Les musulmans actuels sont dans la situation qui était celle de nombreux catholiques avant le concile de Vatican II

Les tragiques événements qui se multiplient depuis le début de cette année posent avec angoisse la question de la cohabitation avec l’islam. Le temps d’y penser a souhaité apporter sa contribution au débat en republiant l’entretien que Hyacinthe nous avait accordé en 2011. Hyacinthe est un chrétien qui connaît bien l’islam, qui parle couramment l’arabe et qui a vécu de nombreuses années au Moyen-Orient où il a conservé des contacts, raison pour laquelle il a souhaité s’exprimer sous pseudonyme. Evitant de céder aux deux formes d’autosuggestion que sont l’optimisme et le pessimisme, il s’intéresse davantage aux musulmans en tant que personnes humaines en quête de salut qu’à l’islam en tant que dogme ou que civilisation. Ce regard, trop rarement adopté (y compris au sein de l’Eglise) est pourtant celui que portait sur le Christ sur chaque personne qu’il rencontrait…

Le conformisme est réputé tellement fort au sein de la communauté musulmane qu’on dit parfois de la pratique religieuse qu’elle est trompeuse. Alors que parmi les chrétiens on trouve des croyants non-pratiquants on trouverait chez les musulmans de nombreux pratiquants non-croyants. Est-ce vrai ?

Non, c’est exagéré. Le musulman est en général profondément croyant, tout simplement parce que l’homme est naturellement religieux. La foi des musulmans n’est pas contestable. C’est même cela qui avait frappé Charles de Foucauld et qui a a été le point de départ la quête spirituelle qui a abouti plus tard à sa conversion… au catholicisme.

On ne peut donc pas parler de conformisme à propos de la pratique religieuse des musulmans ?

Si, mais le conformisme se situe ailleurs. Il ne s’agit pas d’une duplicité qui consisterait à prier du bout des lèvres un Dieu auquel on ne croirait pas. Il s’agit plutôt de soumission : soumission à Dieu – c’est le sens du mot islam en arabe – et à ses représentants sur terre que sont les mollahs, les cheikhs ou les imams.

Cette absence de liberté est d’autant plus forte que la plupart des musulmans ne connaissent du Coran que ce qu’ils en entendent dans les prêches qu’ils écoutent à la mosquée. Les prédicateurs eux-mêmes n’ont le plus souvent qu’une connaissance purement factuelle du Coran. Leur formation a consisté à apprendre par cœur le Coran et leur autorité dérive de leur capacité à le réciter par cœur. En Egypte un prédicateur célèbre a exercé ses fonctions officielles pendant quarante ans alors qu’il n’avait jamais lu un autre livre que le Coran. Un seul livre suffit….

Peut-on parler d’obscurantisme ?

Les musulmans actuels sont dans la situation qui était celle de nombreux catholiques avant le concile de Vatican II. Ils ne connaissent pas leur livre sacré parce qu’ils ne le lisent pas, n’en connaissent que des bribes qui leur ont été rapportées et leur foi – sincère – est une fois reçue mais pas éclairée. Elle repose sur une vision au fond assez manichéenne du monde et de la vie : d’un côté les croyants qui seront sauvés, de l’autre les incroyants qui ne le seront pas.

Présenté ainsi c’est assez inquiétant !

Oui mais ça commence à changer. Des musulmans à l’esprit ouvert et vivant en France comme le professeur  Abdelwahab Meddeb [décédé depuis] proposent désormais de lire le Coran comme un livre rédigé de main d’homme et, à ce titre, susceptible d’être interprété et discuté. Car c’est là que se situe, d’après moi, la clef de l’évolution de l’islam.

En effet le postulat actuel est que le Coran a directement été dicté par Dieu, en arabe et à la virgule près, à son scribe Mahomet. C’est ce postulat érigé en dogme qui verrouille toute réflexion et toute discussion donc tout dialogue avec les non musulmans. Car si Dieu en personne a choisi les mots du Coran qui pourrait avoir la prétention de le corriger ?

A l’inverse si l’on admet que, comme pour la Bible, il s’agit d’un livre inspiré par Dieu à un ou des homme(s) alors non seulement la réflexion et la discussion deviennent possibles mais elles deviennent même indispensables pour distinguer ce qui vient de Dieu et ce qui vient des hommes.

Mais en faisant cela les musulmans comme Abdelwahab Meddeb remettent en cause le dogme du Coran incréé et provoquent une véritable secousse tellurique dans l’imaginaire musulman qui peut se manifester par des réactions violentes. C’est ce qui explique qu’ils vivent et s’expriment dans des sociétés européennes et non dans des sociétés majoritairement musulmanes.

Quel regard portez-vous sur les musulmans de France ?

La plupart d’entre eux ne connaissent ni le Coran, ni l’arabe. Malgré le niveau d’alphabétisation et de scolarisation supérieur à celui de leurs parents, leur ignorance en matière religieuse reste grande.

Si la pratique de l’islam s’apparente davantage à l’observance de commandements qu’à une vie spirituelle intériorisée, intime et personnelle alors cela signifie que les musulmans exigeants ne parviennent pas à étancher leur soif spirituelle. N’est-ce pas là un boulevard pour l’évangélisation ?

Effectivement on assiste chaque année en France à de nombreux baptêmes de musulmans. C’est un phénomène bien réel mais peu visible car les intéressés le font très discrètement par peur des réactions de leur famille voire par peur des représailles prévues par le Coran pour les musulmans quittant l’islam. J’en connais personnellement. Je note que souvent la conversion de musulmans est en grande partie, la conversion de musulmanes.

De fait au moins la moitié des musulmans français ou vivant en France sont en fait des musulmanes qui, contrairement à leurs mères, sont scolarisées, jouissent de droits civiques, peuvent travailler et devenir indépendantes financièrement. Cette liberté, nouvelle pour les musulmanes, leur permet de faire des choix de vie, ce qui était impensable auparavant. Dans ce contexte la conversion au christianisme de musulmans est un phénomène qui n’en est peut-être qu’à ses débuts…

Oui, je le pense. D’autant que les conversions au christianisme ne se font pas seulement au sein de l’Eglise catholique : les églises évangélistes sont très actives et n’ont aucune inhibition.

De manière générale la présence en France d’une importante communauté musulmane modifie les comportements et les habitudes des femmes musulmanes qui commencent à faire entendre leurs voix. Un mouvement comme Ni putes, ni soumises a été fondé par des musulmanes françaises qui souhaitaient ne pas porter le voile (et encore moins la burqa).

L’émancipation des musulmanes grâce à des sociétés non musulmanes, est une grande avancée en vue d’une approche beaucoup plus libre de l’islam, en effet. C’est un grand facteur de changement.

Le christianisme n’est-il pas dans une position privilégiée pour accueillir des musulmans sincères qui souhaitent concilier Foi et Raison ?

Je le crois. Contrairement à ce qui se passe dans l’islam où l’on est musulman du seul fait que l’on naît musulman, on ne naît pas chrétien : on le devient. Et on le devient progressivement. Le baptême est moins un acte qui inclut dans une communauté – en l’occurrence la communauté chrétienne – que le point de départ d’un cheminement spirituel individuel vers la sainteté qui sollicite le discernement et l’usage de la raison. Le baptême des enfants n’y fait pas exception : il n’est accordé à l’enfant que sur l’engagement que prennent ses parents de l’élever dans la foi et de le catéchiser.

Il ne s’agit donc pas d’intégrer le camp des vainqueurs par opposition au camp des perdants que serait celui des non baptisés. La Foi en Jésus nous prémunit contre toute vision manichéenne du salut. Notre vocation n’est pas le baptême mais la sainteté : l’enjeu est de grandir dans la connaissance et dans la volonté de Dieu. Cela engage notre Foi, notre volonté, notre liberté et notre action. Cela nous libère du joug de la Loi, reconnaissant avec saint Paul que la lettre tue et que l’Esprit vivifie. (2 Corinthiens 3, 6).

C’est particulièrement précieux pour des musulmans sincères qui sont tiraillés entre leur aspiration à une vie spirituelle authentique et compatible avec les exigences de leur conscience individuelle d’une part et leur attachement à la loi coranique réputée divine d’autre part.

Selon vous c’est ce qui explique l’attrait qu’exerce la foi chrétienne sur les musulmans et les musulmanes qui vivent en France ?

Je pense que si aucun chrétien n’est à la hauteur de l’Evangile on trouve en revanche de nombreux musulmans qui valent mieux que le Coran. D’ailleurs même quand on voit des musulmans qui ont le cœur plein de haine et de péchés il faut avoir deux fois plus de bienveillance envers eux qu’envers les chrétiens qui commettent le mal. Car les musulmans, eux, ne connaissent pas le Christ. Pour référence ils n’ont, en tout et pour tout, que la figure de Mahomet. Ce n’est pas vraiment équivalent. Tandis que nous nous avons le Christ pour modèle. D’ailleurs le Christ est notre unique modèle. C’est lui qui nous guide et nous donne confiance même quand l’Eglise nous déçoit et nous trouble.

A nos frères musulmans nous devons indiquer le Christ et nous tenir toujours prêts à rendre compte de l’espérance qui nous habite pour reprendre les mots de Saint Pierre. Et toujours avec douceur et respect (1 Pierre 3, 16). Nous devons leur indiquer le Christ au nom de la vérité car c’est la recherche de la vérité qui fait les justes et non pas l’appartenance à un camp identifié par les uns comme le camp des saints par opposition au camp des damnés.

Voilà un message qui est une bonne nouvelle pour tout homme de bonne volonté et donc pour tout musulman de bonne volonté. C’est le Christ qui sauve mais il ne réserve pas son salut aux seuls baptisés : il est venu sauver le monde, l’ensemble de l’humanité.

Cela veut-il dire qu’il n’est pas nécessaire d’être chrétien ? A quoi bon annoncer le Christ dans ce cas ?

Tout au contraire il nous faut annoncer à tous les hommes que le salut est offert par Dieu gratuitement à ceux qui cherchent la vérité et font le bien . Il faut leur dire que la proposition de Dieu est valable y compris jusqu’au dernier moment.

Avez-vous remarqué que le bon larron – qui est le premier sauvé « officiel » depuis l’avènement du Christ – a été sauvé alors même qu’il n’avait pas reconnu en Jésus-Christ le Fils de Dieu ? Il a été sauvé « seulement » parce qu’il a fait la vérité sur lui-même et sur sa vie en admettant au dernier moment que lui méritait son châtiment alors que Jésus, victime innocente, ne méritait pas, lui, d’être mis à mort.

Le bon larron a été sauvé parce qu’il a confessé ses fautes et son péché en vérité. Et Dieu, révélé en Jésus, est un Dieu d’Amour qui ne fait pas de différence entre les hommes, ce Dieu tient en effet compte du retour du pécheur : ça c’est une Bonne nouvelle, voire la Bonne Nouvelle, qu’il faut annoncer à tous. Ceux qui cherchent la vérité font leur salut sans le savoir.

Le salut proposé par Jésus-Christ étant destiné à tous et offert gratuitement il concerne même ceux qui ne sont pas chrétiens. L’Esprit souffle là où il veut et Dieu n’est pas tenu par les sacrements : sa grâce passe par eux mais elle n’en est pas prisonnière.

C’est précisément cette gratuité, cette universalité et cette générosité du Christ qui sont susceptibles d’attirer à lui tous ceux qui, parmi les musulmans, sont des chercheurs de vérité.

Une fois que l’on s’attache à la personne du Christ on s’attache naturellement à ce qu’il nous dit (son enseignement) et à ce qu’il a institué (l’Église en tant que communauté des fidèles du Christ et les sacrements).

Ce n’est qu’à partir du moment où l’on rencontre le Christ que le baptême et les sacrements deviennent une option et un engagement libres pour cheminer avec et vers le Christ qui est le chemin, la vérité et la vie (Jean 14, 6).

Pour les musulmans, comme pour les chrétiens d’ailleurs, l’appartenance à l’Eglise ne peut avoir de sens que par rapport au Christ. N’est-ce pas d’ailleurs ce que montre Joseph Fadelle quand il raconte le parcours de sa conversion (Le prix à payer) ?

Pouvait-on faire mieux que le bouddhisme en l’absence de révélation divine ?

Bénédictin, père abbé émérite de l’Abbaye de Saint-Wandrille, Dom Pierre Massein a toujours été attiré par l’Extrême-Orient. Il a appris le sanscrit et le pâli pour pouvoir lire dans le texte les écrits bouddhistes. Il a également appris le thaï et s’est imprégné de la culture thaï avant de partir pour la Thaïlande où il a longtemps vécu. Il a fait l’expérience de la vie des moines bouddhistes dans un monastère thaï en forêt.

Dans son livre Un moine chrétien rencontre des moines bouddhistes, Dom Massein témoigne d’une expérience particulièrement originale du dialogue interreligieux. Il relate moins des dialogues entre croyants ouverts à la rencontre qu’une rencontre de moines ouverts vers l’absolu et en profite au passage pour battre en brèche l’idée communément admise que le bouddhisme est une religion athée.

Le moteur de la démarche des moines chrétiens et bouddhistes est en effet une aspiration mystique vers cet absolu que les premiers osent appeler non seulement Dieu mais aussi Père et dont les seconds n’osent rien dire par peur de dire des choses fausses.

Les points communs à la pratique monastique chrétienne et bouddhiste (disciplines concernant le sommeil, l’alimentation, les horaires, le mode de vie ascétique) a servi à Dom Massein de terrain d’entente et de point de départ pour découvrir, dans le nécessaire apprivoisement mutuel et en surmontant les limites du langage, le cheminement spirituel des moines bouddhistes qu’il a côtoyés.

Divergence doctrinale et convergence des expériences spirituelles

Dans le christianisme, chaque homme est invité en tant que personne unique et irremplaçable à entrer en relation avec un Dieu personnel…tellement personnel qu’il est Un en trois personnes ! La doctrine bouddhiste, quant à elle, ne nie pas la notion de personne mais elle l’ignore. Son objet est plutôt de renoncer à l’ego.

C’est là que l’expérience de Dom Massein dans un monastère bouddhiste est instructive. En fréquentant au quotidien des moines bouddhistes burinés par des années d’ascèse, il ne peut que constater et admirer chez la plupart d’entre eux un remarquable équilibre intérieur, à la fois psychologique et spirituel.

Manifestement, ce qui s’était épanoui en eux pendant toutes ces années, c’était…leur personne. L’expérience spirituelle qu’ils avaient faite et qu’ils continuaient à faire dépassaient leur doctrine.

D’où sa question : peut-on penser qu’ils bénéficient d’une grâce de Dieu ? Ou plutôt : peut-on penser qu’ils n’en bénéficient pas ? Car, dit-il, on ne peut mener une vie si exigeante, aussi longtemps et d’une façon aussi épanouie, sans une grâce de Dieu. Dom Massein exprime sa conviction profonde: ces moines font une expérience anonyme de Dieu.

Mais, après tout, est-ce si étonnant ? Le Christ ne disait-il pas qu’on reconnaissait un arbre à ses fruits ? Et si l’on admet que Dieu passe par les sacrements mais n’en est pas prisonnier pour autant, alors qu’est-ce qui permet d’affirmer que la Seigneur ne Se manifeste pas à l’homme – de manière certes voilée – dans la tradition bouddhiste ? Le Créateur ne Se révèle-t-il pas déjà de manière anonyme dans Sa création ?

Le bouddhisme: un lointain cousin de la théologie apophatique ?

Au-delà de la diversité doctrinale de ses différentes écoles, le boudhisme aspire à rejoindre l’absolu. Il croit que seul le fait de rejoindre l’absolu peut combler l’aspiration au bonheur qui se trouve au coeur de chaque homme. Saint Augustin ne disait pas autre chose. Partant du constat qu’il était un être de désirs infinis, il en déduisait fort logiquement qu’il ne pouvait trouver le bonheur que quand ses désirs auraient trouvé un objet lui-même infini : Dieu.

Mais, prudent, le bouddhisme s’interdit de dire quoi que ce soit sur cet absolu. Prudence méthodologique ou scrupule déontologique : la réalité ultime ne peut être ni imaginée, ni exprimée par des mots tirés de l’expérience humaine. Là encore, le bouddhisme rejoint la tradition chrétienne de la théologie dite apophatique. Cette tradition, également appelée théologie négative et illustrée par le pseudo-Denys, consiste à dire non pas ce que Dieu est mais ce qu’Il n’est pas.

C’est exactement ainsi que le bouddhisme parle du nirvâna. Il le décrit en utilisant des termes négatifs pour dire ce que n’est pas le nirvâna. Loin de tout nihilisme, il s’agit là encore d’une description apophatique d’une réalité ineffable qui vise à détruire les fausses représentations que nous pourrions être tentés de nous en faire et tous les conditionnements qui feraient que l’absolu ne serait plus l’absolu.

Nous savons bien que notre tendance naturelle est de donner une valeur absolue à des choses qui n’ont qu’une valeur relative (un système de pensée, une vertu, une institution…) – en langage chrétien, on appelle ça se faire des idoles – et le bouddhisme agit directement contre cette tendance pour aboutir à une vraie liberté intérieure.

Le bouddhisme affirme ainsi que nul ne peut provoquer le nirvâna puisque, si le nirvâna était lui-même l’effet d’une cause, il serait lui-même quelque chose de relatif et non d’absolu. Il serait « ravalé » au rang de conséquence d’une cause extérieure et antérieure: il ne serait pas l’Absolu.

Il y a un non né, non causé, non créé, non formé. S’il n’y avait pas de non né, non causé, non formé, nulle sortie de ce monde ne serait possible. Mais puisqu’il y a un non né, non causé, non créé, il est possible d’échapper à ce monde né, causé, créé, formé.

Udana III,3

Le moine bouddhiste sait très bien qu’il ne fait que préparer le terrain en le déblayant de tout ce qui l’encombre et qu’il se dispose ainsi à accéder à un nirvâna dont nul ne sait quand il adviendra. Au coeur de la démarche bouddhiste se trouvent la gratuité et l’ouverture à la transcendance. C’est d’ailleurs la seule justification de l’ascèse du renonçant et plus généralement du moine. Qu’il soit bouddhiste ou chrétien.

Le bouddhisme vaut-il le christianisme ?

Derrière question se cache bien évidemment celle du relativisme.

Dom Massein écarte la tentation du relativisme : un non-croyant qui sera sauvé le sera toujours par le Christ qui est l’unique sauveur. Telle est la révélation que Dieu nous apporte en Jésus-Christ, Son Fils: c’est parce que l’homme est naturellement impuissant à monter jusqu’à Dieu que Dieu est descendu jusqu’à l’homme. Ce que le Christ demande aux chrétiens, c’est de vivre de Son amour puis de témoigner de Lui en actes et en paroles, auprès des bouddhistes comme des autres.

Mais, comme le fait remarquer Dom Massein, si le Christ est le seul sauveur, le salut chrétien n’est pas formellement un salut par la connaissance – c’est la tentation de la gnôse – mais par la charité.

Ce n’est pas une question de doctrine. La doctrine ne sauve pas. Tu dis que tu crois qu’il n’y a qu’un seul Dieu et tu fais bien, les démons aussi et ils en tremblent (Lettre de Saint Jacques 2, 19).

Si la foi peut sauver, la foi est l’adhésion à une personne que l’on connaît déjà comme une personne. C’est le sens de l’expression « j’ai foi en toi ». C’est une question de confiance. C’est la confiance du centurion romain qui s’en remet entièrement à Jésus et qui fait dire à ce dernier : Amen, je vous le déclare, chez personne en Israël, je n’ai trouvé une telle foi (Matthieu 8, 5-17). Mais pour cela encore il faut non seulement savoir à qui on a affaire mais aussi déjà savoir qu’on a affaire à quelqu’un. Sinon, la question de la foi qui sauve se pose autrement.

Comme le dit Saint Thomas d’Aquin, la foi peut exister à l’état implicite dans le coeur de l’homme et le sauver quand, à un moment crucial de sa vie, il opte pour le bien et accomplit la volonté de Dieu quelle que soit la manière dont il Le conçoit…où ne Le conçoit pas. Un peu comme le centurion romain cité en exemple par Jésus à ses disciples (qui ont dû modérément apprécier).

Le bouddhisme peut-il aider les chrétiens à devenir davantage chrétiens ?

La philosophie grecque possédait un mode de raisonnement propre et indépendant des différentes écoles philosophiques (pythagoricienne, péripatétique, milsénienne etc.). C’est ce mode de raisonnement que les chrétiens ont fini par adopter et qui leur a permis de mieux exprimer et de mieux exposer la Bonne nouvelle dont ils étaient les heureux bénéficiaires. C’est ainsi qu’est née la théologie sous la forme que nous connaissons actuellement.

L’exemple le plus fameux de cette récapitulation du patrimoine grec, à l’origine extérieur à la révélation, est l’oeuvre de Saint Thomas d’Aquin qui s’appuie très largement sur l’étude d’Aristote.

De même, le bouddhisme possède une connaissance concrète de la vie intérieure qui est distincte de sa ou plutôt de ses doctrines. C’est une somme de sagesse pratique et une discipline spirituelle qui a pour objet de nous libérer des passions qui nous rendent malheureux, d’exercer notre discernement pour ne pas nous fourvoyer dans des illusions qui sont des impasses et à cultiver la sérénité face aux vicissitudes de l’existence.

Alors, si nous prenons au sérieux ce que nous recommande Saint Paul et que nous prenons à notre compte tout ce qui est vrai et noble, tout ce qui est juste et pur, tout ce qui est digne d’être aimé et honoré, tout ce qui s’appelle vertu et qui mérite des éloges (Philippiens 4, 4-9) la question se pose: quel usage les chrétiens peuvent-ils faire du bouddhisme ?

La pudeur et ses méfaits

La pudeur dissuade les chrétiens de témoigner de leur foi et d’aller à la rencontre de ceux que l’Esprit saint a placés sur leur chemin.

La pudeur inverse l’ordre des priorités : elle substitue la peur de commettre un impair ou de paraître importun à l’urgence d’aimer.

Quand le Christ nous commande d’aimer notre prochain la pudeur vient susurrer à notre oreille : N’en fais rien : vous n’avez même pas été présentés…

La pudeur fait avorter toutes les rencontres que Dieu avait prévues pour se révéler à autrui à travers nous.

La pudeur  nous fournit hypocritement mille arguments : l’eau est trop chaude, l’eau est trop froide, l’eau est trop tiède…

La pudeur flatte notre pusillanimité, atrophie en nous la vie et bannit la spontanéité.

Elle étouffe progressivement notre générosité et notre capacité d’indignation face à l’injustice.

La pudeur nous emprisonne et nous empoisonne : elle nous renferme en nous-même et nous inocule le virus de l’indifférence qui rend aveugle et sourd à la fois à la vérité et à l’amour.

C’est cette indifférence aux autres dont le pape François nous dit qu’elle est infiniment plus contraire à Dieu que tous les faux-pas qu’il nous arrive de faire en allant vers eux.

En créant de la distance entre nous et autrui la pudeur nous isole et nous aliène en nous détournant de notre seule vocation qui est d’aimer.

La pudeur nous fait dépérir et rabougrir.

La pudeur est une maladie mortelle qui prétend figurer au rang des vertus.

La pudeur est le masque de l’Ennemi !


L’extraordinaire parcours de Peter John Kreeft

Depuis quelques décennies en Amérique du Nord – et particulièrement aux États-Unis – de nombreuses personnalités et leaders évangéliques se convertissent à la foi catholique. Peter John Kreeft fait partie de ces protestants ayant vécu ce changement important.

Dans son ouvrage The Spiritual Journeys Peter Kreeft consacre un chapitre au récit de sa conversion ( « Hauled Aboard the Ark » mis en ligne sur son site internet : http://www.peterkreeft.com/topics/hauled-aboard.htm.). Il y explique très clairement à quel point il était difficile pour un calviniste d’origine hollandaise comme lui de rejoindre l’Église catholique considérée comme hérétique et idolâtre. Pourtant un événement va tout faire basculer.

Un jour l’un de ses professeurs, calviniste, lui demande de démontrer que l’Église catholique contemporaine ne correspond pas à l’Église des premiers siècles. Peter Kreeeft se met à faire des recherches et parvient à une toute autre conclusion en « découvrant » que les éléments centraux de l’Église catholique – primauté de l’eucharistie, la présence réelle, les prières aux saints, la dévotion à Marie, l’insistance sur l’unité visible et la succession apostolique – figuraient dès le début dans l’Eglise primitive.

Néanmoins pour lui la question centrale et décisive est de savoir si l’Eglise catholique est la seule et unique à avoir été fondée par le Christ comme elle le prétend elle-même ou non.

Pour répondre à cette question il applique alors le raisonnement dit du « trilemme », que CS. Lewis, avait appliqué à Jésus : soit Jésus était un menteur, soit c’était un fou soit il était réellement celui qu’il disait qu’il était.

Appliqué à l’Église par Peter Kreeft le « trilemme » consiste à postuler que l’Eglise est soit une réalité arrogante, blasphématoire et immorale, soit un mensonge, soit ce qu’elle prétend être parce que Jésus l’a voulu ainsi. Paradoxe ironique : c’est grâce au « trilemme » d’un Anglican que Peter Kreeft entre dans l’Eglise catholique…

Ce qui a été à l’origine de sa conversion est également le moteur de toute son œuvre apologétique : Peter Kreeft n’a cessé de saisir la cohérence de la foi chrétienne au sein de l’Église catholique, tant du point de vue de son origine historique et apostolique que dans le déploiement de sa doctrine tout au long des siècles.

Peter Kreeft est en effet l’auteur de plus d’une soixantaine d’ouvrages et un conférencier très apprécié qui expose la foi chrétienne dans un véritable esprit apologétique. Nourri de la pensée d’auteurs comme Thomas d’Aquin, Socrate, Chesterton, Lewis ou encore Pascal il participe à nombreux débats dans des institutions académiques.

Peter John Kreeft, l’apologète

Auteur prolifique qui se situe dans la grande tradition de l’apologétique anglo-saxonne, Peter John Kreeft est encore peu connu en France. Seul son commentaire du Catéchisme de l’Eglise universelle a été traduit sous le titre La foi catholique et publié par les éditions Néhémie (www.editionsnehemie.org). Voici néanmoins une brève présentation de ses principaux ouvrages destinée à tous ceux et à toutes celles que le parcours de Peter John Kreeeft intrigue, que l’apologie de la foi intéresse…. et que la perspective de lire en anglais ne rebute pas.

Angels and Demons, 1995

L’auteur tente dans cet ouvrage de répondre à cent questions courantes à propos de ces êtres spirituels. Il s’appuie sur l’un de ses cours particulièrement bien accueilli et offre au lecteur des réponses aux nombreuses questions concernant ces créatures angéliques. Il clarifie le sujet en prenant position contre la désinformation qui circule dans nos librairies (ésotériques ou non).

Back to Virtue, 1992

Kreeft invite les chrétiens à se remettre activement à la poursuite des vertus dans leur vie de tous les jours. Une analyse profonde sur le sens des vertus est faite en lien avec les Béatitudes, permettant ainsi d’honorer la sagesse théologique et scripturaire qui nous invite à mener une vie sainte. Nous y retrouvons la sagesse combinée de saint Paul, de CS Lewis et de plusieurs autres.

Because God is Real : Sixteen Questions, One Answer, 2008

Des écrivains agnostiques et athées attaquent agressivement les croyances religieuses traditionnelles. L’auteur aborde seize points d’importance capitale au sujet du sens profond de la vie. Les questions que Kreeft étudie vont de « Est-ce que la foi est raisonnable ? », « Est-ce que vous êtes capable de prouver que Dieu existe ? », et « Pourquoi Jésus est-il différent ? », à « Pourquoi le sexe est-il si déroutant ? », « Pourquoi y a-t-il le mal ? », et « Pourquoi devons-nous mourir ? ». Ce livre s’adresse à un public sérieux qu’il soit non-croyant, croyant ou tout simplement en recherche de réponses réfléchies à approfondir.

Everything You Ever Wanted to Know About Heaven, 1990

« S’appuyant sur les épaules de CS Lewis », Peter Kreeft nous offre un regard sur la nature du Paradis. Un aperçu théologique orthodoxe, clair et rafraîchissant du « pays inconnu » (Shakespeare). Il interpelle le cœur et l’intelligence pour nous offrir un clin d’œil sur l’un des sujets les moins abordés de la religion : le ciel.

Fundamentals of the Faith : Essays in Christian Apologetics, 1988

Peter Kreeft rend compte de tous les éléments fondamentaux du christianisme et du catholicisme, expliquant, défendant et montrant leur pertinence dans notre vie de tous les jours et leur convergence avec les désirs profonds de l’homme.

The God Who Loves You : Love Divine, All Loves Excelling, 1988

L’amour de Dieu est le sujet de cet ouvrage profond et plein d’imagination. Avec une clarté hors du commun, l’auteur nous explique comment l’homme et la femme qui commencent à percevoir Dieu comme Créateur, Rédempteur et Amoureux de nos âmes ne seront plus jamais les mêmes. Peter Kreeft nous décrit les Saintes Écritures comme l’histoire d’amour de Dieu et comment l’amour divin répond à toutes nos attentes et à tous nos problèmes.

Handbook of Catholic Apologetics, 1994

Nul besoin de s’étendre sur une description de cet ouvrage dont le titre résume le contenu. Précision néanmoins : ce manuel prend la forme d’une Somme et traite une multitude de questions posées plus particulièrement par les athées et les matérialistes…

How to Win the Culture War, 2002

La guerre a éclaté ! Alors que certains chrétiens s’obstinent à ne pas la voir, d’autres ont été trop rapide dans leurs déclarations de guerre, prenant pour ennemis ceux tombés au combat. Dans How to Win the Culture War, Peter Kreeft incite les chrétiens à prendre leurs armes. Les chrétiens doivent réaliser la vraie nature de cette guerre culturelle : il s’agit d’une guerre entre la culture de vie et la culture de mort. Il identifie les ennemis réels qui déclarent la guerre à l’Église d’aujourd’hui en ciblant les lieux de combats. L’auteur présente ensuite une stratégie afin d’aider le vaillant soldat à s’armer pour gagner le combat. La guerre, au fait, la guerre est déjà gagnée, par et dans le Christ. Là se trouve l’espoir du chrétien…

Making Sense out of Suffering, 1986

L’autre titre de ce volume pourrait être : « Pourquoi Dieu nous fait-il souffrir ? » L’auteur aborde le scandale de la souffrance de front. Il n’a pas peur d’exposer le problème et ses solutions faciles. Mais il montre, à la lumière de nombreux indices, comment cette réalité peut avoir un sens : sept indices chez les philosophes, sept chez les artistes, huit chez les prophètes. Toutes convergent vers Jésus.

The Philosophy of Tolkien : The Worldview Behind « The Lord of the Rings », 2005

Étonnant ! Peter Kreeft présente à l’aide de ce grand classique un traité de philosophie. Tout y est ou presque : métaphysique, théologie philosophique, angélologie, cosmologie, anthropologie, épistémologie, philosophie de l’histoire, esthétique, philosophie du langage, philosophie politique, éthique. Le livre de Peter Kreeft ne parle pas du monde de Tolkien, mais de sa vision du monde, de sa philosophie. L’explorer peut être une autre aventure.

A Refutation of Moral Relativism, 1999

L’idée de l’auteur est d’engager un dialogue avec deux anciens étudiants (fictifs) : une journaliste féministe de race noire et une relativiste morale qui reçoivent pour une interview un professeur arabe palestinien, un absolutiste moral. Les étincelles apparaissent dès la première rencontre, lorsque le professeur caractérise Auschwitz comme étant le fruit du « relativisme moral » en expliquant le fascisme de Mussolini comme étant le relativisme par excellence.

The Snakebite Letters. Devious Secrets for Subverting Society, 1998

Comme l’avait fait auparavant C.S. Lewis dans Tactique du diable, Peter Kreeft nous donne, à son tour, un aperçu des tactiques que l’Adversaire emploie dans la subversion de l’homme en disséquant quinze correspondances entre Satan et ses suppôts. Le but est de nous « dévoiler » ces stratagèmes et de nous faire comprendre comment l’ennemi opère. Combinant satire et humour, il nous montre comment Satan s’y prend pour corrompre la société américaine, l’éthique publique et l’Église. L’auteur attire spécialement notre attention sur les domaines critiques des médias, de la sexualité, de la liturgie, de la théologie et de l’éducation religieuse en nous révélant comment Snakebite (Satan) s’est infiltré dans tous ces domaines.

Three Approches to Abortion, 2002

Dans ce livre, Peter Kreeft utilise plusieurs stratégies pour réfuter et détruire tous les arguments utilisés par les partisans « pro-choix » (lisons « pro-avortement »). L’utilisation de la « tactique de la pomme » est particulièrement futée. Elle démontre en quinze points comment parvenir à convaincre que l’avortement est immoral !

Three Philosophies of Life, 1990

Pour l’auteur, il n’y a que trois philosophies de la vie et chacune est représentée par l’un de ces livres de la Bible :  l’EcclésiasteJob et le Cantique des cantiques. L’Ecclésiaste est l’éternel classique concernant la vanité, Job est l’éternel classique de la souffrance tandis que le Cantique des cantiques est l’éternel classique traitant de l’amour.

Yes or No ? Straight Answers to Tough Questions about Christianity, 1984

Le titre ne laisse aucune place à la nuance pour signifierqu’on ne peut pas ne pas choisir. Le christianisme pousse à la prise de décision. Le choix pour ou contre Dieu, le choix de croire ou de ne pas croire, de mettre notre espérance en Dieu ou pas, d’aimer ou de ne pas aimer — ce choix fait toute la différence, une différence éternelle et infinie. Voilà la merveilleuse et limpide nouvelle qu’apporte le christianisme. Si cette nouvelle est vraie, alors elle nous livre la vérité la plus importante qui soit. Et si elle est fausse, alors elle est le pire mensonge jamais inventé. Et toute personne honnête doit chercher à savoir si elle a affaire à la vérité ou à un mensonge. Ce livre a pour but d’aider dans le choix le plus important de notre vie. Ce choix est simple, mais les raisons qui militent en faveur du pour et du contre ne le sont pas.

Your Questions, God’s Answers, 1994

En utilisant le genre littéraire « question-réponse », Peter Kreeft adresse à un public adolescent et jeunes adultes les questions intemporelles telles que : Quel est le sens de la vie ? D’où venons-nous ? Où allons-nous ? D’un angle résolument catholique, il se sert des Saintes Écritures et de la Tradition pour donner les réponses profondes de Dieu aux jeunes. L’auteur aborde aussi des sujets plus difficiles tels que l’avortement, la sexualité, la drogue, le péché et la mort… pour offrir réconfort, sens et espoir. Il présente au lecteur de solides fondations scripturaires avec un raisonnement solide afin de lui permettre de découvrir un sens à la vie. Il encourage le lecteur à combiner religion et « vie authentique » pour vivre un vrai cheminement spirituel.

Louis Charles d’après un texte du père Mario Saint-Pierre

Qu’est-ce que le christianisme peut apporter aux athées de France ?

Cher Louis Charles,

Qu’est-ce que le christianisme peut apporter aux athées de France ? Les chrétiens ont-ils autre chose à apporter à la France que leur foi en leur Dieu ? De manière plus personnelle, si mes enfants n’embrassent pas la foi chrétienne, existe-t-il des éléments du christianisme qui leur seront utiles pour leur vie, et qu’ils ne trouveraient pas dans la société ?

Au fur et à mesure que la France se déchristianise, les références des gens ne sont plus chrétiennes, on se base sur une morale universelle, d’ailleurs fort sympathique, fondée en son cœur sur la liberté, sur le respect des différences et sur la non-violence. Sur ce socle moral commun, qui n’est pas très dense, certaines personnes y ajoutent des valeurs fortes d’engagement social, d’amitié solide et dynamique ou d’activité culturelle riche ; d’autres personnes y ajoutent des valeurs de défi personnel, d’enrichissement matériel et de progression sociale ; ou d’autres encore, les valeurs du consumérisme et de bien-être personnel. D’autres enfin, y ajoutent leurs valeurs religieuses.

Dans ce terreau composé d’un consensus moral minimum et d’une grande diversité de morales individuelles, les écueils de l’individualisme et des addictions sont nombreux. En effet, nombreux sont ceux n’ont pas saisi l’exigence morale de notre époque : faire cet effort individuel de choisir une morale solide pour mener sa vie de manière cohérente, et finalement heureuse. Car le consensus social ne suffit pas. Il faut une nourriture plus dense. A défaut, il existe un réel risque de tomber dans le non-sens de l’existence, qui se révèle sous forme de désintérêt des autres ou sous forme d’addictions diverses.

Les entrepreneurs, les artistes, les scientifiques, proposent par leur existence même des chemins assurés fondés sur la créativité et la prise de risque. Mais tout le monde n’a pas les compétences ou les moyens pour s’y engager. Les bobos, et toutes les idéologies sympathiques de gauche, proposent une vision de l’existence riche également faite d’ouverture culturelle et d’entretien d’un tissu social riche. Mais tout le monde ne dispose pas d’une richesse matérielle et d’une richesse culturelle qu’elle suppose. Les associations les plus diverses sont également vectrices de sens et de lien social, mais elles ne sont pas nécessairement accessibles à tous, pour des raisons culturelles ou financières.

Bref, malgré la diversité des propositions morales, malgré les choix qui sont ouverts dans notre société, la France est loin d’être saturée en références de vie disponibles facilement. Au contraire, il semble que l’individualisme et la passivité gagnent du terrain. Comment l’expliquer ? Le sujet a dû être maintes fois labouré, mais l’une des explications réside sans doute dans l’absence de formulation d’une morale riche et vivifiante qui soit facilement lisible.

Alors quoi dire au monde, quoi dire à mes enfants s’ils refusent d’embrasser la foi chrétienne. N’ai-je rien à dire qui n’ait de rapport avec la religion ? L’Église n’a-t-elle pas de message moral à adresser à la France pour lui proposer un corpus moral qui aille au-delà des droits de l’homme et qui soit agréable aux incroyants ? Est-elle condamnée à convertir pour se faire entendre, sans espoir de trouver une audience attentive au-delà du cercle des chrétiens ? N’entend-elle pas ces gens qui ont soif de sens, mais qui n’embrasseront jamais la foi chrétienne ? Ne peut-on pas offrir à ceux qui sont en attente de référence morale pour mener leurs vies, ces richesses évangéliques qui édifient ? Je ne parle évidemment pas de cette partie de la morale chrétienne qui est d’emblée rejetée par les athées, c’est-à-dire, tout ce qui concerne la morale familiale et sexuelle. Raisonnablement, il faut admettre que

les chrétiens ne convaincront plus sur ces questions. Je parle de la morale interindividuelle et de la morale politique et économique. Les chrétiens sont si habitués au haut niveau de morale en matière d’attention à l’autre, en matière de justice économique et sociale, qu’ils en ont sans doute oublié qu’il y a là-dedans bien des sources d’enrichissement moral pour nos frères athées. Des sources vivifiantes qu’ils accueilleraient avec plaisir. Relisons le discours de la montagne, le magnificat, les récits de Jésus vis-à-vis des athées et des païens. Donne-moi à boire, dit Jésus à la samaritaine. Certains de nos frères athées ont soif. Certains aspects du discours chrétien, comme la morale sexuelle chrétienne ou la foi elle-même, sont imbuvables pour les athées. Mais d’autres aspects restent si neufs, si stimulants, si modernes, que nos frères athées méritent de les entendre. Essayons de faire cela pour eux, parce que je suis convaincu que ça leur fera plaisir. D’ailleurs, on pourrait également faire la même démarche pour des chrétiens qui aurait perdu le feu sacré.

Alors quoi dire ? Un chrétien est dynamique et créatif, toujours à la recherche de ce qui fait plaisir aux autres, de ce qui soulage, en évitant scrupuleusement les pièges de la richesse et de l’orgueil. Il croit que chaque homme peut progresser, qu’il peut être pardonné. Sa morale est d’abord interindividuelle, l’individu prime, il regarde le monde d’abord au travers des gens concrets, des gens qu’il côtoie, avant de prendre éventuellement de la hauteur. Il vit sa vie comme un engagement pour les autres et s’intéresse à tout ce qui fait l’expérience humaine, il est particulièrement attentif à la souffrance des gens. Il a une conception particulière de l’Homme, être humain souvent moralement et physiquement blessé, qui doit être aidé à se relever, même s’il est tombé de sa propre faute. Lui-même ne vaut pas plus qu’un autre, mais il a conscience de sa dignité sacrée qu’il partage avec tout être humain. Il sait qu’il est limité, et qu’il a beaucoup de défauts, mais cela ne l’empêche pas de vouloir progresser et d’agir, en dépit de son passé et de ses erreurs. Son sens de la justice est très aiguisé, il en fait un combat absolu, même lorsque ce combat est perdu d’avance. Ses armes ne sont pas ni celles de la violence, mais il n’est pas naïf. Les armes à privilégier sont celles de la subtilité, des voies détournées. Il ne s’embarrasse pas de règles inutiles, les règles qui n’ont pas d’utilité pour le bien être de l’Homme, il n’en tient pas compte. Il examine les situations avec ses ressources intérieures, et ne suit pas aveuglément les maitres, même si ceux-ci sont légitimes. La joie et la fête sont importantes pour lui. Face à la souffrance et la haine, il place l’amour, au cœur de toute son existence. Il sait vivre sans filet de sécurité, et ne s’inquiète pas de son sort pour l’avenir, car il a confiance en la vie. Ses ennemis sont ses frères, à qui il doit le respect et à qui il tend la main à chaque, mais contre lequel il combat sans haine leurs actes destructeurs. Mais il prépare l’avenir sur des bases solides, car il sait que le monde est en partie géré par des mauvaises structures qui mettront du temps à tomber. Les règles sociales peuvent éventuellement être suspendues. Sa morale de vie est simple à comprendre. Elle est accessible aux plus humbles.

Bien à toi,

Basilon

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Cher Basilon,

Merci pour le texte que tu m’as proposé. Ta réflexion tourne autour d’une question : Les chrétiens ont-ils autre chose à apporter à la France que leur foi en leur Dieu ? Je te livre les réflexions qu’elle m’inspire.

Annoncer le Christ c’est ce que les chrétiens sont les seuls à pouvoir faire – ce qui ne signifie pas nécessairement qu’ils le font bien ou qu’ils le font tout court – mais c’est la seule plus-value qui leur soit spécifique.

Toute autre prétention ne serait-elle pas de la présomption ? Car comme tu l’as écrit toi-même le chrétien lui-même ne vaut pas plus qu’un autre.

Tu brosses le portrait du chrétien tel qu’il devrait être c’est-à-dire d’un chrétien qui est le reflet du Christ. Mais si tu exclus d’entrée de jeu de parler du Christ alors le reflet que tu proposes ne pourra pas être accueilli autrement que comme une chimère. Une belle chimère, sans doute, mais à ce compte-là ce ne sera pas différent des utopies que le XXème siècle a proposées, qui ont débouché sur des catastrophes et qui ont détourné nos contemporains de rechercher la vérité.

Tu écris que le chrétien « croit que chaque homme peut progresser ». Mais s’il n’y a pas quelque chose ou Quelqu’un vers lequel tendre c’est l’idée même de progression qui n’a plus de sens. Au deux sens du terme : elle n’a plus de signification (c’est l’absurde) et elle n’a plus aucune direction (progresser mais vers où?).

Tu dis que le chrétien a « une conception particulière de l’Homme » mais c’est justement par ce que sa conception de l’homme est une conception qui ne vient pas des hommes qu’elle est particulière. La conception que l’homme se fait de lui-même c’est soit celle d’un sous-homme (l’humain est réduit à une marchandise) soit à un sur-homme (le transhumanisme).

Mais l’idée qu’un homme a une dignité sacrée et inaliénable même si individuellement il n’est pas particulièrement aimable c’est une idée qui n’a de sens que si l’on considère qu’il est créé à l’image de Dieu et qu’il a tellement de prix aux yeux de Dieu que Dieu lui-même a accepté de descendre de son piédestal divin pour s’incarner et mourir afin de le sauver.

Tu dis qu’un vrai chrétien combat l’injustice même lorsque le combat est perdu d’avance. Si tu supprimes la perspective de la vie éternelle alors le combat du chrétien n’a plus de sens et devient suicidaire.

Là où je suis d’accord avec toi, en revanche, c’est que la bonne manière d’annoncer le Christ c’est d’annoncer la Bonne nouvelle et pas la morale. Pour rendre crédible l’amour de Dieu pour nous il faut commencer par rayonner soi-même de cette tendresse, de cette bienveillance, de cette espérance qu’il nous insuffle.

Si on prétend vendre des produits de beauté et qu’on est soi-même laid comme un pou la démarche est vouée à l’échec.

Si on prétend vendre quoi que ce soit et qu’on n’en a même pas un échantillon sur soi c’est foutu d’avance.

Si on prétend enseigner l’anglais et qu’on a besoin d’un traducteur on est un imposteur.

Le Christ c’est la manière d’être homme de Dieu.

Le Christ nous a révélé que Dieu était tellement mieux que toutes les images que nous nous faisons de lui que c’est une bonne nouvelle extraordinaire.

C’est ça que nous avons à transmettre.

Et l’annonce de la foi doit être sans cesse reprise en fonction de l’évolution des cultures et des nouveaux défis qui se posent à la foi vivante. Vivante parce que vécue, incarnée dans la vie des hommes de toutes races, langues, peuples et nations. La tradition chrétienne ne consiste pas à répéter toujours les mêmes choses mais à faire toujours des choses qui tendent au même but.

Et nous n’avons toujours pas fini de comprendre les implications qui en découlent. Vivre en cohérence avec l’Évangile est une activité à temps plein et la foi n’est pas une tradition monolithique mais une conversion permanente. C’est le miracle permanent qui fait découvrir aux hommes la vérité. En dépit de leurs traditions et parfois même au mépris de tout ancrage culturel.

Mais si nous renonçons d’entrée de jeu à annoncer le Christ que faisons-nous si ce n’est parler de nos convictions personnelles c’est-à-dire de nous-mêmes ?

Amitiés,

Louis Charles