et la loi qui protège la vie. L’anarchie étant le stade suprême de la liberté des plus forts elle aboutit nécessairement à la loi du plus fort.
Je ne pense donc pas que l’on puisse défendre la vie quand on vote – par habitude ou par conviction – pour des partis qui promeuvent la dérégulation non pas au cas par cas mais par principe : l’anarchie n’est-elle pas au sens étymologique du terme l’absence de règles ?
Je crois que si l’on veut défendre la vie sincèrement et sans naïveté il faut commencer par s’interdire de voter pour ceux qui considèrent la dérégulation comme un objectif politique plutôt que comme un outil au service d’objectifs politiques.
Je crois qu’en conscience et par souci de cohérence, on ne peut pas à la fois prétendre protéger la vie et voter pour un parti qui veut déréguler par principe.
Que ces partis le fassent au nom des lendemains qui chantent ou par résignation, au motif qu’il n’y aurait pas d’autre choix, ne change rien au problème.
Comme disait Bossuet « Dieu se rit des hommes qui maudissent les causes dont ils chérissent les conséquences ».
Je crois que si l’on veut défendre la vie sincèrement et sans arrière-pensée partisane il faut commencer par s’abstenir de voter pour les candidats ou les partis qui veulent déréguler par principe. Alors seulement on pourra entamer un travail de jugement prudentiel et commencer à exercer son discernement pour déterminer quels candidats et quels partis sont les meilleurs…ou les moins mauvais.
Mais une chose me paraît claire : pour qui veut défendre la vie, se contenter de voter pour un candidat uniquement parce qu’il se déclare pro-vie est une manière de faire l’impasse sur les vrais enjeux et de s’acheter une bonne conscience à peu de frais.
Si l’on veut défendre la vie jusqu’au bout et pour de bon alors il faut être cohérent jusque dans son bulletin de vote.
Attention au contresens sur l’anarchie, qui n’est pas l’absence de règles mais étymologiquement l’absence de hiérarchie ou de commandement, ce qui n’a pas grand chose à voir.
« Dieu rit de ceux qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes ».
Bonne journée.